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Date : 19990310


Dossier : 98-T-57


Entre :


MAGNOTTA WINERY CORPORATION,

MAGNOTTA WINES LTD.,

MAGNOTTA WINERY ESTATES LIMITED,

MAGNOTTA CELLARS CORPORATION,

MAGNOTTA VINEYARDS LTD.,

MAGNOTTA DISTILLERY LTD.,

MAGNOTTA VINTNERS LTD.

et MAGNOTTA WINERY (TORONTO) LTD.,


demanderesses,


- et -


VINTNERS QUALITY ALLIANCE OF CANADA,


défenderesse.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE REED


[1]      Il s'agit d'une demande de prorogation de délai ayant pour but de permettre le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire. Subsidiairement, une demande est faite en vertu de l'article 54 des Règles de la Cour fédérale pour obtenir des directives concernant la procédure que les demanderesses devraient suivre. La décision dont on demande le contrôle est celle qu'a prise le registraire des marques de commerce le 11 mai 1998. Il a accepté, aux termes du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, le terme ICEWINE comme marque officielle utilisée par la Vintners Quality Alliance (VQA). Cette décision a été suivie par la publication, dans le Journal des marques de commerce du 27 mai 1998, de l'avis indiquant que le terme ICEWINE avait été adopté et était employé comme marque officielle par la VQA.

[2]      Le paragraphe pertinent de la Loi sur les marques de commerce dispose que personne ne peut utiliser une marque qui est adoptée et employée par une autorité publique comme marque officielle pour des marchandises ou services à l'égard duquel le registraire a donné un avis public d'adoption et d'emploi :

9(1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :
[...]
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :
(i) adopté ou employé par l'une des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,
(ii) d'une université,
(iii) adopté ou employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,
à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi ;

[3]      Il est indiscutable que la décision du registraire intéresse les demanderesses et qu'elle leur a fait subir un préjudice. Cinq des compagnies Magnotta fabriquent et vendent du icewine. Une sixième a l'intention de le faire dans un proche avenir. Une septième compagnie fabrique un produit d'alcool distillé, le Icegrappa, qui est fait à partir de raisins icewine. La demanderesse Magnotta Winery Corporation contrôle les autres demanderesses et est à son tour contrôlée par Magnotta Family Holdings, une société privée contrôlée par M. Magnotta et son épouse. Depuis sa création, Magnotta Winery Corporation est membre de la VQA et continue de l'être. Les demanderesses seront collectivement désignées ci-après sous le nom de Magnotta.

[4]      Certaines dispositions permettent de continuer d'employer une marque officielle malgré son adoption par une autorité publique. Néanmoins, la décision du registraire porte atteinte à la capacité des demanderesses de vendre leur icewine par le réseau de la Régie des alcools de l'Ontario de même qu'à la capacité d'expansion du groupe. Les demanderesses affirment que Magnotta était le leader sur le marché canadien dans la production et la vente du icewine au moment de la demande de marque officielle et elles allèguent que la demande présentée par la VQA pour « faire inscrire » le nom ICEWINE comme étant sa marque officielle cache en fait l'intention du concurrent de Magnotta (Inniskilin) de reprendre la part du marché qu'il détenait auparavant (Inniskilin est la propriété de Vincor International Inc. qui dominerait, avec la compagnie Andres Wines, la VQA).

[5]      J'aborde maintenant les événements qui ont conduit à « l'inscription » du terme ICEWINE comme marque officielle de la VQA. Un peu avant septembre 1997, la VQA a présenté une demande pour faire inscrire le terme ICEWINE comme marque de commerce (marque de certification) - demande no 0835,778. M. Magnotta a été informé de cette demande et son avocat a écrit le 17 septembre 1997 à l'avocat de la VQA pour lui faire savoir que la marque ne pouvait pas être inscrite parce qu'elle était purement descriptive et que personne ne pouvait s'approprier l'emploi exclusif de ce mot pas plus qu'on ne pourrait s'approprier l'emploi exclusif de mots comme « variétal » , « chardonnay » ou « cabernet » . La lettre indiquait que Magnotta avait l'intention de s'opposer à la demande de marque de commerce.

