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                                                                                                                               Date :    20040408

                                                                                                                         Dossier :    T-2371-00

                                                                                                                Référence :    2004 CF 552

Ottawa (Ontario), ce 8e jour d'avril 2004

PRÉSENT : L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                         DONALD LAPIERRE et

                                            LES ÉQUIPEMENTS LAPIERRE INC.,

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                            et

                                  LES ÉQUIPEMENTS D'ÉRABLIÈRE C.D.L. INC.,

                                                                                                                                      défenderesse

                                         MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une action en contrefaçon de brevet présentée en vertu de l'article 20 de la Loi sur les cours fédérales, S.R.C. 1985, c. F-7, et le paragraphe 54(2) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1985, c. P-4, (la « Loi » ). Donald Lapierre et les Équipements Lapierre Inc. (les « demandeurs » ) allèguent que la défenderesse a contrefait le brevet canadien no. 1,274,781 (ci-après le « brevet '781 » ) en raison de la fabrication et de la vente par cette dernière de concentrateurs d'eau d'érable comprenant les caractéristiques décrites à la revendication 1 du brevet '781. Les Équipements d'érablière C.D.L. Inc. (la « défenderesse » ) a déposé une défense le 6 février 2001 niant avoir


contrefait le brevet '781. Toutefois, la validité du brevet n'est pas contestée.

[2]                Le Protonotaire Richard Morneau, par ordonnance rendue le 12 mars 2001, a référé toutes questions relatives au quantum des dommages subis par les demandeurs ou relatives à l'évaluation des profits réalisés par la défenderesse, le cas échéant. La seule question en litige est donc si le produit de la défenderesse décrit ci-après contrefait le brevet '781.

Éléments de référence

[3]                Le brevet en litige dans la présente instance vise un appareil utilisé pour concentrer la sève d'érable par osmose inverse. Pour faire du sirop d'érable, la sève doit être concentrée de 25 à 30 fois. Traditionnellement, les acériculteurs concentraient la sève d'érable par évaporation en faisant bouillir le liquide à la pression atmosphérique. Cette méthode est coûteuse et, vers la fin des années 1960, de nouvelles méthodes de concentration ont été mises au point. Le principe de l'osmose inverse a été utilisé pour extraire 75 % de l'eau et ainsi concentrer la sève d'érable pour obtenir un sirop ayant la densité standard. Le temps d'ébullition a donc été considérablement réduit améliorant ainsi la qualité du produit final et permettant des économies importantes.


[4]                Il est nécessaire de comprendre comment fonctionne le procédé d'osmose inverse. L'osmose s'entend du passage de l'eau d'une solution moins concentrée à une solution plus concentrée à travers une membrane semi-perméable sous l'action de la pression osmotique supérieure de la solution plus concentrée. L'osmose inverse se produit lorsqu'une pression supérieure à la pression osmotique est appliquée du côté de la membrane où circule la solution concentrée. De cette façon la circulation du liquide (eau) est inversée, c'est-à-dire que le liquide passe de la solution plus concentrée à la solution moins concentrée, ce qui a pour effet de le concentrer davantage. On nomme ce procédé l' « osmose inverse » .

Les faits

[5]                Le 2 octobre 1990, le Bureau des brevets a accordé à Donald Lapierre, à titre d'inventeur et de propriétaire, le brevet '781, intitulé Apparatus for Reverse Osmosis Using Fluid Recirculation. M. Lapierre a accordé une licence verbale, non-exclusive et gratuite à la compagnie demanderesse aux fins de la fabrication, la vente et la distribution de concentrateur d'eau d'érable décrit à la revendication 1 du brevet '781, ci-après le « concentrateur Lapierre » .

[6]                La défenderesse est une société de distribution de produits destinés aux producteurs de sirop d'érable. La défenderesse fut incorporée en 1991 par M. Donald Lapierre, Christian Chabot et une tierce personne. M. Jean-Marie Chabot a témoigné que M. Lapierre n'est plus impliqué avec la défenderesse.

[7]                Jean-Marie Chabot, frère de Christian Chabot, est ingénieur mécanique et producteur de sirop d'érable. Depuis 1981-82, M. Jean-Marie Chabot utilise une machine à osmose inverse pour concentrer l'eau d'érable. Il exploitait une érablière de 6000 entailles lorsqu'en 1986-87 il s'est procuré un concentrateur Lapierre. Dans le cadre d'un expansion de l'érablière familiale, il a acheté trois autres concentrateurs Lapierre.


[8]                M. Martin Chabot, est directeur des opérations de la défenderesse et est responsable pour le développement des produits. Martin Chabot était impliqué dans la gestion de l'érablière familiale depuis 10 ans, lorsque son père, Jean-Marie Chabot, lui aurait lancé l'idée de développer un concentrateur d'eau d'érable plus performant. Il a donc accepté de travailler pour la défenderesse et il fut chargé du projet de développement de « La Fendeuse » . La phase de développement a duré approximativement six mois à compter du mois de janvier 2000.

[9]                Avec l'aide de son fils, M. Jean-Marie Chabot a développé un concentrateur prototype avec une circulation inverse du système utilisé dans le concentrateur Lapierre. Ce prototype était l'avant-coureur de La Fendeuse. L'ojectif était le développement d'un appareil pour concentrer plus rapidement l'eau d'érable et combattre sa viscosité à basse température.

[10]            Depuis, la défenderesse fabrique, distribue et vend au Canada un concentrateur d'eau d'érable appelé « La Fendeuse » . Elle admet avoir vendu un tel concentrateur d'eau d'érable d'une capacité de 600 gallons à l'heure à une personne dans la Province de Québec, Canada, au printemps 2001. La défenderesse admet également qu'avant de fabriquer le concentrateur d'eau d'érable La Fendeuse, elle vendait, entre autres, des concentrateurs Lapierre.


