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Date : 20030325

Dossier : T-650-01

Référence neutre : 2003 CFPI 340

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2003

En présence de Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                        HARVEY ABBOTT, EDWARD BILL

                                                          et JIMMY BILL

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                     LE COMITÉ D'APPEL DE LA BANDE DU LAC PÉLICAN

                                                  (ci-après le comité d'appel)

                                                                       et

                             SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

et SON MANDATAIRE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, (ci-après le Ministre)

                                                                                                                              défendeurs


                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision écrite par laquelle le comité d'appel de la bande du lac Pélican a rejeté, le 18 mars 2001, l'appel que les demandeurs Harvey Abbott, Edward Bill et Jimmy Bill avaient interjeté.

[2]                La Première nation du lac Pélican, également connue sous le nom de bande indienne du lac Pélican, est une « bande » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

[3]                Au mois de juillet 1999, la bande a décidé d'entamer le processus visant à transformer la procédure suivie aux fins de l'élection du conseil de la bande et d'adopter un système électoral coutumier plutôt que la procédure prévue aux articles 74 à 280 de la Loi sur les Indiens.

[4]                La Pelican Lake Election Act (la Loi) a subséquemment été rédigée et plusieurs réunions publiques ont été tenues en vue de servir de forum aux membres de la bande et de leur donner la possibilité de discuter du projet sur le plan de la procédure et du fond.


[5]                Le consentement et l'approbation du ministre étaient nécessaires pour qu'il puisse être déclaré que la Loi avait force de loi. Plus précisément, le ministre exigeait que les personnes qui avaient proposé la Loi obtiennent, par référendum, l'appui de la majorité des membres habiles à voter de la Première nation avant de révoquer l'Arrêté sur l'élection du conseil de bandes indiennes, DORS/97-138, permettant ainsi à la Loi d'avoir force de loi.

[6]                Même si les résultats du référendum étaient insuffisants pour satisfaire à l'exigence du ministre selon laquelle il fallait avoir l'appui de la majorité des membres habiles à voter et même si le ministre n'avait pas donné son consentement, la bande a procédé à l'élection du conseil de la bande le 14 avril 2000 conformément aux dispositions de la Loi.

[7]                On a demandé à la Cour fédérale du Canada de déterminer si le chef et les conseillers avaient été validement élus le 14 avril 2000. Monsieur le juge Campbell a fait connaître ses motifs le 6 décembre 2000; il a conclu que le résultat de l'élection du 14 avril 2000 n'était pas légal étant donné que l'élection avait été tenue en vertu de la Loi, qui n'était pas alors en vigueur.

[8]                Compte tenu de cette décision, le résultat de l'élection du 14 avril 2000 a été annulé, de sorte qu'il fallait tenir une nouvelle élection.


[9]                Le 12 février 2001, une assemblée de mise en candidature a été tenue par les membres de la bande du lac Pélican, conformément aux dispositions de la Loi. Lors de cette assemblée, cinq membres ont été choisis comme membres du comité d'appel de la bande du lac Pélican (le comité). Il s'agissait d'Elmer Thomas, de John Malanowich, de Mirian Thomas, d'Isaac Chamakese et de Walter Lewis. Plusieurs jours avant la date de l'élection, Isaac Chamakese a soumis par écrit sa démission.

[10]            L'élection du chef et des conseillers a eu lieu le 28 février 2001 conformément aux dispositions de la Loi.

[11]            Après l'élection, les demandeurs ont déposé un avis d'appel auprès du comité; ils invoquaient deux motifs d'appel :

a) une erreur sérieuse ou une violation de la Pelican Lake Election Act a été commise sur le plan de l'interprétation et de l'application des dispositions de la Loi, laquelle a influé sur le résultat de l'élection, en violation de l'alinéa 12(1)a) de la Loi; et

b) la tenue de l'élection violait à maints égards les exigences et procédures de la Loi, de sorte que l'élection était viciée puisqu'elle allait à l'encontre de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[12]            Les membres du comité se sont rencontrés le 16 mars 2001 en vue d'examiner l'appel. Un membre du comité, Isaac Chamakese, qui avait antérieurement démissionné, n'était pas présent à la réunion. Osborne Turner, qui était le directeur des élections (le DE), et Lisa Chamakese, la scrutatrice étaient également présents à la réunion.