[6]      Le 15 octobre 1997, l'avocat de Magnotta a de nouveau écrit à l'avocat de la VQA pour confirmer qu'il avait été informé la veille par ce dernier que la demande de marque de commerce pour le terme ICEWINE avait été suspendue étant donné que l'examinateur des marques de commerce avait soulevé certaines objections. L'avocat de Magnotta a de nouveau rédigé une lettre le 20 octobre 1997 indiquant qu'il porterait les objections de Magnotta à l'attention de l'examinateur des marques de commerce.

[7]      En fait, l'examinateur avait déjà, bien avant le 15 octobre 1997, informé l'avocat de la VQA que le mot ICEWINE ne pouvait pas être inscrit parce qu'il s'agissait du nom d'un type de vin et du nom de marchandises. La demande de marque de commerce pour le mot ICEWINE a expiré le 26 octobre 1997.

[8]      Le 26 novembre 1997, l'avocat de la VQA a déposé une demande pour que le registraire donne un avis public aux termes du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce attestant que la VQA avait adopté et employait le mot ICEWINE comme marque officielle pour des marchandises ou services.

[9]      Contrairement à une demande de marque de commerce, il n'est pas obligatoire d'annoncer publiquement qu'une demande a été présentée au registraire pour la publication d'un avis d'adoption et d'emploi d'une marque officielle. Malgré l'opposition expresse de Magnotta à l'inscription du mot ICEWINE comme marque de commerce, et le fait que Magnotta était membre de la VQA, ni la VQA, ni l'avocat de celle-ci n'ont informé Magnotta qu'une demande d'inscription de marque officielle avait été présentée. En outre, le bureau du registraire n'a pas non plus donné d'avis. Magnotta n'était donc pas au courant de la demande faite par la VQA, elle n'a pas eu la possibilité de déposer son opposition et elle n'a été informée de la décision du registraire d'accorder la demande de la VQA le 21 août 1997 que lorsque la VQA a annoncé dans un communiqué en date du 20 août 1998 que le mot Icewine était maintenant sa marque officielle et que [TRADUCTION] « l'octroi de la marque de commerce pour le mot Icewine [est] une étape très positive pour la protection des consommateurs et des établissements vinicoles » .

[10]      Comme il a déjà été noté, l'avis exigé aux termes du sous-alinéa 9(1)n)(iii) a été publié dans le Journal des marques de commerce le 27 mai 1998. Manifestement, ni Magnotta ni son avocat n'ont eu connaissance de cet avis. L'avocat de Magnotta a écrit à l'avocat de la VQA, le 2 septembre 1998 et de nouveau le 10 septembre 1998, pour exprimer son opposition aux mesures qui avaient été prises et à la position de la VQA selon laquelle elle avait le droit d'imposer la marque officielle ICEWINE comme sa marque de commerce.

[11]      La lettre du 2 septembre 1998 déclare que la marque est le nom descriptif d'un produit, et non pas une marque officielle et que, de toute façon, la VQA n'est pas une autorité publique. L'affidavit de M. Magnotta indique que la VQA est une association commerciale privée à l'intérieur de laquelle les votes sont répartis selon la part de marché globale respective de ses membres et qu'elle est contrôlée par Vincor International Inc. et par Andres Wines Ltd. Il déclare que ses décisions sont prises au profit de ses membres, et non au profit du public. La lettre du 2 septembre 1998 se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]
[...] Le mot « icewine » est un mot anglais ordinaire qui décrit purement et simplement le produit en question et qui est défini comme suit dans le Canadian Oxford Dictionary (1998) :
« vin très sucré typiquement canadien, fait à partir de raisons mûrs que l'on récolte gelés et qui le sont toujours au moment de la pression. Vin semblable produit en Californie à partir de raisins gelés artificiellement (en allemand : eiswein) » .
Contrairement à votre note, Magnotta ne considère pas comme une mesure positive le fait que la VQA ait adopté le mot ICEWINE comme marque officielle. De l'avis de Magnotta, cela représente une appropriation manifestement injustifiée par la VQA d'un terme appartenant à une catégorie de produits génériques dans l'industrie de la fabrication du vin.
En outre [...]
a)      la VQA n'est pas une « autorité publique » et n'a pas le droit de demander une marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) (et non pas en vertu du sous-alinéa (ii) comme vous l'indiquez dans votre note). Pour être plus précis, et contrairement aux affirmations que vos avocats (Deeth Williams Wall (dans leur lettre datée du 30 avril 1998 adressée au Bureau des marques de commerce) et vous-mêmes (dans votre lettre du 14 novembre 1997 adressée au Bureau des marques de commerce) avez faites :
(i)      la VQA n'a aucune obligation envers le public et ses activités sont exercées au profit de ses membres. Il s'agit d'une association commerciale privée qui fonctionne comme un cartel. Comme le vote des membres de la VQA est proportionnel à leur part du marché, la VQA n'est que l'instrument des grands établissements vinicoles ontariens, qui s'assurent que la VQA poursuit des objectifs privés.

