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Date : 20030527

Dossier : T-2280-01

Référence : 2003 CFPI 660

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                                 

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(FORCES ARMÉES CANADIENNES)

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                RAYMOND IRVINE

                                                                                                                                                      défendeur

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 23 novembre 2001 par Mme Shirish P. Chotalia, présidente du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Dans sa décision, le Tribunal a accueilli la plainte du défendeur, M. Raymond Irvine, selon laquelle les Forces armées canadiennes (FAC) l'avaient défavorisé en cours d'emploi en raison d'une invalidité, en l'occurrence une coronaropathie, ce qui est contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. Le Tribunal a statué que les FAC n'avaient pas prouvé que leurs normes médicales et d'aptitudes physiques constituaient une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au sens de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

FAITS

[2]                 Monsieur Irvine a joint les rangs des FAC en 1967. Il s'est enrôlé comme technicien en aéronautique. En 1991, il a été promu au grade d'adjudant (adj), grade qu'il a conservé jusqu'en 1996.

[3]                 En mars 1994, M. Irvine a eu une crise cardiaque et subi un pontage coronarien. En juillet 1994, il a été promu au grade d'adjudant-maître (adjum), sous réserve de la confirmation de sa cote médicale.


[4]                 Le personnel médical des FAC attribue à chaque membre des FAC une cote médicale qui indique au personnel administratif les restrictions à l'emploi, le cas échéant. Il existe six cotes médicales, dont seules les cotes G (géographique - les endroits où le membre peut travailler) et O (restrictions professionnelles) sont pertinentes en l'espèce. À chaque cote est attribué un chiffre de 1 à 6; plus le chiffre est élevé, plus les restrictions sont grandes. Pour le poste correspondant au code de groupe professionnel militaire 513 (technicien en aéronautique) qu'occupait M. Irvine, la restriction à l'emploi est une cote médicale G3O3.

[5]                 La cote médicale attribuée à M. Irvine, avant qu'il subisse sa crise cardiaque le 30 mars 1994, était G2O2, ce qui correspondait aux normes minimales pour son poste. Après sa crise cardiaque, sa cote a été temporairement abaissée à G4O4 afin que son état de santé se stabilise après l'intervention chirurgicale. Cet abaissement temporaire faisait en sorte que la cote médicale de M. Irvine se trouvait en deçà de la norme minimale pour son poste, soit G3O3. Au cours de la période d'environ seize mois pendant laquelle sa cote médicale était abaissée, M. Irvine a été examiné par divers médecins des FAC, après quoi sa cote médicale a été rehaussée à G4O3 en février 1995, puis à G3O3 le 14 juillet 1995.

[6]                 Après que M. Irvine eut informé son gestionnaire de carrière qu'il avait à ce moment la cote médicale minimale requise pour réintégrer son poste et obtenir sa promotion, sa cote médicale a été abaissée de façon définitive à G4O3 le 1er septembre 1995.


[7]                 Étant donné que la cote permanente de G4O3 attribuée à M. Irvine était en deçà de la cote médicale minimale requise pour le poste qu'il occupait, son dossier a été transmis au Conseil de révision des carrières (médical). Ce dernier examine tous les cas dans lesquels un conseil médical abaisse de façon définitive la cote médicale d'un membre en deçà du minimum acceptable pour sa classification ou son métier. Le Conseil de révision des carrières peut recommander le maintien du membre au poste actuel, avec ou sans restrictions applicables à la carrière, sa mutation à une autre unité ou un autre métier, ou sa libération.

[8]                 Le Conseil de révision des carrières a étudié le dossier de M. Irvine en avril 1996. Après avoir examiné les restrictions médicales établies par le Comité de la coronaropathie ainsi que les observations de M. Irvine et de son commandant, le Conseil de révision des carrières a approuvé sa libération en vertu du numéro 3(b) de l'article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux parce qu'il était invalide et inapte à remplir les fonctions de son métier ou de son emploi, soit celui de technicien en aéronautique, et qu'il ne pouvait pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des Forces armées. Le Conseil de révision des carrières a décidé que M. Irvine ne satisfaisait pas aux exigences d'universalité du service :

