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     Date : 19980424

     T-521-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

     Action réelle contre le M.V. Prince Nova et action personnelle contre la NFL Holdings, personne morale, et C. Mitchell McLean         

E n t r e :

     JOHN AMIRAULT et

     WILLIAM COXON,

     demandeurs,

     et

     LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE M.V. PRINCE NOVA, la NFL Holdings, personne morale (action

     personnelle), et C. Mitchell McLean (action personnelle),

     défendeurs.

     LA COUR, STATUANT SUR la requête présentée par les défendeurs en vue d'obtenir une ordonnance radiant la présente action au motif que la Cour n'a pas compétence sur l'action ou que celle-ci constitue un abus de procédure ou, à titre subsidiaire, une ordonnance de jugement sommaire;

     APRÈS AVOIR entendu les avocats des parties à Halifax le 15 avril 1998, date à laquelle la Cour a sursis au prononcé du jugement, et après examen des observations qui ont alors été faites et après examen des actes de procédure et des affidavits qui ont été versés au dossier;

     APRÈS AVOIR conclu :

     i)      que la demande introduite par les demandeurs contre les défendeurs, les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le M.V. Prince Nova (le navire) et la NFL Holdings Ltd. est essentiellement une demande de dommages-intérêts pour inexécution d'un contrat dont les modalités sont contestées et qui concerne la vente du navire après le 21 juin 1997, date à laquelle le navire a fait l'objet d'une promesse de vente à un tiers, et que cette demande relève de la compétence de la Cour selon l'alinéa 22(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée;
     ii)      que la demande introduite par les demandeurs contre le défendeur C. Mitchell McLean pour atteinte fautive aux relations économiques des demandeurs avec des tiers ou pour incitation fautive d'un tiers ou de la défenderesse la NFL Holdings Ltd. ou des deux à ne pas respecter leurs présumées ententes avec les demandeurs ne relève pas de la compétence de la Cour;
     iii)      qu'il y a des questions sérieuses à instruire dans l'action intentée par les demandeurs au sujet de l'entente qu'ils auraient conclue avec la défenderesse NFL Holdings Ltd. relativement à la vente du navire :

     O R D O N N A N C E

     1.      ACCUEILLE la requête des défendeurs en partie et RADIE l'action personnelle introduite par les demandeurs contre le défendeur C. Mitchell McLean et ORDONNE aux demandeurs de modifier leur déclaration en conséquence;
     2.      REJETTE la requête des défendeurs à tous autres égards;
     3.      DIT que les dépens suivront le sort du principal.

     W. Andrew MacKay

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980424

     T-521-98

     Action réelle contre le M.V. Prince Nova et action personnelle contre la NFL Holdings, personne morale, et C. Mitchell McLean         

E n t r e :

     JOHN AMIRAULT et

     WILLIAM COXON,

     demandeurs,

     et

     LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE M.V. PRINCE NOVA, la NFL Holdings, personne morale (action

     personnelle), et C. Mitchell McLean (action personnelle),

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      La Cour est saisie d'une requête présentée par les défendeurs en vue d'obtenir certaines mesures préliminaires subsidiaires qui auraient pour effet de mettre fin aux actions introduites par les demandeurs et à opérer la mainlevée de la saisie du navire défendeur. Ils sollicitent d'abord une ordonnance radiant l'action des demandeurs au motif qu'elle ne relève pas de la compétence de la Cour, selon l'article 419 des Règles, ou qu'elle constitue un abus de procédure. À titre subsidiaire, si la Cour conclut qu'elle a effectivement compétence sur les actions intentées par les demandeurs, les défendeurs sollicitent une ordonnance en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant en vertu de l'article 432.1 des Règles l'action des demandeurs au motif que les actes de procédure et la preuve ne démontrent pas l'existence d'une question sérieuse à instruire.

