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Date : 20020820

Dossier : IMM-445-02

Référence neutre : 2002 CFPI 893

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 20 août 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                         ISRAEL AGUIRRE FLORES

                                                    et OMAR AGUIRRE BARRERA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Les demandeurs, MM. Aguirre Flores et Aguirre Barrera, des cousins, sont des citoyens du Mexique. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, le 3 janvier 2002, de leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.


CONTEXTE

[2]                 MM. Aguirre Flores et Aguirre Barrera prétendent craindre avec raison d'être persécutés au Mexique du fait de leurs prétendues opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, à savoir la famille d'une personne soupçonnée d'être un sympathisant des Zapatistes.

[3]                 La SSR a considéré que les demandeurs étaient crédibles et dignes de foi. M. Aguirre Flores a déclaré être venu à la rescousse de son frère Mario en 1994, lequel s'était évadé du lieu de détention où il avait été sévèrement battu par des membres de l'armée mexicaine à cause de son appartenance ou de son soutien présumés au mouvement zapatiste.

[4]                 Près de trois ans plus tard, en novembre 1996, M. Aguirre Flores, après avoir été pris pour son frère Mario par l'armée mexicaine, a été détenu, battu et interrogé au sujet de l'endroit où se trouvait son frère, avant d'être relâché. Par suite de cet incident, M. Aguirre Flores et son frère Mario ont déménagé dans différentes provinces du Mexique en janvier 1997. En 1999, Mario s'est enfui au Canada où il a revendiqué et obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]                 Le 20 décembre 2000, un soldat s'est présenté au lieu de travail de M. Aguirre Flores pour s'enquérir de son adresse. Une fois mis au courant, M. Aguirre Flores s'est réfugié d'abord chez sa nièce et, ensuite, chez son cousin, M. Aguirre Barrera. Il a finalement quitté le Mexique pour venir au Canada le 23 janvier 2001.

[6]                 Le 29 janvier 2001, des agents du bureau du procureur général, dirigés par un certain commandant Martinez, se sont rendus chez M. Aguirre Barrera et l'ont interrogé au sujet de M. Aguirre Flores et de Mario. Le mois suivant, le commandant Martinez et des officiers armés sont entrés de force dans la maison de M. Aguirre Barrera pour savoir où se trouvaient M. Aguirre Flores et Mario et où étaient cachés des armes et de la drogue. Ils ont perquisitionné la maison de M. Aguirre Barrera; ils ont battu ce dernier et son partenaire masculin après n'avoir rien trouvé d'incriminant. M. Aguirre Barrera a été mis en état d'arrestation. On l'a harcelé verbalement au sujet de son orientation sexuelle, et il a été battu, torturé et interrogé sans relâche au sujet de Mario et de M. Aguirre Flores. Le commandant Martinez a extorqué à M. Aguirre Barrera le titre de propriété de sa voiture. M. Aguirre Barrera a ensuite comparu devant le tribunal, qui l'a mis en liberté sous caution.

[7]                 Le commandant Martinez a tenté par la suite, en menaçant M. Aguirre Barrera et son partenaire, d'extorquer à M. Aguirre Barrera des renseignements confidentiels sur les clients de la banque pour laquelle il travaillait. M. Aguirre Barrera ayant refusé de fournir les renseignements demandés, il a de nouveau été battu et torturé. Il a alors pris la décision de quitter le Mexique et de venir au Canada, où il est arrivé le 30 mars 2001.

DÉCISION DE LA SSR


[8]                 Bien qu'elle ait trouvé les deux demandeurs crédibles et dignes de foi, la SSR n'a pas reconnu qu'il existait un lien entre leur crainte de persécution et l'un des motifs énoncés dans la Convention, parce que les agents de persécution étaient des membres corrompus de l'armée mexicaine, et non l'armée elle-même. Les demandeurs avaient donc été victimes d'actes criminels. La SSR était d'avis que les demandeurs avaient l'obligation de demander la protection de l'État et qu'ils auraient raisonnablement pu l'obtenir. De plus, en ce qui a trait à M. Aguirre Barrera, la SSR a souscrit à son témoignage portant sur son orientation sexuelle, mais elle a conclu qu'il ne craignait pas avec raison d'être persécuté pour ce motif.