[Traduction] Le paragraphe 33(1) de la [Loi sur la défense nationale] prévoit que tous les membres des FC sont soumis à l'obligation de service légitime. Les restrictions applicables à l'emploi limitent considérablement la capacité du membre à exécuter l'éventail complet des tâches militaires générales et empêchent ce dernier de les exécuter dans un théâtre opérationnel. Les FC ont établi des EPJ pour les adj TECH AERO qui exécutent leurs fonctions dans un environnement tactique et en mer et accomplissent des tâches ardues. Étant donné que les restrictions applicables à l'emploi de l'adj Irvine l'empêchent de faire ce qui précède et que le RECL [reclassement] n'est pas une option, la libération est la seule solution possible. [Quartier général de la Défense nationale, Fiche de décision de carrière, dossier du demandeur, p. 323]

[9]                 Le 23 avril 1997, M. Irvine a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant que les FAC avaient fait preuve de discrimination à son égard en raison de son invalidité, ce qui est contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Sa plainte a été transmise au Tribunal canadien des droits de la personne.

[10]            Entre-temps, en août 2000, M. Irvine a eu une deuxième crise cardiaque.

[11]            Enfin, le 23 novembre 2001, après 19 jours d'audience, le Tribunal a rendu sa décision et statué que les FAC avaient fait preuve de discrimination contre M. Irvine en raison de son invalidité, en l'occurrence une coronaropathie. De plus, le Tribunal a statué que la discrimination ne pouvait être justifiée en vertu des paragraphes 15(1) et (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au motif que les normes médicales ne constituaient pas une exigence professionnelle justifiée. Même si les FAC avaient prouvé qu'il y avait un lien rationnel entre les normes et l'exécution de la tâche et que l'employeur les avait adoptées en croyant sincèrement qu'elles étaient nécessaires pour atteindre l'objectif lié à l'emploi, elles n'ont pu prouver que ces normes étaient raisonnablement nécessaires. Il a été jugé que les FAC n'avaient pas composé avec M. Irvine sans subir de contrainte excessive.

QUESTIONS

[12]            Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en concluant que les Forces canadiennes avaient l'obligation de composer avec ses membres sans subir de contrainte excessive, compte tenu du principe d'universalité du service?

[13]            Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en tirant des conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait?


NORME DE CONTRÔLE

[14]            La norme de contrôle qui s'applique à un tribunal des droits de la personne au sujet de questions générales de droit, y compris l'interprétation de la loi sur les droits de la personne, est la norme de la décision correcte. La norme de contrôle applicable à des conclusions de fait et à l'application de la loi à ces conclusions est le caractère raisonnable [Entrop c. Imperial Oil Ltd. (2000), 50 O.R. (3d) 18, aux pp. 35 et 36 (C.A.)].

ANALYSE

[15]            L'universalité du service est une expression désignant un ensemble de principes qui régissent l'emploi des membres des FAC. Les trois principes essentiels sont les suivants : 1) peu importe leur métier ou leur profession, les membres des FAC sont d'abord et avant tout des soldats, 2) le soldat doit être prêt à servir en tout temps, en tout lieu et dans toutes les conditions, 3) l'obligation est universelle en ce sens qu'elle s'applique à tous les membres des FAC. Les obligations générales d'un soldat sont énumérées aux articles 31 et 33 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, qui disposent :



31. (1) Le gouverneur en conseil peut mettre en service actif les Forces canadiennes ou tout élément constitutif, unité ou autre élément de ces forces, ou l'un de leurs officiers ou militaires du rang, n'importe où au Canada ou à l'étranger quand il estime opportun de le faire_:

a) soit pour la défense du Canada, en raison d'un état d'urgence;

b) soit en conséquence d'une action entreprise par le Canada aux termes de la Charte des Nations Unies, du Traité de l'Atlantique-Nord ou de tout autre instrument semblable pour la défense collective que le Canada peut souscrire.

33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

...

(4) Pour l'application du présent article, « _service_ » s'entend, outre des tâches de nature militaire, de toute tâche de service public autorisée sous le régime de l'article 273.6.

31. (1) The Governor in Council may place the Canadian Forces or any component, unit or other element thereof or any officer or non-commissioned member thereof on active service anywhere in or beyond Canada at any time when it appears advisable to do so

(a) by reason of an emergency, for the defence of Canada; or

(b) in consequence of any action undertaken by Canada under the United Nations Charter, the North Atlantic Treaty or any other similar instrument for collective defence that may be entered into by Canada.

