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Date : 20040130

Dossier : T-1260-02

Référence : 2004 CF 151

Entre :

                                                  STÉPHANE MALLETTE

                                                                                                                          Demandeur

                                                                                                                                               

                                                                      et

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                            Défendeur

                                                                                                                                               

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, relativement à une décision en date du 19 juin 2002 par laquelle le Comité d'examen des griefs des détenus (le Comité) du Service correctionnel du Canada (le SCC) a rejeté son grief. Ce grief concernait le rejet de sa demande de réévaluation de niveau de sécurité et de son transfèrement non-sollicité à l'Établissement Drummond.

LES FAITS

[2]                Stéphane Mallette, est présentement incarcéré à l'Établissement Drummond, un pénitencier à sécurité moyenne.

[3]                Depuis 1998, il purge une sentence de 8 ans et 8 jours pour des délits de vol qualifié, déguisement dans un dessein criminel, séquestration, complot en vue de commettre un vol qualifié avec arme à feu, introduction par effraction et complot en vue de commettre une introduction par infraction.

[4]                À la suite de l'obtention d'une cote de sécurité minimale alors qu'il était incarcéré à l'Établissement La Macaza, il a été transféré à l'Établissement à sécurité minimale de la Montée St-François (MSF) le 31 octobre 2000.

[5]                Lors de son séjour à l'Établissement MSF, il a démontré certains progrès pertinents par rapport à son plan correctionnel et a, en conséquence, pu bénéficier de permissions de sortir afin de favoriser sa réinsertion sociale. Considérant son comportement d'alors, il s'est également mérité des placements extérieurs.


[6]                Cependant, le 28 septembre 2001, son placement extérieur a été suspendu en raison d'un aveu de consommation de drogue à la suite d'un test d'urine. Le demandeur a expliqué son écart de conduite par une situation difficile qu'il vivait alors avec son ex-conjointe. Les permissions de sortir ont également été annulées en conséquence.

[7]                Le 16 novembre 2001, M. Mallette a été placé en isolement préventif parce que la sécurité préventive avait obtenu de l'information selon laquelle il était soupçonné de s'évader. Les autorités carcérales l'ont placé en isolement.

[8]                Le 22 novembre 2001, conformément à l'alinéa 21(2)a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement), le demandeur a été rencontré par le Comité d'isolement préventif où il lui a été expliqué que le département de la sécurité préventive avait reçu des informations de quatre sources différentes, codées et jugées dignes de confiance, qui le reliaient au trafic de stupéfiants dans l'Établissement et ce, d'une manière très active. De plus, selon ces informations, la veille de son placement en isolement préventif, M. Mallette aurait sollicité de l'argent auprès d'autres détenus en prévision de s'évader.


[9]                Le 5 décembre 2001, le Suivi de plan correctionnel # 7 a été produit et partagé avec le demandeur le 10 décembre 2001. Ce Suivi de plan correctionnel contenait un résumé des rapports de renseignements de sécurité reliant le demandeur à l'entrée et la vente de drogue en établissement ainsi qu'au fait qu'il avait l'intention de s'évader. Selon ce Suivi de plan correctionnel, M. Mallette avait été avisé de cesser ses activités par son équipe de gestion de cas et par l'agent de sécurité préventive( l'ASP).

[10]            Le 6 décembre 2001, une Évaluation en vue d'une décision quant à la cote de sécurité et un transfèrement involontaire de M. Mallette a été produite. Le contenue de cette évaluation a été communiqué à M. Mallette le 12 décembre 2001. Dans cette Évaluation en vue d'une décision, l'équipe de gestion de cas du demandeur recommandait la hausse de sa cote de sécurité à moyenne ainsi que son transfèrement involontaire vers un Établissement à sécurité moyenne.

[11]            Le 12 décembre 2001, conformément à l'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (La LSCMLC ou la Loi), il a reçu un Avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité par lequel on l'informait qu'il pouvait émettre des commentaires concernant les recommandations quant à sa cote de sécurité et à son transfèrement. On l'avisait également que ses commentaires seraient pris en considération au moment de la recommandation finale et lors du processus décisionnel.

[12]            Ainsi, à plusieurs reprises en décembre 2001, il a transmis au directeur de l'Établissement MSF des observations à l'encontre de la cote de sécurité proposée et du transfèrement. Il y mentionnait notamment la présence d'antagonistes dans certains Établissements.