[2]      Le prononcé d'une décision favorable aux défendeurs sur l'une ou l'autre de leurs requêtes subsidiaires a pour effet de mettre fin au litige. Ma première conclusion est que l'objet de l'action intentée par les demandeurs contre la défenderesse NFL Holdings Ltd (la NFL) et le navire relève de la compétence de la Cour, mais que l'action personnelle intentée contre le défendeur C. Mitchell McLean ne relève pas de la compétence de la Cour. Ainsi, la requête en radiation de l'action n'est accueillie qu'en partie, c'est-à-dire qu'en ce qui a trait à la seconde demande. L'action des demandeurs n'est donc pas irrecevable en tant qu'abus de procédure. J'estime en outre que l'autre demande que les demandeurs ont introduite contre la défenderesse la NFL n'est pas mal fondée au point que le prononcé d'un jugement sommaire en vertu de l'article 432.1 des Règles serait justifié à cette étape-ci.

[3]      Avant de passer à l'exposé des motifs de ces conclusions, il est essentiel de relater brièvement la genèse de l'instance. Je passerai ensuite à la question de la compétence de la Cour et au moyen tiré de l'abus de procédure, pour terminer par la demande de jugement sommaire.

Genèse de l'instance

[4]      La défenderesse NFL est la propriétaire inscrite du Prince Nova (le navire), et C. Mitchell McLean est le président directeur général de la NFL, une personne morale constituée sous le régime des lois de l'Île-du-Prince-Édouard dont le siège social est situé à Charlottetown.

[5]      Le navire est un navire canadien enregistré sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9. Le navire a été saisi en vertu d'un mandat délivré par la Cour à la suite de la demande présentée par les demandeurs au moment du dépôt de leur déclaration dans le présent dossier le 26 mars 1998 à Halifax.

[6]      Au printemps 1997, la NFL a formé l'intention de vendre le navire et a communiqué avec plusieurs courtiers maritimes pour qu'ils l'aident à trouver un acheteur pour le Prince Nova. L'un de ces courtiers a présenté le demandeur John Amirault, un homme d'affaires de la région de Halifax, à qui s'est joint par la suite le demandeur William Coxon, un homme d'affaires de Colchester, en Ontario. Ces deux hommes ont entamé des négociations avec la NFL au sujet de la vente du navire.

[7]      Les négociations initiales comportaient une proposition faite par MM. Amirault et McLean en vue de céder à MM. Amirault et Coxon un contrat de courtage exclusif qui, selon ce qu'Amirault supposait, existait déjà. Cette proposition a amené McLean à répondre par télécopieur le 18 avril, ou peu de temps après cette date, que [TRADUCTION] " Nous [la NFL] ne sommes pas intéressés à vous accorder des droits exclusifs sur ces traversiers. Le M.V. Prince Nova a déjà été offert à d'autres personnes ".

[8]      Le 23 avril 1997, Amirault a écrit à McLean pour confirmer les conversations téléphoniques qui avaient eu lieu, ainsi que [TRADUCTION] " notre entente verbale " qui prévoyait notamment que le M.V. Prince Nova était offert en vente, à un prix d'un million de dollars US et que la NFL confirmait le versement d'une commission de cinq pour cent sur le prix final si une vente devait être conclue avec un vendeur présenté par Amirault.

[9]      Les pourparlers qui se sont poursuivis entre Amirault et McLean ont amené le premier à rédiger le 21 mai 1997 une lettre dans laquelle il a précisé les modalités d'une option d'achat du navire, option qui était accordée au [TRADUCTION] " groupe Amirault/Coxon/Palmeter " au prix d'un million de dollars US. La lettre précisait que le groupe Amirault avait d'excellentes perspectives de vente, qu'il prendrait des dispositions en vue de faire inspecter le navire avec la collaboration de la NFL et qu'après cette inspection, le groupe Amirault négocierait et conclurait un contrat de vente avec l'acheteur final. La somme finale qui serait versée à la NFL correspondrait au prix précisé dans la lettre du 21 mai diminué d'une commission de vente de cinq pour cent qui serait versée au groupe Amirault. McLean a par la suite signé cette lettre pour le compte de la NFL en précisant qu'il en acceptait les conditions sous réserve toutefois de la condition suivante, que McLean a ajoutée à la main : [TRADUCTION] " Le contrat devra être signé dans les 30 jours suivant le 22 mai 1997 ".