33. (1) The regular force, all units and other elements thereof and all officers and non-commissioned members thereof are at all times liable to perform any lawful duty.

...

(4) In this section, "duty" means any duty that is military in nature and includes any duty involving public service authorized under section 273.6.


[16]            Le principe d'universalité du service est une politique controversée depuis le milieu des années 1980. Toutefois, en 1993 et 1994, dans la trilogie des arrêts Canada (Procureur général) c. St. Thomas et la Commission canadienne des droits de la personne (1993), 109 D.L.R. (4th) 671 (St. Thomas), Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées); Husband, mise en cause, [1994] 3 F.C. 188 (Husband), et Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 F.C. 228 (Robinson), la Cour d'appel fédérale a confirmé que l'universalité du service était une exigence professionnelle justifiée (EPJ). La Cour a aussi réitéré ce principe en 1996 dans Canada (Procureur général) c. Hébert et al. (1996), 122 F.T.R. 274 (sHébert).


[17]            La relation entre l'obligation d'accommodement et l'universalité du service s'est traduite par les modifications apportées en 1998 à la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne relative aux exclusions visant les actes discriminatoires. Bien qu'il ne s'applique pas en l'espèce parce que les décisions originales ont été rendues en 1995 et 1996, le paragraphe 15(9) établit une limite à l'obligation de démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne entraînent une contrainte excessive dans les cas concernant des membres des FAC :


15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires_:

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;...

(2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

...                               

(9) Le paragraphe (2) s'applique sous réserve de l'obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c'est-à-dire celle d'accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

15. (1) It is not a discriminatory practice if

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;...

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

...

(9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.



[18]            Pour ce qui est du paragraphe 15(9), le demandeur prétend que, même si cette disposition ne s'applique pas parce qu'elle n'existait pas au moment où il a été décidé de libérer M. Irvine, le Tribunal aurait dû reprendre la démarche qu'a élaborée la Cour d'appel fédérale dans les arrêts St. Thomas, Robinson et Husband. La Cour a statué que les normes médicales en cause étaient raisonnablement nécessaires pour assurer l'exécution efficace et économique des obligations militaires universelles. À ce titre, elles constituaient des EPJ et, comme il s'agissait de cas de discrimination directe, les FAC n'étaient pas tenues de composer avec les employés visés. La discrimination directe, telle qu'elle s'appliquait alors, s'exerçait dans le contexte d'un emploi lorsqu'un employeur adoptait une pratique ou une politique qui, à première vue, établit une distinction pour un motif interdit.

[19]            En 1999, La Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, aussi appelé Meiorin, soit le nom de la pompière qui avait porté plainte pour discrimination. Dans l'affaire Meiorin, la Cour suprême a établi une nouvelle façon de déterminer si une norme qui est discriminatoire à première vue peut être justifiée parce qu'elle constitue une EPJ. La Cour a décidé que, dans de tels cas, l'employeur doit d'abord prouver qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail, qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but professionnel légitime et, enfin, que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but professionnel légitime. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans contrainte excessive.


[20]            L'arrêt Meiorin a été suivi peu après par Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) (Grismer), [1999] 3 R.C.S. 868, où la Cour suprême a clairement dit que, « dans tous les cas » , il incombe à l'employeur de composer avec des personnes sans subir de contrainte excessive.

[21]            La question débattue par les parties et soumise à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si les arrêts Meiorin et Grismer ont touché et modifié l'application de la trilogie et du jugement Hébert.

[22]            D'une part, le demandeur fait valoir que la Cour suprême n'a examiné le principe d'universalité du service ni dans l'arrêt Meiorin ni dans l'arrêt Grismer, et que ce principe continue donc d'être pertinent pour ce qui est de savoir si une norme d'emploi militaire constitue une EPJ. Les FAC soutiennent que l'arrêt Meiorin ne contient rien qui exigerait que le Tribunal ne tienne pas compte du contexte militaire dans lequel les soldats doivent travailler. De plus, on a fait valoir que l'analyse de l'accommodement devrait se faire avec souplesse à la lumière du contexte et des circonstances particulières de chaque espèce.