[13]            Parallèlement, conformément au paragraphe 21(2) et à l'article 22 du Règlement, le Comité d'isolement préventif a statué, au 5e, 30e et 60e jour, que le maintien du demandeur en isolement préventif involontaire était justifié jusqu'à ce que le processus de transfèrement soit complété.

[14]            Le 24 décembre 2001, le transfèrement du demandeur vers l'Établissement Drummond, pénitencier à sécurité moyenne, a été agréé par le directeur de l'Établissement MSF et, le 23 janvier 2002, le demandeur a été transféré à l'Établissement Drummond.

[15]            Il a déposé un grief au 2ième palier de la procédure de grief à l'encontre de la décision établissant sa cote de sécurité à moyenne ainsi qu'à l'encontre de son transfèrement non-sollicité vers l'Établissement Drummond.

[16]            Le 11 avril 2002, après une étude exhaustive du dossier, le sous-commissaire régional a conclu qu'à part de transmettre à la nouvelle équipe de gestion de cas du demandeur des lettres que son "amie de coeur" actuelle avait fait parvenir à l'Analyste principale des Affaires des délinquants pour action jugée nécessaire, aucune autre mesure n'était requise au palier régional.


[17]            Le 20 mai 2002, M. Mallette a contesté cette décision au 3ième palier de la procédure de grief. Le 19 juin 2002, son grief a été refusé et il y était souligné qu'en date du 4 juin 2002, une nouvelle évaluation de sa cote de sécurité avait confirmé qu'elle demeurait moyenne.

[18]            En effet, le 4 juin 2002, lors de la révision de la cote de sécurité du demandeur, celle-ci a été maintenue à moyenne. Cette cote a été attribuée au demandeur non pas seulement à la lueur des événements survenus à la MSF mais aussi en tenant compte de sa situation actuelle. Ainsi, son équipe de gestion de cas, dans l'Évaluation en vue d'une décision mentionnait notamment ce qui suit « Nous avons d'autre part constaté en entrevue que le sujet éprouvait encore de grandes difficultés à contrôler son impulsivité et nous croyons qu'il devra hausser sa crédibilité » .

[19]            Par ailleurs, la nouvelle équipe de gestion de cas du demandeur à l'Établissement Drummond, dans une note de service en date du 6 mai 2002, s'est déclarée en accord avec la hausse de la cote de sécurité effectuée à l'Établissement MSF.

[20]            M. Mallette a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue au 3ième palier de la procédure de grief concernant la hausse de sa cote de sécurité et son placement pénitentiaire.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]            La seule question en litige est de déterminer si la décision rendue par le 3ième palier de la procédure de grief le 19 juin 2002, en est une qui justifierait l'intervention de cette Cour.

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[22]            M. Mallette soumet que la décision de la Commission est mal fondée puisque le SCC ne l'aurait pas fourni suffisamment d'informations lors de la réévaluation de sa cote de sécurité de minimale à moyenne et du transfèrement qui s'en est suivi.

[23]            Plus spécifiquement, il soumet que les informations au soutien de la décision de hausser la cote de sécurité ne répondent pas aux critères établis par les directives du Commissaire et instruction permanente et que la décision a été prise en contravention des règles élémentaires de justice fondamentale puisqu'elle s'appuie sur des informations non vérifiables et contre lesquelles, il ne pouvait nullement exercer une défense pleine et entière.


[24]            En d'autres mots, il soumet que le SCC était obligé de lui fournir plus d'information relativement aux allégations de trafic de stupéfiants et l'intention de s'évader, pour qu'il puisse présenter une défense complète et prétend que l'information de la décision était trop imprécise pour lui permettre de présenter une défense complète et intelligente. À ce sujet, il m'apparaît opportun de reproduire ici une partie du mémoire du demandeur:

42. [...] Cette source précisait-elle le projet d'évasion en donnant des indications de moyens, de temps et de lieu? Quant au trafic de stupéfiants, s'agissait-il d'un projet ou d'une réalité constatée? De quel stupéfiants était-il question? L'entrée de stupéfiants en établissement est effectivement un geste très grave, quelles étaient les circonstances entourant cette introduction? Quelles étaient les quantités impliquées? Parlait-on d'un réseau organisé? Le demandeur était-il supposéagir pour son propre compte? Puisqu'il n'allait plus à l'extérieur, comment se procurait-il lesdits stupéfiants. On sait que la fouille de sa visiteuse, madame Proulx (alors qu'on attendait une madame Comeau) s'est avérée négative et qu'aucun document ne parle de soupçon à son égard? Qui d'autre alors lui apportait ces stupéfiants? RIEN, AUCUNE INFORMATION n'a été fournie au demandeur pour justifier, minimalement, la décision de l'isoler et de le transférer;