ANALYSE

[9]                 L'avocat du ministre a reconnu que les demandeurs n'avaient pas été choisis au hasard pour cibles par les autorités militaires. Il ressort de la preuve non contredite que les demandeurs ont d'abord été pris pour cibles en raison de leurs rapports avec Mario, lequel était soupçonné d'avoir des liens avec les Zapatistes. M. Aguirre Flores a déclaré dans son témoignage que, lors de sa première arrestation, il avait été interrogé sur l'endroit où se trouvait Mario et sur les personnes qui faisaient passer des armes au Chiapas et aux Zapatistes. De son côté, M. Aguirre Barrera a indiqué dans son témoignage qu'il avait été interrogé sans relâche sur Mario, sur M. Aguirre Flores, sur la drogue et sur les armes quand le commandant Martinez l'a arrêté la première fois.

[10]            Les deux avocats ont reconnu qu'il faut, en droit, qu'un lien suffisant puisse être établi au soutien d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention lorsque les motifs de persécution sont mixtes, mais liés, au moins partiellement, à un motif énoncé dans la Convention.

[11]            La SSR a néanmoins fondé sa conclusion concernant l'absence de lien sur les témoignages de Mario et de M. Aguirre Flores selon lesquels ils croyaient que les membres de l'armée qui étaient à la recherche de ce dernier en décembre 2000 étaient probablement des membres corrompus de l'armée impliqués dans des activités criminelles, et sur le témoignage de M. Aguirre Barrera selon lequel il était la cible de policiers corrompus qui étaient à la recherche de M. Aguirre Flores. La SSR a conclu que « le motif de ces éléments particuliers de l'armée n'est pas clair » .

[12]            Dans l'affaire Shahiraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 453; [2001] A.C.F. no 734, M. le juge McKeown a écrit ce qui suit au paragraphe 19 :

Il n'appartient pas à la Commission de fonder sa décision sur la question de savoir si le demandeur a établi un lien avec la Convention quant à la croyance subjective des présumés persécuteurs eux-mêmes, particulièrement étant donné que les présumés persécuteurs ne sont évidemment pas présents à l'audience devant la Commission et ne peuvent pas témoigner de leur propre état d'esprit. De plus, rien ne dépend de l'opinion du demandeur quant aux croyances subjectives de ses présumés persécuteurs. Cet élément de preuve n'est qu'une opinion qui ne démontre pas que la police ne croyait pas que le demandeur était lié au mouvement militant en Inde.

[13]            Je souscris à ces principes qui s'appliquent également en l'espèce.


[14]            En outre, en se fondant simplement sur les suppositions des demandeurs pour comprendre les motifs pour lesquels ils étaient persécutés, la SSR a omis de prendre en compte ou d'analyser la preuve documentaire dont elle disposait et qui indiquait qu'au Mexique les représentants de l'État ont la réputation de porter de fausses accusations de trafic d'armes et de drogue dans le but de persécuter de présumés Zapatistes. Ce sont sur ces accusations mêmes que les demandeurs ont été soi-disant interrogés par les autorités militaires.

[15]            Par conséquent, en omettant d'analyser les éléments de preuve documentaire, qui étaient pertinents au regard du témoignage des demandeurs, en se fondant sur les suppositions des demandeurs quant à la croyance subjective de leurs prétendus persécuteurs et en ne considérant pas que les motifs de persécution pouvaient être mixtes, la SSR a commis des erreurs lorsqu'elle a tiré sa conclusion concernant l'absence de lien. Ces erreurs justifient que la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire.

[16]            Il est vrai que la SSR a conclu à l'existence d'une protection adéquate de l'État, mais cette conclusion était fondée sur les conclusions qu'elle a tirées relativement à l'absence de lien et sur le fait que les demandeurs avaient simplement été victimes de membres corrompus de l'armée impliqués dans des activités criminelles, de sorte qu'elle est insuffisante pour maintenir la décision.

[17]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de décider si la SSR a commis aussi une erreur quant à la question de l'existence d'un lien entre la crainte de persécution de M. Aguirre Barrera et un motif énoncé dans la Convention du fait de son orientation sexuelle.

[18]            Les avocats n'ont proposé aucune question à des fins de certification, de sorte qu'aucune question n'est certifiée.


                                           ORDONNANCE

[19]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 3 janvier 2002 est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue sur elle d'une façon qui n'est pas incompatible avec les présents motifs.

                                                                              « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                             Juge                        

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                         IMM-445-02

INTITULÉ :                                                        ISRAEL AGUIRRE FLORES et OMAR AGUIRRE BARRERA c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 13 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Madame le juge Dawson

DATE :                                                                 Le 20 août 2002

COMPARUTIONS :

Bediako K. Buahene                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Banafsheh Sokhansanj                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bediako K. Buahene                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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