[13]            Par suite des réunions qui ont eu lieu les 16 et 17 mars 2001, une lettre en date du 18 mars 2001 a été distribuée parmi les membres de la bande du lac Pélican en vue de les informer que la majorité des membres du comité avaient conclu que l'élection du 28 février 2001 était équitable et qu'elle avait force obligatoire.

[14]            Par conséquent, l'appel interjeté par Harvey Abbott, Edward Bill et Jimmy Bill a été rejeté.

[15]            Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du comité.

[16]            Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

11(1)    Un comité d'appel est constitué par les membres à l'assemblée de mise en candidature, immédiatement après que la fin des mises en candidature a été annoncée par le directeur des élections ou par la personne que celui-ci aura désignée.

(2)        Le comité d'appel supervise et administre tous les appels relatifs aux élections conformément à la Elections Act.

(3)        Il incombe au comité d'appel d'attester le résultat de l'élection du conseil de la bande du lac Pélican si un appel est interjeté après la tenue d'une élection générale ou partielle.

(4)        Les membres du comité d'appel exercent leurs fonctions tant que tous les appels ne sont pas réglés. Aucun membre du comité d'appel ne peut être membre du conseil de la bande.

12(1)    Un candidat à l'élection ou un électeur qui a voté à l'élection peut, dans les quatorze (14) jours civils de la tenue du scrutin, interjeter appel contre l'élection s'il y a lieu de croire :

a) qu'une erreur ou violation de la Elections Act a été commise sur le plan de l'interprétation ou de l'application de la Loi, laquelle a peut-être influé sur le résultat de l'élection;

            b) un candidat à l'élection n'était pas habile à être présenté conformément à la Loi; ou

            c) on a eu recours à des manoeuvres frauduleuses en violation de la Elections Act.

12(2)    L'appel d'une élection de la bande du lac Pélican est interjeté selon les modalités suivantes :

a) un avis d'appel, dûment certifié par un affidavit approprié, est transmis par courrier recommandé ou en mains propres au directeur des élections; les motifs de l'appel y sont énoncés et un montant de trois cents dollars (300 $) y est joint, en espèces ou sous la forme d'un chèque certifié ou d'un mandat, au nom de l'Administration de la bande du lac Pélican. L'avis d'appel doit être reçu dans les quatorze (14) jours civils de la date de l'élection;

b) si l'appel est accueilli, la somme consignée est remise;


c) si l'appel est rejeté, la somme consignée est confisquée au profit de la bande du lac Pélican; elle est affectée aux frais de conduite de l'appel.

12(3)    Le comité d'appel :

a) est composé de cinq (5) personnes impartiales, dont la majorité sont membres de la bande, y compris au moins une (1) personne d'affaires, une personne exerçant une profession ou un directeur de banque local qui n'est pas membre de la bande;

b) dans les sept (7) jours qui suivent la réception de la plainte, détermine si l'appel doit être entendu compte tenu de la suffisance de la preuve présentée dans la plainte et par la suite, le plus tôt qu'il est raisonnablement possible de le faire, informe la bande, le plaignant ou les plaignants [l'appelant ou les appelants] et tout candidat qui pourrait être touché par une décision défavorable du comité d'appel [l'intimé ou les intimés] de la décision préliminaire qu'il a rendue.

(4) Si le comité d'appel décide d'entendre l'appel, l'audience a lieu dans les quatorze (14) jours qui suivent la réception de la plainte. Toutes les personnes concernées sont avisées par courrier recommandé de la date, de l'heure et du lieu de l'audience ainsi que des motifs d'appel.

(5) À l'audition de l'appel, l'appelant présente sa preuve. Les intimés ont le droit de soumettre une réponse et une défense complètes. L'appelant a alors la possibilité de présenter une contre-preuve. Les parties peuvent être représentées par un avocat ou par un conseiller à leurs propres frais. Le comité d'appel entend toute la preuve pertinente fournie par l'appelant et par l'intimé.

[17]            À mon avis, les lacunes sérieuses décelées dans la constitution du comité et dans le processus que celui-ci a suivi vicient la décision ab initio. Il est donc inutile d'examiner au fond la décision du comité.