[12]      La lettre du 10 septembre 1998 réitérait l'objection de Magnotta aux mesures qui avaient été prises et à la position de la VQA selon laquelle celle-ci avait le droit de contrôler la marque officielle ICEWINE à titre de marque de commerce. La lettre réitérait la position de Magnotta qui soutient qu'il s'agit en fait d'une pratique commerciale restrictive.

[13]      Le 3 novembre 1998, l'avocat de Magnotta a écrit à l'avocat de la VQA et à la VQA elle-même pour les informer que, ne recevant aucune réponse à sa lettre du 2 septembre 1998, Magnotta lui avait donné instruction de contester devant la Cour fédérale l'inscription de la marque officielle ICEWINE par la VQA. Simultanément, l'avocat de Magnotta avouait son incertitude quant à la procédure exacte à suivre et précisait que l'une des solutions était d'intenter trois instances séparées en vertu de différentes dispositions législatives, mais qu'il était aussi possible de demander des directives sur la façon de procéder en vertu de l'article 54 des Règles de la Cour fédérale.

[14]      L'avocat de la VQA a répondu de la façon suivante : (1) Magnotta ne pouvait invoquer l'article 57 pour faire radier une marque officielle du registre parce que cette marque ne figurait pas au registre ; (2) elle n'avait pas de droit d'appel concernant la décision du registraire en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce parce qu'elle n'était pas partie à la décision du registraire et que, de toute façon, le délai pour interjeter appel était expiré ; (3) Magnotta ne pouvait demander le contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale parce qu'elle n'avait pas d'intérêt légal dans la décision au moment où celle-ci a été prise et que, de toute façon, le délai prévu pour déposer une telle demande était expiré.

[15]      Devant moi, l'avocate de la VQA a prétendu que la Cour n'avait pas compétence aux termes de l'article 54 pour donner le type de directives que l'avocat de Magnotta demande étant donné que la Règle 54 ne peut être utilisée que pour donner des directives en vertu des Règles, et non pas pour conseiller un avocat quant à la manière dont il devrait mener sa cause. Elle notait qu'il n'est pas rare qu'une partie ait recours à une procédure non appropriée pour faire valoir sa réclamation et qu'elle se rende compte à la toute fin qu'elle a emprunté la mauvaise voie. Je note également que, même si dans de nombreuses circonstances une personne pourrait tout simplement ignorer les protestations d'un détenteur d'une marque officielle, s'exposant ainsi à des poursuites juridiques dans le cours desquelles la légalité de la marque officielle pourrait être contestée, en l'espèce, ce sont les mesures des tiers (par exemple la R.A.O.) qui feront subir un préjudice aux demanderesses, et qu'il se pourrait que la VQA n'ait jamais à poursuivre Magnotta pour faire valoir les droits qu'elle affirme.

[16]      Je conviens avec l'avocate de la VQA que la Règle 541 ne semble pas envisager le genre de directives que recherche l'avocat de Magnotta. La Règle fait référence à des « directives sur la procédure à suivre dans le cadre des présentes règles » . Cela ne semble pas englober des directives précisant s'il faut procéder par appel en vertu de la Loi sur les marques de commerce ou par voie de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale.

