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Date : 19990126

Dossier : T-970-98

OTTAWA (Ontario), mardi, le 26e jour de janvier 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

                                             HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et

                       SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,

                                                                                                                                 demanderesses,

                                                                          - et -

            LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

                                                             GENPHARM INC.,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                                ORDONNANCE

LA DEMANDE ayant été entendue à Toronto (Ontario), le jeudi 14 janvier 1999,

ET POUR les motifs rendus ce jour;

IL EST ORDONNÉ, PAR LES PRÉSENTES, QUE :

la demande sera rejetée.

                                                                                               B. Reed        

                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 19990126

Dossier: T-970-98

ENTRE :

                                             HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et

                       SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,

                                                                                                                                 demanderesses,

                                                                          - et -

            LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

                                                             GENPHARM INC.,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

I.           La Cour est saisie d'une demande d'ordonnance conformément à l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166, interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (AC) à Genpharm Inc. à l'égard du médicament naproxen (y compris les comprimés kératinisés de 250, 375 et 500 mg) avant l'expiration des brevets canadiens nos 1,131,660 (660) et 1,135,717 (717). Syntex Pharmaceuticals, une société remplacée par la société demanderesse Hoffmann-La Roche Limitée (La Roche), est le titulaire de ces brevets et a déposé, en avril 1993, une liste de ces brevets à l'égard du médicament, conformément au Règlement.

II.          La défenderesse Genpharm a envoyé une lettre à La Roche datée du 20 mars 1998 contenant un avis d'allégation (AA) concernant les comprimés de naproxen comme l'exige l'article 5 du Règlement. Voici le contenu de la lettre :

[traduction]

                                                                         Avis d'allégation et énoncé détaillé

                                                                                  conforme à l'alinéa 5(3)a)

                                                                 du Règlement sur les médicaments brevetés

                                                                                      (avis de conformité)

                                    Objet : les présentations de drogues nouvelles (PDN) abrégées à l'égard des   

                                                      comprimés kératinisés de naproxen de 250, 375 et 500 mg

La présente lettre constitue un avis d'allégation et un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels se fonde Genpharm dans les allégations exposées dans ses déclarations relatives à la liste des brevets (formule V) que nous déposons relativement au médicament susmentionné, conformément à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

Les allégations

1.Voici les brevets qui figurent dans votre liste à l'égard des comprimés kératinisés de naproxen de 250 mg, 375 mg et 500 mg, savoir :

No du brevet                           Date de délivrance                                Date d'expiration

[La liste contient 8 brevets, mais les deux brevets ci-dessous sont les seuls en litige en l'espèce.]

1 131 660                                 14/09/82                                  14/09/99

1 135 717                                 16/11/82                                  16/11/99

2.Chacun des brevets susmentionnés vise soit un procédé, soit une substance intermédiaire; aucun des brevets ne porte sur le médicament en soi. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1, a rejeté l'appel interjeté contre une décision de la Section de 1re instance de la Cour (publiée dans 67 C.P.R. (3d) 484). Dans cette affaire, la Cour a affirmé que les brevets 1,131,660, 1,135,717, 1,259,627 et 1,207,338 ne contiennent que des revendications portant sur des procédés et des substances intermédiaires. De même, les brevets 1,124,735, 1,186,318, 1,186,319 et 1,199,646 ne renferment que des revendications portant sur des procédés et des substances intermédiaires.

3.Par conséquent, aucun des brevets susmentionnés de la liste n'aurait dû être porté sur la liste des brevets relativement au médicament en cause et aucun d'eux n'est pertinent quant à la demande de Genpharm en l'espèce.

III.        Je n'ai pas l'intention de reproduire intégralement le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ni de décrire ses modalités d'application. Il a été maintes fois cité par le passé; voir, par exemple, Merck Frosst Canada Inc. & Merck & Co. Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social & Kyorin Pharmaceutical Co. Ltd. & Apotex Inc. (dossier T-1502-96, 18 décembre 1998).

