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         Date : 19971215

     Dossier : IMM-1339-97

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 15 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     LLOYD BALDWIN REYNOLDS,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (section d'appel) le 18 mars 1997, lecture faite des documents qui ont été déposés, après avoir entendu les avocates de toutes les parties à Toronto (Ontario) le 29 juillet 1997, et pour les motifs prononcés aujourd'hui,


     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ que la demande soit accueillie. Les avocates peuvent présenter des observations écrites concernant la certification d'une question en vue d'un appel dans les dix jours qui suivent la date de la présente ordonnance.

                                 " James A. Jerome "

                                 Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19971215

     Dossier : IMM-1339-97

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     LLOYD BALDWIN REYNOLDS,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

[1]      J'ai été saisi du contrôle judiciaire de la décision en date du 18 mars 1997 de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (section d'appel) à Toronto (Ontario) le 29 juillet 1997. À la clôture des débats, j'ai mis l'affaire en délibéré et indiqué que des motifs écrits suivraient.

[2]      Le requérant est un résident permanent du Canada. Le 27 juin 1994, un agent d'immigration a fait part, dans un rapport présenté en application de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), de renseignements selon lesquels le requérant avait été reconnu coupable de deux infractions à la Loi sur les stupéfiants et condamné à un emprisonnement de neuf mois pour chaque infraction. Le 20 septembre 1994, un arbitre a pris une mesure d'expulsion contre le requérant en application du paragraphe 32(2) de la Loi après avoir conclu que celui-ci relevait du cas visé à l'alinéa 27(1)d). Le 26 octobre, le requérant a déposé auprès de la section d'appel un avis d'appel de la décision de l'arbitre de prendre une mesure d'expulsion contre lui.

[3]      Le 10 juillet 1995, l'article 70 de la Loi a été modifié par la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence, L.C. 1995, ch. 15 (la loi modificative), pour refuser aux personnes qui, selon le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), constituent un " danger pour le public " le droit de faire appel devant la section d'appel. Le paragraphe 70(5) dispose maintenant :

     70.(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :         
         a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
         b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
         c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.                 

[4]      La loi modificative prévoit la situation de personnes comme le requérant, qui sont visées par le paragraphe 70(5) mais qui avaient déjà déposé un appel devant la section d'appel. Le paragraphe 13(4) de la loi modificative dispose :

     13.(4) Le paragraphe 70(5) de la même loi, édicté par le paragraphe (3), s'applique aux appels interjetés dans le cadre de l'article 70 dont l'audition n'est pas commencée à la date de son entrée en vigueur; cependant, toute personne visée peut, dans les quinze jours suivant la date à laquelle elle est avisée que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada, présenter une demande de contrôle judiciaire, dans le cadre de l'article 82.1, à l'égard de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel.         

[5]      Le 14 février 1996, le ministre a, en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, exprimé l'opinion que l'intimé constitue un " danger pour le public ". Le ministre a écrit à l'intimé pour lui faire part de cet avis de " danger " et l'informer qu'il n'avait plus le droit d'interjeter appel devant la section d'appel. Une copie de cette lettre a été envoyée par télécopieur à la section d'appel. Le 8 mars 1996, l'intimé a déposé devant la Cour fédérale (Section de première instance) une demande de contrôle judiciaire de l'avis de " danger " et demandé que soit rendu un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 70(5) porte atteinte à l'article 7 ou à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[6]      La section d'appel a ensuite répondu par écrit à l'intimé qu'elle traiterait l'avis de " danger " du ministre et la correspondance connexe comme une requête en rejet de l'appel pour incompétence, et a indiqué à l'intimé qu'il pouvait présenter des éléments de preuve et des observations écrites en réponse. L'intimé n'a pas nié que le bien-fondé d'un élément du paragraphe 70(5) avait été établi. Il a plutôt fait valoir à la section d'appel que le paragraphe 70(5) contrevenait aux articles 7 et 15 de la Charte.

[7]      Le 2 avril 1996, l'intimé a demandé par voie de requête à la section d'appel de différer l'examen de la question de la compétence jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire présentée par l'intimé. Le 8 mai 1996, l'intimé a également demandé par voie de requête à cette Cour de proroger le délai de dépôt d'un dossier de la demande jusqu'à dix jours après que l'intimé serait réputé avoir reçu un avis de l'ordonnance de la section d'appel statuant sur la question de la compétence pour entendre l'appel de l'intimé.

