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     T-2432-95

OTTAWA (Ontario), le vendredi 25 avril 1997

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Reed

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     NOVOPHARM LIMITED,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La présente action ayant été instruite à Toronto (Ontario), les 4, 5, 6, 7, 8, 12, 21, 22, 25, 27, 28 et 29 novembre 1996, les 2, 4, 5 , 6, 9, 10, 11, 12 et 13 décembre 1996, les 6, 7, 8, 9, 10, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30 et 31 janvier 1997 et reprise les 3, 4 et 5 mars 1997, et la Cour ayant sursis au prononcé du jugement;

     ET EN OUTRE DES motifs du jugement délivrés ce jour;

     LA PRÉSENTE COUR STATUE QUE :

     (1) la demande est rejetée;

     (2) la défenderesse a droit aux dépens de l'action.

                                 B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-2433-95

OTTAWA (Ontario), le vendredi 25 avril 1997

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Reed

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     NU-PHARM INC.,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La présente action ayant été instruite à Toronto (Ontario), les 4, 5, 6, 7, 8, 12, 21, 22, 25, 27, 28 et 29 novembre 1996, les 2, 4, 5 , 6, 9, 10, 11, 12 et 13 décembre 1996, les 6, 7, 8, 9, 10, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30 et 31 janvier 1997 et reprise les 3, 4 et 5 mars 1997, et la Cour ayant sursis au prononcé du jugement;

     ET EN OUTRE DES motifs du jugement délivrés ce jour;

     LA PRÉSENTE COUR STATUE QUE :

     (1) la demande est rejetée;

     (2) la défenderesse a droit aux dépens de l'action.

                                 B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-2434-95

OTTAWA (Ontario), le vendredi 25 avril 1997

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Reed

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La présente action ayant été instruite à Toronto (Ontario), les 4, 5, 6, 7, 8, 12, 21, 22, 25, 27, 28 et 29 novembre 1996, les 2, 4, 5 , 6, 9, 10, 11, 12 et 13 décembre 1996, les 6, 7, 8, 9, 10, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30 et 31 janvier 1997 et reprise les 3, 4 et 5 mars 1997, la Cour ayant sursis au prononcé du jugement;

     ET EN OUTRE DES motifs du jugement délivrés ce jour;

     LA PRÉSENTE COUR STATUE QUE :

     (1) la demande est rejetée;

     (2) la défenderesse a droit aux dépens de l'action.

                                 B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-2432-95

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     NOVOPHARM LIMITED,

     défenderesse.

     T-2433-95

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     NU-PHARM INC.,

     défenderesse.

     T-2434-95

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE REED

     La question en litige dans les présentes affaires consiste à savoir si les défenderesses peuvent utiliser, pour leur produit de chlorhydrate de fluoxétine, des capsules de la même taille, de la même forme et de la même couleur que celles qu'emploient les demanderesses pour leur produit de ce médicament. Le chlorhydrate de fluoxétine des demanderesses est vendue sous le nom de marque Prozac.

     Prozac se présente habituellement en capsules de 20 mg et de 10 mg. Les premières sont moitié vertes, moitié crème (une coiffe verte et un corps crème). Les secondes sont moitié vertes, moitié gris pâle (une coiffe verte et un corps gris pâle). Bien que la demande vise les deux capsules, c'est sur la capsule de 20 mg qu'a porté la plus grande partie de la preuve produite en l'espèce. Les capsules sont de forme cylindrique, avec des extrémités arrondies, et ils ont une taille normale pour les médicaments délivrés sur ordonnance. Les différences entre les capsules des demanderesses et celles des défenderesses seront décrites plus loin.

     Il arrive que les demanderesses soient appelées fabricants de médicaments de marque et les défenderesses, fabricants de médicaments génériques. Pour sa part, la présente Cour désignera plutôt les demanderesses par le terme sociétés innovatrices puisque tous les fabricants de médicaments génériques possèdent et emploient eux aussi des noms de marques. La Cour utilisera donc les termes société innovatrice et fabricant de médicaments génériques, même si elle reconnaît que la défenderesse, Apotex inc., fait également un travail d'innovation et que les demanderesses ont effectué une percée sur ce que l'on appelle le marché des médicaments génériques.

     La demanderesse Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) est une filiale à cent pour cent de la demanderesse Eli Lilly and Company (Lilly U.S.). Le droit de propriété de cette dernière s'exerce au moyen de sociétés intermédiaires. Aucune preuve relative à la structure ou aux actionnaires de ces sociétés n'a été présentée. Lilly U.S. est titulaire de la marque de commerce Prozac et revendique la propriété de droits de marques sur l'apparence des capsules dans lesquelles le produit Prozac est vendu. Lilly Canada a vendu et continue de vendre Prozac au Canada en vertu d'une licence accordée par Lilly U.S. Les demanderesses sollicitent une injonction empêchant les défenderesses d'utiliser des capsules de la même taille, de la même forme et de la même couleur que les leurs parce que, ce faisant, elles feraient passer leurs produits pour ceux des demanderesses, contrairement à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.C. (1985), c. T-13.

(Un index est annexé à l'intention du lecteur.)

Le chlorhydrate de fluoxétine - Un médicament révolutionnaire

     Le chlorhydrate de fluoxétine (la fluoxétine) est utilisé dans le traitement de la dépression, de même que pour traiter certains troubles comme les comportements obsessionnels-compulsifs, la boulimie et l'autisme. La fluoxétine appartient à la famille de médicaments appelés inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (I.S.R.S.). Selon la preuve, il s'agit d'un médicament révolutionnaire. Avant la mise au point de la fluoxétine par Lilly U.S., le traitement de la dépression comportait l'usage de médicaments qui provoquaient des effets indésirables beaucoup plus prononcés et qui présentaient un danger en cas de surdosage. Avec l'arrivée de Prozac, les médecins de famille ont commencé à préférer prescrire des médicaments contre la dépression à leurs patients plutôt que de les envoyer consulter un psychiatre. Ce produit ne nécessite pas une surveillance aussi étroite que celle qu'exigeaient les médicaments plus anciens. Il est devenu plus facile d'obtenir du patient l'observation de son traitement. Par ailleurs, les médias se sont beaucoup intéressés à Prozac. Son importance comme médicament psychotrope a fait l'objet d'une importante publicité. Des articles de revues et de journaux ont été déposés en preuve. Ils contiennent des descriptions et des photographies des capsules, dont certaines ont fait la couverture des magazines.

     La fluoxétine est le premier I.S.R.S. à avoir été mis au point. Elle a été suivie d'autres I.S.R.S, conçus par d'autres sociétés innovatrices. Ils portent des noms chimiques et des noms de marque comme sertraline (Zoloft), paroxétine (Paxil) et fluvoxamine (Luvox). Il existe maintenant des médicaments encore plus récents, n'appartenant pas à la famille des I.S.R.S., qu'on peut aussi se procurer pour le traitement de la dépression.