[11]            La Fendeuse est un concentrateur d'eau d'érable par osmose inverse avec un mécanisme de pompage centrifuge de circulation à membrane. La Fendeuse comporte un caisson pressurisé dans lequel on retrouve une pompe à décharge axiale, conçue de manière à pousser le liquide directement à travers l'extrémité de la membrane la plus rapprochée de la pompe. Le liquide circule en empruntant l'espace entre le module de la membrane et la surface intérieure du caisson, mais dans le sens contraire du concentrateur Lapierre.

[12]            Les demandeurs allèguent que la défenderesse a contrefait le brevet '781 en raison de la fabrication et de la vente par cette dernière de concentrateurs d'eau d'érable comprenant les caractéristiques décrites à la revendication 1 du brevet '781.

La question en litige

[13]            La Fendeuse contrefait-elle la revendication 1 du brevet '781?

Les dispositions législatives

[14]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets sont les suivantes :


42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l'invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention, sauf jugement en l'espèce par un tribunal compétent.

42. Every patent granted under this Act shall contain the title or name of the invention, with a reference to the specification, and shall, subject to this Act, grant to the patentee and the patentee's legal representatives for the term of the patent, from the granting of the patent, the exclusive right, privilege and liberty of making, constructing and using the invention and selling it to others to be used, subject to adjudication in respect thereof before any court of competent jurisdiction.

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l'octroi du brevet.

55. (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.



Le brevet '781

[15]            L'invention faisant l'objet du brevet '781 est décrite dans la revendication 1 comme suit :



1.     Un mécanisme de pompage et de circulation à membrane comportant :

a)     un caisson cylindrique servant de caisson pressurisé pouvant résister à la pression d'osmose inverse;

b)    un mécanisme de pompage centrifuge doté, à l'intérieur dudit caisson pressurisé, et à une extrémité de celui-ci, d'un impulseur commandé par un mécanisme d'entraînement et, à l'extrémité de la pompe, d'un boîtier circulaire préformé et perforé sur toute sa circonférence pour permettre une décharge radiale de 360 degrés et produire un débit élevé à faible pression;

c)     une première plaque support située à l'extrémité de l'impulseur de la pompe dotée d'un orifice d'entrée et des premières canalisations de sortie du liquide, ladite plaque support d'extrémité étant assujettie de manière étanche au caisson par un dispositif d'accouplement;

d)     une deuxième plaque support située à l'extrémité opposée du caisson dotée d'une deuxième canalisation de sortie allant de l'intérieur vers l'extérieur du caisson par laquelle s'écoule le perméat, ladite deuxième plaque d'extrémité étant assujettie de manière étanche au caisson par un dispositif d'accouplement;

e)     un raccord de diamètre inférieur à celui du caisson placé immédiatement à l'intérieur de celui-ci et jouxtant d'un côté ladite deuxième plaque d'extrémité. Le raccord agit comme un mécanisme de retenue et comporte une ouverture longitudinale disposée de manière à être alignée avec la deuxième canalisation de sortie de la deuxième plaque support d'extrémité pour laisser le liquide s'écouler librement;

f)      un module de la membrane cylindrique de diamètre inférieur au caisson, mais supérieur au raccord; ledit module de la membrane étant maintenu à l'intérieur du caisson, à l'extrémité de l'impulseur par ledit boîtier, et à l'autre extrémité, par l'autre côté du raccord de sorte qu'un espace continu existe entre le module de la membrane et la surface interne du caisson; ledit module de la membrane comporte au centre une ouverture longitudinale, laissant passer le perméat, ladite membrane étant reliée à l'impulseur par un raccord étanche aligné sur l'ouverture de sorte que le perméat puisse circuler librement entre l'ouverture de la membrane et l'intérieur de l'ouverture contiguë dudit raccord;

dans laquelle ledit orifice d'entrée et lesdites premières canalisations de sortie compris dans ladite première plaque support d'extrémité sont disposées de manière que le liquide entrant dans l'orifice d'entrée soit entraîné dans l'espace entre la membrane et la face interne du caisson, vers le raccord où ledit liquide pénètre à travers la membrane. Une première partie du liquide, le perméat, passe à travers ladite ouverture dans la membrane et ensuite à travers l'ouverture dudit raccord vers ladite deuxième canalisation de sortie et une deuxième partie du liquide, le concentrat, passe à travers l'ouverture dudit raccord vers la deuxième canalisation de sortie et retourne à l'impulseur par la canalisation de sortie ou est recirculé en se mélangeant à d'autre liquide entrant.

1.     A membrane element pumping and circulation mechanism, comprising:

a)      a cylindrical casing acting as a pressure vessel capable of withstanding reverse osmosis pressure;

b)     a centrifugal pumping mechanism, within, and at one end of, said pressure vessel, having an impeller driven by a driving means, and having a formed housing circumferentially perforated towards its pump end, so constructed as to provide 360 degree radial discharge and to provide high volume, low pressure flow;

c)      a first and plate support at the pump impeller end of the casing, in which fluid input and first output conduits are contained, said first end plate support also being sealingly joined to the casing by a coupling device;

d)     a second end plate support at the opposite end of the casing to the impeller end, said second end cap containing a second output conduit running from the interior side to the exterior side for exit of permeate, said second end cap being sealingly joined to the casing by a coupling device;

e)      a connector of smaller diameter than the casing sited immediately inside the casing and abutting, on one side, said second end plate support, said connector acting as a restraint mechanism and containing a longitudinal passageway; said connector being arranged so that its passageway is aligned with said second output conduit contained in said second end plate support so that unimpeded throughflow of fluid is possible;

f)      a membrane module of overall cylindrical shape of smaller diameter than the casing, but of larger diameter than the connector; said membrane module being held within the casing, at the pump impeller end by said formed impeller housing and, at the other end, by the other side of the connector so that a continuous space exists between the membrane module and the inside surface of the casing; said membrane module having a central, longitudinal passageway into which permeate passes, said membrane passageway being sealed at the impeller and by a sealing means and aligned at the connector and with said connector in such a manner that permeate may flow from said membrane passageway into the adjoining passageway of said connector;

wherein said input and first output conduits contained in said first end plate support are arranged in such a manner that fluid entering the input conduit is driven along the space between the membrane module and the inside surface of the casing, towards the connector and, where said fluid enters the membrane in which a first portion of the fluid passes into said membrane passageway as permeate which then passes through said connector passageway to said second output conduit, and a second portion of non-permeate fluid returns to the impeller through the membrane module so as to be removed as concentrate via the output conduit or to be recirculated by mixture with more incoming fluid.


