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Date : 19990908


Dossier : IMM-5784-98


OTTAWA (ONTARIO), LE 8 SEPTEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

     RAHMAN MAKSUDUR,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE,

     intimé.


     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié en date du 25 septembre 1998 est annulée et l"affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal constitué de membres différents.

                                 Marc Nadon
                            
                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

Date : 19990908

Dossier : IMM-5784-98

ENTRE :

     RAHMAN MAKSUDUR,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Le demandeur sollicite l"annulation d"une décision datée du 25 septembre 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu"il n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Aux pages 2 à 4 de la décision, la Commission expose les motifs pour lesquels elle en arrive à une décision défavorable :

     [TRADUCTION] Après avoir analysé la preuve orale ainsi que la preuve documentaire, le tribunal conclut que le revendicateur n"est pas un " réfugié au sens de la Convention " pour les motifs suivants.

     Le tribunal a fait remarquer au revendicateur que tous les éléments de preuve documentaire font état de la violence permanente qui caractérise la vie politique au Bangladesh. Des dizaines d"étudiants y sont tués et des milliers d"autres y sont blessés chaque année. Tous les partis politiques, y compris celui dont est membre le revendicateur, se servent de leurs ailes étudiantes pour fomenter cette violence sur les campus transformés en véritables arsenaux. Des armes et des explosifs sont souvent utilisés au cours des grèves et des manifestations.

     Lorsqu"il a formé le gouvernement il y a quelques années, le BNP a dû lui-même modérer et discipliner sa propre aile étudiante, la Jatiyatabadi Chhatra Dal (JCD), dont faisait partie le revendicateur, en raison de l"instabilité politique créée par cet extrémisme.

     Le revendicateur a admis ces faits (" oui, je ne le nie pas "), mais a souligné au tribunal qu"il s"opposait à la violence et était devenu membre de cette organisation pour essayer de contenir la violence politique. Cette explication est difficile à croire pour le tribunal puisque nous ne pouvons pas imaginer comment le revendicateur aurait raisonnablement pu espérer atteindre ses fins. De plus, il n"a jamais indiqué les moyens dont il se serait servi pour mettre fin à cette violence politique.

     Le tribunal a fait remarquer au revendicateur que si, comme il l"a allégué, il n"avait commis aucun acte de violence, il n"avait rien à craindre de la police. La preuve documentaire indique que les membres du BNP ne risquent d"être arrêtés que " s"ils participent à la violence pendant les manifestations ", ce qui n"était pas le cas du revendicateur qui a déclaré que ses activités étaient pacifiques.

     Le revendicateur a aussi admis que l"assemblée politique du 1er mai 1997, au cours de laquelle il aurait formulé des critiques à l"endroit du gouvernement, était parfaitement légale.

     Le revendicateur prétend aussi qu"il craint d"être arrêté en vertu de la SPA. La preuve documentaire mentionnée ci-dessus contient ce qui suit : " nul n"est menacé du simple fait de son appartenance à un parti politique de l"opposition " et " nul n"a des motifs de craindre d"être arrêté à son retour au Bangladesh à moins d"avoir participé à des activités criminelles ". Ce n"est pas le cas du revendicateur.

     De plus, la pièce A-14 mentionnée ci-dessus contient ce qui suit : " les tribunaux continuent de statuer que la grande majorité des cas fondés sur la SPA sont illégaux, un signe de l"indépendance du système judiciaire de même que de la manière politique dont le gouvernement utilise la SPA ".

     Le tribunal ne croit pas non plus à l"incident du 10 juillet 1997 au cours duquel le revendicateur aurait été poursuivi par des membres de l"AL. Le revendicateur a été incapable d"expliquer au tribunal comment il avait réussi à reconnaître deux de ses assaillants alors que, suivant son témoignage, il se trouvait à 100 verges de ceux-ci le soir, à 22 h.

     Quant au risque que le revendicateur soit attaqué par des adversaires politiques s"il retourne dans son pays et s"il y reprend ses activités, on ne peut pas écarter cette possibilité étant donné que la violence criminelle fait partie intégrante de la vie politique au Bangladesh. Le tribunal estime que le revendicateur prendrait un risque calculé, mais nous ne pouvons certes pas conclure que les attaques et autres formes d"agressions contre la personne commises par divers groupes politiques, qui sont tour à tour les victimes et les agresseurs, constituent une forme de persécution.