Les accords concernant la vente de Prozac au Canada et l'arrivée d'un générique Lilly sur le marché

     Prozac est apparu sur le marché canadien en janvier 1989, année où la capsule de 20 mg a été mise en vente. La capsule de 10 mg n'a été commercialisée qu'en 1993. Lilly U.S. détenait, pour la fluoxétine, un brevet de procédé qui est venu à expiration le 20 mars 1996. De janvier 1989 au 20 mars 1996, Lilly Canada a été l'unique fournisseur de fluoxétine sur le marché canadien. En prévision de l'expiration du brevet, le 20 mars 1996, Lilly a décidé de commercialiser sa fluoxétine sous une forme générique en plus de continuer d'en vendre sous le nom de marque Prozac. Des démarches en ce sens ont été entreprises en mars 1995.

     a)      L'accord de janvier 1991 intervenu entre Lilly Canada et Lilly U.S.

     En mars 1995, Lilly Canada distribuait et vendait au Canada les produits de Lilly U.S. conformément à un accord daté du 1er janvier 1991. Cet accord remplaçait un accord antérieur conclu le 1er janvier 1976. Par l'accord de janvier 1991, Lilly Canada obtenait non seulement le droit de fabriquer, d'utiliser, de distribuer et de vendre les produits de Lilly, mais aussi celui d'utiliser, relativement à ces produits, certaines marques de commerce, noms de marque, marques maison et autres désignations appartenant à Lilly U.S. Le brevet de Prozac figure à l'annexe A de ces accords. Le nom de marque " Prozac " est inscrit à l'annexe B, qui renferme une liste des marques de commerce, noms de marque, marques maison et autres désignations appartenant à Lilly U.S. et que Lilly Canada a été autorisée à utiliser. Les dessins et les emballages de divers produits de Lilly figurent dans cette liste. Aucune mention n'est faite de l'apparence (taille, forme et couleur) des capsules du produit Prozac.

     L'accord de 1991 ne permet pas à Lilly Canada de concéder de sous-licence. De plus, il y est stipulé que l'accord annule et remplace tous les accords et ententes antérieures; qu'aucun engagement, entente verbale ou représentation ne s'applique son objet et qu'il ne peut être modifié que par un document écrit signé par les représentants dûment autorisés des parties.


     b)      L'accord du 30 juin 1995 intervenu entre Lilly Canada et Pharmascience

     Pour mettre à exécution sa décision de commercialiser un générique de la fluoxétine, Lilly Canada a conclu un accord avec Pharmascience et 115013 Canada Inc. (collectivement appelé PMS) le 30 juin 1995. Conformément à cet accord, PMS obtient une licence l'autorisant à distribuer et à vendre, sauf en milieu hospitalier, des versions génériques de certains produits de Lilly, notamment la fluoxétine. Dans l'accord, PMS reconnaît que [TRADUCTION] " la couleur, la forme et les autres signes distinctifs (c'est-à-dire l'apparence du produit) " des produits de Lilly sont des marques de commerce appartenant à Lilly Canada ou à ses sociétés affiliées.

     c)      La modification apportée en novembre 1995 à l'accord de janvier 1991

     À la fin d'octobre ou au cours de la première semaine de novembre 1995, les parties ont signé une modification de l'accord de janvier 1991. Cette modification " confirmait " que Lilly Canada avait toujours été autorisée par Lilly U.S. à utiliser l'apparence des produits de Lilly U.S. qui avaient été et étaient vendus au Canada. L'annexe B de l'accord de 1991 a été modifiée pour ajouter [TRADUCTION] " la présentation, c'est-à-dire la couleur, la forme et la taille (l'apparence) des produits de Lilly ". L'accord de 1991 a aussi été modifié pour autoriser Lilly Canada à octroyer à PMS une sous-licence pour les droits dont elle était titulaire conformément à l'accord de 1991. Cette dernière modification a été déclarée rétroactive au 30 juin 1995.

     d)      La modification apportée le 10 novembre 1995 à l'accord du 30 juin 1995 - pms-Fluoxetine est offert sur le marché

     Le 10 novembre 1995, Lilly Canada a conclu avec PMS un accord autorisant PMS à utiliser l'apparence des produits de fluoxétine de Lilly en liaison avec la fluoxétine que lui fournissait Lilly U.S. ou Lilly Canada.

     Comme il a été mentionné, conformément à l'accord de commercialisation et de distribution conclu le 30 juin 1995 entre Lilly (Canada) et PMS, PMS a été désigné distributeur au Canada des versions génériques de certains produits de Lilly, dont la fluoxétine. Cet accord a été modifié à l'occasion. Selon la convention commerciale en vigueur, Lilly Canada régit tous les aspects de la fabrication, de la distribution, de la promotion et de la vente de pms-Fluoxetine. L'accord de commercialisation et de distribution stipule que PMS [TRADUCTION] " doit accepter la livraison du produit en consignation ". Lilly Canada conserve le droit de propriété sur le produit PMS et assume les risques de perte s'y rattachant jusqu'à la livraison au client. À la vente du produit, Lilly Canada facture PMS et PMS facture son client. À titre de dédommagement, PMS reçoit des droits de distribution sous forme de pourcentage du chiffre d'affaires net tiré de la vente de la fluoxétine.

     Le 1er décembre 1995, le générique de Lilly, vendu sous le nom de PMS, a fait son apparition sur le marché canadien. Il a été annoncé et commercialisé comme étant identique à Prozac. Ses formes posologiques de 20 mg et de 10 mg se présentent dans des capsules dont la taille, la forme et la couleur sont les mêmes que celles des capsules utilisées pour Prozac. En fait, ces deux produits viennent de la même chaîne de fabrication. La seule différence entre les deux réside dans les minuscules inscriptions qui sont apposées : plutôt que d'avoir " Lilly, 3105 " imprimé sur la coiffe de la capsule et " Prozac, 20 mg ", sur le corps, le produit PMS porte l'inscription " trade dress licd " sur la coiffe de la capsule et " 20 mg, 708 " sur le corps. La marque PMS se vend trente à trente cinq pour cent moins cher que Prozac. Lilly Canada vend le produit de PMS dans le milieu hospitalier, et ses représentants en font la promotion auprès de médecins et des pharmaciens.

Les injonctions interlocutoires

     Les parties ont déposé leur exposé de la demande pour les présentes actions le 17 novembre 1995. Dans chacun d'eux, elles sollicitent des injonctions interlocutoires, des injonctions permanentes ainsi que d'autres recours. Comme il a été mentionné, le brevet de Lilly est arrivé à expiration le 20 mars 1996. Le lendemain, la Cour prononçait des injonctions interlocutoires empêchant les défenderesses d'annoncer, de distribuer ou de vendre le chlorhydrate de fluoxétine dans des capsules " vert et jaune pâle ou vert et gris pâle ". Des injonctions interlocutoires au même effet ont été accordées le 26 avril 1996. Par la suite, les défenderesses ont mis en vente des produits dont les capsules étaient de couleurs différentes (entièrement crème pour la forme posologique de 20 mg de fluoxétine et entièrement vertes pour la forme posologique de 10 mg). L'injonction interlocutoire a été levée le 25 septembre 1996.1 Ensuite, les défenderesses se sont mises à utiliser des capsules vert et crème et vert et gris pâle semblables à celles de Lilly.