[16]            Aux fins des présents motifs, nous avons utilisé le texte anglais du brevet '781. Le texte français est une traduction.

[17]            Le brevet'781 décrit un appareil comportant divers composants assemblés pour produire une concentration de la sève d'érable par osmose inverse. Le fait que la sève d'érable était déjà concentrée par osmose inverse avant la mise au point du concentrateur visé par le brevet '781 n'est pas contesté. Le breveté ne prétend pas avoir inventé le procédé d'osmose inverse.


[18]            Le litige relatif à l'interprétation de la revendication porte sur la question de savoir si les deux éléments suivants, mentionnés dans la revendication, sont essentiels, soit (1) la pompe centrifuge à décharge radiale de 360 degrés et (2) la direction de l'écoulement du liquide à l'intérieur du caisson pressurisé.

Position des demandeurs

[19]            Les demandeurs soumettent que le mémoire descriptif du brevet '781 énonce clairement que l'essence de l'invention est l'utilisation du passage entre la membrane et la paroi intérieure du caisson comme canal de circulation à l'aide d'une pompe centrifuge située à l'une des extrémités du caisson. Selon les demandeurs, ce sont les deux seules caractéristiques essentielles de l'invention. Les demandeurs soumettent que le sens de la circulation du liquide à l'intérieur du caisson n'est pas un élément essentiel de l'invention revendiquée.

[20]            Les demandeurs soumettent aussi que La Fendeuse accomplit la même fonction de la même façon afin d'obtenir le même résultat que l'invention brevetée. Les demandeurs soulignent que l'appareil fabriqué par la défenderesse diffère de l'appareil breveté uniquement en ce que le liquide passe d'abord à l'intérieur de la membrane puis est re-circulé dans l'espace situé entre la membrane et la paroi interne du caisson de l'appareil.


[21]            Les demandeurs soumettent que malgré la modification par la défenderesse du boîtier de la pompe (sans perforations) afin de re-diriger le liquide sur l'axe et directement dans la membrane, cette dernière s'est accaparée l'invention revendiquée au brevet '781. En conséquence, les demandeurs allèguent que la défenderesse contrefait le brevet '781.

[22]            Les demandeurs s'appuient sur le témoignage du professeur Rémi Ernest Lebrun qui est professeur agrégé à l'Université du Québec à Trois-Rivières où il enseigne le génie chimique depuis 1991. Il est responsable de divers projets de recherche relatifs à la filtration et plus particulièrement dans le domaine de l'osmose inverse et il a réalisé plusieurs projets dans la préconcentration d'eau d'érable à « l'échelle de laboratoire et industrielle » .

[23]            Le professeur Lebrun déclare qu'il a participé en 1998 à une recherche sur l'effet de l'écoulement tangentiel lors de la préconcentration de l'eau d'érable en vue d'en faire du sirop. À cette époque, il aurait pris connaissance des méthodes et des techniques disponibles sur le marché et il aurait examiné le système développé par les demandeurs.

[24]            Le professeur Lebrun, sur la base de documents fournis, a analysé le brevet '781 et l'a comparé avec le système de La Fendeuse. Selon l'opinion du professeur Lebrun, l'appareil revendiqué à la revendication 1 du brevet '781 et La Fendeuse sont en fait structurellement identiques, seul le sens de la circulation du liquide à l'intérieur du caisson de La Fendeuse a été inversé. Le professeur Lebrun a constaté que le boîtier contenant l'impulseur de La Fendeuse a été conçu de façon à pousser le liquide d'abord dans la membrane, plutôt que sur les côtés et exprime l'opinion que malgré cette variation, La Fendeuse accomplit la même fonction, de la même façon et avec les mêmes éléments mécaniques afin d'obtenir le même résultat que l'appareil breveté.


[25] Selon le professeur Lebrun, il est évident que l'inventeur entendait inclure cette variante dans le monopole. Le professeur Lebrun fonde cette affirmation sur le texte du mémoire descriptif qui traite de « l'essence de l'invention » , soit l'utilisation de l'espace entre la membrane et le caisson pour re-circuler le liquide. Il est utile de reproduire le texte en question à la page 9 du brevet :

L'essence de la présente invention est d'utiliser l'espace entre la membrane et le caisson pressurisé pour recirculer le liquide et d'orienter l'écoulement du liquide au moyen de la pompe située à une des extrémités dudit caisson. L'écoulement est provoqué par une pompe centrifuge classique entraînée par une source d'énergie, de préférence un moteur, habituellement électrique.

Selon le professeur Lebrun la modification mécanique que l'on retrouve dans La Fendeuse ne modifie en rien son fonctionnement. Il affirme que la défenderesse reprend dans La Fendeuse « l'essence de l'invention » telle que décrite dans le texte du mémoire descriptif du brevet.

[26]            Le professeur Lebrun ajoute que l'inclusion de la variante dans le monopole revendiqué « aurait nui à la clarté de l'énoncé et des schémas alors qu'elle n'apporte aucun bénéfice » .

Position de la défenderesse

[27]            La défenderesse soumet que les mots choisis par l'inventeur dans la revendication 1 du brevet '781 sont clairs et ne comportent aucune ambiguïté, et que nulle part dans le brevet il est indiqué qu'une pompe ayant une décharge autre que radiale pourrait aussi bien être employée ou que le liquide pourrait tout aussi bien circuler en sens inverse dans la mesure où la configuration de la pompe était variée.


