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Date : 19990630


Dossier : T-2401-98

ENTRE :


HECTOR EWING,


demandeur,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SANTÉ CANADA)

et DAVID A. WEHRLE,


défendeurs.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , d"une décision rendue le 25 novembre 1998 par M. Yves Nadeau, président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Le président a rejeté l"appel interjeté par le demandeur en vertu de l"article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique , à l"encontre de la nomination de M. David Wehrle au poste de chef, section des services d'ingénierie, à Santé Canada suite à la tenue d"un concours interne .


LES FAITS

[2]      Le ministère de la Santé a tenu un concours interne pour pourvoir au poste de chef, section des services d"ingénierie (EN-ENG-04) au Bureau de la sécurité des produits. Le demandeur et M. Wehrle étaient parmi les huit candidats qui ont été invités à passer un examen des connaissances. M. Wehrle a obtenu une note de 71,5 %; il a été le seul candidat à obtenir une note supérieure à la note de passage de 70 %. Le demandeur a obtenu une note de 66,5 %. M. Wehrle a ensuite passé une entrevue et a été jugé qualifié pour le poste, et son nom a été placé sur la liste d"admissibilité.

[3]      Le demandeur a interjeté appel de la nomination de M. Wehrle, en vertu de l"article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique .

Appeals

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

Appels

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.



LA DÉCISION DU COMITÉ D"APPEL

[4]      Le président du comité d"appel a rejeté l"appel après avoir conclu que la notation de onze des douze réponses du demandeur n'était pas manifestement déraisonnable. Il a conclu que la notation d"une réponse était manifestement déraisonnable, mais il a rejeté l"appel parce que cela n"avait pas d"incidence sur la nomination proposée.


QUESTIONS EN LITIGE

[5]      Le demandeur a soulevé deux questions à l"audience :

     (i)      le comité d"appel a-t-il commis une erreur de droit en imposant un fardeau de preuve trop élevé au demandeur, soit de fournir une " preuve concluante " que la notation de son examen n"était pas conforme au principe du mérite?
     (ii)      le comité d"appel a-t-il commis une erreur de droit en appliquant une norme de contrôle inappropriée (caractère manifestement déraisonnable) dans l'appréciation de la décision du jury de sélection?

L"ARGUMENTATION DU DEMANDEUR

[6]      Le demandeur allègue que la norme de contrôle appropriée qui doit être appliquée par le comité d"appel lorsqu"il examine le processus de sélection en vertu de l"article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est le " caractère raisonnable ", comme l'a établi et maintenu la jurisprudence depuis l"arrêt Blagdon1 :

     Dans ces circonstances, les observations et conclusions suivantes du comité d"appel [...] me semblent fondées, compte tenu du dossier soumis et ne comportent aucune erreur de droit ou injustice à l"endroit du requérant.
     Il peut sembler injuste à première vue que le dossier de sécurité du requérant, qui a occupé le poste de commandant pendant six ans, n"ait pas été considéré satisfaisant en raison des deux incidents, alors que le dossier du candidat reçu, commandant depuis quatre mois seulement, sans incidents de ce genre a été considéré satisfaisant. Toutefois, cette question devait être tranchée par les responsables de l"évaluation des dossiers et, à mon avis, on ne peut prétendre qu"ils sont parvenus à une conclusion nécessairement déraisonnable.

[7]      Le demandeur allègue en outre qu'il ressort de la décision, du comité d"appel qu'il a utilisé constamment les termes " manifestement déraisonnable " dans ses conclusions, et que cela constitue une erreur de droit justifiant l"intervention de la Cour.

[8]      Quant à la question du fardeau de la preuve, le demandeur allègue que le comité d"appel, en exigeant une " preuve concluante ", a clairement excédé le degré de preuve de la " prépondérance des probabilités " normalement exigé en matière civile et qu'il a imposé un fardeau de preuve trop élevé au demandeur.

L"ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR

[9]      L"avocat du défendeur reconnaît que la norme de contrôle appropriée est celle du " caractère raisonnable ", mais il allègue que la Cour doit regarder ce que le comité d"appel a fait en réalité et qu"en plaçant les mots dans leur contexte, la Cour devrait arriver à la conclusion que le comité d"appel, malgré l"utilisation des termes " manifestement déraisonnable ", a en réalité appliqué la norme du " caractère raisonnable ".

[10]      L"avocat a fait valoir qu"en raison de la nature de la fonction du comité d"appel, qui consiste à " faire une enquête " sur le processus d"évaluation suivi par le jury de sélection, comme l"indique l"article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique , le comité d"appel ne peut appliquer la norme du " caractère manifestement déraisonnable " parce qu'il n'est pas à la recherche d'erreurs manifestes à la face même du dossier.

[11]      Le défendeur soutient que cette hypothèse est compatible avec l"analyse faite dans l"arrêt Southam2 de la Cour suprême du Canada où il a été statué que la différence entre " déraisonnable " et " manifestement déraisonnable " réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Le juge Iacobucci dit, à la page 777 :

     La différence entre " déraisonnable " et " manifestement déraisonnable " réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s"il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais pas manifestement déraisonnable.

[12]      Le défendeur prétend que le fait que le comité d"appel a dû faire enquête indique qu'il se devait de faire un examen à un certain degré, et que, par conséquent, la seule norme appliquée a été le " caractère raisonnable ".