L'arrêt Ciba-Geigy rendu le 29 octobre 1992

     L'arrêt de la Cour Suprême dans l'affaire Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm, Ltd., [1992] 3 R.C.S. 120, 44 C.P.R. (3d) 289 revêt une importance capitale pour la présente espèce. Avant celui-ci, il était présumé qu'une similarité dans l'apparence des médicaments délivrés sur ordonnance ne risquait pas d'entraîner une action en passing-off (aussi appelée action en commercialisation trompeuse ou action en imitation frauduleuse), et ce, parce qu'il était accepté que la clientèle de ces produits étaient les pharmaciens, les dentistes et les médecins, que ces derniers ne choisissaient pas les médicaments d'après leur apparence et qu'ils n'étaient pas induits en erreur par une similarité d'apparence entre les diverses marques. Dans l'arrêt Ciba-Geigy, la Cour a statué qu'il est également pertinent de tenir compte du consommateur ultime, le patient, pour décider si le délit de passing-off a été commis.

     L'affaire Ciba-Geigy découle d'un pourvoi formé contre une décision rendue sur une question de droit soulevée avant l'instruction, dans l'espoir que la réponse qui y serait apportée pourrait régler le litige. La Cour d'appel et le juge du procès avaient statué que, à titre de question de droit, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a risque de confusion, seuls les pharmaciens, les médecins et les dentistes doivent être pris en considération. En décidant qu'il fallait également tenir compte des consommateurs réels du médicament délivré sur ordonnance, le juge Gonthier a émis quelques commentaires, qui ont souvent été repris pendant la présente instruction. Ils s'agit de commentaires comme : les compagnies pharmaceutiques sont limitées dans le choix d'éléments caractéristiques pour la présentation de leurs produits;1 les laboratoires concurrents doivent éviter de fabriquer et de commercialiser des médicaments dont l'apparence est tellement similaire que cela sème la confusion dans l'esprit de la clientèle;1 la seule façon d'attirer l'attention des patients sur l'origine du produit réside dans les capsules ou les comprimés eux-mêmes; le patient a le choix;1 le milieu des produits pharmaceutiques délivrés sur ordonnance n'est pas si fondamentalement différent des autres sphères d'activités commerciales qu'il faille le soumettre à des règles spéciales.1

     Il reviendra à une cour de plus haute instance que la présente d'établir la portée exacte de l'arrêt Ciba-Geigy, quel en est le fondement et quelles en sont les remarques incidentes. La présente Cour se limitera, pour l'instant, à exposer les conclusions de faits auxquelles elle est arrivée à partir de son appréciation de la preuve produite. Ensuite, elle énoncera certains principes applicables en matière de preuve et fera état de certaines décisions particulières qu'elle a rendues aux fins de la présente affaire et, finalement, elle exposera une analyse du droit et indiquera les conclusions qu'elle a tirées sur les questions soulevées.

La commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance - Plus particulièrement Prozac

     Les médicaments délivrés sur ordonnance ne peuvent faire l'objet d'une publicité qui s'adresse directement au public. Les efforts de vente des sociétés pharmaceutiques innovatrices

visent les médecins et les pharmaciens. Les dentistes ne sont pas concernés par le présent litige. Quant aux fabricants de médicaments génériques, leurs efforts portent surtout sur les pharmaciens. Les sociétés innovatrices et les fabricants de médicaments génériques traitent tous les deux avec les personnes responsables de l'achat de médicaments destinés à être utilisés en milieu hospitalier.

     Lilly Canada emploie des représentants qui rencontrent périodiquement les médecins et les pharmaciens pour les informer des produits de Lilly et pour les inciter à prescrire ces produits et à en acquérir. Ils remettent aux médecins des échantillons des produits de Lilly pour qu'ils les donnent à leurs patients. Ils leur laissent de la documentation, tant pour eux que pour leurs patients. Dans le cas de Prozac, cette démarche a été suivie. Les représentants de cette société rencontrent aussi les pharmaciens. Ils leur laissent de la documentation destinée à leur usage et d'autres documents destinés aux clients. Des revues destinées aux pharmaciens et aux médecins ont publié des annonces sur Prozac. Une cassette vidéo a été mise à la disposition des médecins, qui pouvaient, à leur tour, la prêter à leurs patients. Toute cette documentation portait le nom de Lilly et certains documents décrivaient les capsules de Prozac. Avant octobre 1995, nulle part dans cette documentation Lilly n'affirmait de façon explicite qu'elle considérait que la taille, la forme et la couleur des capsules comme une marque de commerce.

     Comme il a déjà été mentionné, les représentants de Lilly Canada se sont aussi chargés de la commercialisation de pms-Fluoxetine quand elle est arrivée sur le marché. Ils ont, entre autres, remis aux médecins des notes autocollantes qu'ils pouvaient apposer sur les ordonnances et qui portaient la mention suivante : " Veuillez vous assurer que cette ordonnance de Prozac est préparée avec Prozac ou avec pms-Fluoxetine ". La documentation envoyée aux pharmaciens comprenait l'annonce, datée du 30 novembre 1995, indiquant que pms-Fluoxetine, la première version générique de Prozac au Canada, serait mis en vente et était la seule version générique de la fluoxétine à être autorisée à utiliser la même apparence du produit (couleur, forme et taille) que Prozac. Selon la documentation publicitaire, pms-Fluoxetine était un produit qui donnerait satisfaction aux clients à la recherche d'un médicament de remplacement à Prozac, qui soit de première qualité et d'un coût abordable. Cette documentation indique que PMS est autorisé à utiliser l'apparence de la capsule du produit et que Lilly revendique une marque de commerce dans l'apparence de la capsule.

La prescription de médicaments - Plus particulièrement Prozac

     Il est bien connu qu'un médicament délivré sur ordonnance ne peut être acheté que si un médecin ou un dentiste a d'abord rédigé une ordonnance autorisant une personne à prendre ce médicament. Bien que le patient ait son mot à dire dans le choix d'un médicament, et qu'il lui revient toujours, bien sûr, de décider s'il prendra ou non tout médicament, le choix d'un médicament d'ordonnance se fondera d'abord et avant tout sur les connaissances et les recommandations du médecin. Pour décider quel médicament il convient de prescrire, les médecins ne se fient pas à l'apparence. En règle générale, ils accordent peu d'attention à l'apparence des médicaments qu'ils prescrivent. Dans le cas d'un nouveau patient, ils peuvent se servir de la couleur, de la forme et de la taille d'une capsule pour parvenir à identifier le médicament que prend un nouveau patient, mais habituellement, ils voudront voir le médicament ou le flacon d'origine, lorsque c'est possible.