[25]            Ainsi, il est d'avis que ce manquement au principe de justice naturelle l'a privé de ses droits constitutionnels protégés par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR


[26]            Le défendeur se base sur l'attribution d'une nouvelle cote de sécurité à M. Mallette le 4 juin 2002, pour argumenter que la présente demande est sans objet. Le défendeur souligne que lors de cette nouvelle évaluation, l'équipe de gestion de cas du demandeur à l'Établissement Drummond ne s'est pas uniquement fondée sur les événements survenus à la MSF pour recommander le maintien de sa cote à moyenne. Elle a également elle-même constaté en entrevue que le sujet éprouvait encore de grandes difficultés à contrôler son impulsivité et elle a mentionné qu'il devra rehausser sa crédibilité. Par conséquent, ce n'est qu'après une analyse exhaustive de tous les critères pertinents, qu'elle a recommandé une cote de sécurité moyenne.

[27]            Ainsi, le défendeur soumet que compte tenu de cette nouvelle cote de sécurité, la présente demande de contrôle judiciaire est devenue, à toute fin pratique, théorique. En effet, le défendeur soutient que si M. Mallette était insatisfait de cette nouvelle cote qui lui été attribuée le 4 juin 2002, il aurait dû la contester en temps utile.

[28]            De plus, le défendeur soumet que la quantité et la qualité des informations partagées avec M. Mallette lors de la hausse de sa cote de sécurité étaient tout à fait suffisantes et conformes aux principes de justice naturelle applicables en l'espèce et que, par conséquent, la décision rendue au 3ième palier de la procédure de grief est bien fondée.

[29]            Le défendeur avance, en s'appuyant sur une jurisprudence abondante, que la norme de contrôle judiciaire applicable au processus de grief établie aux termes de la LSCMLC est celle du manifestement déraisonnable lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'une question d'appréciation des faits.

[30]            Par ailleurs, le défendeur soumet qu'à moins d'établir que la décision attaquée contrevient de façon flagrante et non équivoque aux principes de justice naturelle applicables en l'espèce, l'intervention de cette Cour ne sera pas requise.


LES DISPOSITIONS PERTINENTES

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, c. 20,

Corrections and Conditional Release Act, 1992, c. 20

Article 24 :

(1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu'il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

Section 24 :

(1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

                                                             

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.           

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

Article 27 :

(1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l'organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d'un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

Section 27:

(1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.


(2)Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

(3)Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s'il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d'une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d'une enquête licite.

(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.

3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

(a) the safety of any person,

(b) the security of a penitentiary, or

(c) the conduct of any lawful investigation,

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

(4)Le délinquant qui ne comprend de façon satisfaisante aucune des deux langues officielles du Canada a droit à l'assistance d'un interprète pour toute audition prévue à la présente partie ou par ses règlements d'application et pour la compréhension des documents qui lui sont communiqués en vertu du présent article.

(4) An offender who does not have an adequate understanding of at least one of Canada's official languages is entitled to the assistance of an interpreter

(a) at any hearing provided for by this Part or the regulations; and

(b) for the purposes of understanding materials provided to the offender pursuant to this section.

Article 28 :

Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

Section 28 :

Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

(i) the safety of the public,

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

(iii) the security of the penitentiary;


b) la facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y participer.

(b) accessibility to

(i) the person's home community and family,

(ii) a compatible cultural environment, and

(iii) a compatible linguistic environment; and

(c) the availability of appropriate programs and services and the person's willingness to participate in those programs.

Article 29 :

Le commissaire peut autoriser le transfèrement d'une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l'alinéa 96d), mais sous réserve de l'article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d'un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.

Section 29 :

The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred or committed to a penitentiary to

(a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

(b) a provincial correctional facility or hospital in accordance with an agreement entered into under paragraph 16(1)(a) and any applicable regulations.

Article 30 :

(1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96z.6).

(2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l'appui de l'assignation d'une cote de sécurité ou du changement de celle-ci       

Section 30 :

(1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).

(2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.

Article 141 :

(1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l'examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l'information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l'information visée au paragraphe (1) qu'elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l'examen, ou un résumé de celle-ci.