[18]            Les demandeurs soutiennent que le comité n'était pas régulièrement constitué parce que quatre membres seulement étaient présents alors que la Loi prévoit qu'il faut cinq membres. Je suis d'accord avec les demandeurs.


[19]            L'alinéa 12(3)a) est clair. Le comité d'appel est composé de cinq membres impartiaux. Or, quatre membres seulement étaient présents à la réunion étant donné qu'Isaac Chamakese, le cinquième membre, avait démissionné plusieurs jours avant l'élection. Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la Loi ne renferme aucune disposition à ce sujet et ne prévoit pas de mécanisme de nomination d'un nouveau membre, mais je ne puis conclure que le comité était régulièrement constitué conformément à la Loi.

[20]            Les demandeurs soutiennent en outre que le comité n'a pas observé les principes d'équité procédurale et de justice naturelle.

[21]            Le paragraphe 11(2) de la Loi exige que le comité « administre tous les appels relatifs aux élections conformément à la Elections Act » . Conformément à l'alinéa 12(3)b), l'appel est une procédure en deux étapes. À l'étape initiale, le comité doit examiner la plainte et déterminer dans un délai de sept jours « si l'appel doit être entendu compte tenu de la suffisance de la preuve présentée dans la plainte [...] » . Cette décision est uniquement fondée sur la plainte. Le comité a le droit de rejeter la plainte s'il croit que les allégations sont insuffisantes pour justifier la tenue d'une audience officielle. Je note que la Loi ne renferme aucune disposition au sujet de la question de savoir si la décision doit être prise par consensus ou si elle peut être prise à la simple majorité. Il me semble qu'une objection soulevée par un membre indiquerait fortement qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve pour procéder à une audience formelle et qu'il ne convient pas de rejeter sommairement l'appel eu égard aux circonstances.

[22]            Si le comité décide d'entendre l'appel, conformément au paragraphe 12(4), toutes les personnes concernées sont avisées et l'audience est tenue dans les quatorze jours de la réception de la plainte. À l'audience, conformément au paragraphe 12(5), les appelants présentent leur preuve, les intimés ont le droit de soumettre une réponse et une défense complètes et les appelants ont la possibilité de soumettre une contre-preuve. À l'audience, le comité entend toute la preuve pertinente soumise par les appelants et par les intimés.

[23]            Les demandeurs soutiennent que le comité n'a pas suivi la procédure énoncée dans la Loi puisque le DE, Osborne Turner, et la scrutatrice, Lisa Chamakese, étaient présents et qu'ils ont soumis des observations à la réunion initiale du comité.

[24]            Les personnes chargées de prendre des décisions administratives peuvent à bon droit tirer des conclusions au sujet de la valeur probante de la preuve ou conclure que certaines plaintes ne méritent pas d'être poursuivies au-delà du stade de l'enquête à cause d'une faiblesse intrinsèque (Tan c. Société canadienne des postes (1995), 97 F.T.R.1), mais elles doivent néanmoins observer les règles d'équité procédurale. En l'espèce, il n'est pas contesté que le comité était autorisé en vertu de la loi à rejeter la plainte des demandeurs à la première étape de l'audience. Toutefois, c'est le fait que le comité a rendu sa décision après avoir entendu l'avis du DE qui est contesté. Le point litigieux ne se rapporte pas à la substance de la décision elle-même, mais plutôt à la façon dont le comité y est arrivé. Sur ce point, contrairement à l'argument du défendeur, le fait que la Loi comporte une clause privative n'a rien à voir avec la question de savoir si le comité à agi d'une façon équitable.


[25]            À mon avis, il ne convenait pas pour le DE et pour la scrutatrice d'être présents et de soumettre des observations à la réunion initiale du comité. La présence du DE et de la scrutatrice ne peut pas être considérée comme neutre. M. Turner et Mme Chamakese n'avaient pas intérêt à voir un candidat l'emporter sur un autre candidat, mais ils avaient intérêt à convaincre le comité que l'élection qu'ils supervisaient avait été légalement tenue. Ils n'étaient pas des observateurs impartiaux. C'est ce qui ressort du procès-verbal de la réunion, dans lequel les sentiments du DE sont exprimés comme suit :

[TRADUCTION] Il regrettait que dans le document d'appel, il était soutenu que l'élection avait été tenue sur la base de manoeuvres frauduleuses illégales. Il a déclaré qu'il avait personnellement été accusé de s'être livré à ces pratiques et que son intégrité était remise en question. Il a déclaré qu'il avait déjà dirigé plusieurs élections et qu'il n'avait jamais fait face à pareilles fausses accusations.