[10]      Aucun contrat de vente du navire n'a été signé et le groupe Amirault n'a présenté aucun acheteur éventuel dans le délai précisé par McLean dans la condition supplémentaire qu'il a ajoutée à la lettre du 21 mai. Par la suite, le 2 juillet 1997, McLean a, pour le compte de la NFL, écrit à Amirault pour l'informer que la NFL estimait que l'option de 30 jours sur le M.V. Prince Nova avait expiré le 21 juin, qu'en date du 2 juillet, Amirault n'avait pas proposé à des acheteurs éventuels de visiter le navire ou donné d'autres indices permettant de croire qu'il avait un [TRADUCTION] " acheteur en chair et en os ". NFL précisait également dans cette lettre qu'elle n'accordait pas [TRADUCTION] " d'exclusivité sur le navire " à Amirault, mais qu'elle [TRADUCTION] " accueillerait favorablement toute offre d'achat que vous pouvez nous soumettre ", mais que le navire serait vendu selon le principe du " premier arrivé, premier servi ".

[11]      En réponse à cette lettre, Amirault a écrit le 10 juillet 1997 à McLean pour l'informer que trois groupes s'étaient sérieusement montrés intéressés à visiter le navire. Le 24 juillet, McLean a, pour le compte de la NFL, écrit une lettre pour confirmer les dispositions prises par téléphone en vue de permettre à un acheteur éventuel de visiter le navire à Caribou, en Nouvelle-Écosse le 29 juillet. La lettre confirmait également que :

     [TRADUCTION]         
     Il est mutuellement convenu que nous sommes ouverts à des négociations sur le prix d'un million de dollars et que la commission minimale de cinq pour cent et toute prime relative au prix négocié dont nous discuterons après la visite vous sont garantis.         

[12]      À la suite de sa visite du navire, l'acheteur éventuel en question, Cross Sound Ferry Services, Inc. (Cross Sound), une société constituée en personne morale aux États-Unis, a communiqué avec la NFL au milieu du mois d'août 1997 pour lui indiquer qu'elle était intéressée à acheter le navire. Elle a offert 1,4 millions de dollars US sous réserve de certaines conditions qui devaient être respectées. La Cross Sound a indiqué que, même si elle reconnaissait que le groupe Amirault était le courtier de la NFL, elle préférait traiter directement avec la NFL.

[13]      À la fin du mois d'août, McLean a informé Amirault des négociations directes entamées avec la Cross Sound. Il a précisé que les négociations traînaient en longueur. Amirault était préoccupé par les négociations directes et, le 6 septembre 1997, il a écrit à McLean une lettre à laquelle il a joint un projet de contrat de vente du navire de la NFL à la Coxon Service Limited, une compagnie dont le siège social est situé à Windsor (Ontario). Le projet de contrat prévoyait que cette vente était assujettie à la condition que la Coxon Services signe un contrat de vente du navire en faveur d'un tiers. Ce sont les opérations que le groupe Amirault envisageait relativement à la vente du navire. Le projet de contrat n'intéressait pas la NFL. Sauf en ce qui concerne le délai d'un mois prévu au contrat aux termes de la lettre du 21 mai 1997, la NFL nie que de telles dispositions aient été envisagées et affirme qu'aucune option d'achat n'a été offerte au groupe Amirault après le 21 juin 1997.

[14]      Le 17 octobre 1997, Amirault a écrit à la NFL pour l'informer de l'intérêt manifesté par deux autres acheteurs éventuels au sujet du navire et pour lui demander de confirmer que le navire était toujours offert en vente. Il a été informé par téléphone puis par une lettre en date du 27 octobre écrite par McLean que la NFL avait signé une option ferme et irrévocable assortie d'une importante somme versée à titre d'arrhes en vue de la vente du navire au prix de 1,4 millions de dollars US, somme sur laquelle la NFL verserait à Amirault la commission convenue de cinq pour cent sur le montant total, sous réserve de la signature du contrat de vente. L'option en question était accordée à la Cross Sound et elle a effectivement été signée le 28 octobre 1997. Elle conférait à la Cross Sound une option d'achat formelle sur le navire.