IV.        La demanderesse, La Roche, soumet cinq arguments à l'appui de sa demande d'interdiction : (1) l'avis d'allégation de Genpharm était prématuré au motif qu'il n'a pas été signifié conformément au sous-alinéa 5(3)c)(i); (2) l'avis d'allégation était insuffisant au motif qu'il ne contenait pas l'allégation prévue au sous-alinéa 5(1)b)(iv) savoir, « aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites » ; (3) il n'y avait aucune preuve de la signification, contrairement à l'alinéa 5(3)d) du Règlement; (4) l'arrêt Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.) ne s'applique pas puisque les conclusions de la Cour ne visent que les circonstances propres à cette affaire; (5) la revendication 27 du brevet no 660 et la revendication 27 du brevet no 717 ne sont ni des revendications portant sur des procédés, ni des revendications portant sur des substances intermédiaires, mais des revendications portant sur un médicament en soi.

Caractère prématuré de l'avis d'allégation

V.         Le Règlement a été modifié le 12 mars 1998. Aux termes du règlement modifié, un avis d'allégation ne doit pas être signifié avant le dépôt de la présentation d'une drogue nouvelle (PDN). Voici le résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagnait la modification apportée au Règlement :

Pas d'avis d'allégation prématuré : Le fabricant de médicaments génériques ne peut pas signifier au titulaire de brevet un avis d'allégation relatif à une absence de contrefaçon s'il n'a pas d'abord déposé une demande d'approbation d'avis de conformité auprès du ministre de la Santé.

Avant le 12 mars 1998, un avis d'allégation pouvait être signifié avant la PDN à condition que les deux documents soient disponibles au moment de l'audience : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193; Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (22 décembre 1998, T-2730-97). En vertu de la nouvelle disposition du règlement applicable :

5(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

                                                                                                      . . .

c) si l'allégation est faite aux termes du sous-alinéa (1)b)(iv) :

(i) signifier à la première personne un avis de l'allégation relative à la demande déposée selon le paragraphe (1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,

(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;

d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c) [Non souligné dans l'original.]

VI.        En l'espèce, l'avis d'allégation envoyé par Genpharm à La Roche est daté du 20 mars 1998. La PDN envoyée au ministre porte la même date. Les deux documents ont été envoyés aux deux parties, le même jour, par courrier recommandé. Le ministère de la Santé a par la suite envoyé un avis appelé « clarification - examen » à Genpharm, le 25 mai 1998. Genpharm a répondu à l'avis le 8 juin 1998 et le ministère a envoyé une « lettre d'acceptation - examen » le 10 juin 1998. La Roche prétend que la PDN n'a été déposée auprès du ministre que le 10 juin 1998 et que la signification de l'avis d'allégation à La Roche en mars 1998 était donc prématurée et que le ministre n'a pas compétence pour délivrer un avis de conformité.

VII.       Je ne suis pas prête à lui donner raison. Il est vrai que selon la jurisprudence antérieure sur cette question, l'avis d'allégation pouvait être signifié avant le dépôt de la PDN et il est vrai que cette jurisprudence n'est plus tout à fait pertinente. Mais l'interprétation du Règlement dans ce type d'affaire elle, demeure pertinente. La méthode recommandée consiste pour le tribunal à ne pas interpréter trop rapidement le Règlement en lui donnant une portée étroite qui aurait pour effet de retarder le règlement rapide visé par la procédure sommaire du Règlement. Me Hughes a raison de dire que le Règlement permet la signification de l'avis d'allégation par une personne « au moment où elle dépose la demande [de drogues nouvelles] » et il n'est pas nécessaire que le ministère ait envoyé une lettre d'acceptation. À mon avis, l'envoi simultané, par courrier recommandé, de l'avis d'allégation à La Roche et de la PDN au ministre respecte les exigences du sous-alinéa 5(3)c)(i) du Règlement.

Caractère suffisant de l'allégation

VIII.      Le paragraphe 5(1) porte :

5.(1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et souhaite en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans sa demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas,

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi, ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité. [Non souligné dans l'original.]