     Les médecins ne rédigent pas tous leurs ordonnances de la même manière. Certains écrivent toujours le nom chimique du médicament. D'autres écrivent le nom de marque de la société innovatrice, comme c'est le cas de Prozac, aussi longtemps que cette société est titulaire d'un brevet pour le produit, puis remplace ce nom par le nom chimique à l'expiration du brevet. D'autres utilisent le nom de marque de la société innovatrice même après l'expiration du brevet, sachant que les pharmaciens délivreront probablement une marque autre que celle de la société innovatrice. Comme le produit de la société innovatrice a été seul sur le marché avant l'expiration du brevet, son nom de marque tend à prendre la place du nom chimique du médicament. De plus, les lois permettant la substitution, qui seront abordées plus en détail ultérieurement, autorisent les pharmaciens à délivrer des marques de médicaments interchangeables. Si un médecin veut s'assurer qu'un patient recevra une marque en particulier, il devra indiquer le nom de marque et ajouter " aucune substitution " sur l'ordonnance.

L'achat de médicaments des sociétés pharmaceutiques

     Un pharmacien, ou un chaîne de pharmacies, achète les médicaments délivrés sur ordonnance soit directement du fabricant, soit d'un grossiste. La fluoxétine est fournie aux pharmaciens dans des bouteilles de 100 capsules. Il est possible aussi d'obtenir des bouteilles contenant une plus grande quantité. Des renseignements, notamment le nom de marque et le nom du fabricant, sont indiqués sur les étiquettes des bouteilles. Tant qu'un médicament est protégé par un brevet, les pharmaciens ne peuvent vendre que le produit de la société innovatrice. Après l'expiration du brevet, ils conserveront au moins une marque générique en plus de la marque innovatrice. Ils peuvent cesser de garder la marque innovatrice lorsque le générique est sur le marché depuis longtemps. L'écart de prix entre la marque générique de la marque innovatrice entraîne, pour la société innovatrice, une perte rapide d'une part du marché. Les pharmaciens décident quel(s) médicament(s) générique(s) ils vont garder en stock selon les négociations avec les sociétés respectives. Le premier générique offert en vente jouit d'un avantage sur le marché. Les pharmaciens estiment que les diverses marques d'un médicament dont la commercialisation a été approuvée par la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé et du Bien-être social sont équivalentes. En général, l'apparence n'influence pas leur décision de stocker une marque ou une autre. La grande variété de la ligne de produits et la fiabilité de l'approvisionnement sont des facteurs importants; le prix, un facteur déterminant.

     Les médicaments délivrés sur ordonnance destinés aux hôpitaux sont achetés à des conditions fixées d'avance, souvent par un acheteur. Généralement, un hôpital ne conservera qu'une seule marque d'un médicament donné. Ainsi, un patient qui prend un médicament lorsqu'il est admis à l'hôpital et qui continue sa médication avec les médicaments de la pharmacie de l'hôpital, peut recevoir une marque différente de celle qu'il prenait à son admission. Le choix de marque qui sera délivrée dans un hôpital (ou dans un regroupement d'hôpitaux s'ils négocient l'achat de médicaments collectivement) est fonction du meilleur prix qu'il est possible d'obtenir. La grande variété de produits et la fiabilité de l'approvisionnement sont encore, bien sûr, des facteurs pertinents.

     Par le passé, les pharmaciens n'ont jamais choisi la marque de médicaments qu'ils gardaient en stock en fonction de l'apparence. Au Canada, il y a des décennies que les produits génériques qui sont commercialisés à l'expiration du brevet de la société innovatrice, se présentent de la même couleur, de la même taille et de la même forme que le produit innovateur. Donc, les consommateurs canadiens de médicaments délivrés sur ordonnance ne sont pas habitués à ce que les différentes marques d'un même médicament aient une apparence différente. Dans le cas d'une nouvelle ordonnance ou d'un renouvellement, le consommateur qui obtient un médicament dont l'apparence est différente de celui qui lui avait été délivré précédemment, se pose des questions et se demande si on lui a prescrit et délivré le bon médicament, et si ce médicament est aussi efficace que celui qu'il prenait auparavant. Un exemple mentionné à ce propos concerne un médicament générique de Lilly. Lilly produisait une marque générique d'un somnifère dont le comprimé était plus petit que celui du produit innovateur. Selon Phillip Reed, pharmacien, un de ses clients, qui était âgé et qui prenait le produit innovateur depuis longtemps, a refusé de croire que le somnifère générique plus petit était aussi efficace que le produit innovateur. Il a fait remarquer que Lilly a fini par modifier son médicament générique pour lui donner la même taille que la marque innovatrice.

     Aux États-Unis, le marché des médicaments délivrés sur ordonnance semble fonctionner de façon différente, du moins dans certains États. Des marques différentes d'un même médicament peuvent avoir des apparences différentes. Un médicament générique titulaire d'une licence de la société innovatrice aura la même apparence que le produit innovateur.1 En Finlande, le marché des médicaments délivrés sur ordonnance fonctionne autrement. Diverses marques d'un médicament délivré sur ordonnance présentent des couleurs différentes et sont vendues pré-emballées dans des boîtes de carton sur lesquelles sont imprimés, en caractères gras, le nom de marque du médicament et celui du fabricant. L'admissibilité de la preuve visant le marché américain ou le marché finlandais a été contestée : elle ne serait pas pertinente en l'espèce puisqu'elle porte sur des marchés autres que le marché canadien. Cette preuve a été jugée admissible, mais son utilité se limite à établir que d'autres marchés peuvent fonctionner d'une façon différente que le marché canadien.

     Quoi qu'il en soit, comme au Canada une capsule de couleur différente amène les consommateurs à se demander si le bon médicament leur a été prescrit, les pharmaciens préféreront stocker et délivrer un générique qui ressemble au produit innovateur; il y aura moins d'explications à donner. La règle générale étant que les pharmaciens ne décident pas de stocker une marque de médicament en fonction de son apparence, pms-Fluoxetine a donc constitué une exception : tant qu'elle a été la seule marque de médicament générique vendu en capsule ayant la même taille, la même forme et la même couleur que Prozac, les pharmaciens préféraient stocker et délivrer ce produit plutôt que d'autres.