[15]      Amirault a écrit à la NFL le 29 octobre 1997 pour lui exprimer ses réserves au sujet des échanges directs intervenus entre la NFL et la Cross Sound. Elle a affirmé que cette façon de procéder n'était pas conforme aux dispositions en vue de la vente [TRADUCTION] " que nous avions prises avec vous " par l'intermédiaire de Coxon. Le lendemain, il a écrit de nouveau à la NFL pour lui rappeler l'existence d'autres acheteurs éventuels pour le cas où l'entente relative à l'option consentie à la Cross Sound ne serait pas respectée.

[16]      Par lettre en date du 26 mars 1998, la Cross Sound a écrit à la NFL pour l'aviser qu'elle levait son option d'achat du navire. Le même jour, les demandeurs ont introduit la présente action en déposant leur déclaration et le même jour, à leur initiative, le navire a été saisi. Voici quelques extraits de la déclaration :

     [TRADUCTION]         
     9.      Le 21 mai 1997, ou vers cette date, la défenderesse NFL Holdings Ltd. a accordé aux demandeurs une option d'achat de 30 jours du navire mv Prince Nova au prix de 1 000 000 $ US diminué d'une commission de vente de cinq pour cent en cas de vente du navire par un mandataire.         
     10.      Il a toutefois été convenu par les parties et stipulé dans une entente datée du 21 mai 1997 que les demandeurs ne lèveraient leur option d'achat au prix proposé qu'après avoir signé un contrat prévoyant la revente subséquente du navire à un tiers avec lequel les demandeurs négocieraient et concluraient un contrat de vente directement. Pour être clair, il a été convenu que les demandeurs concluraient ce contrat de vente subséquent pour leur propre compte, et non à titre de mandataires de la NFL Holdings Ltd.         
     11.      L'option de 30 jours est finalement devenue caduque. La NFL Holdings Ltd. a toutefois informé les demandeurs qu'elle examinerait quand même toute offre d'achat que les demandeurs lui soumettraient, mais qu'elle ne pourrait leur accorder aucune exclusivité et que le navire défendeur serait vendu au premier acheteur qui se présenterait.         
     12.      Grâce à leurs démarches et à leurs relations, les demandeurs ont trouvé un tiers acheteur éventuel intéressé à acheter le navire défendeur et ont pris des dispositions avec la NFL Holdings Ltd. en vue de permettre à ce tiers acheteur de visiter le navire.         
     13.      Si, après cette visite, ils jugeaient le navire défendeur satisfaisant, les tiers acheteurs étaient disposés à signer des contrats de vente officiels en vue de se porter acquéreurs du navire au prix de 1,85 millions de dollars (US).         
     14.      Les tiers acheteurs ont jugé le navire défendeur satisfaisant, mais après l'inspection, pour des raisons qui ne sont devenues évidentes qu'avec le recul, ils ont tardé à prendre des dispositions en vue de signer avec les demandeurs des contrats de vente officiels du navire défendeur aux conditions qui avaient été discutées.         
     15.      Les demandeurs ont par la suite découvert qu'après l'inspection du navire par le tiers acheteur, la NFL Holdings Ltd. avait entamé des pourparlers avec eux en vue d'acheter le navire défendeur directement à la NFL Holdings Ltd.         
     16.      Peu de temps après avoir été mis au courant des pourparlers entrepris entre le tiers acheteur et la NFL Holdings Ltd., les demandeurs ont été informés par la NFL Holdings Ltd. que, malgré l'intention des parties suivant laquelle le navire devait être vendu aux demandeurs au prix proposé pour être ensuite revendu au tiers acheteur, la NFL Holdings Ltd. avait signé une option ferme et irrévocable avec le tiers, qui lui avait versé une somme importante à titre d'arrhes, en vue de vendre le navire mv Prince Nova au prix de 1,4 millions de dollars (US). La NFL Holdings a informé les demandeurs qu'elle leur verserait une commission de cinq pour cent sur le prix d'achat intégral, sous réserve uniquement de la levée de l'option.         
     17.      Lorsque les demandeurs se sont opposés au fait que la NFL Holdings Ltd. avait conclu une entente directement avec les tiers acheteurs, leur causant ainsi une perte financière, la NFL a répondu en informait les demandeurs qu'elle n'était alors plus disposée à leur verser la commission de vente qu'elle leur avait offerte.         
     18.      Les demandeurs affirment que le défendeur C. Mitchell McLean a porté illégalement atteinte à leurs relations économiques avec le tiers acheteur en négociant directement avec lui et qu'il a illégalement incité le tiers acheteur, la NFL Holdings Ltd., ou les deux, à ne pas respecter les ententes qu'ils avaient conclues avec les demandeurs.         
     19.      Les demandeurs affirment qu'en raison des agissements de la NFL Holdings Ltd. et de C. Mitchell McLean, ils ont perdu les profits prévus de la vente du navire défendeur, le mv Prince Nova.         
     20.      Les demandeurs réitèrent ce qui précède et affirment qu'ils ont un droit sur le produit de la vente du navire défendeur.         
     21.      Les demandeurs réitèrent ce qui précède et réclament solidairement aux défendeurs ce qui suit :         
         a)      la somme de 900 000 $ (US), qui correspond à la différence entre le prix de vente prévu convenu par les demandeurs et le tiers acheteur du navire défendeur, le mv Prince Nova, et le prix d'achat de ce navire convenu entre les demandeurs et la défenderesse NFL Holdings Ltd. (diminuée de cinq pour cent);         
         b)      des dommages-intérêts spéciaux, au sujet desquels des précisions seront fournies au procès ou avant la tenue de celui-ci;         
         c)      les intérêts avant jugement;         
         d)      toute taxe applicable;         
         e)      les dépens;         
         f)      toute autre réparation que la Cour estimera bon d'accorder.         