IX.        La Roche soutient que l'avis d'allégation de Genpharm n'est pas suffisant parce qu'il ne comprend aucune allégation portant qu' « aucune revendication pour le médicament en soi et aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, l'application, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité. »

X.         Je ne suis pas convaincue que l'allégation de Genpharm doive être calquée sur les termes du Règlement. Pour l'essentiel, l'allégation précise que les brevets sur lesquels La Roche se fonde ne sont pas des brevets portant sur une revendication soit pour un médicament en soi, soit pour son utilisation, et par conséquent, la vente de naproxen par Genpharm ne constitue pas une contrefaçon de ces revendications. L'allégation visée au sous-alinéa 5(1)b)(iv) est implicite. La demanderesse n'a eu aucune difficulté à comprendre le fondement de l'allégation. Il n'y avait ni ambiguïté, ni imprécision. À l'audition, les deux parties ont débattu la présente demande sur la base de l'avis d'allégation censément insuffisant et elles ont déposé des affidavits exposant les raisons pour lesquelles les revendications 27 des deux brevets devraient ou non constituer des revendications portant sur des procédés et des substances intermédiaires. J'estime que l'allégation de Genpharm est un exposé suffisamment clair de la question et qu'elle fournit une base sur laquelle La Roche pouvait tenter de réfuter les allégations qui s'y trouvaient.

Preuve de signification

XI.        Aux termes de l'alinéa 5(3)d), la partie qui fait l'allégation doit signifier au ministre une preuve de la signification de l'avis d'allégation et de l'énoncé détaillé à la première personne. La disposition pertinente du Règlement est citée au paragraphe 5 des présentes. Genpharm n'a pas établi que la preuve de la signification faite à La Roche a été signifiée au ministre.

XII.       Néanmoins, je ne suis pas convaincue qu'une partie demanderesse puisse invoquer l'omission de fournir au ministre une preuve de la signification dans le but d'obtenir une ordonnance portant que le ministre n'a pas compétence pour délivrer l'avis de conformité demandé. La preuve de signification au ministre, exigée par le Règlement, est conçue pour profiter au ministre et non à la demanderesse. Si l'avis de signification d'un avis d'allégation est porté à l'attention du ministre, toute erreur causée par l'absence d'une preuve de signification pourrait être corrigée ou perdre toute importance. Tel que susmentionné, la disposition en cause est établie au profit du ministre et il lui appartient de l'invoquer ou non quand il décide s'il a compétence pour délivrer l'avis de conformité en cause.

Autres procédures - Abus de procédure

XIII.      Les brevets de La Roche visant le naproxen ont fait l'objet d'autres procédures relatives aux avis de conformité devant la Cour. Dans ces procédures, La Roche a soutenu que les revendications en cause sont des revendications portant sur des procédés ou des substances intermédiaires plutôt que des revendications portant sur le médicament en soi ou sur son utilisation. La société a adopté une position différente en l'espèce.

XIV.     Avant d'évaluer la pertinence des aveux ainsi faits, examinons les faits. Dans l'affaire Hoffmann-La Roche Ltée c. ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1996), 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F., 1re inst.), (l'affaire Apotex), le tribunal a tranché un litige relatif à plusieurs brevets, notamment les brevets nos 660 et 771. En ce qui a trait à ces brevets, le tribunal a refusé de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la société Apotex à l'égard du naproxen. La Roche a annulé sa demande d'interdiction à l'égard de ces brevets devant la Cour d'appel fédérale. Le juge Stone a expliqué à la page 2 de l'arrêt (1996), 70 C.P.R. (3d) 1, à la page 2 :

. . . Les appelantes contestent cette ordonnance par laquelle le juge Reed a refusé d'interdire au ministre de délivrer à Apotex Inc. un avis de conformité à l'égard du médicament naproxène avant l'expiration des brevets nos 1,131,660, 1,135,717, 1,259,627 et 1,207,338. Dans son appel incident, Apotex Inc. conteste cette ordonnance dans la mesure où elle a pour effet d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à l'égard de ses comprimés de naproxène à libération progressive de 750 mg et 1000 mg avant l'expiration du brevet no 1,204,671 (le brevet en litige).