La délivrance et la vente des médicaments d'ordonnance - Plus particulièrement Prozac

     Comme tout le monde sait, le patient à qui un médicament a été prescrit apporte son ordonnance chez le pharmacien qui y vérifie certaines informations et en discute avec lui; puis, lorsque le médicament prescrit se présente sous forme de capsules, le pharmacien prélève de la bouteille qu'il a en magasin le nombre de capsules requises, de la forme posologique prescrite et les place dans un flacon sur lequel il appose une étiquette. Il discute ensuite avec le patient du médicament préparé (conseils). Il n'est pas rare que le pharmacien place le flacon dans un sac opaque auquel il agrafe le reçu avant de le remettre au client. En général, le client ne voit pas les capsules au point de vente. Dans la plupart des cas, le consommateur ne verra la taille, la forme et la couleur des capsules qu'après les avoir achetées, habituellement chez lui, une fois qu'il a ouvert le sac et sorti le flacon, juste avant d'en prendre.

     a) L'étiquetage

     L'étiquette apposée sur le flacon qui contient les capsules donne habituellement une indication sur le fabricant. Selon les exigences des provinces, elle mentionne soit le nom de marque (Prozac), soit le nom chimique et le nom du fabricant (fluoxétine-Lilly), soit le nom chimique et une abréviation du nom du fabricant (fluoxétine-LIL). Il y a de bonnes chances pour que ces renseignements soient aussi inscrits sur le reçu agrafé à l'extérieur du sac contenant le flacon. À moins de savoir ce qu'elles signifient, les consommateurs n'arrivent pas à identifier le fabricant à partir des abréviations.

     b) Conseils - Avis

     Les pharmaciens ont l'obligation de conseiller les patients relativement aux médicaments qu'ils leur délivrent. Ils doivent, entre autres, les avertir des effets secondaires possibles, leur indiquer à quel moment et de quelle façon ils doivent prendre le médicament et la manière de le conserver. Des preuves contradictoires ont été présentées sur la question de savoir dans quelle mesure les pharmaciens renseignent verbalement les patients sur la marque précise de médicament qu'ils leur délivrent. La preuve montre qu'aucune exigence professionnelle ne les y oblige. Si le nom chimique du médicament est écrit sur une ordonnance et que le patient ne demande pas une marque particulière, c'est au pharmacien qu'il revient de choisir la marque. Si le nom de marque du produit innovateur est écrit sur l'ordonnance et qu'il existe un générique, dans plusieurs provinces, la loi oblige le pharmacien à informer le patient de la possibilité d'acheter un médicament générique. En Ontario, le pharmacien s'acquitte de cette obligation imposée par la loi en affichant, dans son officine, un avis conforme au règlement.1 Cet avis conseille aux patients de demander au pharmacien s'il leur délivre un médicament moins cher et leur indique qu'ils ont le droit de demander un produit interchangeable.

     Si c'est la première fois qu'un médicament en particulier est prescrit à un patient, il est possible que le pharmacien ne lui précise pas quelle marque du médicament il lui délivre. Selon les résultats d'une étude présentée en preuve, 82,5 % des pharmaciens affirment que, lorsqu'ils savent que le patient prenait la marque de l'innovateur et qu'ils s'apprêtent à lui délivrer un médicament générique, ils informent toujours ou presque toujours le consommateur de ce changement. Cette même étude révèle que 93,7 % d'entre eux informent toujours ou presque toujours le consommateur lorsqu'ils remplacent Prozac par un produit générique de fluoxétine. Il est moins probable qu'ils informeront le patient du remplacement d'un générique par un autre. Selon l'étude en question, 64 % d'entre eux indiquent qu'ils informent le client toujours ou presque toujours.

     Bien que l'étude en question ait été critiquée - il s'agit d'une auto-évaluation faite par les pharmaciens - elle a été menée selon des principes et des méthodes garants de résultats valides et exacts. L'appréciation de cette preuve ne laisse à la Cour aucune raison de douter de son exactitude. Par ailleurs, il peut s'avérer une bonne pratique d'affaires pour le pharmacien d'informer le patient de la possibilité d'obtenir un produit générique. Ainsi, il paraîtra soucieux de réduire les coûts, soit directement pour le consommateur lui-même, soit pour son régime d'assurance-maladie et d'assurance-médicaments. Le pourcentage élevé de pharmaciens qui, selon l'étude, informent les clients quand Prozac est remplacé par un médicament générique est convaincant, puisqu'à l'époque où l'étude a eu lieu la fluoxétine générique n'était sur le marché que depuis sept mois environ et que, pendant toute cette période, à l'exception des deux dernières semaines, les marques génériques, sauf pms-Fluoxetine n'étaient vendues que sous des apparences différentes. Il est important de noter que les statistiques en question visent les cas où le pharmacien change la marque délivrée au consommateur, ce qui suppose qu'il savait quelle marque le consommateur prenait auparavant.

     Une bonne partie de la preuve de la demanderesse relativement à l'absence de conseils sur la marque a été délibérément recueillie dans un contexte où le pharmacien ne pouvait pas savoir quelle marque un client prenait auparavant, à moins que celui-ci ne le lui dise. C'est le cas des médicaments délivrés sur ordonnance que se sont procurés des étudiants en droit travaillant pour le cabinet d'avocats des demanderesses. En fait, le Dr Feferman, qui, avec le consentement de ses patients, a fourni cinq ordonnances à l'un des étudiants en droit, a précisé à l'étudiant de ne pas faire exécuter ces ordonnances à la pharmacie située près de son bureau. Les étudiants ne connaissaient pas les patients et ne savaient pas quelle marque ils préféraient, le cas échéant. Ils n'auraient pu communiquer ce renseignement au pharmacien s'il le leur avait demandé. Aucune de ces ordonnances ne prescrivait de la fluoxétine.

     M. Fishman, directeur du service des génériques de Lilly Canada, s'est rendu dans une pharmacie où il n'était jamais allé auparavant et a remis à la pharmacienne une ordonnance sur laquelle le nom de marque d'une société innovatrice (Amoxil) était écrit. Il a obtenu un médicament générique. Il n'a pas précisé qu'il préférait une marque et il savait que la prescription avait été rédigée de manière à permettre la substitution. La pharmacienne qui a exécuté l'ordonnance et un de ses collègues, qu'elle appelle son patron, ont déclaré, dans leur témoignage, qu'un générique de l'amoxicilline était sur le marché depuis quinze ou vingt ans et que la marque innovatrice était rarement demandée. Cette pharmacie ne stocke pas la marque innovatrice.

     Comme aucune copie des ordonnances qui ont été remises à Mme Flamer et à Mme Bingham n'ont été produites, il est impossible de savoir si elles indiquaient le nom chimique du médicament ou le nom de marque (Synthroid et Ritalin respectivement). Phillip Reed, un pharmacien ontarien, a affirmé, dans son témoignage, qu'il informe toujours ses clients d'un changement de marque, même quand il remplace un générique par un autre. S'il ne le fait pas, certains patients lui poseront des questions au sujet des inscriptions différentes sur les capsules. Simon Ng, directeur des services pharmaceutiques de la London Drug, une chaîne de pharmacies, dont trente en Colombie Britannique et quatorze en Alberta, a indiqué que, selon la pratique en usage dans cette chaîne, les pharmaciens doivent toujours avertir les clients lorsqu'ils délivrent une marque différente. Par contre, Marie Berry, une pharmacienne réputée du Manitoba, prétend qu'elle n'avertit jamais ses patients d'un changement de marque, sauf s'ils lui posent la question. Quant à M. Ashdown, la Cour doute de sa crédibilité pour des raisons qui seront fournies ultérieurement. Le témoignage des patients et des pharmaciens concorde avec les résultats de l'étude d'Environics.

