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     Date : 19990204

     Dossier : T-615-98

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 4 FÉVRIER 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS

Entre

     BRIAN HASSALL ET HEATHER GARLOW,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur

     JUGEMENT

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de la présidente du comité d'appel de la Commission de la fonction publique est annulée, et l'affaire renvoyée au comité d'appel qui fera droit à l'appel respectif des demandeurs.

     Signé : D. McGillis

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990204

     Dossier : T-615-98

Entre

     BRIAN HASSALL ET HEATHER GARLOW,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      Les demandeurs agissent en contrôle judiciaire contre une décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le comité d'appel), constitué en application de l'article 21 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, modifiée (la Loi). Par cette décision, la présidente du comité d'appel a conclu que le jury de sélection avait à juste titre rejeté la candidature des demandeurs à un concours restreint pour la dotation de postes de vérificateur au ministère du Revenu national (Revenu Canada), par ce motif qu'ils ne satisfaisaient pas aux conditions d'études prescrites pour ces postes.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      En 1996, Revenu Canada a organisé deux concours interministériels restreints pour la dotation de postes de vérificateur-Impôt et de vérificateur-Accise au niveau AU-1. L'annonce en a été faite au moyen de deux avis de concours distincts. Chaque poste avait son propre exposé de fonctions, mais les attributions étaient les mêmes. Par suite, certaines qualités requises faisaient l'objet de la même évaluation. Tous les candidats jugés qualifiés à l'issue du processus de sélection devaient être nommés aux postes en question. La date limite de ces concours était le 20 décembre 1996.

[3]      La candidature des demandeurs a été rejetée au stade de la présélection du fait qu'ils ne satisfaisaient pas aux conditions d'études figurant dans l'énoncé des qualités requises pour les deux types de poste. Ces conditions étaient spécifiées dans les avis de concours et les exposés des qualités requises comme suit :

     Études/Attestation professionnelle         
     Admissibilité à un titre comptable professionnel reconnu (CA, CGA, CMA, par ex.) ou grade d'une université reconnue avec spécialisation acceptable en comptabilité*, obtenue ou non dans le cadre du programme d'études de ce grade, ou nomination antérieure ou actuelle à un poste du Groupe de la vérification (AU)         
     * Par " spécialisation acceptable en comptabilité " on entend la réussite de cours acceptables dans au moins cinq domaines d'étude de la comptabilité et/ou de la vérification. Les domaines d'étude suivants sont obligatoires : Introduction à la comptabilité, Comptabilité générale intermédiaire et Comptabilité générale avancée. Les deux autres domaines d'étude doivent se retrouver parmi les choix suivants : Vérification, Comptabilité analytique, Comptabilité de gestion et Système d'information comptable (y compris un cours en informatique).         

[4]      Les avis de concours indiquaient aussi la manière dont les candidats devaient prouver qu'ils justifiaient des études requises, comme suit :

     Nota :         
     2. Les candidats et candidates doivent joindre à leur demande la preuve qu'ils répondent à toutes les exigences susmentionnées. En outre, s'ils n'occupent pas actuellement un poste du Groupe de la vérification, ils doivent joindre à leur demande une copie du titre comptable, du grade universitaire et un relevé de notes pour attester qu'ils répondent aux exigences en matière d'études. Des renseignements insuffisants peuvent entraîner le rejet de leur candidature.         
     3. Tous les candidats et candidates doivent satisfaire aux critères d'études à la date limite du concours.         

[5]      Si les avis de concours exigeaient la production d'un relevé de notes, les critères de présélection dans l'énoncé de qualités requises ne disaient rien de la documentation à produire en preuve pour ce qui était des conditions d'études.