                Aux paragraphes 19 et 25 de leur mémoire, les appelantes soutiennent ce qui suit :

[traduction] 19. Compte tenu des jugements que la Cour a rendus dans Deprenyl c. Apotex (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (où elle a statué que les revendications de procédé n'étaient pas visées par le Règlement) et dans Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (14 mai 1996) A-598-95 (C.A.F.) (où elle a décidé que les revendications pour des substances intermédiaires n'étaient pas visées par le Règlement) et du fait que les brevets nos 660, 717, 627 et 338 renferment uniquement des revendications de procédé et des revendications pour des substances intermédiaires, les appelantes ne s'opposeront pas au rejet de leur appel en ce qui a trait à ces brevets, sous réserve de leurs droits d'appel.

                                                                                                      . . .

25. Tel qu'il est mentionné au paragraphe 19, Roche ne s'opposera pas au rejet de son appel à l'égard des brevets 660, 717, 627 et 338, sous réserve de ses autres droits d'appel. En conséquence, le seul brevet en litige est le brevet 671.

Au début de l'audience, après avoir entendu les parties à ce sujet, la Cour a rendu un jugement sans frais dans le sens de ces allégations.

XV.       Les brevets ont encore une fois fait l'objet d'un litige dans l'affaire Hoffmann-La Roche Ltée c. le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1998), 79 C.P.R. (3d) 486, (l'affaire Novopharm). Le juge en chef adjoint Jerome a écrit, au paragraphe 2 : « Je souscris à l'argument de la défenderesse suivant lequel les revendications en question portent sur des substances intermédiaires utilisées dans le procédé de fabrication d'un ingrédient actif destiné à un usage pharmaceutique » . Il a donc affirmé que les revendications ne visaient pas le médicament en soi, ni son utilisation. Le juge en chef adjoint s'est appuyé sur l'affaire Apotex pour affirmer que les revendications portaient sur des substances intermédiaires. La Cour d'appel fédérale a récemment entendu un appel contre la décision du juge en chef adjoint (A-92-98 et A-93-98, 13 janvier 1999). En confirmant la décision, la Cour d'appel a écrit :

[9]            Pour l'essentiel, les appelantes prétendent, au regard de cette question, que le juge saisi de la requête, soit a commis une erreur de droit, soit ne s'est pas fondé sur les faits en déclarant qu'il était lié par la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social).

[10]          Examinons, en premier lieu, la deuxième question. Dans l'affaire Hoffmann-La Roche mentionnée plus haut, la Cour a souligné que la même appelante avait reconnu, entre autres choses, dans son mémoire, que les revendications des brevets nos 660 et 717 n'étaient que des revendications portant sur les procédés ou des substances intermédiaires et que c'était pour cette raison qu'elle avait consenti au rejet de l'appel concernant ces brevets. Les appels ont donc été rejetés. Mais, en l'espèce, les appelantes prétendent que le juge en chef adjoint a commis une erreur en déclarant qu'il était lié par cette décision. Elles soutiennent que le principe de l'autorité de la chose jugée et de l'issue estoppel (irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige) ne s'applique pas lorsque les parties sont différentes. Dans la première affaire, c'était Apotex et non l'intimée en l'espèce, la compagnie Novopharm, dont les intérêts étaient en conflit avec ceux de l'appelante. Selon les appelantes, la règle du stare decisis n'est pas pertinente parce qu'elle ne s'applique qu'à des principes juridiques établis alors que l'interprétation régulière d'une revendication de brevet est une question mixte de droit et de fait.

[11]          Nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question. Le juge en chef adjoint au paragraphe [2] de ses motifs (précité) a commencé par dire qu'il acceptait l'argument de l'intimé selon lequel « les revendications en question portent sur des substances intermédiaires utilisées dans le procédé de fabrication d'un ingrédient actif destiné à un usage pharmaceutique... » Il est vrai qu'il a ajouté qu'il était lié par la décision Hoffmann-La Roche rendue par cette Cour, mais il a également dit qu'il était d'accord avec cette décision et qu'il n'avait pas été

convaincu que les faits de la présente espèce sont suffisants pour justifier la réparation demandée ...