     Pour tous ces motifs, le tribunal conclut que le revendicateur, Rahman MAKSUDUR, n"est pas un " réfugié au sens de la Convention " défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration.

[3]      Le demandeur est citoyen du Bangladesh. Il est arrivé au Canada le 9 août 1997 où, peu de temps après, il a revendiqué le statut de réfugié. Il prétend craindre avec raison d"être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il affirme plus particulièrement qu"il était membre du conseil exécutif du quartier 55 du Parti national du Bangladesh (BNP) et que c"est pourquoi il a été attaqué à diverses reprises par des fiers à bras de la Ligue Awami (AL). Il a ajouté que la police du Bangladesh le recherchait toujours en mai ou en juin 1998 même s"il avait quitté son pays en août 1997.

[4]      La décision de la Commission est difficile à comprendre. À mon avis, cette décision est absurde. Même si elle a déclaré qu"elle ne peut pas croire le demandeur relativement à l"incident du 10 juillet 1997, la Commission ne tire aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. Au contraire, elle semble dire qu"étant donné que [TRADUCTION] " la violence criminelle fait partie intégrante de la vie politique au Bangladesh ", le demandeur ne peut pas prétendre qu"il sera persécuté. À cet égard, le dernier paragraphe de la page 3 de la décision de la Commission est éloquent :

[TRADUCTION]      Quant au risque que le revendicateur soit attaqué par des adversaires politiques s"il retourne dans son pays et s"il y reprend ses activités, on ne peut pas écarter cette possibilité étant donné que la violence criminelle fait partie intégrante de la vie politique au Bangladesh. Le tribunal estime que le revendicateur prendrait un risque calculé, mais nous ne pouvons certes pas conclure que les attaques et autres formes d"agressions contre la personne commises par divers groupes politiques, qui sont tour à tour les victimes et les agresseurs, constituent une forme de persécution.

[5]      Aux paragraphes 15, 16 et 17 de son mémoire des faits et du droit, l"avocat du demandeur, M. Sloan, fait les observations suivantes :

[TRADUCTION] 15. Suivant sa conclusion, la Commission exclut la possibilité que la violence que redoute le revendicateur, et dont elle a reconnu l"existence, constitue de la persécution parce que son propre parti a des fiers à bras qui ont attaqué des membres d"autres partis. C"est la même conclusion que la Cour d"appel fédérale a tirée dans l"arrêt Ward lorsqu"elle a conclu que l"association du demandeur à la Irish National Liberation Army ne pouvait constituer un lien entre sa crainte et la définition de réfugié en raison de la violence de l"INLA.

16. La Cour suprême a annulé cette décision et a rappelé que le véritable fondement des revendications de ce genre était les opinions politiques associées à l"appartenance à une organisation politique et, dans le cas de Ward, à son désaccord avec cette organisation politique.

17. Il n"est pas allégué que le BNP est une organisation terroriste comme on l"avait allégué dans le cas de l"INLA. Le BNP a été élu au Parlement du Bangladesh à titre de parti au pouvoir en 1991. Il s"agit principalement d"un parti actif sur le plan électoral et la preuve montre que telles étaient les activités du demandeur au sein du parti de sorte que toute violence dirigée contre lui par des fiers à bras associés à d"autres partis politiques est nécessairement liée à ses opinions politiques, qu"il s"agisse de celles qui lui sont attribuées ou de celles qu"il a exprimées.

[6]      À mon avis, la décision de la Commission n"est pas raisonnable. La Commission essayait-elle de dire que les actes de violence dont aurait été victime le demandeur étaient de nature criminelle et, par conséquent, ne pouvaient pas constituer de la persécution au sens de la Convention sur les réfugiés? Ou peut-être essayait-elle de dire qu"étant donné que la violence au Bangladesh était un " outil " utilisé par tous les partis politiques, elle ne pouvait pas constituer de la persécution au sens de la Convention sur les réfugiés?