[6]      La Politique sur les qualités requises pour être admis au groupe " AU " de Revenu Canada, datée d'août 1993, définit la méthode de dotation des postes AU. Elle prévoit entre autres ce qui suit :

     1.      BUT :         
             Assurer que les employés de Revenu Canada ainsi que les personnes nouvellement recrutées ont une formation solide en comptabilité avant de se joindre au groupe de la vérification (AU) du Ministère.         
             "         
     4.      LIGNES DIRECTRICES :         
             Rendement scolaire         
             Le candidat doit avoir obtenu la note de passage décernée par l'établissement d'enseignement reconnu, et ce, dans chacun des cours qui font partie d'un domaine d'études prescrit sous la rubrique " spécialisation acceptable en comptabilité ".         

             "

     5.      PROCÉDURES :         
             "         
             Il revient aux employés de demander au Ministère, à une université reconnue ou à l'une des associations professionnelles reconnues de comptables d'évaluer leurs études en comptabilité. Une copie certifiée du grade universitaire et des relevés de notes pertinents ou une attestation de l'une des associations professionnelles reconnues de comptables, devrait être disponible avant ou au moment que le jury de présélection se réunit dans le cadre d'un processus de sélection.         

[7]      Durant le processus de présélection, le jury de sélection a conclu que les demandeurs ne remplissaient pas la condition du cours de comptabilité générale avancée du fait qu'à la date limite du concours, ils n'avaient pas produit le relevé de notes idoine pour prouver qu'ils avaient réussi ce cours. Il savait que les deux avaient suivi un cours de comptabilité générale avancée dans une université, et qu'ils avaient passé leur examen final le 11 décembre 1996. Ils n'avaient pas été en mesure de se faire délivrer le relevé de notes pour ce cours car l'université prend de six à huit semaines pour en établir un. À tous les autres égards, ils satisfaisaient aux critères de présélection.

[8]      Le 12 décembre 1996, avant la date limite des concours, le demandeur Hassall a informé le jury de sélection, avec l'approbation de son professeur d'université, qu'il avait réussi le cours de comptabilité avancée. Le 6 janvier 1997, le jury de sélection l'a informé qu'il ne remplissait pas les conditions en matière d'études pour le poste. Le lendemain, un agent du service des ressources humaines de Revenu Canada l'a informé qu'il avait à produire un relevé de notes certifié de l'université pour prouver qu'il avait terminé avec succès le cours de comptabilité avancée. Le 12 janvier 1997 ou vers cette date, celui-ci a produit une lettre de son professeur confirmant qu'une note de passage avait été " officiellement soumise " pour lui dans ce cours. Le président du jury de sélection l'a subséquemment informé qu'il ne satisfaisait pas aux critères de présélection, puisqu'il n'avait pas soumis un relevé de notes de l'université avant la clôture du processus de présélection.

[9]      La demanderesse Garlow a elle aussi passé l'examen du cours de comptabilité avancée le 11 décembre 1996. Mais, informée par un agent de Ressources humaines de Revenu Canada qu'une lettre ne serait pas la preuve suffisante de sa réussite, elle n'a soumis aucun autre document au jury de sélection à ce sujet. Elle a reçu une note officielle de A- pour le cours de comptabilité avancée, mais sa candidature a été rejetée par le jury de sélection par ce motif qu'une " copie du relevé de notes n'avait pas été produite à la date limite " des concours en question.

[10]      Un examen écrit eut lieu le 16 janvier 1997 pour vérifier les connaissances requises pour les postes respectifs de vérificateur-Impôt et de vérificateur-Accise, ainsi que les connaissances et aptitudes pour les deux postes confondus. Les demandeurs n'avaient pas le droit d'y participer puisque leur candidature avait été rejetée.

[11]      En mai 1997, ils ont saisi le comité d'appel conformément à l'article 21 de la Loi.