Dossier du défendeur, à la page 51.

[26]            En outre, M. Turner a remis à chaque membre du comité un document intitulé : [TRADUCTION] « Réponse à l'avis d'appel relatif à l'élection générale tenue le 28 février 2001 » . Ce document énonçait l'avis de M. Turner, à savoir que l'appel n'était pas fondé et qu'il devait être rejeté sommairement en l'absence d'une audience formelle. Ce type de renseignement aurait uniquement dû être communiqué à l'audition formelle de l'appel, au cours de laquelle les demandeurs auraient eu la possibilité de présenter leur preuve et auraient également eu la possibilité de répondre.


[27]            Dans la décision Lavallée c. Louison, [1999] A.C.F. no 1350 (QL), le demandeur s'était vu refuser une audience formelle compte tenu de la preuve contradictoire qui avait été soumise au tribunal. Madame le juge Sharlow a conclu que le fait de ne pas donner au demandeur la possibilité de répondre à la preuve contradictoire le privait d'un droit fondamental qui avait pour effet de rendre la procédure inéquitable à son égard. Le juge souligne que cela serait vrai même si la preuve était fournie par un observateur neutre comme le DE. Voici ce que le juge a dit aux paragraphes 63 et 64 :

Je ne veux pas suggérer qu'on aurait dû interdire aux membres du tribunal d'assister à l'élection et au décompte des votes. Toutefois, comme ils ont assisté, il n'était pas équitable de leur part de s'appuyer ensuite sur leur connaissance personnelle en décidant que les appels de M. Lavallée n'étaient pas fondés, sans lui donner d'abord un avis raisonnable quant à la preuve à l'encontre de ses allégations. Le tribunal aurait dû lui permettre de répondre à cette preuve contraire avant de décider si l'un ou l'autre de ses trois appels justifiait la tenue d'une audience.

J'irai plus loin en déclarant que, même si la preuve contradictoire avait été présentée par d'autres personnes que les membres du tribunal, par exemple par un observateur neutre comme le directeur des élections, M. Louison, l'équité exigeait que le tribunal informe M. Lavallée de cette preuve et lui donne l'occasion d'y répondre avant de déterminer si la tenue d'une audience d'appel était justifiée.

[28]            De même, en l'espèce, je crois qu'il ne convenait pas pour le comité d'entendre l'avis de M. Turner sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre.

[29]            En résumé, je suis d'avis que le comité n'était pas régulièrement constitué étant donné que quatre membres seulement étaient présents au lieu des cinq membres nécessaires; de plus, le comité n'a pas observé l'équité procédurale en entendant l'avis du DE et de la scrutatrice tout en ne donnant pas également aux demandeurs la possibilité de répondre.

[30]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 18 mars 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à un comité régulièrement constitué pour être tranchée conformément à la Loi.

                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

[1]         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 18 mars 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à un comité régulièrement constitué pour être tranchée conformément à la Loi.

                                                                             « Danièle Tremblay-Lamer »             

                                                                                                                 Juge                               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-650-01

INTITULÉ :                                  HARVEY ABBOTT, EDWARD BILL et JIMMY BELL

ET

LE COMITÉ D'APPEL DE LA BANDE DU LAC PÉLICAN

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et SON MANDATAIRE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

LIEU DE L'AUDIENCE :            Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 17 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                      MADAME LE JUGE

ET ORDONNANCE :                 DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                 le 25 mars 2003

COMPARUTIONS :

M. Ron Cherkewich                                          POUR LE DEMANDEUR

M. Anil K. Pandila                                             POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                            Page : 2

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Ron Cherkewich                                          POUR LE DEMANDEUR

Cabinet Ron Cherkewich

Bureau 100-33

11th Street West

Prince Albert (Saskatchewan)

S6V 3A8

M. Anil K. Pandila                                             POUR LE DÉFENDEUR

Pandila et associés

Avocats

15 - 15th Street West

Prince Albert (Saskatchewan)

S6V 3P4


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