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     T-1853-96

ENTRE :

     IMMUNO CONCEPTS, INC.

     Appelante

     - et -

     IMMUNO AG

     Intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Le 16 septembre 1996, l'intimée, Immuno AG, présentait, en vertu de la règle 336(5) des Règles de la Cour fédérale, une requête par laquelle elle cherche à obtenir une ordonnance révisant et infirmant la décision du protonotaire rendue le 26 août 1996 accordant une prolongation de délai jusqu'au 11 décembre 1996 à l'appelante pour produire une preuve additionnelle en vertu de l'article 56(5) de la Loi sur les marques de commerce et de la Règle 704(3) des Règles de la Cour fédérale.

     La décision dont il est question en l'espèce en est une qui fut rendue le 26 août 1996 par le protonotaire Hargrave. Elle fut rendue dans le cadre d'une requête pour l'obtention d'une prolongation du délai pour produire une preuve additionnelle présentée en vertu de la règle 704 des Règles de la Cour fédérale, laquelle s'énonce comme suit :

         Règle 704. (1) La présente règle s'applique à un avis introductif d'instance ou à un avis d'appel auquel s'applique l'article 59 de la Loi sur les marques de commerce et à un avis de demande introductive d'instance, donnée en vertu du paragraphe 50(10) de cette loi.                 
         (2)      L'avis introductif d'instance ou l'avis d'appel doit contenir un résumé des faits essentiels sur lesquels se fonde le requérant ou l'appelant.                 
             
         (3)      Au moment du dépôt d'un avis introductif d'instance ou d'un avis d'appel, le requérant ou l'appelant doit déposer les affidavits et les autres éléments de preuve qu'il a l'intention de soumettre à la Cour pour l'audition des procédures et la décision à leur sujet et doit, dans les plus brefs délais, signifier aux autres parties une copie certifiée de l'avis introductif d'instance ou de l'avis d'appel et une copie des affidavits.                 
             
         (4)      Une personne qui désire déposer et signifier une réponse aux termes du paragraphe 59(2) de la Loi sur les marques de commerce doit le faire, avec tout affidavit ou tout autre élément de preuve qu'il a l'intention de soumettre à la Cour pour l'audition des procédures et la décision à leur sujet, dans les 60 jours qui suivent la date à laquelle l'avis introductif d'instance ou l'avis d'appel lui a été signifié.                 
             
         (5)      Une réponse déposée et signifiée aux termes du paragraphe 59(2) de la Loi sur les marques de commerce doit contenir un exposé des faits essentiels sur lesquels se fonde la personne qui dépose la plainte.                 
             
         (6)      Personne ne doit, sans permission de la Cour, contre-interroger qui que ce soit pour un affidavit déposé en vertu de la présente règle.                 
             
         (7)      Sauf lorsque cela est permis par la présente règle ou par ordonnance de la Cour, le dépôt d'un affidavit ou d'une autre pièce, pour utilisation à l'occasion de l'audition des procédures et de la décision à leur sujet, ne doit avoir lieu qu'avec la permission de la Cour.                 
I.      La décision du protonotaire

     Le protonotaire reconnaît d'abord que la Règle 704(7) permet la présentation d'une requête pour production tardive d'affidavits. Il précise que les affidavits que l'on cherche à produire sont, dans ce cas, joints à l'avis de requête; il ajoute qu'il appartient alors au requérant de démontrer, d'une part, que des motifs valables justifient son retard et, d'autre part, la pertinence et la validité des affidavits en question. Il s'attarde ensuite à la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Prouvost S.A. c. Munsingwear Inc. (ci-après " Munsingwear Inc. ")1.

     Il est d'avis que la Règle 704(7) permet, en des circonstances spéciales, la présentation d'une requête pour prolongation de délai pour produire une preuve additionnelle, une requête à laquelle n'est joint aucun affidavit. La Cour d'appel fédérale n'a pas, dans l'arrêt Munsingwear Inc., écarté cette possibilité. Il s'exprime en ces termes :

         "The Court went on to say that it did not rule out the possibility of filing the affidavits, not with the motion, but at a later date:                 
         ...in such cases, the court will have to be especially scrupulous and require that the notice of motion for leave to extend the deadlines indicate, in addition to the reasons for the delay, the purpose of the affidavits that will eventually be filed and the probable use to be made of them in court, and if it is impossible for the applicant to indicate such object and use, the reasons why it is unable to do so."                 