[23]            D'autre part, la Commission défenderesse fait valoir que la trilogie de la Cour d'appel fédérale peut maintenant être distinguée sur la base des deux arrêts de la Cour suprême. Dans chacune des affaires de la trilogie, la Cour d'appel fédérale traitait de cas de discrimination directe dans lesquels, d'après l'analyse de la Cour suprême du Canada dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), 1990 2 R.C.S. 489 (Alberta Dairy Pool), l'employeur n'était pas tenu de prendre les mesures d'accommodement en raison de la disposition légale existante visant des EPJ. Toutefois, comme l'a allégué la Commission défenderesse, l'arrêt Meiorin a infirmé l'arrêt Alberta Dairy Pool et aboli la distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte, arguant ainsi que l'analyse de la trilogie est dépassée.

[24]            À ce stade-ci, la Cour doit décider si le Tribunal a appliqué à juste titre la nouvelle démarche proposée dans l'arrêt Meiorin à une situation de faits qui englobe le principe d'universalité du service et s'il a conclu à juste titre que les FAC doivent aussi, comme tout autre employeur, composer avec ses membres sans subir de contrainte excessive.

[25]            Le Tribunal a mentionné en passant le principe d'universalité du service comme il l'avait fait en 1996 au moment où la décision de libérer M. Irvine a été rendue. À mon avis, le Tribunal n'a pas reconnu la jurisprudence en vigueur à cette période, qui confirmait que l'universalité du service constitue une exigence professionnelle justifiée. Mais avant tout, le Tribunal n'a pas tenu compte du fait que cette jurisprudence portait sur l'interprétation d'une loi par la Cour d'appel fédérale. Le Tribunal devait tenir compte de la loi applicable en 1996 et décider s'il y avait eu discrimination directe contre M. Irvine et, dans l'affirmative, si la norme médicale exigée de lui était une exigence professionnelle justifiée dispensant les FAC de leur obligation d'accommodement.


[26]            En 1995 et 1996, lorsque les FAC ont pris les décisions concernant la carrière militaire de M. Irvine, elles se fondaient sur le droit énoncé par la Cour d'appel fédérale dans St. Thomas, Husband et Robinson, et par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité. À cette époque, il n'y avait pas d'obligation d'accommodement dans les cas de discrimination directe et, comme la politique des FAC était directement discriminatoire, les FAC n'étaient pas tenues de composer avec M. Irvine.

[27]            De plus, l'exigence qu'un membre soit obligé d'exercer des fonctions de combat ou soit un « soldat d'abord » a été reconnue comme une obligation légale, comme l'a statué le juge Stone dans l'arrêt Robinson :

La loi [la Loi sur la défense nationale] assujettissait M. Robinson à l'obligation d'exercer des fonctions de combat. Cette obligation est très bien comprise au sein des Forces armées. Les militaires qui exercent des rôles de soutien n'en sont pas exemptés. L'exécution de cette obligation ne dépend pas d'une « mutation » , notamment à un rôle de combat. Comme il était d'opinion contraire, le tribunal a rejeté l'argument du requérant et a conclu, à tort selon moi, que le requérant devait produire des éléments de preuve additionnels quelconques pour établir le nombre de militaires exerçant un rôle de soutien qui ont été mutés à des fonctions de combat pendant une certaine période. Cette opinion ne tient tout simplement pas compte du fait que cette obligation est édictée par la loi. Elle ne peut être modifiée par une pratique administrative. La loi a force obligatoire.

Cette citation a été suivie par mon collègue le juge Gibson dans l'affaire Hébert :

Pour paraphraser la conclusion tirée par le juge Stone dans Robinson, la Loi sur la Défense nationale est impérative et l'intimée Hébert aurait été « soldat avant autre chose » . Dans ces conditions, la norme d'acuité visuelle représente une exigence professionnelle justifiée au regard du critère du « risque suffisant » pour Hébert elle-même, pour ses compagnons d'armes au sein des FAC et pour le public. En conséquence, le refus par les FAC de poursuivre l'instruction de sa candidature après avoir constaté qu'elle ne satisfaisait pas à la norme minimale d'acuité visuelle sans verres correcteurs des FAC ne vaut pas pratique discriminatoire.


[28]            Par conséquent, selon la trilogie de jugements qui s'appliquait en 1996, le principe d'universalité du service exigeait que chaque membre des FAC soit en tout temps apte à exercer des fonctions de combat. Par la suite, ce principe a été reconnu par le législateur dans les modifications qu'il a apportées en 1998 à la Loi canadienne sur les droits de la personne, par l'ajout du paragraphe 15(9).