[28]            La défenderesse soumet que le concentrateur d'eau d'érable ne contrefait ni la lettre ni la substance de l'invention revendiquée au brevet '781 pour les motifs suivants :

      a) son mécanisme de pompage ne comporte pas de boîtier moulé, ni de perforations sur toute sa circonférence;

b) son mécanisme de pompage produit une poussée axiale et non une décharge radiale de 360 degrés;

c) le liquide entrant dans le caisson est poussé axialement par le mécanisme de pompage directement à travers l'extrémité de la membrane la plus rapprochée de la pompe, ce qui soumet la membrane à une pression positive venant de la pompe, créant par le fait même une circulation plus turbulente dans la membrane qui a pour effet de ralentir l'encrassement de la membrane;

d) le trajet précis suivi par le liquide à l'intérieur du caisson est à l'inverse de celui revendiqué par le brevet '781.

La défenderesse maintient donc que son produit est une variante de l'invention brevetée qui ne comporte pas tous les éléments essentiels de l'invention revendiquée au brevet '781.


[29]            La défenderesse s'appuie sur la preuve de son expert, M. Luis Inarejo. M. Inarejo, ingénieur mécanique, a participé à la conception et à la fabrication d'appareils d'osmose inverse depuis 1985 et connaît bien le brevet '781 depuis 1990. M. Inarejo a examiné le concentrateur La Fendeuse par rapport à la description figurant dans le brevet '781. À la suite de l'étude des caractéristiques décrites dans le brevet '781, il a exprimé l'avis que la direction de l'écoulement qu'emprunte le liquide décrit à la fin de la revendication et la pompe à décharge radiale de 360 degrés décrite dans le brevet sont des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet '781. M. Inarejo a ensuite déclaré que le trajet du liquide décrit à la fin de la revendication 1 n'est possible qu'avec une pompe produisant une décharge radiale de 360 degrés. Selon M. Inarejo, le concentrateur La Fendeuse a une pompe différente de celle faisant l'objet de la revendication 1 du brevet '781 et plus efficace. Il affirme que la pompe à décharge axiale dotant le système La Fendeuse produit une pression plus élevée directement sur la membrane, ce qui ralentit l'encrassement de la membrane. Cette caractéristique a aussi pour effet d'améliorer l'efficacité du système en diminuant le temps d'interruption pour nettoyage. Il admet, cependant, en contre-interrogatoire, que les différentes pompes n'ont aucune influence sur le procédé d'osmose inverse en soi. M. Inarejo conclut qu'une personne versée dans l'art en 1990 aurait compris, à la lecture du dernier paragraphe de la revendication 1, que le liquide ne pouvait que suivre le trajet décrit et que les différents composants indiqués aux alinéas 1a) à f) de la revendication doivent être disposés de manière à être conformes avec la direction de l'écoulement décrite.    De plus, M. Inarejo conclut qu'une personne versée dans l'art en 1990 aurait compris, à la lecture de l'alinéa 1 b) de la revendication du brevet'781, que seulement une pompe produisant une décharge radiale de 360 degrés pouvait être utilisée avec cette invention, ce qui exclut la pompe utilisée dans le système La Fendeuse.

Le droit en matière d'interprétation des revendications


[30]            La Loi ne définit pas ce qu'est la contrefaçon. Selon la jurisprudence, tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au breveté constitue une contrefaçon (Monsanto Canada Inc. C. Schmeiser, [2000] A.C.F. no 436, en ligne : QL, le juge MacKay au paragraphe 115; Visx Inc. C. Nidek Co., [1999] A.C.F. no 1971, en ligne : QL, le juge Dubé au paragraphe 107). La contrefaçon dans un cas particulier dépend alors de l'étendue du monopole statutaire que détient le breveté. Donc, afin d'évaluer si il y a contrefaçon, il faut d'abord délimiter le monopole statutaire conféré au breveté (Schmeiser v. Monsanto Canada Inc., [2002] A.C.F. no 1209 (C.F.A.) en ligne: QL, aux paragraphes 32 et 33). À cet effet je rappelle le passage du juge Dubé dans l'arrêt Visk, supra, au paragraphe 107 :

... La première tâche dans une question de contrefaçon est d'interpréter la revendication. Il incombe au breveté de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu contrefaçon. En examinant la contrefaçon, le tribunal doit garder à l'esprit les termes employés par le breveté pour énoncer sa revendication. Le libellé a été décrit comme une "borne" délimitant le champ intérieur qu'il cherche à protéger contre les empiétements et le champ extérieur où les autres sont libres de circuler.

[31]            Lorsqu'elle interprète la revendication du brevet, la Cour doit prendre une approche téléologique en fonction des propositions suivantes, telles que formulées par M. Le juge Binnie dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.S.C. 1024. Au paragraphe 31 de ses motifs il écrit :

[...]

a)             La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b)            Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité.

c)             La teneur d'une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet.

d)            Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme "l'esprit de l'invention" pour en accroître l'étendue.


e)             Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés:

(i)            en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

(ii)           à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii)          selon qu'il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l'emploi d'une variante d'un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l'invention, ou

(iv)          conformément à l'invention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications, [page 1044] qu'un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v)           mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur.

f)             Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[32]            Selon le juge Binnie, le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l'activité économique en général. Le breveté, les concurrents, les contrefacteurs éventuels et le public en général ont donc droit à des règles claires et précises définissant l'étendue du monopole accordé. C'est essentiellement pour ces motifs que la Cour suprême confirme la primauté de la teneur des revendications. L'interprétation « téléologique » des revendications assure qu'un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l'équité résulte de l'interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l'objet.


[33]            La Cour suprême prévoit donc une détermination des éléments essentiels et les éléments non essentiels de l'invention, qui ressortent de la teneur des revendications de la manière suivante :

                                (i)            En fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dan l'art dont relève l'invention.