Il a donc conclu que les revendications des brevets nos 660 et 717 étaient des revendications portant sur des substances intermédiaires ou des procédés plutôt que des revendications portant sur le médicament en soi.

[12]          À notre avis, le juge saisi de la requête en a décidé ainsi à bon droit et il n'a commis aucune erreur compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi. Il appartient à la partie qui demande l'interdiction, en vertu du Règlement, d'établir que l'avis d'allégation de l'intimé n'est pas justifié. Dans les circonstances de l'espèce, il incombait aux appelantes d'établir que ces revendications visaient le médicament lui-même, savoir le médicament visé par les deux avis d'allégation concernant divers comprimés de la substance naproxen. À notre avis, les appelantes ne sont pas acquittées de ce fardeau. Elles se sont contentées de déposer en preuve le texte des deux brevets. Il n'appert certes pas de ces brevets que la revendication 27 de chacun d'eux vise le médicament lui-même. Les appelantes n'ont fourni aucune preuve d'expert afin de démontrer au juge saisi de la requête qu'il en était ainsi et elles ne nous ont rien indiqué qui aurait pu amener le juge à tirer cette conclusion.

[13]          Cela étant, nous n'avons décelé aucune erreur susceptible d'examen dans la décision du juge en chef de rejeter les deux demandes d'interdiction. [Renvois omis.]

XVI.     Les parties reconnaissent que les décisions Apotex et Novopharm ne peuvent avoir pour effet de faire intervenir le principe de l'autorité de la chose jugée et de l'issue estoppel en l'espèce. La demanderesse est la même dans les trois affaires mais les défendeurs sont différents. En outre, certains éléments de preuve déposés en l'espèce n'ont été déposés dans aucune des affaires antérieures.

XVII.    Le juge Rothstein a examiné une situation à peu près semblable dans l'arrêt Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (T-1363-98, 12 novembre 1998). Il a déclaré qu'en l'espèce, il s'agissait d'un abus de procédure :

[12] La Cour a déjà rejeté deux demandes d'interdiction mettant en cause des avis d'allégation pratiquement identiques concernant le brevet 170. Les défendeurs sont toutefois différents dans chaque affaire. Le principe de l'autorité de la chose jugée et de l' « issue estoppel » (irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige) ne s'applique donc pas.

[13] La demande d'interdiction présentée en l'espèce constitue-t-elle un abus de procédure ? Je réponds par l'affirmative à cette question. Nous sommes en effet en présence de procès répétés portant sur une question qui a déjà été débattue et tranchée et au sujet de laquelle les demanderesses n'ont pas obtenu gain de cause. Leur permettre de poursuivre reviendrait à autoriser un abus de procédure manifeste...

Revendication 27 - Substances intermédiaires ou médicament en soi

XVIII. Même si à mon avis la présente demande ne constitue pas un abus de procédure, je ne puis tout de même pas conclure que la demanderesse a déposé tous les éléments de preuve nécessaires afin d'établir que les revendications 27 des brevets nos 660 et 717 sont des revendications portant sur des médicaments.

XIX.     La revendication 27 du brevet no 660 est ainsi rédigée :

            [traduction] Un mélange de sels (")d'acide-6-methoxy-α-methyl-2-naphthaleneacetique et de glucamine N-methyl-D-glucamine, préparé par le procédé de la revendication 26.

La revendication 27 du brevet no 717 est ainsi rédigée :

            [traduction] 27. Un mélange de sels de d et d'acide 1 2-(6-methoxy-2-naphthyl)-propionique et de N-R-D-glucamine, lorsque R est un alkyle ayant entre 2 et 36 atomes de carbone ou un cycloalkyle ayant de 3 à 8 atomes de carbone, préparé par le procédé de la revendication 1.

XX.       Le naproxen est connu par ses appellations chimiques : (")acide 6-methoxy-α-methyl-2-naphthaleneacetique; acide 2-(6-methoxy-2-naphtyl) propionique. Les revendications portent donc sur des compositions de naproxen et d'une autre substance plutôt que sur le naproxen en soi.