[13]      Sur la question du fardeau de preuve, le défendeur a cité l"arrêt Leckie3 de la Cour d"appel fédérale dans lequel il a été établi que :

     Afin de parvenir, en vertu de l"article 21, à établir qu"il y avait violation du principe du mérite, les requérants devaient convaincre le comité d"appel que le mode de sélection choisi était " tel[-] qu"on puisse douter qu"il permette de juger du mérite des candidats ", c"est à dire qu"il permette de juger si l"on avait trouvé " les personnes les mieux qualifiées ". La fonction principale d"un comité d"appel étant de s"assurer que les personnes les mieux qualifiées ont été nommées, il va sans dire que l"appelant, avant même de contester le mode de sélection choisi, devrait au moins alléguer (et finalement prouver) qu"il existe la possibilité réelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n"ont pas été nommées.

[14]      Le défendeur soutient que le président du comité d"appel n"était pas convaincu, sur la base de la preuve que lui avait présentée le demandeur, que la notation accordée par le jury de sélection était déraisonnable. En d"autres termes, il n"a pu conclure, sur la base de la preuve, que le principe du mérite n"avait pas été respecté. Il soutient que le président a employé l'expression " preuve concluante " dans ce sens.

ANALYSE

[15]      En ce qui a trait à la question du fardeau de preuve que le comité d'appel a imposé au demandeur, je suis d"accord avec l"argument du défendeur. Je ne crois pas qu"en utilisant les mots " preuve concluante ", le comité d"appel a créé une nouvelle norme qui serait plus exigeante que la " prépondérance des probabilités ".

[16]      Le rôle d"un tribunal est de rendre une décision, dans un sens ou dans l"autre, sur la base de la preuve concluante ou convaincante qui lui est présentée. Je n"arrive pas à la conclusion que le comité d"appel s"est écarté de la norme applicable quant au fardeau de preuve.

[17]      Quant aux arguments avancés par les parties sur la question de la norme de contrôle applicable, les deux avocats ont défendu leur position avec habileté. Toutefois, quelque détaillée et motivée que soit la décision du comité d"appel, je ne peux aller au-delà des mots et lui faire dire quelque chose de différent de ce qu"elle dit.

[18]      Le président a utilisé les termes " manifestement déraisonnable " à plusieurs reprises et de façon constante dans sa décision.

[19]      Le comité d"appel a conclu, en examinant la notation accordée aux réponses du demandeur, que la notation d"une réponse était clairement ou manifestement déraisonnable :

     [TRADUCTION]      Je suis d"avis que la note accordée au demandeur pour sa réponse à la sous-question 10 (vii) est manifestement déraisonnable. La question était : " Que signifient les acronymes suivants? " Pour la sous-question (vii), l"acronyme était " ISO ". La réponse attendue à cette question était " International Organization for Standardization ", et la réponse du demandeur était " International Standards Organization ". La preuve produite par l"appelant m"amène à conclure que l"" ISO " s"affiche elle-même comme l"" International Standards Organisation ", sur l"Internet et sur d"autres documents officiels. En conséquence, la note de " 0 " accordée à la réponse de l'appelant et le refus d"accepter sa réponse étaient manifestement déraisonnables.

[20]      Pour ce qui est de cette conclusion, le comité d"appel pouvait, à la face même du dossier, arriver à la conclusion que le jury de sélection avait clairement commis une erreur en notant la réponse de l"appelant et que la notation était manifestement déraisonnable. Cependant, la Cour ne peut s"en remettre à la conclusion du comité d"appel qui compare les autres questions à celle susmentionnée, dans sa révision pour vérifier si le jury de sélection a commis des erreurs. Le comité d"appel dit :

     [TRADUCTION]      Pour ce qui est des questions qui restent, je n"ai pu trouver de questions et/ou de notations des réponses manifestement déraisonnables qui permettraient d"attaquer le processus de sélection qui a mené à la nomination proposée. [...]
     Pour ce qui est des autres questions, je ne peux conclure qu"elles sont ambigües, non plus que la notation des réponses de l"appelant est manifestement déraisonnable. Comme c"est le cas pour la question 4, l'appelant a soumis sa propre interprétation pour chacune des questions et chacune des réponses attendues.
     À moins que l"appelant n"apporte une preuve concluante qu"une question ou que la notation d"une réponse était manifestement déraisonnable, comme pour la question 10 (vii), la question ou la réponse attendue sera considérée raisonnable.

[21]      Même en considérant que l"argument voulant que le comité ait mal choisi ses mots se fonde sur le fait que le comité dit qu"il a fait un examen minutieux des questions, la Cour n"est pas convaincue que le comité a appliqué une autre norme que celle qu'il a mentionnée constamment, à plusieurs reprises.

[22]      La décision du comité d"appel est annulée, et l"affaire est renvoyée à un président de comité d"appel différent.



Pierre Blais

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 30 JUIN 1999






Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-2401-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          HECTOR EWING c. LE PROCUREUR
                         GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 29 JUIN 1999

MOTIFS DE JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  29 JUIN 1999

ONT COMPARU :


M. Douglas Brown                  POUR LE DEMANDEUR
M. J. Saunderson Graham              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Nelligan Power                  POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Blagdon c. La Commission de la fonction publique, [1976] 1 C.F. 615 (C.A.F.), aux pages 619 et 624.

2      Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 776 et 777.

3      Leckie c.Canada (C.A.), [1993] 2 C.F. 473 (C.A.).

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