(ii)           Ce qui constitue un élément 'essentiel' doit être déterminé en fonction des connaissances acquises dans le domaine à la date de la publication du mémoire descriptif.

(iii)          Il faut se demander s'il était manifeste, au moment où le brevet a été publié, que la substitution d'une variante modifierait le fonctionnement de l'invention.

[34]               Le juge Binnie dans l'arrêt Free World Trust, supra, s'est penché sur les trois questions concises suivantes, formulées par le juge Hoffman dans Improver Corp. c. Remington (Consumer Products Ltd.), [1990] F.S.R. 181, afin de déterminer si un élément est non-essentiel, et donc substituable :

(i)             La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

(ii)            Le fait que la variante n'influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l'invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l'affirmative :

(iii)           L'expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu'une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[35]            Enfin, le breveté a le fardeau de preuve d'établir une interchangeabilité connue et manifeste d'une variante dans la portée de la revendication à la date de la publication du brevet. Le juge Binnie aborde dans ce sens lorsqu'il écrit au paragraphe 57 de Free World Trust, supra, :


[...] À mon avis, dans Catnic et O'Hara, précités, les tribunaux ont eu raison d'exiger du breveté qu'il établisse une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, l'expression ou le mot descriptifs figurant dans la revendication doivent être considérés comme essentiels, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire.

[36]            Ma tâche est donc de déterminer, dans l'interprétation délibérée du brevet, les éléments cruciaux ou « essentiels » de l'invention revendiquée et ceux qui ne le sont pas. Cette détermination doit être fondée sur les principes susmentionnés d'interprétation des revendications. La revendication doit aussi être interprétée du point de vue d'un lecteur avisé qui prendrait connaissance de l'invention et des dessins à la date de la publication du brevet.

Quels sont les éléments essentiels?

[37]            Dans la présente instance, certains éléments ne font pas l'objet du litige. La pompe centrifuge à l'intérieur d'un caisson pressurisé et la voie qu'emprunte le liquide sont des éléments essentiels de l'invention. Ces éléments essentiels se retrouvent dans l'appareil décrit dans le brevet '781, le concentrateur Lapierre, et dans l'appareil nommé La Fendeuse. La question en litige est de savoir si la pompe centrifuge à « décharge radiale de 360 degrés » et la « direction de l'écoulement » du liquide dans le caisson pressurisé sont des éléments essentiels de l'invention. S'ils se révélaient essentiels, il n'y aurait alors aucune contrefaçon du brevet '781 puisque ces éléments ne sont pas présents dans le système La Fendeuse.


[38]            À titre préliminaire, l'avocat de la défenderesse soutient que l'écoulement du liquide n'est qu'une conséquence du mode de fonctionnement de la pompe centrifuge se trouvant à l'intérieur du caisson pressurisé et déclare donc qu'il n'y a, dans les faits, qu'un seul élément dont il faut débattre. Il est évident que le sens de l'écoulement du liquide le long de son trajet à l'intérieur du caisson pressurisé est essentiellement fonction de la façon dont le liquide est évacué de la pompe. S'il est évacué radialement, comme indiqué dans le brevet '781, le liquide suivra le trajet précis décrit dans la revendication 1 du brevet '781, car il est entraîné dans cette direction par ce type de pompe en particulier. Si le liquide s'évacue axialement, comme dans le cas du système La Fendeuse, le sens d'écoulement du liquide est nécessairement inversé correspondant au sens de la décharge propre à la configuration particulière de la pompe se trouvant à l'intérieur du caisson pressurisé. Il ne s'agit là que d'une question de pure physique. Compte tenu de la configuration des divers éléments revendiqués dans le brevet '781, si la pompe centrifuge à décharge radiale est jugée un élément essentiel, il s'ensuivra que le sens d'écoulement du liquide à l'intérieur du caisson pressurisé, qui est une conséquence physique du type de décharge de cette pompe en particulier, sera aussi un élément essentiel de l'invention. Pour les fins de mon analyse, je traiterai les deux éléments en question comme éléments distincts.

[39]            J'interpréterai donc la revendication 1 du brevet '781, conformément au droit en matière d'interprétation des revendications mentionné plus haut dans les présents motifs, dans le but de déterminer si la pompe centrifuge à « décharge radiale de 360 degrés » et le sens d'écoulement de la solution aqueuse entraînée à l'intérieur du caisson pressurisé sont des éléments essentiels de l'invention.


La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l'invention?


[40]            Les demandeurs ont le fardeau de démontrer que les deux éléments en question, qui ne se retrouvent pas dans La Fendeuse, sont non-essentiels. À cet égard, les demandeurs s'appuient sur la preuve de leur expert, le professeur Lebrun. Ce dernier affirme dans son rapport, « ...qu'il lui apparaît évident que l'inventeur entendait inclure cette variante dans le monopole. » Cependant, le professeur Lebrun n'explique pas d'avantage cette affirmation. Il déclare simplement que La Fendeuse « . ..accomplit la même fonction, de la même façon et avec les mêmes éléments mécaniques afin d'obtenir le même résultat » que l'appareil revendiqué à la revendication 1 du brevet '781, et que « ...seul le sens de la circulation du liquide a été inversé. » Le professeur Lebrun ne soutient pas son affirmation avec aucun fait précis relatif à l'état des connaissances dans ce domaine en 1990. Il fonde son opinion essentiellement sur l'essence de l'invention telle que décrite dans le mémoire descriptif sans se préoccuper du texte des 12 dernières lignes de la revendication 1 du brevet '781 qui traitent spécifiquement d'un sens précis de circulation. Cette approche va à l'encontre de la primauté de la teneur des revendications, tel que confirmé par la Cour suprême dans Free World Trust, supra, ou le juge Binnie écrit : « ...On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme l'esprit de l'invention pour en accroître l'étendue du monopole revendiqué. »    En plus, le professeur Lebrun, en contre-interrogatoire, admet que l'exigence d'une pompe à décharge radiale et un sens précis de circulation ressortaient de la revendication. Il reconnaît que les deux pompes ont des structures différentes et que La Fendeuse est munie d'une pompe qui « dans son ensemble » connaît une décharge axiale. Par contre, dans son rapport, il explique que cette différence n'a aucune incidence sur le fonctionnement de La Fendeuse. Il conclut « ...qu'il n'y a aucun avantage démontré des performances de l'appareil, qu'il n'y a aucun avantage énergétique étant donné les pertes dans le diffuseur additionnel » nécessaire pour re-diriger le liquide en direction axiale. Il ne voit aucune incidence sur le fonctionnement de La Fendeuse, qu'elle soit munie d'une pompe à décharge axiale et ne semble pas attaché d'importance au sens particulier du liquide dans l'appareil. Par ailleurs, en réplique, le professeur Lebrun décrit le genre de tests qui seraient nécessaires, selon lui, pour démontrer l'existence d'avantages fonctionnels propres au système employés dans La Fendeuse. Il admet n'avoir effectué aucun de ces tests.