[17]      Dans la défense qu'ils ont déposée le 1er avril 1998, les défendeurs nient en bloc toutes les allégations qui précèdent comme si chacune était énoncée, contestée et niée individuellement. Les défendeurs plaident en outre notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     6.      Pendant la période de 30 jours du 22 mai 1997 au 21 juin 1997, la NFL a accordé une option d'achat du navire à un groupe représenté par MM. Amirault et Coxon. Cette option a expiré sans avoir été levée et sans que MM. Amirault ou Coxon aient présenté d'acheteurs éventuels à la NFL.         
     7.      Par suite de l'expiration de l'option de 30 jours, MM. Amirault et Coxon ont continué à agir comme courtier non exclusifs relativement aux démarches entreprises pour vendre le navire. En cette qualité, M. Amirault ou M. Coxon ou l'un et l'autre ont trouvé la Cross Sound Ferry Services, Inc. (Cross Sound) comme acheteur éventuel intéressé à acheter le navire et ont pris des dispositions avec la NFL pour que des représentants de la Cross Sound visitent le navire. Après cette visite, la Cross Sound a communiqué directement avec la NFL pour réitérer son intérêt à se porter acquéreur du navire et pour discuter de l'éventualité de conclure un contrat de vente du navire. La Cross Sound a précisé que c'était M. Amirault qui était le courtier avec lequel elle avait fait affaire.         
     8.      Les pourparlers échangés entre la NFL et la Cross Sound se sont soldés par la signature d'un contrat d'option en date du 28 octobre 1997. Ce contrat, conclu entre la NFL et la Cross Sound, accordait à celle-ci une option officielle d'achat du navire. La Cross Sound a levé son option par lettre en date du 26 mars 1998.         
     9.      Hormis l'option de 30 jours mentionnée au paragraphe 6 qui précède et le contrat d'option conclu le 28 octobre 1997 entre la NFL et la Cross Sound dont il est question au paragraphe 7 qui précède, la NFL n'a jamais et d'aucune façon limité son droit de vendre le navire à l'acheteur de son choix. Exception faite du droit d'acquérir le navire entre le 22 mai et le 21 juin 1997 qu'elle a accordé en vertu de l'option mentionnée au paragraphe 6, droit que les demandeurs n'ont pas exercé, les demandeurs n'avaient aucun droit de se porter acquéreurs du navire et leur rôle se limitait à celui de courtiers.         
     10.      La NFL n'a violé aucune des ententes qu'elle avait conclues avec les demandeurs, et C. Mitchell McLean n'a pas porté illégalement atteinte à leurs relations économiques avec Cross Sound ou illégalement incité la Cross Sound ou la NFL Holdings Ltd. à ne pas respecter les ententes qu'ils avaient conclues avec les demandeurs. Ni la Cross Sound ni la NFL Holdings Ltd. n'a conclu avec les demandeurs d'autres ententes que celles qui ont déjà été explicitement exposées.         
     11.      Les défendeurs affirment que les demandeurs n'ont subi aucune perte de profits prévus que celle-ci soit alléguée dans la déclaration ou ailleurs.         