     Appliquant cette dernière règle, il fit droit à la requête. Tout d'abord, en ce qui concerne le délai, il en vient à la conclusion qu'il est justifié en raison du fait que, durant la saison estivale, il est souvent très difficile d'obtenir rapidement l'information. Il est satisfait des explications fournies par M. Lo, dans son affidavit, quant à la nature et à l'utilisation probable des éléments de preuve additionnels. Il s'exprime, à cet égard, en ces termes :

         "Counsel, on behalf of Immuno Concepts Inc., now intends to seek evidence pertaining to the use of trade-marks which include the prefix "immuno", or variations, used on wares similar to those of the Appellant. In that regard the lawyers for Immuno Concept propose to attempt to obtain third party affidavits from Canadian manufacturers, distributors or consumers of such wares in order to show the use of the immuno prefix in Canada."                 

Ceci le convainc que des circonstances spéciales existent.

     Immuno AG, s'autorisant de la Règle 336(5) des Règles de la Cour fédérale, en appelle de cette décision.

II.      Les prétentions des parties

     Immuno AG soumet que la Règle 704(7) a pour objet non pas de permettre à une partie d'obtenir une prolongation de délai pour produire une preuve supplémentaire mais bien de lui permettre d'être autorisé à produire tardivement une telle preuve. Elle invoque, à cet égard, l'arrêt Munsingwear Inc. où, prétend-elle, il a été décidé qu'une requête pour être autorisé produire tardivement une preuve supplémentaire ne sera accordée que si, d'une part, cette preuve supplémentaire est produite au moment même où l'avis de requête est signifié et, d'autre part, si la partie requérante explique les raisons de son retard. Immuno AG précise qu'aucune des ces conditions n'a été respectée en l'espèce.

     Quant à Immuno Concepts Inc., elle s'en remet essentiellement aux motifs invoqués par le protonotaire. Ainsi, elle soumet, d'une part, qu'une excuse valable explique son retard et, d'autre part, qu'il existe clairement des circonstances spéciales, lesquelles permettent l'application de la règle d'exception formulée dans l'arrêt Munsingwear Inc.

III.      Analyse

     La norme de contrôle applicable dans le cadre d'un appel d'une décision rendue par un protonotaire, depuis l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Invesments Ltd.2 et les décisions qui l'ont suivi3, est la suivante : l'ordonnance discrétionnaire prononcée par un protonotaire ne sera susceptible de révision que dans l'un ou l'autre des cas suivants : (1) si elle manifestement erronée en ce qu'elle repose sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits, ou, (2) si elle traite de questions qui auront une influence déterminante sur la solution du litige.

     En l'espèce, je suis d'avis qu'il faut d'emblée écarter le deuxième motif de révision. Le protonotaire a accordé à une partie une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement. Or, il paraît difficile d'affirmer qu'une telle ordonnance traite de questions qui auront une influence déterminante sur la solution des questions en litige. Il me faut donc me limiter à déterminer si la décision rendue par le protonotaire Hargrave est manifestement erronée parce que fondée sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits.

     Il ne fait aucun doute, à mon avis, que la Règle 704(7) permet l'émission d'une ordonnance à l'effet d'autoriser la production tardive d'une preuve supplémentaire. Les affidavits que l'on cherche à introduire en preuve sont, dans ce cas, joints à l'avis de requête. La partie requérante doit alors faire état des raisons qui expliquent son retard à les produire. Le tribunal se doit par la suite procéder à l'analyse suivante :

         "The jurisprudence is clear that in an application for an extension of time under Rule 704(8) [aujourd'hui la Règle 704(7)], the Court should take into account both the reasons for the delay and the intrinsic worth of the affidavits (i.e. the relevance, admissibility and potential use to the Court). It has been said in some cases that both factors must be weighed together. Accepting this to be the correct approach for present purposes, I understand it to mean that one must still weigh the seriousness of the delay against the potential value of the affidavits and that either may outweigh the other."4 (références omises)                 

     Ces principes furent reconnus et appliqués par la jurisprudence subséquente : voir, à cet égard, les affaires Golden Happiness Bakery Ltd. v. Goldstone Bakery & Restaurant Ltd.5, Keramchemie GmbH v. Keramchemie (Canada) Ltd.6, Unitel Communications Inc. v. Bell Canada7 et, enfin, Uniwell Corp. v. Uniwell North America Inc.8.