[8]      La section d'appel a fait droit à la requête en ajournement de l'intimé le 14 mai 1996. Puis, le 14 juin 1996, le protonotaire adjoint Giles a fait droit à la requête de l'intimé en vue d'obtenir une prorogation du délai accordé pour déposer un dossier de la demande jusqu'à dix jours après que l'intimé serait réputé avoir reçu l'ordonnance de la section d'appel portant sur la question de la compétence ou jusqu'au 3 février 1997, en prenant la date la plus proche (décision non publiée (14 juin 1996), dossier no IMM-859-96). Il semble qu'aucune des parties n'a informé le protonotaire adjoint Giles que la section d'appel avait déjà rendu une ordonnance par laquelle elle reportait l'examen de la question de la compétence jusqu'à l'issue de l'instance en contrôle judiciaire.

[9]      Le 27 janvier 1997, l'intimé a une fois de plus demandé une prorogation du délai de dépôt de son dossier jusqu'à dix jours après qu'il serait réputé avoir reçu un avis de l'ordonnance de la section d'appel. Au lieu de cela, la Cour (Madame le juge Tremblay-Lamer) a accordé à l'intimé un délai de dix jours pour déposer son dossier (décision non publiée (10 mars 1997), dossier no IMM-859-96). La section d'appel a été avisée de cette ordonnance le 11 mars 1997.

[10]      Puis, le 18 mars 1997, la section d'appel s'est prononcée sur la question de la compétence. Elle a conclu, sans se référer à l'ordonnance de Madame le juge Tremblay-Lamer, que l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles était une instruction qui lui était donnée de se prononcer sur la question de la compétence. La section d'appel a alors jugé qu'elle avait l'obligation de déterminer si elle demeurait compétente à l'égard d'un appelant qui avait reçu un avis de " danger " en vertu du paragraphe 70(5). Elle a en outre conclu que la compétence qu'elle a pour statuer sur sa propre compétence en vertu du paragraphe 70(5) l'autorise à effectuer un examen limité sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5). Plus particulièrement, elle a conclu qu'elle n'était pas habilitée à examiner les aspects procéduraux du paragraphe 70(5), mais qu'elle pouvait examiner l'aspect matériel de cette disposition.

[11]      Le paragraphe 69.4(2) de la Loi confère à la section d'appel le pouvoir d'examiner des questions de droit et de statuer sur sa propre compétence à l'égard d'appels interjetés en vertu de l'article 70. Le paragraphe 69.4(2) dispose :

     (2) La section d'appel a compétence exclusive, dans le cas des appels visés aux articles 70, 71 et 77, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait - y compris en matière de compétence - relatives à la prise d'une mesure de renvoi ou au rejet d'une demande de droit d'établissement présentée par un parent.         

[12]      L'alinéa 70(5)c) dispose qu'une personne n'a aucun droit d'appel (1) lorsqu'une mesure d'expulsion a été prise, (2) lorsque le ministre a exprimé l'opinion que la personne constitue un danger pour le public au Canada et (3) lorsqu'un arbitre a déclaré que la personne est un résident permanent qui a été reconnu coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale qui est punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Dans l'affaire Athwal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (décision non publiée (22 mars 1996), dossier no A-67-97), la Cour d'appel fédérale a conclu que parce que le paragraphe 69.4(2) donne à la section d'appel compétence exclusive pour entendre et juger sur des questions de droit, y compris en matière de compétence, dans le cas des appels visés à l'article 70, la section d'appel est habilitée à déterminer si une personne a été reconnue coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Il est donc évident que la section d'appel a compétence pour déterminer si une personne est privée d'un droit d'appel en vertu de l'alinéa 70(5)c) et, pour ce faire, pour déterminer si les conditions d'application de cette disposition sont réunies.

[13]      L'avocate de l'intimé invoque l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, à la page 960, au soutien de l'affirmation que la section d'appel peut également examiner la constitutionnalité du paragraphe 70(5). Dans cette affaire, le juge McLachlin traite des différents avantages qu'offre le fait de soumettre des questions fondées sur la Charte à un tribunal, et conclut qu'un arbitre du travail est un " tribunal compétent " en mesure d'accorder une réparation visée au paragraphe 24(1) de la Charte.

Toutefois, l'espèce ne concerne pas la question de savoir si la section d'appel est un " tribunal compétent " pour accorder une réparation visée au paragraphe 24(1) de la Charte. La question litigieuse en l'espèce est plutôt de savoir si la section d'appel peut examiner la constitutionnalité d'une disposition limitative de sa loi habilitante. Cette question est donc identique à la question examinée dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854. Dans cette affaire, on a demandé à la Cour suprême si la Commission canadienne des droits de la personne ou un tribunal constitué par la Commission avait le pouvoir de statuer que l'alinéa 15c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui dispose qu'il n'y a pas de discrimination si la mise à la retraite intervient à un âge normal selon les normes en vigueur dans le secteur, est " inopérant " en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte. S'exprimant au nom de la majorité, le juge La Forest déclare à la page 892 :