     L'étude menée par Elliott Research en vue d'obtenir l'opinion des clients de pharmacies, et dont les résultats ont été publiés dans le numéro de décembre 1995 du magazine Pharmacy Practice, ne constitue pas une preuve fiable. Bien qu'une copie du questionnaire utilisé ait été produit, les données brutes et les résultats sous forme de tableaux n'ont pas été fournis et il n'y a eu aucun effort concerté de la part des témoins des demanderesses en vue de les obtenir. Seule l'analyse qui a été publiée dans le magazine pouvait être consultée. Bien que les demanderesses aient appelé Mme Robbins à témoigner que l'article du magazine reflétait assez bien les résultats sous forme de tableaux, la Cour n'est pas disposée, en l'absence des véritables documents de l'étude, à accepter cette preuve comme fiable.

     c) Les lois permettant la substitution - Formulaires provinciaux

     Une ordonnance est une directive que le médecin donne au pharmacien. Le pharmacien a le devoir d'exécuter l'ordonnance telle qu'elle est rédigée. Étant donné la manière dont les médecins rédigent leurs ordonnances (utilisant parfois le nom de marque du produit innovateur pour désigner le médicament), le pharmacien peut interpréter une ordonnance qui indique le nom de marque de la société innovatrice, comme une demande de délivrer n'importe quelle marque du médicament. De plus, dans la plupart des provinces, sinon dans toutes, des lois permettent aux pharmaciens de délivrer les marques interchangeables d'un médicament.2 Les marques d'un médicament qui sont considérées interchangeables, d'après la procédure d'examen applicable dans une province donnée, sont répertoriées sous la forme choisie par cette province. En Ontario, par exemple, cette liste se trouve dans l'Index comparatif des médicaments. Le pharmacien qui exécute une ordonnance peut, sauf si celle-ci porte la mention " aucune substitution " ou si le consommateur demande une marque particulière, préparer toute marque interchangeable répertoriée dans l'Index pour le médicament mentionné sur l'ordonnance.

     De plus, lorsqu'un client couvert par un régime provincial d'assurance-médicaments achète un médicament, le pharmacien ne sera remboursé par le gouvernement que s'il s'agit d'un médicament considéré remboursable par celui-ci. Les médicaments remboursables sont répertoriés dans les formulaires provinciaux. Ce ne sont pas tous les médicaments ni toutes les formes posologiques d'un même médicament qui y sont énumérées. En Ontario, par exemple, les formes posologiques de 10 mg de fluoxétine ne sont pas inscrites, qu'il s'agisse de celle de Prozac ou de celle d'une marque générique. (Pourtant, le prix de la forme posologique de 10 mg ne diffère pas tellement de celui de la forme posologique de 20 mg.) Non seulement les régimes provinciaux d'assurance-médicament ne couvrent-ils pas tous les médicaments ni toutes leurs formes posologiques, mais ils limitent également le prix remboursé. En règle générale, le pharmacien ne sera remboursé que du prix de la marque interchangeable la moins chère. Certains régimes privés comportent aussi ce genre de limites. Les régimes provinciaux d'assurance-médicaments paient quarante pour cent des médicaments délivrés sur ordonnance achetés au Canada. Un patient peut décider d'acheter une marque plus chère que celle qui est répertoriée, mais il devra payer la différence de coût.

     D'après ce que la Cour a cru comprendre, si un médecin écrit " aucune substitution " sur l'ordonnance, certains régimes provinciaux rembourseront le prix de la marque la plus chère. C'est ce qui se passait au Manitoba, par exemple, jusqu'à tout récemment. Maintenant, cependant, même dans les cas d'ordonnances mentionnant " aucune substitution ", le gouvernement manitobain ne rembourse que le prix du produit interchangeable le moins cher. Le même changement s'est opéré en Ontario, quoique si le médecin peut justifier la mention " aucune substitution " par des preuves médicales, le gouvernement provincial paiera l'ordonnance. Rien dans la preuve n'indique si cette disposition a déjà été utilisée ou dans quelles circonstances elle l'a été, le cas échéant.

     d) Les demandes des patients

     Dans le cas où le médecin n'a pas écrit " aucune substitution " sur l'ordonnance, le patient qui souhaite recevoir une marque particulière de médicament peut naturellement la demander au pharmacien. Si ce dernier ne garde pas cette marque, il dira au patient qu'il s'en procurera ou lui suggérera de s'en procurer dans une autre pharmacie. Bien que la preuve établisse que, lorsqu'aucune préférence n'est exprimée, les pharmaciens ne précisent pas toujours aux patients quelle marque de médicament ils leur délivrent, elle ne démontre pas que les pharmaciens trompent intentionnellement le client en lui délivrant une autre marque que celle qu'il a demandé. Il peut leur arriver, cependant, d'essayer de convaincre le client que les différentes marques se ressemblent et qu'il devrait acheter la marque gardée en stock.

     En résumé, si le consommateur informe le pharmacien de la marque qu'il veut acheter, il n'y a pratiquement aucune confusion possible, sauf en cas de négligence ou de pure tromperie de la part du pharmacien. Ce n'est pas comme si le client choisissait lui-même dans un étalage de produits de différentes marques.

La qualité des médicaments génériques et des médicaments innovateurs (Prozac et le générique de PMS)

     La preuve indique qu'il n'y a aucune différence de qualité entre les produits génériques de fluoxétine des défenderesses et les produits Prozac ou pms-Fluoxetine des demanderesses. Rien ne prouve que le rapport isomères droits isomères gauches respectif soit important pour la fluoxétine ni que ce rapport soit différent pour les produits des défenderesses. Le pourcentage d'ingrédient actif présent diffère légèrement d'une capsule à l'autre, que ce soit à l'intérieur d'un même lot ou d'un lot à l'autre du même fabricant. Selon les tolérances qu'un fabricant s'impose, il pourrait y avoir une très petite différence dans le pourcentage d'ingrédient actif contenu dans les capsules produites par différents fabricants. Il peut aussi arriver que les profils des impuretés ne soient pas les mêmes chez chaque fabricant et d'un fabricant à l'autre. Cependant, aucune de ces différences n'est significative cependant.