     En l'espèce, il est certain que les critères ci-avant expliqués ne sont tous pas rencontrés. Immuno Concepts Inc. cherche à obtenir une prolongation de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement.

     Si la Règle 704(7) permet l'émission d'une ordonnance à l'effet d'autoriser une partie à produire tardivement certains éléments de preuve, permet-elle, de la même façon, à une partie de demander, à l'avance, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement? La Cour d'appel fédérale eut à se prononcer quant à cette question dans l'arrêt Munsingwear Inc. Le juge Décary, qui rédige l'opinion de la Cour, émet l'opinion suivante :

         "S'écartant cette règle générale, Prouvost demande à la Cour, à l'avance, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire à ce stade. J'entretiens des doutes sérieux sur la validité de cette façon de procéder."                 

     De l'avis du juge Décary, la procédure appropriée pour la partie qui se trouve dans l'impossibilité de déposer ses affidavits en temps utile consiste plutôt à informer la partie adverse du fait qu'elle présentera ultérieurement, c'est-à-dire lorsque les affidavits seront prêts, une demande en vue d'être autorisé à produire tardivement lesdits affidavits. Le juge Décary n'écarte toutefois pas la possibilité que, en des circonstances exceptionnelles, une partie peut demander à la Cour, en vertu de la Règle 3(1)c), la permission d'étendre le délai de présentation d'un avis de requête pour production tardive d'affidavits :

         "Je n'écarte pas la possibilité, dans des circonstances spéciales, qu'une partie demande à la Cour, en vertu de la Règle 3(1)c), la permission d'étendre les délais de présentation d'un avis de requête pour production tardive d'affidavits. La Cour, dans ces cas, devra se montrer particulièrement rigoureuse et exiger que l'avis de requête pour permission d'étendre le délai expose, outre les raisons du retard, l'objet des affidavits qui seraient éventuellement déposés et l'usage probable qu'en ferait la Cour et, dans l'hypothèse où il serait impossible à la partie requérante d'exposer cet objet et cet usage, les raisons de cette incapacité."                 

Une partie peut ainsi, en des circonstances spéciales, demander, à l'avance, par un avis de requête, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement. Toutefois, comme le souligne le juge Décary, la Cour devra alors se montrer particulièrement rigoureuse.

     Dans l'arrêt Munsingwear Inc., concluant quant au mérite des avis de requête , le juge Décary s'exprime en ces termes :

         "En l'espèce, Prouvost n'a démontré aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait une dérogation à la règle générale, et j'estime que ses avis de requête étaient prématurés.                 
         Par surcroît, ces avis de requête, tels qu'ils ont été formulés, ne sont pas susceptibles d'être accueillis par la Cour, puisqu'ils ne recherchent qu'une extension de délai pour produire preuve complémentaire, sans autre précision quant à la nature de cette celle-ci. Quand bien même j'accepterais de compléter la conclusion recherchée dans l'avis de requête par les précisions que l'on trouve dans l'affidavit Carrière, la Cour serait en présence d'avis de requête qui demandent la permission de produire, entre autres, quatre affidavits. Il n'est pas question que la Cour émette un tel chèque en blanc."                 

     Les motifs du juge Décary, dans ce même arrêt, peuvent, à mon avis, être résumés comme suit :

(1)      La Règle 704(7) a pour but premier de permettre à une partie d'obtenir une autorisation de produire tardivement des affidavits, lesquels doivent être joints à l'avis de requête;
(2)      De façon générale, une partie ne peut, à l'avance, demander une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement;
(3)      La partie qui se trouve dans l'impossibilité de déposer des affidavits en temps utile doit informer la partie adverse du fait qu'elle présentera ultérieurement, c'est-à-dire lorsque les affidavits seront prêts, une demande en vue d'être autorisée à les produire tardivement;
(4)      Une partie peut, en des circonstances exceptionnelles, en vertu de la Règle 3(1)c), demander à la Cour, à l'avance, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire immédiatement;
(5)      Lorsqu'une partie, invoquant des circonstances exceptionnelles, demande à la Cour une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire, la Cour se montrera particulièrement rigoureuse et ne fera droit à sa requête que si, la partie expose dans son avis de requête :
     a)      les raisons qui justifient le retard;
     b)      l'objet des affidavits qu'elle se propose de produire ainsi que l'usage qu'elle en fera;
     c)      si la partie se trouve dans l'impossibilité de fournir les informations afférentes à l'objet et à l'utilisation des affidavits, les raisons de cette incapacité.