[17]      Néanmoins, il faut répondre à la question de l'avocate de la VQA étant donné que, dans le moyen qu'elle a invoqué, savoir que la Cour ne devrait pas accorder de prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, elle fait valoir que la procédure de contrôle judiciaire n'est pas appropriée parce que, selon l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale2, lorsqu'une loi fédérale prévoit qu'il peut être interjeté appel, on ne peut demander un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1. Cette prétention est un peu déroutante étant donné que l'avocate fait valoir à l'appui de cet argument qu'il est possible d'interjeter appel de la décision du registraire en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, mais que les demanderesses en l'espèce ne peuvent s'en prévaloir parce qu'elles n'étaient pas parties à la décision du registraire. Si la procédure d'appel ne peut être utilisée par ces demanderesses, alors la décision n'est pas assujettie à un appel et l'article 18.5 ne s'applique pas.

[18]      Toutes les parties s'entendent pour dire que les demanderesses ne peuvent invoquer l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce pour faire radier le mot ICEWINE du registre. La marque ne figure pas au registre. La section 2 de la Loi sur les marques de commerce définit le mot « registre » comme signifiant le registre tenu selon l'article 26 de la Loi. L'article 26 fait référence à un registre constitué uniquement de marques de commerce qui n'inclut pas les marques officielles. Je cite R. Hughes et T. Ashton dans leur ouvrage Hughes on Trade Marks, aux pages 453 et 454 :

[TRADUCTION]
Il est peu probable qu'une marque visée à l'article 9 puisse être révoquée au moyen d'une action intentée devant les tribunaux étant donné que la Loi ne contient aucune disposition prévoyant la révocation d'une telle marque.

[19]      Il n'est pas si certain que les demanderesses puissent interjeter appel en s'appuyant sur l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Le paragraphe 56(1) dispose comme suit :

56.(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.
56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[20]      Dans la décision Association olympique canadienne c. USA Hochey Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 348 (C.F. 1re inst.), à la page 350, le juge en chef adjoint Jerome déclarait qu'aucune disposition n'autorisait la révocation d'une marque officielle, ni l'annulation de la décision du registraire de donner un avis public d'adoption et d'emploi d'une marque officielle. Toutefois, il précise que « la seule voie de recours qui était ouverte à la demanderesse en ce qui concerne la décision du registraire, en supposant qu'elle avait qualité pour agir, était d'interjeter appel » . On trouve une déclaration semblable dans la décision Association olympique canadienne c. USA Basketball, [1997] A.C.F. no 825 (13 juin 1997), paragraphe 7. Par ailleurs, dans l'extrait tiré de l'ouvrage Hughes on Trade Marks, aux pages 453 et 454, à la note 27, les auteurs indiquent qu'à leur avis ces déclarations sont erronées étant donné qu'il n'y a pas de procédure concernant un avis visé à l'alinéa 9(1)n) dont une personne autre que la personne qui demande cet avis pourrait interjeter appel3.

[21]      J'aborde maintenant le contrôle judiciaire qui est un recours prévu dans la Loi sur la Cour fédérale :

18.(1) Subject to section 28, the Trial Division has exclusive original jurisdiction
(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and
...
18.1(1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought. [Underlining added.]

18.(1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a
compétence exclusive, en première instance, pour :
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral ;

         ...

18.1 Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande. [C'est moi qui souligne.]

[22]      L'article 28 n'est pas pertinent en l'espèce. L'avocate de la VQA fait valoir que Magnotta ne peut demander le contrôle judiciaire de la décision du registraire parce qu'elle n'est pas [TRADUCTION] « directement touchée par la question au sujet de laquelle la réparation est demandée » . Les décisions dans Pharmascience Inc. c. Canada (Commissaire des brevets), [1998] A.C.F. no 1735 (26 novembre 1998) et Cangene Corp. c. Eli Lilly and Co. et al. (1995), 63 C.P.R. (3d) 377 (C.F. 1re inst.) ont été citées à l'appui de cette position.