Compétence de la Cour et moyen tiré de l'abus de procédure

[18]      Les défendeurs insistent pour dire que le seul moyen qui est formulé aux paragraphes 18, 19 et 21 de la déclaration concerne l'atteinte illégale portée par le défendeur McLean aux relations économiques entre les demandeurs et le tiers acheteur et le fait qu'il aurait incité illégalement le tiers acheteur ou la NFL Holdings ou les deux à ne pas respecter les ententes qu'ils avaient conclues avec les demandeurs. Si c'était le seul moyen invoqué par les demandeurs, je serais d'accord pour dire que ce moyen fondé sur la responsabilité civile délictuelle ne relève pas de la compétence en droit maritime que l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée (la Loi) confère à notre Cour.

[19]      Je suis toutefois persuadé que l'objet de la demande introduite par les demandeurs contre la NFL ne relève pas de la compétence de la Cour si l'existence de l'entente que les demandeurs affirment avoir conclu avec la NFL est établie au procès. L'entente dont il s'agit est celle par laquelle les demandeurs ont convenu d'acheter au prix d'un million de dollars US le navire qu'ils vendraient ensuite à tout tiers. Les défendeurs nient l'existence d'une pareille entente et affirment que la seule entente qui est intervenue entre les parties après le 21 juin était une entente prévoyant le versement aux demandeurs d'une commission de cinq pour cent sur le prix total payé par tout tiers acheteur présenté par les demandeurs. Si la Cour conclut que c'est ce type d'entente qui est intervenu " un contrat typique de courtage ", il est fort possible qu'elle ne relève pas de la compétence en droit maritime de la Cour, ainsi que les défendeurs l'affirment, une conclusion que les demandeurs contestent.

[20]      Il n'est pas nécessaire que je tranche cette dernière question à cette étape-ci. Il suffit à mon avis de constater que la nature de l'entente et de ses modalités, que les demandeurs invoquent, est en litige et que cette question ne peut être tranchée sur le fondement d'actes de procédure et d'affidavits contradictoires au sujet desquels il n'y a pas encore eu de contre-interrogatoire. Les moyens invoqués au soutien de l'action des demandeurs sont articulés aux paragraphes 10, 11, 12, 16, 17, 19 et 21. Les demandeurs n'invoquent pas expressément un contrat et ne plaident pas une inexécution ayant causé un préjudice, du moins pas de façon aussi explicite, mais il suffit à mon avis qu'ils aient plaidé l'existence d'une entente intervenue entre eux-mêmes et la NFL (paragraphes 10, 11, 16 et 17), que les agissements reprochés à la NFL leur ont causé la perte des profits qu'ils prévoyaient tirer de la vente du navire (paragraphe 19) et qu'ils poursuivent solidairement les défendeurs, dont la NFL (paragraphe 21).