     Lorsqu'elle détermine si une plainte ressortit à sa compétence, la Commission doit respecter les limites que sa loi habilitante impose à cette compétence. [...] Pour déterminer ce qui constitue un acte discriminatoire, la Commission est liée par l'al. 15c), lequel dispose que le fait de mettre fin à un emploi à l'âge de la retraite en vigueur n'est pas un acte discriminatoire. La démarche suivie par la Commission, lorsqu'elle détermine si elle a compétence sur une plainte donnée en se reportant aux dispositions de la Loi, diffère conceptuellement de celle qui consiste à examiner les dispositions de cette loi sous l'angle de la Charte. La première démarche constitue l'application de l'intention du législateur telle qu'elle ressort de la Loi, tandis que la seconde revient à ne pas tenir compte de cette intention.         

                         [Non souligné dans l'original.]

[14]      Le juge La Forest conclut ensuite qu'un tribunal constitué en vertu de la Loi est également dépourvu de la compétence pour déclarer inconstitutionnelle une disposition qui limite la compétence que lui confère la Loi. La Cour fait remarquer que, contrairement à la Commission, ce tribunal a le pouvoir implicite d'examiner des questions de droit. Selon la Cour, c'est ce qui lui permet d'examiner des questions constitutionnelles dans certaines circonstances, y compris des questions portant sur le partage des compétences constitutionnelles, sur la validité d'un motif de discrimination visé dans la Loi et, peut-être, sur la validité des mesures de réparation disponibles dans une affaire donnée. Le juge La Forest tient également compte de plusieurs considérations d'ordre pratique concernant les difficultés que soulève le fait de permettre à un tribunal d'examiner la constitutionnalité de dispositions législatives : l'expertise du tribunal se limite à l'appréciation des faits dans un contexte de droits de la personne, les gains en efficacité que procure la voie permettant d'éviter le système judiciaire disparaissent lorsque les inévitables demandes de contrôle judiciaire sont déposées, les règles de preuve moins formelles devant un tribunal ne sont pas appropriées lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition législative, et la complexité, les coûts et les délais accrus qui découlent de l'audition d'une question constitutionnelle par un tribunal diminuent l'efficacité globale des tribunaux. Compte tenu de tous ces facteurs, le juge La Forest conclut que, bien qu'il puisse avoir compétence pour examiner des questions juridiques d'ordre général, et il ressort de l'analyse de la Cour que ces questions englobent certains types de questions constitutionnelles, " un tribunal [...] ne peut logiquement avoir la compétence qui lui permettrait de mettre en cause la constitutionnalité d'une disposition limitative de la Loi ".

[15]      Le même raisonnement s'applique en l'espèce. Le paragraphe 69.4(2) habilite la section d'appel à examiner des questions de droit et à statuer sur sa propre compétence. Ce pouvoir comprend indéniablement le pouvoir d'examiner des questions constitutionnelles dans certaines circonstances (voir Cooper, à la p. 887, et Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, aux p. 13 et 14). Malgré tout, en l'espèce non plus le pouvoir général qu'a la section d'appel d'examiner des questions de droit et de compétence ne peut logiquement habiliter celle-ci à déclarer inconstitutionnel le paragraphe 70(5) et, par le fait même, à ne tenir aucun compte d'une limitation expresse que le législateur a imposée à sa compétence.

[16]      Enfin, je note que la distinction que fait la section d'appel entre les aspects " procéduraux " et les aspects " matériels " du paragraphe 70(5) ne modifie pas cette conclusion. Bien que le juge Marceau fasse remarquer dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1993] 1 C.F. 696, à la p. 707, qu'un tribunal administratif est habilité à se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition législative en vertu de laquelle il agit, il faut de toute évidence que ce pouvoir lui ait été attribué en premier lieu. Il n'existe absolument aucune règle de droit voulant qu'un tribunal soit lié par l'intention du législateur quant aux aspects " procéduraux " d'une loi, mais puisse faire abstraction de cette intention quant aux aspects " matériels " de cette loi.

[17]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui viennent d'être exposés.


[18]      Les avocates peuvent présenter des observations écrites concernant la certification d'une question en vue d'un appel dans les dix jours qui suivent la date de la présente ordonnance.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 décembre 1997                      " James A. Jerome "

                                 Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER :                  IMM-1339-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              M.C.I. c. LLOYD BALDWIN REYNOLDS
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT

EN DATE DU :                      15 décembre 1997

ONT COMPARU :

Mme Cheryl Mitchell                      POUR LE REQUÉRANT

Mme Victoria Russell                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Victoria Russell                  POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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