[12]      Par décision en date du 2 mars 1998, la présidente du comité d'appel les a déboutés par les motifs suivants :

     [TRADUCTION]

         Les termes de l'avis de concours sont clairs : les candidats devaient produire au jury de sélection la preuve spécifique qu'ils remplissaient les conditions en matière d'études, prescrites à titre de critères de présélection pour les postes de vérificateur-Impôt comme pour les postes de vérificateur-Accise. Les candidats ont été informés qu'ils doivent [non souligné dans l'original] produire un titre comptable ou grade d'une université ainsi que des relevés de notes pour prouver qu'ils répondent aux exigences en matière d'études. En outre, ils ont été informés qu'ils doivent satisfaire aux critères d'études à la date limite du concours, c'est-à-dire au 20 décembre 1996. Bien que les deux appelants aient passé les examens de comptabilité nécessaires, ni l'un ni l'autre n'a été en mesure de produire au jury de sélection un relevé de notes à la date limite du concours. Bien que l'appelant Hassall se soit efforcé de satisfaire à cette condition devant le jury de sélection, la lettre de son professeur n'a pas, à mon avis, la même valeur que le relevé de notes officiel de l'université. Qui plus est, cette lettre n'était ni datée ni reçue avant la date limite du concours.         

LE POINT EN LITIGE

[13]      Il échet d'examiner su le comité d'appel a commis une erreur en déboutant les appelants.

ANALYSE

[14]      L'avocat des demandeurs soutient entre autres que le comité d'appel a commis une erreur faute d'avoir examiné si le jury de sélection avait fait fi du principe de sélection selon le mérite en rejetant la candidature des appelants, qui remplissaient effectivement les conditions en matière d'études prescrites pour les postes en question. Il cite à ce propos la décision Hofland c. Canada (Procureur général) (1995), 92 F.T.R. 213, confirmée (1996), 194 N.R. 51 (C.A.F.). Dans cette dernière affaire, l'avis de concours pour un poste d'opérateur de machine de traitement de textes prévoyait qu'un " certificat valide en dactylographie " devait être joint à la demande. Bien que la candidate reçue et la demanderesse eussent produit l'une et l'autre un certificat en dactylographie avec leur demande respective, celui de la première était expiré. Le comité d'appel a rejeté l'appel formé contre la décision du jury de sélection par les motifs suivants :

     À mon avis, un certificat valide en dactylographie n'est pas une exigence légitime. La qualification requise par l'énoncé de qualités était celle-ci : " Capacité de dactylographier en anglais à une vitesse minimale de quarante mots à la minute avec un taux d'erreur inférieur à 5 % ". C'était là la qualification que le comité devait évaluer. Tout au mieux, la possession du certificat signifiait que le comité n'avait pas à déterminer si la personne qui l'avait soumis pouvait dactylographier. J'étais convaincu que le comité avait évalué les aptitudes de Mme Breti en dactylographie et avait décidé qu'elle était qualifiée. Je crois également que le comité aurait agi de manière déraisonnable s'il avait écarté une candidature tout simplement parce que la personne en cause ne pouvait pas présenter son certificat en dactylographie. Après tout, l'évaluation des qualifications relève du comité de sélection, et non d'un organisme externe.         

[15]      En rejetant l'appel contre la décision du comité d'appel, le juge Noël a conclu que la dispense de la condition du certificat en dactylographie ne portait pas atteinte au principe de sélection au mérite, parce que ce certificat ne servait qu'aux fins de présélection. Il s'est prononcé à ce propos en ces termes, page 215 :

     Dans ce contexte, je ne crois pas qu'on puisse prétendre que le fait de ne pas avoir insisté sur l'exigence relative à la possession d'un certificat valide en dactylographie dans le cas de la candidate reçue contrevenait au principe de la sélection au mérite. Les certificats en dactylographie n'étaient pas exigés ou présentés à des fins d'une évaluation comparative. Ils étaient présentés afin d"établir l"admissibilité sur le plan de la vitesse minimale de frappe. On savait que la candidate reçue possédait l'aptitude nécessaire en dactylographie que devait attester le certificat.         

[16]      Le juge Noël a également examiné si le comité de sélection pouvait dispenser de la condition du certificat en dactylographie au stade de la présélection. À ce propos, il ne voyait dans cette condition qu'une " formalité ", concluant en ces termes en page 216 :

     Pour les personnes qui possèdent les aptitudes nécessaires, l'obtention d'un certificat en dactylographie n'est qu'une formalité. Je ne crois pas que des personnes éventuellement intéressées au poste avaient été privées d'une occasion d'emploi uniquement parce qu'elles ne possédaient pas le certificat attestant leur aptitude.         