[21]      Il a été jugé qu'une action en dommages-intérêts fondée sur l'inexécution d'un contrat de vente d'un navire relevait de la compétence en droit maritime conférée à notre Cour par le paragraphe 22(2) de la Loi (Beauchamp c. Coastal Corporation et le " Wayward Princess ", [1984] 1 C.F. 833 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer, et Gleason c. Le " Dawn Light " et al., (1997), 130 F.T.R. 284, le juge Lutfy). Dans les cas d'action fondées sur un contrat d'achat de navire, la saisie du navire visé par l'action a été confirmée tant dans le jugement Beauchamp que dans l'arrêt Antares Shipping Corporation c. Le " Capricorn " et al., [1980] 1 R.C.S. 553, 111 D.L.R. (3d) 289. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême du Canada a jugé qu'une demande d'exécution en nature fondée sur un contrat d'achat d'un navire relevait de la compétence en droit maritime de la Cour fédérale. Bien que cette réparation ne soit pas réclamée en l'espèce, des dommages-intérêts sont effectivement demandés pour la perte des profits prévus qui a été subie par suite de la vente du navire à un tiers par la NFL, ce qui constitue une réparation subsidiaire visant à indemniser les demandeurs de la perte qu'ils auraient subie par suite du défaut présumé de la NFL de respecter l'entente.

[22]      Pour statuer sur une exception préliminaire d'incompétence, la Cour suppose que les allégations relatives à la demande peuvent être prouvées au procès, sauf s'il ressort à l'évidence de la preuve présentée dans le cadre de la requête préliminaire que la demande est tout simplement mal fondée. Or, ce critère n'a pas été respecté en l'espèce. L'existence de l'entente invoquée par les demandeurs est manifestement contestée par les défendeurs dans leur défense et dans les affidavits qu'ils ont produits pour étayer leur thèse, mais à cette étape-ci, la preuve de deux parties est contradictoire en ce qui concerne la nature de l'entente et les modalités de la participation des demandeurs à la vente du navire. Si, au procès, la thèse des demandeurs s'avère bien fondée, les agissements par lesquels les défendeurs n'auraient pas respecté l'entente et que les demandeurs invoquent, peuvent être examinés par le juge du fond dans l'exercice de la compétence en droit maritime de la Cour. Si le juge du fond conclut qu'il n'existe pas de contrat entre les parties, ou que l'entente intervenue entre elles ne porte pas sur la vente du navire aux demandeurs et correspond plutôt, par exemple, à un simple contrat de courtage facilitant la vente du navire moyennant le paiement d'une commission, l'entente sera jugée ou non relever de la compétence en droit maritime de la Cour. Cette question devra être tranchée par le juge du procès, si la présente affaire devait faire l'objet d'un procès.

[23]      Les demandeurs affirment qu'ils ont droit à une partie du produit de la vente du navire défendeur. Cette prétention, si elle est bien fondée, relève de la compétence de la Cour aux termes de l'alinéa 22(2)a) de la Loi, qui précise que la Cour a compétence sur " une demande portant sur les titres de propriété ou la possession [...] d'un navire ou sur le produit [...] de la vente d'un navire ". Les défendeurs soutiennent que l'action des demandeurs n'entre pas dans cette catégorie. Toutefois, si l'interprétation que les demandeurs donnent de l'entente en la considérant comme un contrat d'achat du navire est retenue au procès, l'action des demandeurs tomberait sous le coup de l'alinéa 22(2)a) et serait opposable au navire au moyen d'une action réelle.

[24]      Il appartiendra donc à la Cour de décider, au procès, quelle entente, s'il en est, est intervenue entre les parties et cette décision, qui sera fondée sur les éléments de preuve qui seront alors présentés, amènera la Cour à décider si la cause d'action invoquée contre la NFL dans la déclaration relève de la compétence en droit maritime de la Cour. Dans ces conditions, la Cour ne peut conclure, à cette étape-ci, que l'action qui a été entamée par les demandeurs et qui a notamment donné lieu à la saisie du navire, constitue un abus de procédure.