[41]            Pour résumer, en ce qui a trait au témoignage du professeur Lebrun, je suis d'avis que deux facteurs minent la valeur probante de son opinion : le fait qu'il a omis de traiter explicitement un certain passage du texte de la revendication 1 du brevet '781 et le fait qu'il fonde son opinion sur l'essence de l'invention telle que décrite dans le mémoire descriptif sans tenir compte du langage des revendications.

[42]            La défenderesse s'appuie sur le témoignage de Jean-Marie Chabot et Martin Chabot afin de démontrer que La Fendeuse, comparativement à l'appareil breveté, procure une plus longue durée d'utilisation avant de nécessiter un lavage en profondeur et un débit généralement plus important, plus particulièrement lorsque la sève est près du point de congélation.


[43]            M. Jean-Marie Chabot témoigne avoir observé que La Fendeuse procurait plusieurs avantages fonctionnels non négligeables par rapport à l'appareil décrit au brevet '781. Il constate : (1) un meilleur débit en début de saison lorsque la sève est froide; (2) un débit plus important en tout temps; (3) la capacité de fonctionner plus longtemps avant de devoir effectuer un rinçage, ayant observé que La Fendeuse pouvait fonctionner une journée entière sans nécessiter de rinçage et que seul un lavage à la fin de la journée était nécessaire. Il a aussi observé que l'appareil du demandeur ne permettait qu'approximativement 5 heures d'opération avant de devoir faire au moins un rinçage. Selon son témoignage, un rinçage encourt l'arrêt des opérations de l'érablière.

[44]            Basé sur son expérience à l'érablière familiale, M. Jean-Marie Chabot affirme l'importance de concentrer et de bouillir la sève le plus rapidement possible afin de prévenir le développement de bactéries dans l'eau d'érable. Puisqu'il n'est pas possible d'arrêter le débit naturel d'eau d'érable, un débit moins important du concentrateur retarde le passage à l'évaporateur et permet donc aux bactéries de se développer. Selon M. Jean-Marie Chabot un débit moins rapide affecte non seulement la qualité du sirop et en conséquence le prix de vente, mais augmente aussi les heures de travail et donc les coûts d'opérations de l'érablière.


[45]            Les demandeurs questionnent la fiabilité des tests effectués par M. Jean-Marie Chabot et particulièrement son fils Martin. On prétend que les tests n'ont pas été effectués de façon scientifique et soulèvent la possibilité de résultats et de conclusions erronés. Je rejette ces prétentions. Il est vrai que les tests n'ont pas été effectués par des scientifiques dans le domaine. Malgré ce constat, et les problèmes soulevés par les demandeurs avec les tests effectués, j'accepte le témoignage de M. Jean-Marie Chabot et de son fils Martin. Les observations qui font l'objet de leur témoignage ne tombent pas dans le domaine d'une expertise particulière. À mon avis, ce sont des observations qui reflètent simplement le vécu quotidien de gens qui ont plusieurs années d'expérience dans l'exploitation d'érablières. En plus, je considère leur témoignage crédible. De surcroît, l'expert de la défenderesse, M. Inarejo, qui a examiné La Fendeuse, est d'avis que ce système offre certains avantages sur le système breveté. Selon lui, le fait de pousser le liquide directement dans la membrane accroît la turbulence, ce qui procure à la fois une meilleure performance générale et des lavages moins fréquents.

[46]            Les demandeurs ont également présenté le rapport de l'expert, M. Maurice Sydor, un ingénieur expérimenté dans la conception et la construction de systèmes de nanofiltration à membrane. La conclusion de M. Sydor est que la pompe utilisée dans le système breveté est plus efficace que la pompe utilisée dans le système La Fendeuse. Il explique qu'une pompe centrifuge qui évacue le liquide radialement est plus efficace qu'une pompe qui évacue le liquide axialement, car pour qu'il se produise une décharge axiale, le liquide doit être redirigé par le boîtier de la pompe, soit par le diffuseur. M. Sydor déclare qu'il y a toujours une perte d'énergie lorsque le liquide est redirigé. Il affirme aussi que la perte d'énergie est en fonction de la vitesse du liquide. Plus la vitesse est élevée, plus grande sera la perte d'énergie lorsque le liquide est redirigé et, selon M. Sydor, la vitesse est à son maximum lorsque le liquide quitte l'impulseur de la pompe. En contre-interrogatoire, M. Sydor a reconnu que le liquide était redirigé deux fois dans le système breveté, et qu'il se produisait chaque fois une perte d'énergie, alors que dans le système La Fendeuse, le liquide n'est redirigé qu'une seule fois à l'intérieur du boîtier. Compte tenu du témoignage de M. Sydor en ce qui concerne la perte d'énergie lorsque le liquide est redirigé, j'ai de la difficulté à accepter sa conclusion selon laquelle le système breveté est nécessairement plus efficace que La Fendeuse.