     Le protonotaire, dans sa décision, a tenu compte des bons critères. Il a jugé que la requérante les rencontrait tous. Il n'est pas certain que j'en serais arrivée aux mêmes conclusions; cependant, compte tenu de la déférence dont je dois témoigner, depuis l'arrêt Aqua-Gem investments Ltd., à l'égard des décisions discrétionnaires rendues par un protonotaire, je suis d'avis de ne pas intervenir. Je ne peux en effet conclure que la décision du protonotaire Hargrave est manifestement erronée. Il a bien interprété le principe énoncé à la Règle 704(7) et a jugé qu'il existait en l'espèce des circonstances exceptionnelles. Il n'a pas fondé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire sur une fausse appréciation des faits.

     Je me dois toutefois, avant de conclure, de formuler la remarque suivante. Il a été établi, dans l'arrêt Munsingwear Inc. que, lorsqu'une partie invoque des circonstances exceptionnelles et demande, à l'avance, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle ne peut produire immédiatement, les raisons du retard et les informations afférentes à l'objet et à l'utilisation de ces affidavits doivent figurer dans l'avis de requête. D'ailleurs, cette requête doit être présentée non pas en vertu de la Règle 704 mais bien en vertu de la Règle 3(1)c). Or, en l'espèce, ces renseignements furent plutôt inclus dans l'affidavit de M. Lo. Je suis toutefois d'avis de ne pas opposer ce manquement à Immuno Concepts Inc.. Premièrement, dans l'arrêt Munsingwear Inc., le juge Décary semble indiquer que l'on peut avoir recours à l'affidavit pour compléter l'avis de requête. Deuxièmement, réformer la décision du protonotaire en raison de ce vice procédural serait, à mon avis, permettre à la forme de triompher sur le fond ce qui serait contraire aux intérêts de la justice.

     Pour tous ces motifs, la requête en révision est rejetée.

OTTAWA (Ontario)

Ce 26e jour de septembre 1996

    

                                 JUGE

__________________

1 [1992] 2 C.F. 541 (C.A.).

2 [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

3 Voir, à cet égard, les décisions suivantes : Cornerstone Securities Canada Inc. v. North American Trust Co.(1994), 86 F.T.R. 53 (F.C.T.D.); Samsonite Canada Inc. v. Costco Wholesale Corp.(1994), 53 C.P.R. (3d) 210 (F.C.T.D.); Keramchemie GmbH v. Keramchemie (Canada) Ltd.(1994), 56 C.P.R. (3d) 454 (F.C.T.D.); Source Services Corp. c. Source Personnel Inc. (le 11 décembre 1995), T-1841-95 et, enfin, Singh c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (le 1 mai 1996), IMM-3512-95 (F.C.T.D.).

4 Maxim's Ltd. v. Maxim's Bakery Ltd.(1990), 32 C.P.R. (3d) 241 (F.C.T.D.), à la page 242.

5 (1994), 53 C.P.R. (3d) 195 (F.C.T.D.).

6 précitée, note 3.

7 (1994), 57 C.P.R. (3d) 99 (F.C.T.D.).

8 (1994), 58 C.P.R. (3d) 224 (F.C.T.D.).


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-1853-96

INTITULÉ : IMMUNO CONCEPTS, INC. c. IMMUNO AG

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 SEPTEMBRE 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU 26 SEPTEMBRE 1996

COMPARUTIONS

MARTIN LANGLOIS POUR LA PARTIE APPELANTE

BARRY GAMACHE POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

SMART & BIGGAR POUR LA PARTIE APPELANTE MONTRÉAL (QUÉBEC)

LÉGER ROBIC RICHARD POUR LA PARTIE INTIMÉE MONTRÉAL (QUÉBEC)

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