[25]      En conséquence, la requête par laquelle les défendeurs affirment que les actions introduites par les demandeurs ne relèvent pas de la compétence de la Cour est accueillie en partie, mais uniquement en ce qui concerne l'action visant le défendeur C. Mitchell McLean, étant donné que cette action est une action en responsabilité civile délictuelle visant un simple particulier et que cette question ne relève pas de la compétence que la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour. L'action introduite contre McLean est radiée et la déclaration devra être modifiée en conséquence.

[26]      La requête est rejetée en ce qui concerne l'action introduite par les demandeurs contre la NFL. S'il est jugé au procès que cette action est, comme l'affirment les demandeurs, une action visant un contrat d'achat du navire par les demandeurs qui a été violé par suite de l'octroi par NFL d'une option d'achat qui a été levée par un tiers acquéreur, cette action relèverait de la compétence en droit maritime de la Cour.

Requête en jugement sommaire

[27]      Les principes régissant l'examen des demandes de jugement sommaire visées par les articles 432.1 à 432.7 n'ont été élaborés que récemment par notre Cour et sont bien exposés par le juge Tremblay-Lamer dans le jugement Granvile Shipping c. Pegasus Lines, (1996), 111 F.T.R. 189. Un principe fondamental en la matière est que la Cour ne prononcera un jugement sommaire que si la cause est tellement mal fondée qu'elle ne mérite pas d'être examinée par l'arbitre des faits dans le cadre d'un procès à venir. La Cour refuse de rendre un jugement sommaire lorsqu'il existe une question sérieuse à instruire (Feoso Oil Limited c. Le " Sarla ", (1995), 184 N.R. 307 (C.A.)) ou lorsqu'il y a des points controversés importants et que la crédibilité des témoins est susceptible d'être importante pour la constatation des faits.

[28]      J'estime qu'il y a des questions sérieuses à instruire et que la principale question est celle de la nature de l'entente intervenue entre les parties au sujet de la vente du navire. Il y a des questions au sujet desquelles les affidavits se contredisent, notamment en ce qui concerne l'entente que les demandeurs affirment avoir conclue avec le tiers acquéreur. Ces allégations sont niées dans les affidavits souscrits par des dirigeants du tiers. Les contradictions que comportent ces éléments de preuve, qui concernent en grande partie l'action en dommages-intérêts des demandeurs et le montant de ceux-ci, peuvent être résolues uniquement au procès, et leur règlement dépendra peut-être de l'appréciation de la crédibilité des témoins.

[29]      Dans ces conditions, la Cour ne serait pas justifiée de prononcer un jugement sommaire à cette étape-ci. Sur cette question, la requête des défendeurs est rejetée.

Dispositif

[30]      Par ces motifs, la Cour, aux termes de l'ordonnance qu'elle a rendue le 24 avril 1998, a énoncé ses conclusions essentielles et a accueilli en partie seulement la requête des défendeurs. L'action personnelle intentée par les demandeurs contre le défendeur


C. Mitchell McLean est radiée et la déclaration doit être modifiée en conséquence. À tous autres égards, la requête des défendeurs est rejetée. Les dépens suivront le sort du principal.

     W. Andrew MacKay

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er mai 1998.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-521-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOHN AMIRAULT et al. c. PRINCE NOVA et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          HALIFAX
DATE DE L'AUDIENCE :      15 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge MacKay le 1er mai 1998.

ONT COMPARU :

     Mes STEPHEN McGRATH et                  pour les demandeurs
     PETER DRISCOLL
     Me JOHN MURPHY                          pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     BOYNE, CLARKE                          pour les demandeurs
     Dartmouth (Nouvelle-Écosse)
     STEWART, McKELVEY, STIRLING, SCALES          pour les défendeurs         
     Halifax (Nouvelle-Écosse)
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