[47]            La défenderesse fait valoir que le mécanisme de pompage utilisé dans le système La Fendeuse est plus efficace parce qu'il pousse le liquide directement sur la membrane à une pression supérieure, créant plus de turbulence ce qui ralentit l'encrassement de la membrane. Cette position est appuyée par la preuve d'expert présentée par M. Inarejo. Les demandeurs ne contestent pas le point de vue exprimé par M. Inarejo selon lequel une pression plus élevée crée plus de turbulence, ce qui ralentit l'encrassement de la membrane. En conséquence, pour déterminer quel est l'appareil le plus efficace, il serait utile d'établir lequel des appareils imprime au liquide une vitesse, ou une pression, plus élevée au moment de la pénétration de la membrane.

[48]            La preuve n'établit pas incontestablement que la perte d'énergie attribuable à la redirection du liquide à l'intérieur du boîtier de la pompe de La Fendeuse est compensée par la perte d'énergie se produisant dans le système breveté en raison de la double redirection du liquide et de la longueur du trajet que le liquide doit franchir avant de pénétrer à travers la membrane.

[49]            Cependant, le témoignage de M.Sydor, l'expert des demandeurs, selon lequel le liquide atteint sa vitesse maximale lorsqu'il quitte le bord externe de l'impulseur de la pompe, n'a pas été réfuté. On peut donc en déduire raisonnablement que la perte d'énergie s'intensifiera plus le trajet du liquide sera long et plus le nombre de redirections du liquide sera élevé avant de pénétrer à travers la membrane. Je suis convaincu, sous ce rapport, qu'il se produit une perte n'énergie plus importante dans le système breveté.


[50]            Le liquide dans le concentrateur La Fendeuse n'est redirigé qu'une seule fois à l'intérieur du boîtier de la pompe pour ensuite pénétrer à travers la membrane sans devoir passer, en premier lieu, dans le canal de circulation. Dans le système breveté, cependant, le liquide est redirigé deux fois, entraînant une perte d'énergie chaque fois. Le liquide doit ensuite franchir tout le canal de circulation, soit la longueur totale du caisson pressurisé, avant de traverser la membrane. Par conséquent, même si je suis convaincu que la pompe elle-même est plus efficace dans le système breveté, c'est-à-dire qu'elle entraîne le liquide à plus grande vitesse lorsque ce dernier sort du boîtier de la pompe, je crois néanmoins que, selon la prépondérance des probabilités, la vitesse du liquide, au moment où il traverse la membrane, est plus élevée dans le système La Fendeuse que dans le système breveté. J'accepte la preuve d'expert de M. Inajero selon laquelle une pression supérieure sur la membrane ralentit l'encrassement de cette dernière. J'accepte aussi la conclusion selon laquelle cette caractéristique améliore l'efficacité du système La Fendeuse par rapport au système breveté puisqu'elle permet de réduire le nombre de rinçages qui nécessitent l'interruption des activités. Cette conclusion est confirmée par les observations liées à la preuve présentée par Jean-Marie et Martin Chabot qui a été examinée antérieurement dans les présents motifs et que je juge crédible.

[51]            Le breveté, par ailleurs, n'apporte aucune autre preuve convaincante à l'effet que les performances de la variante sont essentiellement les mêmes. Il faut rappeler que le fardeau de la preuve à cet égard repose toujours sur le breveté. À mon avis, les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer l'absence d'effets quant au fonctionnement de la variante.


[52]            L'ensemble de la preuve me permet de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la variante influence sensiblement le fonctionnement de l'invention décrite dans le brevet '781.

Aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine, que la variante n'influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l'invention?

[53]            La preuve me permet aussi de répondre dans la négative à la deuxième question formulée par le juge Hoffman dans Improver Corp., supra, à savoir; aurait-il été évident à la personne versée dans l'art, à la date de la publication du brevet, que la variante n'influencerait pas sensiblement le fonctionnement de l'invention. À cet égard, je préfère la preuve de l'expert M. Inarejo à celle du professeur Lebrun. Ce dernier n'offre aucune opinion ayant trait à une personne versée dans l'art à la date de la publication du brevet '781.

[54]            M. Inarejo, lui-même une personne versée dans l'art, ayant connu la variante à la date de la publication du brevet '781, en 1990, a témoigné que la variante était plus performante que le système breveté. Pour les motifs déjà exposés, j'accepte cette opinion. Je suis donc d'avis que la personne versée dans l'art à la date de la publication du brevet '781 en 1990, aurait conclu que la variante influence de façon appréciable le fonctionnement de l'invention.

Est-ce qu'à la lecture des portions pertinentes du texte de la revendication 1 du brevet '781, la personne versée dans l'art aurait considéré qu'une stricte adhésion au sens des mots choisis était désirée par l'inventeur?


[55]            Bien que les réponses données à ces deux dernières questions suffisent pour décider la question en litige, je vais néanmoins considérer la troisième question proposée par le juge Hoffman dans Improver Corp., supra, afin de déterminer si un élément est substituable et donc non-essentiel, à savoir : « ...L'expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu'une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l'invention? »

[56]            Les experts des demandeurs ne se prononcent pas sur cette question. Le professeur Lebrun admet, en contre-interrogatoire, ne pas avoir considéré les 12 dernières lignes de la revendication 1 du brevet '781 qui traite spécifiquement du sens de circulation du liquide à l'intérieur du caisson.

[57]            En 1990, l'expert de la défenderesse, M. Inarejo, a travaillé avec l'appareil breveté. Ce dernier indique qu'à la lecture de la revendication 1 du brevet '781, l'inventeur entendait restreindre son monopole à un sens précis de circulation du liquide dans le caisson. À son avis, rien dans le mémoire descriptif ne laisse entendre que l'inventeur envisageait une direction de circulation du liquide différente de celle spécifiquement revendiquée. Il affirme aussi que les mots choisis par l'inventeur de la revendication 1 du brevet '781 sont très explicites et décrivent une pompe à décharge radiale. Il conclut qu'une personne versée dans l'art ne pourrait que conclure qu'il était nécessaire, afin de fabriquer l'invention revendiquée au brevet '781, d'employer une pompe à décharge radiale et de prévoir un sens de circulation du liquide dans le caisson conforme à celui décrit dans la revendication.