[7]      J"ai lu la décision de la Commission à diverses reprises et je suis encore incapable d"en saisir le fondement. La Commission avait à déterminer si le récit du revendicateur était vrai et, le cas échéant, s"il était vraisemblable qu"il soit persécuté s"il retournait au Bangladesh. À mon avis, la Commission n"a tranché aucune de ces questions. Par conséquent, la décision sera annulée et l"affaire sera renvoyée pour réexamen devant un tribunal constitué de membres différents.

[8]      Avant de terminer, j"aimerais toutefois ajouter quelques commentaires. L"audience sur la présente revendication a eu lieu à Montréal, le 15 juillet 1998. La transcription des témoignages a 57 pages. Les questions et les réponses qui traitent du fondement de la revendication commencent à la page 7 et se terminent à la page 56. La lecture de la transcription des témoignages faits le 15 juillet 1998 ne permet pas d"affirmer si le récit du demandeur est vrai ou non. C"est impossible de le faire parce que les commissaires et le conseil du demandeur à l"audience1 n"ont pas semblé intéressés à poser suffisamment de questions pour leur permettre de déterminer si, en fait, le demandeur disait la vérité. Les réponses données par le demandeur tout au long de son témoignage sont vagues et imprécises. Les réponses contiennent des " généralités ", mais non des détails. C"est l"incapacité des personnes qui ont interrogé le demandeur à lui poser les questions appropriées qui est en partie à l"origine de cette situation.

[9]      J"ai indiqué plus haut le nombre de pages de la transcription pour faire tout simplement ressortir le fait que l"audience n"aurait probablement pu durer très longtemps. Il en est peut-être ainsi parce que les commissaires ont reçu pour directives d"entendre plus qu"une revendication par jour. Quoi qu"il en soit, l"essentiel est, à mon avis,qu"ils n"ont pas cherché assez longtemps à découvrir la vérité. Dans la plupart des revendications du statut de réfugié, la principale question, sinon la seule, est celle de savoir si les faits relatés par le demandeur sont vrais. Par conséquent, les commissaires ont l"obligation à l"égard du demandeur et du Canada de faire de leur mieux pour atteindre cet objectif. À mon avis, la Commission dans la présente affaire n"a certainement pas fait de son mieux pour découvrir la vérité.

[10]      La présente revendication montre que les revendicateurs ne sont pas prêts à en dire plus qu"il ne le faut pour corroborer leur revendication et que les commissaires ne sont pas prêts à consacrer le temps nécessaire pour découvrir la vérité. Dans un cas comme dans l"autre, le résultat n"est pas satisfaisant.

[11]      En conclusion, je conseillerais fortement que l"on remette aux commissaires un exemplaire du livre de Francis L. Wellman, The Art of Cross-Examination (Londres : MacMillan & Co., Ltd., 1904). Je sais que certains considèrent que les commissaires ne devraient pas contre-interroger les revendicateurs du statut de réfugié, apparemment pour le motif que s"ils prétendent être des réfugiés, c"est qu"ils doivent l"être. Je ne fais pas partie de ces personnes. L"objectif de la Convention sur les réfugiés est de fournir un refuge sûr aux véritables réfugiés et non à ceux qui prétendent être des réfugiés. Je devrais peut-être ajouter que de nombreux avocats des demandeurs semblent oublier que c"est à leurs clients qu"il incombe de fournir des éléments de preuve suffisants pour établir qu"ils craignent avec raison d"être persécutés. Malheureusement, notre système de réfugié est devenu un " jeu ". Rien de ceci n"est propice pour la tâche dont nous devons nous acquitter, c"est-à-dire admettre au Canada des personnes qui craignent avec raison d"être persécutées. Les perdants sont les vrais réfugiés et le Canada. Nul besoin n"est de dire qui sont les gagnants.

                                 Marc Nadon
                            
                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

8 septembre 1999

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-5784-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      RAHMAN MAKSUDUR c. M.C.I.


LIEU DE L"AUDIENCE :          Montréal (Québec)


DATE DE L"AUDIENCE :      4 août 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Nadon en date du 8 septembre 1999



ONT COMPARU :


WILLIAM SLOAN              POUR LE DEMANDEUR
EDITH SAVARD              POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

WILLIAN SLOAN              POUR LE DEMANDEUR

EDITH SAVARD              POUR L"INTIMÉ

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      À l"audience, le demandeur était représenté par un autre conseil.

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