     Les produits de la demanderesse et ceux des défenderesses ne contiennent pas les mêmes ingrédients inactifs (excipients). Des excipients ou des véhicules sont utilisés pour conditionner le composant actif du médicament afin qu'il se présente sous une forme suffisamment grande pour être consommé facilement. Les excipients présents dans les produits génériques, y compris le lactose, comptent parmi ceux qui, dans ce secteur d'activités, sont utilisés depuis longtemps et sont reconnus comme des véhicules adéquats.2 La composition des capsules de gélatine, notamment les inscriptions qu'elle porte, peut laisser croire à de légères différences parmi les capsules des médicaments génériques et celles des médicaments innovateurs. Encore là, ces différences sont infimes et non significatives. (En règle générale, l'emploi, dans les présents motifs, du terme " demanderesse " au singulier vise Lilly Canada.)

     Certaines personnes sont hypersensibles et peuvent mal réagir à des composantes autres que l'ingrédient actif de la forme pharmaceutique. La Dre Binkley estime qu'il s'agit de cas sont rares, mais possibles. Elle convient avoir appris au cours de sa formation médicale que deux mots sont à éviter : toujours et jamais. Quoi qu'il en soit, la possibilité qu'un ingrédient inactif de la forme pharmaceutique provoque un effet indésirable chez une personne hypersensible existe autant avec Prozac qu'avec un médicament générique. Avant de prendre le produit, la personne hypersensible ne sait pas qu'elle aura une réaction indésirable. Une fois cette réaction connue, elle prendra des mesures pour éviter de consommer de nouveau le produit qui lui a causé des problèmes.

     Par-dessus tout, les produits génériques sont reconnus par les gouvernements fédéral et provinciaux comme étant, respectivement, équivalents au produit innovateur et interchangeables avec lui. La Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a étudié les produits des défenderesses et leur a attribué un intérêt thérapeutique équivalent au produit de la demanderesse avant que leur commercialisation soit approuvée. Ils ont été soumis à des essais et des données ont été fournies au ministère. Tous les produits génériques sont assujettis à cette procédure avant d'être approuvés. Il n'est pas nécessaire, aux fins des présents motifs, de décrire en détail les essais effectués. Qu'il suffise de dire que les témoins des demanderesses ont laissé entendre que, parce que les paramètres de l'évaluation de l'essai étaient exprimés en fourchettes plutôt qu'en valeurs absolues, et que l'essai a été fait en comparaison avec un étalon de référence (les résultats des essais concernant le produit de la demanderesse), personne ne peut affirmer que les produits sont identiques. La preuve n'étaye pas cette conclusion.

     L'essai de biodisponibilité est évalué en termes de fourchettes plutôt qu'en valeurs absolues parce qu'il s'agit d'une caractéristique nécessaire de l'évaluation des essais mettant en cause des êtres humains. Les caractéristiques physiques, notamment les taux métaboliques, varient non seulement selon les personnes, mais aussi chez la même personne selon le jour ou l'heure de la journée. La monographie du produit Prozac de Lilly reconnaît cette variation : " ...chez l'homme, une dose unique de 40 mg a permis d'obtenir des concentrations plasmatiques de pointe de fluoxétine de 15 à 55ng/mL après 6 à 8 heures ". Il est faux de présumer que des résultats identiques puissent être obtenus d'un essai à l'autre même si la même forme pharmaceutique est utilisée. Les résultats des essais doivent nécessairement être évalués en termes de fourchettes.

     De plus, au moment où la commercialisation du produit générique est autorisée, normalement l'ingrédient chimique actif a été déjà utilisé par de nombreuses personnes partout dans le monde. C'était vrai pour la fluoxétine. La sécurité et l'efficacité du médicament sont donc raisonnablement bien connues. Il serait insensé de demander aux fabricants d'une nouvelle forme pharmaceutique du médicament de reprendre les essais préalables à la commercialisation de la fluoxétine. L'utilisation d'un étalon de référence (les résultats de essais obtenus par le produit innovateur) ne diminue pas la validité de l'évaluation.

     L'avocat des demanderesses a insisté beaucoup sur le paragraphe 4.10 du document publié par la Direction générale de la protection du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social et intitulé Conduite et analyse des études de biodisponibilité et de bioéquivalence - Partie A, 1992. Ce paragraphe signale aux personnes qui chargées de procéder à des essais de biodisponibilité que la vitesse d'absorption et les excipients contenus dans la forme pharmaceutique peuvent modifier la fréquence des effets indésirables, leur survenue et leur gravité. Ce paragraphe n'indique pas que, lorsque de telles réactions dépassent les fourchettes acceptables par comparaison avec le produit innovateur, la forme pharmaceutique sera approuvée.

     En plus des essais de la Direction générale de la protection de la santé du gouvernement fédéral mentionnés précédemment, certaines provinces ont leur propre processus d'examen qui, jusqu'à un certain point, reprend celui de la Direction générale de la protection de la santé. L'Ontario, par exemple, a sa propre procédure d'examen. Tous les produits approuvés par le gouvernement fédéral ne sont pas inclus dans les médicaments interchangeables répertoriés par l'Index comparatif des médicaments. En ce qui concerne la fluoxétine, les produits Prozac, pms-Fluoxetine, apo-Fluoxetine, nu-Fluoxetine et novo-Fluoxetine ont tous été désignés comme des marques interchangeables.

     Il est révélateur de constater que les demanderesses n'aient produit aucun résultat d'essais ou article scientifique semblant indiquer que les produits génériques et les produits innovateurs ne sont pas de même nature ou de même qualité. Des résultats allant dans le même sens n'ont pas été présentés non plus au sujet de la fluoxétine des défenderesses par rapport à celle de la demanderesse. Les renseignements non scientifiques avancés par certains médecins et quelques patients selon lesquels les produits génériques et les produits innovateurs ne sont pas de qualité égale ne sont pas crédibles; ils ne sont pas fiables. Ces produits sont approuvés comme équivalents thérapeutiques. Ceux qui sont inclus dans l'Index comparatif des médicaments de l'Ontario et dans les publications semblables des autres provinces ont été jugés interchangeables avec le produit innovateur ou équivalents à celui-ci d'un point de vue thérapeutique. Les médecins et les pharmaciens se fondent sur ces évaluations.

     En appréciant la preuve portant sur la qualité équivalente, l'effet thérapeutique équivalent, l'interchangeabilité, etc., il ressort que le débat consistait en quelque sorte à jouer sur les mots. Les termes identique, pareil, indiscernable, équivalent, interchangeable, possible et probable doivent être replacés dans l'ensemble du contexte où ils sont utilisés. Il existe certaines différences entre les composants physiques du produit des demanderesses et ceux des produits des défenderesses (des ingrédients inactifs différents, par exemple). Par ailleurs, ces différences sont tellement infimes qu'il est exact d'affirmer que ces médicaments sont les mêmes.