[58]            En l'espèce la rédaction de la revendication 1 du brevet est claire et explicite. Je suis d'avis que l'inventeur, à la date de la publication du brevet, a voulu revendiquer une pompe qui décharge le liquide radialement à 360 degrés et dans un sens de circulation particulier. À cet égard je suis en accord avec l'avis exprimé par l'expert M. Inarejo. D'ailleurs, plusieurs passages du mémoire descriptif réfèrent à la pompe et à la direction de circulation du liquide et donc corroborent cette opinion. Les passages suivants du mémoire descriptif font implicitement référence à une pompe de configuration spécifique et à un sens précis de circulation à l'intérieur du caisson :

page 2 :            « Le but de cette invention est d'entourer la membrane d'osmose inverse ou d'ultra-filtration d'un espace de circulation et d'utiliser un mécanisme de pompage « spécial » pour que la solution aqueuse puisse suivre un trajet ininterrompu à l'intérieur du récipient primaire communément appelé caisson pressurisé. »

page 9 :            « Le fond de la base est perforée pour que la solution aqueuse pompée puisse être dirigée radialement vers l'extérieur depuis le centre de l'impulseur de la pompe. »

page 9 :            La face interne de cette plaque d'extrémité se présente sous la forme d'un demi-tore. Cette forme améliore les caractéristiques d'écoulement. Un mécanisme de retenue (17) a pour fonction de maintenir la pression sur le module de la membrane (13) de sorte que le module s'appuie fortement contre le boîtier de l'impulseur (9) et empêche l'infiltration de liquide sur le parcours normal du liquide. »

page 10 :          Le fonctionnement de base de l'appareil peut le mieux se décrire d'après le trajet qu'emprunte le liquide pendant un procédé type de séparation (ou de purification). Comme dans un appareil classique, le liquide pénètre sous pression dans le récipient (6) à travers l'orifice d'entrée (3). D'abord, le liquide remplit la cavité (40) et puis, à une pression donnée, la pompe de circulation s'enclenche. Le liquide remonte alors le long de la paroi (52) située entre la membrane et la face interne du caisson pressurisé jusqu'en haut du récipient et est alors aspiré (par le bas) à travers la membrane (13). Une partie seulement du liquide passe de l'autre côté de la membrane (13) créant ainsi deux flux. »

page 11 :          « ..qui permet un débit ascendant et, par conséquent, une recirculation du liquide qui passera du débit ascendant (52), à l'extérieur de la membrane (13), au débit descendant (53), à l'intérieur de la membrane (13). »


page 12 :          « Les flèches (52) indiquent le sens du débit à l'extérieur de la membrane, alors que les flèches (53) indiquent le sens du débit à l'intérieur de la membrane."

                                                                                                                           (Précision de ma part)

[59]            En l'espèce, l'inventeur a expressément choisi de décrire précisément quel devait être l'effet des composantes décrites dans la revendication 1 du brevet. Il a décrit de manière particulière la décharge que devait avoir la pompe centrifuge et le sens de circulation du liquide dans le caisson. Puisque l'inventeur contrôle la rédaction des revendications, il ne peut s'en prendre à lui-même s'il s'exprime mal ou crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe (O'Hara Manufacturing Ltd. C. Eli Lilly & Co., (1989) 26 C.P.R. (3d) 1, 7 (C.A.F., j. Pratte)).

[60]            Je ne peux modifier les termes spécifiques et clairs de la revendication sans élargir le monopole obtenu par l'inventeur à la date de la publication du brevet '781. Ce que l'inventeur a omis de revendiquer appartient au public.

[61]            La preuve me permet donc de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la personne versée dans l'art, à la date de la publication du brevet '781, conclurait malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu'une stricte adhésion au sens des mots choisis constituait une condition essentielle de l'invention. Ainsi, je réponds à la troisième question proposée par le juge Hoffman dans Improver Corp., supra, par l'affirmative.


Conclusion

[62]            Je conclus que les deux éléments qui font l'objet de cette action en contrefaçon, sont (1) la pompe centrifuge avec boîtier perforé sur sa circonférence conçue de telle façon afin d'assurer une décharge radiale de 360 degrés et (2) le sens précis de la circulation du liquide dans le caisson, sont des éléments essentiels de l'invention décrite au brevet '781. En raison de leur absence dans la variante, il ne peut y avoir contrefaçon. Donc, La Fendeuse, ne contrefait pas le brevet '781.

[63]            Puisqu'il n'y a pas contrefaçon, l'action en contrefaçon est rejetée avec dépens.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         L'action en contrefaçon est rejetée avec dépens.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                     Juge                  


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2371-00

INTITULÉ :                                        Donald Lapierre et al. c. Les Équipements d'érablière C.D.L. Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                20-23 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 8 avril 2004

COMPARUTIONS :

Me François Grenier et                                      POUR LE DEMANDEUR

Me Alain Dusseault

Me Julie Desrosiers                                                       POUR LE DÉFENDEUR

et Me Jean Philip Mikus

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Léger Robic Richard, s.e.n.c.                                         POUR LE DEMANDEUR

55, rue St-Jacques

Montréal (Québec) H2Y 3X3

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Bureau 3400-300, Place Victoria

Montréal (Québec) H4Z 1E9


COUR FÉDÉRALE

                                 Dossier :    T-2371-00

ENTRE :

                     DONALD LAPIERRE et

         LES ÉQUIPEMENTS LAPIERRE INC.

demandeurs

                                      - et -

           LES ÉQUIPEMENTS DRABLIÈRE

                                C.D.L. INC.

                                                             défenderesse

                                                                                   

                    MOTIFS DE JUGEMENT

                            ET JUGEMENT

                                                                                   


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