Section 141 :

(1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.


Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, Corrections and Conditional Release Regulations, SOR/92-620.

Article 18 :

Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

Section 18 :

For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as                                          

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.


L'ANALYSE

[31]            Avant de débuter l'analyse, il est primordial de rappeler que la demande de contrôle judiciaire dont cette Cour est saisie se rapporte uniquement à la décision 19 juin 2002 du Comité et ne concerne aucunement celle de    la mise en isolement préventif du détenu.

Norme de contrôle applicable

[32]            Puisque l'on est en matière de contrôle judiciaire, il convient d'établir en premier lieu la norme de contrôle applicable à la décision attaquée.

[33]            Dans le jugement Légère c. Canada, (1998), 133 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a statué que, malgré le fait que la décision d'ordonner le transfèrement d'un détenu ou de refuser sa demande constitue une décision discrétionnaire qui oblige le décideur à respecter l'équité procédurale, la Cour, saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision ne peut substituer son opinion personnelle à celle de l'autorité administrative qui a rendu la décision. La Cour a cité l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7, pour expliquer la démarche suivie par la Cour en matière de contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires :

C'est [...] une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la Loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé.


[34]            Dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour Suprême, en réitérant l'approche "pragmatique et fonctionnelle" exposée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, a énoncé les quatre facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la norme de contrôle applicable dans le cas d'une décision discrétionnaire. Ces facteurs sont les suivants : 1) la présence ou l'absence de clause privative; 2) l'expertise du décideur; 3) l'objet de la disposition contestée et de la loi dans son ensemble; 4) la nature des questions à trancher et leur incidence sur les conclusions de droit et de fait à tirer.

[35]            Même si la Loi ne renferme aucune clause privative qui mettrait à l'abri d'un contrôle judiciaire les décisions du troisième degré du Comité, la Cour doit néanmoins faire preuve d'un degré élevé de retenue ce qui concerne les questions portant sur l'administration carcérale compte tenu de l'expertise que le Comité possède dans ce domaine. L'objet de la Loi, et plus particulièrement de l'article 24, a été exposé par le juge Lemieux dans la décision Tehrankari c. Canada (Correctional Service)[2000] F.C.J. No. 495 :

41.    Selon la conception du Parlement, la qualité des renseignements prescrite par l'article 24 conduit à de meilleures décisions au sujet de l'incarcération du délinquant et [...] contribue à la réalisation de l'objet de la Loi. L'article 24 de la Loi, cependant, ne traite pas des inférences ou des évaluations que le Service tire des renseignements contenus dans les dossiers. On ne peut se servir de l'article 24 pour mettre en question les décisions du Service pour autant que les renseignements sur le fondement desquels ces conclusions sont tirées soient conformes à cette disposition. L'article 24 traite des faits primaires [...]

[...]


44. [J]e suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l'article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l'application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondé de la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant. La norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux pures questions de fait.

La justice naturelle l'amplitude des motifs de la décision

[36]            La décision d'effectuer ou non un transfèrement d'un détenu est une décision purement administrative: voir notamment Faulkner c. Canada (Solicitor General) et al. (1992), 62 F.T.R. 19 at 24. Le SCC doit néanmoins adhérer aux principes d'équité procédurale et de justice naturelle en arrivant à une telle décision: Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165.

[37]            La justice naturelle ou l'obligation d'agir de façon équitable exige que les détenus aient le droit de connaître l'essentiel des allégations invoquées contre eux pour leur permettre d'y répondre intelligemment.

[38]            La Cour d'appel fédérale a eu l'occasion dans l'affaire Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74 (C.A.F.) ("Demaria") de considérer l'amplitude des motifs jugés suffisants dans un transfèrement non sollicité d'un détenu. Sous la plume du juge Hugessen, la Cour a énoncé ceci aux pages 77 - 78:


Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignement confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour enfants de choeur et, si certains renseignements provenaient d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non-communication était strictement nécessaire à de telles fins. ...En dernière analyse, il s'agit de déterminer non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle.

[39]            Ce principe jurisprudentiel a d'ailleurs été repris par le législateur à l'article 27 de la Loi. En effet, le premier paragraphe de l'article 27 de la Loi prévoit que le requérant a droit de recevoir, dans un délai raisonnable avant que la décision de le transférer ne soit prise, les renseignements pertinents menant à la décision ou à un sommaire de ces renseignements. Le paragraphe 3 du même article, par ailleurs, prévoit la non-divulgation de certains renseignements lorsque le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la communication de ces renseignements mettrait en danger la sécurité d'une personne ou du pénitencier.