[17]      Confirmant la décision ci-dessus, la Cour d'appel fédérale, par brefs motifs prononcés en son nom par le juge Hugessen à l'audience, a conclu que le juge Noël " est arrivé à la bonne conclusion " et qu'elle était " de façon générale, " d'accord " avec ses motifs. Le juge Hugessen a fait savoir aussi que la Cour partageait la conclusion du juge Noël que " dans les circonstances de l'affaire, les irrégularités relevées dans le processus de sélection n'ont pas porté préjudice au principe du mérite en décourageant les candidats potentiels ".

[18]      En l'espèce, les demandeurs satisfaisaient en fait à toutes les conditions en matière d'études pour les postes en question, avant la clôture des concours. Cependant, comme il fallait à l'université à peu près huit semaines pour produire un relevé de notes, ils n'ont pas été en mesure d'en soumettre un pour prouver qu'ils avaient terminé avec succès le cours de comptabilité avancée. Par suite, ils n'ont pas été en mesure, pour une raison indépendante de leur volonté, de satisfaire au critère de présélection figurant dans l'avis de concours, savoir la production d'un relevé de notes pour prouver qu'ils avaient les qualités requises en la matière. Comme noté supra, ils remplissaient toutes les conditions, sauf la production du relevé de notes relatives à un cours.

[19]      Appliquant aux faits de la cause le raisonnement tenu par le juge Noël dans Hofland c. Canada (Procureur général), op. cit., je vois que le relevé de notes, dont la production était prescrite à titre de condition dans les avis de concours, servait à aider le comité de sélection à vérifier si le candidat remplissait les conditions en matière d'études, spécifiées dans les critères de présélection. Cependant, puisque les demandeurs ont donné une explication raisonnable de la raison pour laquelle ils n'étaient pas en mesure de produire ce relevé de notes pour leur dernier cours, le comité de sélection aurait dû vérifier s'ils justifiaient des études requises au moyen d'autres documents dignes de foi. Le formalisme rigide qu'il observait à cette occasion s'est traduit par l'exclusion de deux candidats qualifiés.

[20]      Il ressort de la décision du comité d'appel que celui-ci adoptait la même méthodologie rigide et formaliste, en rejetant les appels des demandeurs par ce seul motif qu'ils ne produisaient pas " les relevés de notes officiels d'une université ". Par cette conclusion, il a commis une erreur faute d'avoir reconnu que le relevé de notes avait pour seule fin d'aider le comité de sélection à vérifier si le candidat justifiait des études requises d'après les critères de présélection. En y voyant une condition impérative ou absolue de présélection, il a aussi commis une erreur en ignorant la question fondamentale de fond de savoir si les demandeurs avaient les qualités requises pour les postes en question. Il s'ensuit que la démarche suivie par le comité d'appel dans son analyse a porté atteinte au principe de sélection au mérite, en ce que les demandeurs, qui avaient les qualités requises pour ces postes, furent exclus des concours.

[21]      J'ai donc conclu, à la lumière des faits de la cause, que la décision du comité d'appel était manifestement déraisonnable. Pour parvenir à cette conclusion, j'ai jugé inutile d'examiner si les critères de présélection figurant dans les énoncées de qualités requises et qui ne faisaient nullement mention de la nécessité de produire des relevés de notes pour prouver les titres universitaires, l'emportaient sur ceux qui figuraient dans les avis de concours.

DÉCISION

[22]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de la présidente du comité d'appel de la Commission de la fonction publique est annulée, et l'affaire renvoyée au comité d'appel qui fera droit à l'appel respectif des demandeurs.

     Signé : D. McGillis

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 4 février 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-615-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Brian Hassall et Heather Garlow

                         c.

                         Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Mercredi 20 janvier 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE McGILLIS

LE :                      4 février 1999

ONT COMPARU :

M. David Yazbeck                  pour les demandeurs

Mme Kathryn Hucal                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne      pour les demandeurs

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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