[23]      Les décisions Pharmascience et Cangene traitent de questions très différentes de celles qui sont soulevées en l'espèce. L'affaire Pharmascience traitait de deux décisions prises par le commissaire des brevets pour autoriser Searle à déposer une demande de brevet tardivement et ensuite à modifier cette demande. L'affaire Cangene traitait d'une décision du commissaire des brevets de délivrer un brevet à Eli Lilly. Dans l'affaire Pharmascience, la Cour a statué que Pharmascience n'était qu'indirectement touchée par les décisions d'autoriser Searle à déposer tardivement sa demande de brevet et à la modifier parce que les décisions en question créaient simplement une situation qui pouvait peut-être toucher Pharmascience. La Cour notait également que Pharmascience avait un recours en vertu de la Règle 10 des Règles sur les brevets, qui l'autorisait à contester l'octroi du brevet à Searle. En outre, Pharmascience pouvait contester le brevet en intentant une action en déclaration d'invalidité après la délivrance du brevet. De même, dans l'affaire Cangene, la société pouvait contester l'interprétation donnée par le commissaire du paragraphe 39(1) de la Loi sur les brevets et le brevet qui avait été délivré à Eli Lilly en intentant une action en déclaration d'invalidité. En l'espèce, les demanderesses ont un intérêt plus direct dans la décision qui a été prise et, apparemment, il n'y a pas de mécanisme pour contester cette décision à l'exception soit d'un appel fondé sur l'article 56, soit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1.

[24]      Que les demanderesses doivent interjeter un appel en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, ou procéder par voie de contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, je suis disposée à leur accorder une prorogation de délai pour leur permettre d'intenter l'instance. Il est clair que les demanderesses ont toujours eu l'intention de contester les tentatives de la VQA d'adopter le mot ICEWINE comme sa marque de commerce, et qu'elles auraient également contesté l'acceptation par le registraire de la marque officielle de la VQA si elles avaient été au courant de la demande de la VQA. Je ne qualifierais pas le fait que Magnotta n'ait pas pris connaissance de l'avis de publication dans le Journal des marques de commerce du 27 mai 1998 comme un « manque de vigilance » comme le soutient l'avocate de la VQA. La VQA a, dans une certaine mesure, eu recours à un subterfuge pour demander et obtenir la publication de l'avis d'adoption et d'emploi du mot ICEWINE comme sa marque officielle, sans en aviser Magnotta. Ce n'est pas tout le monde ni tous les avocats qui vérifient continuellement les publications dans le Journal des marques de commerce, particulièrement s'ils n'ont aucune raison de soupçonner que ce journal peut renfermer des renseignements qui les concernent ou qui concernent la situation de leurs clients ; si la VQA n'est pas une autorité publique, l'avocat de Magnotta ne pouvait pas s'attendre à y trouver ce genre de renseignement. Il est indiqué que les avis dans ce journal sont des avis publics adressés à tous, mais il faut certainement qu'il existe une probabilité raisonnable que la personne à qui l'avis est ainsi donné s'attend à trouver des renseignements pertinents à sa situation dans le journal avant qu'elle puisse supposer qu'il s'agit d'un avis qui s'adresse à elle.

[25]      Les demanderesses ont agi de façon assez rapide après avoir été informées de la décision du registraire, même si au début elles ont simplement invité la VQA à prendre des mesures volontaires pour régler les différends entre elles. Finalement, les demanderesses subiront un préjudice considérable si elles ne peuvent contester la décision.

[26]      Je conclus que les demanderesses ont fait la preuve de leur intention continue de contester la délivrance à la VQA de droits de marque de commerce (ou de marque officielle) concernant le mot ICEWINE. Elles ont fourni une explication raisonnable pour leur retard, elles ont agi avec diligence après avoir été informées de la décision, elles subiront un préjudice si la décision est maintenue, et elles ont une cause défendable à faire valoir. Les exigences énoncées dans l'arrêt Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985) 63 N.R. 106 (C.A.F.) sont donc respectées.