XXI.     La demanderesse prétend que les mélanges sont des médicaments parce qu'ils contiennent du naproxen. Cette affirmation est fondée sur un affidavit du directeur des Affaires réglementaires de La Roche, M. Henein. Ce dernier invoque un brevet américain, le brevet no 3,904,682, qui démontrerait que le N-methyl-D-glucamine est un methylglucamine et comme tel, qu'il s'agit d'un sel pharmaceutique acceptable du naproxen. Il invoque la page 8 du brevet no 717 pour en conclure que les sels de glucamine de naproxen ont un effet thérapeutique :

            [traduction] Les sels N-R-D-glucamine de l'acide d 2-(6-methoxy-2-naphthyl) propionique peuvent constituer des agents anti-inflammatoires, analgésiques ou antipyrétiques, des inhibiteurs d'agrégations plaquettaires, des agents fibrinolytiques et des relaxants des muscles lisses. Les sels susmentionnés sont également utiles dans le traitement de la dysménorrhée et contribuent à l'atténuation des symptômes post-menstruels. Par conséquent, ces sels seraient utiles dans le traitement et l'élimination des inflammations, notamment les affections inflammatoires des muscles squelettiques, des articulations et des autres tissus, . . . [Non souligné dans l'original.]

XXII.    M. Henein en vient à la conclusion que si un patient prenait un comprimé kératinisé de naproxen ou un des mélanges de la revendication 27 du brevet no 717 ou de la revendication 27 du brevet no 660, il avalerait, dans tous les cas, l'ingrédient actif à effet thérapeutique du naproxen. Il affirme que les revendications en cause sont donc des revendications portant sur des substances pouvant être utilisées à des fins de diagnostic, de traitement, d'atténuation ou de prévention d'une maladie, d'un trouble, d'une anomalie physique ou des symptômes de ces affections.

XXIII. Toutefois, M. Heinen ne dit pas que les mélanges sont des médicaments ou qu'ils ont été utilisés comme tels. Il ne prétend pas qu'ils ont été inscrits sur une liste approuvée de médicaments, ni recommandés par une autorité à ce titre. Dans l'affidavit déposé au nom de Genpharm, M. Pike déclare que le mélange n'est pas un médicament et, à ce qu'il sache, son utilisation à ce titre n'a jamais été approuvée.

XXIV. J'accepte l'argument de l'avocat de Genpharm selon lequel les éléments de preuve présentés par Roche ne permettent pas d'établir que les mélanges décrits dans les deux revendications 27 sont des médicaments. Il ne suffit pas, pour établir qu'il s'agit en fait d'un médicament, d'affirmer, dans un affidavit, que prendre un mélange qui contient un médicament équivaut à prendre le médicament. Prétendre que le mélange décrit dans la revendication 27 du brevet no 660 a un effet thérapeutique en invoquant, à l'appui, un brevet américain, n'est pas non plus convaincant. Il n'y a aucune revendication dans le brevet no 660 selon laquelle le mélange aurait un effet thérapeutique. En outre, les demanderesses n'ont pas reconnu qu'elles avaient eu tort de prétendre que les mélanges étaient des substances intermédiaires et non des revendications portant sur des médicaments. Il appert des brevets qu'il s'agissait de substances intermédiaires.

XXV.    Pour les motifs qui précèdent, l'ordonnance d'interdiction empêchant le ministre de délivrer un avis de conformité est refusée.

                                                                                                                                                B. Reed                         

                                                                                                Juge

OTTAWA (ONTARIO)

26 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               T-970-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Hoffman-La Roche et autre c.

                                                            Ministre de la Santé nationale et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    14 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU 26 janvier 1999

ONT COMPARU :

Sheldon Hamilton                                  pour les demanderesses

Roger Hughes                            pour la défenderesse Genpharm

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)                                  pour les demanderesses

Sous-procureur général

du Canada                                             pour le défendeur ministre

Sim, Hughes, Ashton & McKay

Toronto (Ontario)                                  pour la défenderesse Genpharm

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