[29]            Le Tribunal a appliqué correctement l'arrêt Meiorin rétroactivement, mais il a omis de l'analyser dans le contexte du principe d'universalité du service, dont la Cour d'appel fédérale a jugé que la source législative se trouvait dans la Loi sur la Défense nationale. La brièveté des commentaires du Tribunal me préoccupe, et j'estime qu'il ne traite pas suffisamment de la question. Je cite la seule observation qu'a faite le Tribunal sur la disposition légale relative aux EPJ :

[104] La Cour fédérale, dans sa fameuse trilogie remontant à 1993-1994, a statué que l'universalité du service exigeait que chaque membre des FAC soit en tout temps apte à participer au combat même si le membre a d'autres fonctions. (...)

[105] Étant donné qu'il n'aura peut-être pas accès à un médecin, le militaire ne doit pas être soumis à des restrictions professionnelles qui, dans le cas où il lui faudrait avoir accès à des soins médicaux, compromettraient la réussite de l'opération ou la sécurité de sa personne ou de ses collègues. La Cour a invoqué la Loi sur la défense nationale à l'appui de ses verdicts. La LDN précise que les militaires sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime et peuvent être obligés de rendre des services en cas de catastrophe nationale. Dans un jugement dissident, le juge Robertson a conclu que la LDN n'exige pas que tous les membres livrent combat, qu'ils sont soumis uniquement à l'obligation de service légitime, et que la LDN permet aux FAC d'adopter une politique pour déterminer les obligations légitimes qui peuvent être imposées à leurs membres. Il a confirmé la décision du tribunal de première instance en l'espèce tout en précisant que la politique du « soldat d'abord » n'a pas été adoptée et appliquée uniformément aux membres des FAC. (...)


[30]            Je suis au courant des mesures récentes prises par les FAC dans leur interprétation et leur application du principe d'universalité du service. En 1999, les FAC ont réexaminé ce principe à la lumière de l'arrêt Meiorin et proposé que chaque norme liée à l'universalité du service doit non seulement être objectivement et raisonnablement nécessaire mais aussi prévoir des mesures d'accommodement des personnes sans subir de contrainte excessive. Après cet examen, les FAC ont rajusté leur politique en 2000, prévoyant qu'à l'avenir elles prendraient des mesures d'accommodement raisonnables pour les membres dont les restrictions médicales à l'emploi font en sorte qu'ils contreviennent au principe d'universalité du service.

[31]            Je suis conscient que les FAC ont pris l'initiative de modifier leurs politiques en réponse aux arrêts récents Meiorin et Grismer. Toutefois, ces modifications n'existaient pas au moment de la décision. Je crois que les modifications apportées à la politique n'étaient pas destinées à s'appliquer rétroactivement mais qu'elles devaient plutôt s'appliquer à partir du moment où elles ont été apportées.

[32]            En conclusion, je crois que le Tribunal aurait dû examiner, dans son analyse et son application de l'arrêt Meiorin, l'intention du législateur et l'interprétation judiciaire de la loi établissant et mettant en oeuvre le principe d'universalité du service au moment de la décision en 1996. Ne pas l'avoir fait équivaut, à mon avis, à une erreur de droit susceptible de révision.

[33]            Pour ce qui est des erreurs de faits alléguées, point n'est besoin d'en traiter parce que j'ai décidé de renvoyer l'affaire au Tribunal pour qu'il la réexamine à la lumière des observations susmentionnées.

[34]            Étant donné les détails spécifiques des litiges, je ne vois aucun motif valable justifiant l'adjudication des dépens et, en conséquence, il n'y en a pas.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour une nouvelle décision, et ce, sans adjudication de dépens.

« Simon Noël »

           

ligne             Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      T-2280-01

INTITULÉ :                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(FORCES ARMÉES CANADIENNES)

c.

RAYMOND IRVINE et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L'AUDIENCE :             OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :            LE 9 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE S. NOËL

DATE DES MOTIFS :                   LE 27 MAI 2003

COMPARUTIONS :

Me J. SANDERSON GRAHAM POUR LE DEMANDEUR

Me PATRICK O'ROURKE                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE

M. RAYMOND IRVINE                                                     LE DÉFENDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me MORRIS ROSENBERG                                                POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Me PATRICK O'ROURKE                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)                                                        COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

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