[40]            Or, il est essentiel d'avoir à l'esprit que l'équité procédurale est une notion à géométrie variable. Comme le juge Pinard l'a souligné dans Desjardins c. National Parole Board et al. (1989), 29 F.T.R. 38 à la page 41: "[...]les règles de justice naturelle et d'équité sont des règles de common law qui sont souples dans le sens qu'elles doivent être appliquées selon les circonstances de chaque cas".


[41]            Cette flexibilité a amené les tribunaux, à plusieurs reprises, compte tenu du contexte pénitentiaire, à limiter leur intervention aux cas d'injustice flagrante. À titre d'exemple, dans l'affaire Kelly c. Canada, (1993), 56 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.), le juge Denault a statué que, comme la décision discrétionnaire reprochée était de nature administrative, la Cour devait se borner à un examen de la légalité de la décision et qu'elle ne pouvait donc pas se lancer dans un examen approfondi du fond de l'affaire, comme le demandeur le souhaitait. La Cour a expliqué les limites de son pouvoir d'intervention en citant, à la page 169, les propos tenus par le juge Addy dans le jugement Cline c. Reynett (T-894-81, 18 mars 1981, décision non publiée) (C.F. 1re inst.) :

Un détenu n'a pas le "droit" d'être incarcéré dans une prison plutôt que dans une autre et la décision de le transférer d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale ou vice versa est fondamentalement et essentiellement une décision administrative dans laquelle les tribunaux ne doivent pas s'immiscer sauf preuve non équivoque et manifeste que la décision fut prise arbitrairement, de mauvaise foi ou d'une manière capricieuse, qu'elle est fort injuste et cause un préjudice sérieux au détenu.

[42]            De plus, il importe également de considérer la nature de la décision dans le contexte interne de la prison. Comme le juge Marceau a noté dans Gallant c. Canada, [1989] 3 C.F. 329 ("Gallant"), il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur des détenus en milieu carcéral. Une décision en matière de transfèrement en est une de nature administrative, prise en vue de maintenir le bon ordre dans le pénitencier et de veiller à la protection du public. À ce titre, l'équité procédurale n'exige pas que le demandeur dispose d'autant de détails que dans le cas d'une accusation disciplinaire. Au paragraphe 28 de sa décision, le juge Marceau s'exprimait ainsi :

Dans un tel cas [un cas de transfèrement], il n'y a pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. En effet, dans un premier cas [cas disciplinaire], ce qu'il faut vérifier est la commission même de l'infraction et la personne visée doit avoir la possibilité d'établir son innocence; dans le second cas, c'est uniquement le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée, et la participation de la personne visée doit être rendue pleinement significative pour cela, mais rien de plus. En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de savoir si les renseignements reçus des six sources différentes représentaient des préoccupations assez importantes pour justifier son transfèrement.


L'application du droit aux faits en l'espèce

[43]            Afin de trancher la question en litige il faudrait donc déterminer si la décision du 3ième palier contrevient aux principes de justice naturelle tels qu'élaborés à par la jurisprudence ainsi que l'article 27 de la Loi. Pour reprendre les mots du juge Nadon dans l'affaire Cartier c. Canada (Procureur général) [1998] A.C.F. no 1211, il faut établir si le SCC a fourni au demandeur « tous les renseignements 'entrant en ligne de compte' dans la prise de la décision, ou un sommaire de ces renseignements » .

[44]            Une analyse du dossier m'amène à conclure qu'en l'espèce, le SCC a fourni suffisamment d'information au demandeur afin de lui permettre de comprendre pourquoi le SCC voulait le transférer. L'information qui lui avait été fournie permettait au requérant de faire les observations qui lui semblaient appropriées.

[45]            En effet, dès le 16 novembre 2001, soit le soir même de son placement en isolement préventif, M. Mallette a été informé des motifs qui ont amené les autorités du SCC à le placer ainsi en isolement. La sécurité préventive avait reçu de l'information selon laquelle le demandeur était soupçonné de s'évader.