[27]      Je reviens à la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire est de toute façon la procédure appropriée. D'après ce que je comprends, d'autres demandeurs ont intenté des actions par voie d'appel fondé sur l'article 56 (par exemple, dans le dossier T-2127-98). Comme il a été noté ci-dessus, il n'est pas certain que ce soit là la procédure appropriée. Il est certain qu'une demande de contrôle judiciaire est une procédure qui sied bien à une situation dans laquelle aucun avis n'a été donné à une partie intéressée et je note que les tribunaux ont intégré implicitement de telles exigences dans les procédures législatives quand celles-ci n'étaient pas exigées par la loi. L'avocat des demanderesses est d'avis qu'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 est le recours juridique le plus approprié. Il ne fait aucun doute que ce n'est pas la présente Cour qui se prononcera sur la procédure appropriée. Cette décision appartient à la Cour d'appel. Toutefois, il peut être justifié d'intenter les deux instances simultanément. Dans la mesure où il est nécessaire d'avoir un intérêt légal pour déposer une demande de contrôle judiciaire, je ne suis pas convaincue que seules les parties qui ont participé à la procédure qui a mené à la décision dont on demande le contrôle ont un tel intérêt. Il en est ainsi à tout le moins lorsque la personne intéressée n'a pas obtenu d'avis ou n'a pas eu la possibilité de participer à la procédure.

[28]      Pour les raisons énoncées ci-dessus, la prorogation de délai qui était demandée pour intenter une procédure de contrôle judiciaire est accordée.

                                 « B. Reed »

                            

                             Juge


TORONTO (ONTARIO)

le 10 mars 1999


Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier


Nos DU GREFFE :              98-T-57
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MAGNOTTA WINERY CORPORATION,
MAGNOTTA WINES LTD., MAGNOTTA
WINERY ESTATES LIMITED, MAGNOTTA
CELLARS CORPORATION, MAGNOTTA
VINEYARDS LTD., MAGNOTTA
DISTILLERY LTD., MAGNOTTA VINTNERS
LTD. et MAGNOTTA WINERY (TORONTO) LTD.
- et -
VINTNERS QUALITY ALLIANCE
OF CANADA
DATE DE L'AUDIENCE :      LE LUNDI 22 FÉVRIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE REED

DATE :                  LE MERCREDI 10 MARS 1999

ONT COMPARU :              A.B. Schwisberg
pour les demanderesses
A. Thomas
pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Schwisberg & Company
Avocats et procureurs
809-2001, avenue Sheppard est
North York (Ontario)
M2J 4Z8

                                 pour les demanderesses

Deeth Williams Wall

                             Avocats et procureurs

                             Édifice de la Banque Nationale

400-150, rue York
Toronto (Ontario)
M5H 3S5

                                 pour la défenderesse


COUR FÉDÉRALE DU CANADA





Date : 19990310


Dossier : 98-T-57


Entre :


MAGNOTTA WINERY CORPORATION, MAGNOTTA WINES LTD., MAGNOTTA WINERY ESTATES LIMITED, MAGNOTTA CELLARS CORPORATION, MAGNOTTA VINEYARDS LTD., MAGNOTTA DISTILLERY LTD., MAGNOTTA VINTNERS LTD. et MAGNOTTA WINERY (TORONTO) LTD.,


demanderesses

- et -

VINTNERS QUALITY ALLIANCE OF CANADA,


défendresse.





MOTIFS DE L'ORDONNANCE

__________________

1

    
54. A person may at any time bring a motion for directions concerning the procedure to be followed under these Rules.


54. Une personne peut présenter une requête à tout moment en vue d'obtenir des directives sur la procédure à suivre dans le cadre des présentes règles.

2

    
18.5 Notwithstanding sections 18 and 18.1 where provision is expressly made by an Act of Parliament for an appeal as such to the Court, to the Supreme Court of Canada, to the Court Martial Appeal Court, to the Tax Court of Canada, to the Governor in Council or to the Treasury Board from a decision or order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with the Act.


18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1 lors qu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l'impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d'une décision ou d'une ordonnance d'un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

3          [TRADUCTION] Ces décisions laissent entendre qu'un appel pourrait être interjeté d'une décision de publier un avis d'adoption de telles marques. Toutefois, nous croyons qu'elles sont erronées étant donné qu'il n'y a pas de procédure concernant un tel avis au Bureau des marques de commerce dont une personne autre que la personne qui demande l'avis pourrait interjeter appel.

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