[46]            Puis, le 22 novembre 2001, M. Mallette a été rencontré par le comité d'isolement qui lui a expliqué qu'il y avait des informations à la sécurité préventive provenant de quatre sources différentes, codées et jugées dignes de confiance, qui le reliaient au trafic de drogue en établissement de manière très active. Ces informations révélaient aussi que le demandeur consommait régulièrement de la drogue avec des co-détenus, qu'il entrait de la drogue par le biais des visites en association avec un co-détenu et qu'il la revendait. Ces informations indiquaient aussi que la veille de son placement en isolement préventif, le demandeur avait sollicité de l'argent à des co-détenus en prévision de s'évader. On faisait état aussi de problèmes avec son ex-conjointe et d'une dispute avec un co-détenu avec qui il existait une certaine tension.

[47]            Dans les semaines qui ont suivi, notamment lors de l'évaluation en vue de la décision concernant sa cote de sécurité, le service correctionnel a également fourni à M. Mallette tous les renseignements dont le service correctionnel allait tenir compte lors de l'évaluation de sa cote de sécurité.

[48]            À cet égard, dans l'affaire Normand c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] A.C.F. no 1628 (C.F. (1ère inst.), le juge Marc Noël a énoncé:

25.    Il ressort tant de la structure et de la fonction fondamentales de la Commission que du libellé de la Loi habilitante qu'elle n'a ni l'aptitude ni la compétence pour écarter des éléments de preuve pertinents. Le texte de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère à la Commission un vaste mandat d'inclusion de renseignements. Non seulement elle n'est pas tenue d'appliquer les règles de preuve classiques, mais elle doit tenir compte de "toute l'information pertinente disponible". Il n'est fait mention d'aucun pouvoir d'appliquer des règles d'exclusion en matière de preuve. En fait, une telle disposition entrerait en conflit avec son obligation de prendre en considération "toute l'information pertinente disponible".


En effet, l'article 141 de la LSCMLC prévoit que l'information pertinente ne doit pas être communiquée intégralement, un résumé étant suffisant. Cette disposition a été appliqué par une jurisprudence constante de cette Cour ; voir notamment : Hudon c. Canada (procureur général) [2001] A.C.F. no 1836.

[49]            En l'espèce, il n'y a pas eu de violation de l'obligation de communication de l'information pertinente avant la tenue de l'audience, car M. Mallette était en possession d'une copie du rapport du SCC et donc, savait bien ce à quoi il avait à répondre.

[50]            M. Mallette était donc parfaitement au courant des renseignements qui avaient amené le service correctionnel à le placer en isolement préventif puis à réévaluer sa cote de sécurité à la hausse. Il n'était pas nécessaire en l'espèce que le demandeur dispose de plus de détails pour faire valoir son point de vue concernant sa cote de sécurité et son transfèrement, ce qu'il a d'ailleurs fait à plusieurs reprises, lorsqu'il a présenté ses commentaires au SCC.

[51]            Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas ici d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, ce qui aurait nécessité plus de détails, tel que décidé dans l'affaire Demaria, pour permettre au demandeur de se défendre contre une allégation d'infraction précise. Il s'agit plutôt ici d'un transfèrement rendu nécessaire pour le bon fonctionnement de l'établissement. Dans la présente affaire, comme dans l'affaire Gallant, la divulgation de détails quant à des renseignements confidentiels obtenus au sujet du projet d'évasion ou du trafic de drogue mettrait en péril la sécurité des autres personnes impliquées.


[52]            S'agissant d'une décision portant sur l'appréciation des faits, et devant l'absence de l'ombre du commencement d'un indice quant à la nature déraisonnable, et a fortiori manifestement déraisonnable, de ladite décision, je ne vois pas comment cette Cour pourrait se justifier d'intervenir.

[53]            À la lumière de ce qui précède, il n'y pas lieu de se pencher sur l'argument du défendeur concernant la nature académique et sans objet de la présente demande.

LA CONCLUSION

[54]            Par tous ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que le Comité a agi en violation des principes de l'équité procédurale ou qu'il a rendu une décision déraisonnable, encore moins manifestement déraisonnable.

                                                                                                                                         Juge                        

Montréal (Québec)

le 30 janvier 2004


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                                                       T-1260-02

INTITULÉ :                                                                      STÉPHANE MALLETTE

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              LE 13 JANVIER 2004

MOTIFS L'ORDONNANCE :                                       LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                     LE 30 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Me Sylvie Bordelais                                                             POUR LE DEMANDEUR

Me Eric Lafrenière                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sylvie Bordelais                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                     

Montréal (Québec)                                                             POUR LE DÉFENDEUR              


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