L'effet placebo

     Le terme placebo est souvent utilisé pour désigner une substance inerte employée à des fins de comparaison lors d'études contrôlées portant sur une matière active. Dans le contexte de la présente affaire, d'après la preuve, les " facteurs placebo " s'entendent de tous les facteurs qui influencent la réaction du patient au traitement, indépendamment de l'effet pharmacologique du médicament lui-même. Ces facteurs peuvent comprendre la relation médecin-patient, les antécédents psychosociaux du patient, la forme sous laquelle se présente le médicament (une injection par opposition à une capsule, par exemple) et l'apparence du médicament. Les personnes souffrant de dépression réagissent au placebo dans une assez grande proportion. Une des études mentionnées rapporte que trente à quarante pour cent des patients atteints de dépression grave, qui participaient à l'étude, ont éprouvé un effet thérapeutique à un placebo pendant une période pouvant aller de 4 à 8 semaines. Des facteurs spécifiques jouent donc un rôle considérable dans le traitement de la dépression. L'apparence d'un médicament peut influencer la confiance d'un patient dans son efficacité et cette confiance peut, à son tour, influencer l'efficacité du médicament. Le patient sensible à un placebo, qui s'attend à ce qu'un médicament ait une certaine apparence, soit parce qu'il en a déjà consommé, soit parce qu'il le connaît, peut mal réagir à un changement dans celle-ci, et ce, au point de réduire ou d'annihiler l'effet bénéfique de celui-ci. Les diverses expériences racontées par Mmes Salo, Coady et Bingham peuvent être considérées comme des exemples de ce phénomène. La Dre Binkley a indiqué qu'en ce qui concernait Mme Coady, l'apparence différente des capsules a pu augmenter son anxiété et la disposer plus vraisemblablement à faire une attaque panique, l'affection pour laquelle elle était traitée.

     Selon le Dr Lapierre, on pourrait facilement neutraliser tout effet placebo négatif qu'un patient serait susceptible d'éprouver en passant de Prozac à un générique de la fluoxétine ayant une apparence différente en lui expliquant qu'une différence de couleur n'est pas synonyme de différence d'efficacité. Aucune étude n'a été présentée pour étayer son opinion. Il ignorait que les génériques sont maintenant, et ce, depuis les vingt dernières années ou même plus, commercialisés sous forme de capsules ou comprimés ayant la même apparence que les marques innovatrices correspondantes.

Le choix de l'apparence de la capsule - Revendication d'une marque de commerce dans l'apparence

     Aucun témoin de Lilly U.S. ayant une connaissance directe du choix des capsules vert et crème et des capsules vert et gris pour les formes posologiques de 20 mg et de 10 mg n'a été appelé. Certains témoins ont affirmé que l'apparence des capsules avait été choisie pour des questions de commercialisation, mais la Cour ne dispose d'aucune preuve première provenant de ceux qui ont fait ces choix. Quoi qu'il en soit, les formes posologiques ont dû influencer ce choix puisque les formes posologiques différentes ne se présentent pas dans les mêmes couleurs. Par la suite, Lilly U.S. a changé la couleur de ses capsules de 10 mg vendues aux États-Unis, qui sont maintenant entièrement crème. Aucune preuve n'explique pourquoi ce changement a été apporté.

     En ce qui a trait à la forme des capsules, une capsule cylindrique de la taille de celle utilisée par les demanderesses semble normale dans ce secteur d'activités. Il existe un nombre restreint de tailles de capsules pour les médicaments délivrés sur ordonnance, environ sept ou huit. Elles sont numérotées de 000 (ou 00) à 5. Plus le chiffre est élevé, plus la capsule est petite. La taille et la forme des capsules doivent les rendre facile à consommer. Lilly a choisi une capsule de taille 3 pour ces formes posologiques de 10 mg et de 20 mg. Quant à la forme de la capsule utilisée par Lilly, elle diffère de la forme normale à un seul égard : bien que l'extrémité de la coiffe de la capsule de Lilly soit sphérique, l'extrémité du corps, elle, est fuselée.

     En ce qui concerne les couleurs, une capsule bicolore pour un médicament délivré sur ordonnance ne constitue pas un caractère fondamentalement distinctif. Les capsules ayant une coiffe et un corps de couleurs différentes sont courantes dans ce secteur d'activités. En effet, la forme posologique de 300 mg de Lithane, un médicament parfois prescrit comme complément du traitement de la dépression, se présente sous la forme de capsules vert et jaune. Le chlordiazépoxide (Librium), un anxiolytique, est vendu en capsules vert et jaune (forme posologique de 5 mg) et vert et blanc (forme posologique de 25 mg). Les tons de vert et de jaune ne sont pas les mêmes que ceux de Prozac, mais cet exemple démontre qu'il n'y a rien d'essentiellement distinctif dans les couleurs choisies pour le produit Prozac.

     Comme la Cour l'a mentionné précédemment, avant octobre 1995, Lilly n'avait jamais formellement revendiqué l'apparence de la capsule à titre de marque de commerce.

     Les défenderesses ont indiqué qu'elles avaient décider de copier l'apparence des capsules de la société innovatrice parce que, au Canada, l'apparence des médicaments d'ordonnance est associée au genre de médicament et à la forme posologique. Elles ont admis que cette décision a été prise pour des motifs de mise en marché, mais elles nient avoir eu l'intention, d'une quelconque manière, de faire passer leurs produits pour celui de la défenderesse.

Les différences entre les capsules

     Les capsules que les défenderesses utilisent ne sont pas en tout point identiques à celles de la demanderesse. Les extrémités des capsules de la demanderesse ont une forme fuselée, tandis que celles des capsules des défenderesses sont sphériques. Deux défenderesses (Apotex et Nu-Pharm) emploient des capsules plus petites que celles de la demanderesse pour la forme posologique de 10 mg, Apotex utilisant une capsule de taille 4, et Nu-Pharm, une capsule de taille 3. Toutes les parties font usage de capsules de taille 3 pour la forme posologique de 20 mg; cette grosseur est également utilisée par la demanderesse et par Novopharm pour la forme posologique de 10 mg.

     Chaque capsule porte une inscription minuscule, qui diffère d'une marque à l'autre. Comme la Cour l'a déjà signalé, en plus de la posologie et d'un numéro d'identification, les mots " Lilly " et " Prozac " sont inscrits sur les capsules de la demanderesse. " Lilly " est écrit en caractères stylisés, qui sont typiques de cette société. Les défenderesses Novopharm, Apotex et Nu-Pharm inscrivent respectivement NOVO, APO et NU en majuscules sur le corps des capsules de 20 mg, et le chiffre 20 sur la coiffe. Des différences correspondantes existent dans les inscriptions qui se trouvent sur les capsules de 10 mg.

     Les différences entre les capsules de la demanderesse et celles des défenderesses ne sont évidentes que lorsque les capsules sont examinées de près.

Le point de vue du consommateur

     a) Le marché visé

         Dans une affaire d'imitation frauduleuse, il est nécessaire de prendre en considération les consommateurs potentiels du produit en question ainsi que les consommateurs actuels. Dans le cas de la fluoxétine, cette tâche n'est pas facile.

     En ce qui a trait aux consommateurs potentiels, les statistiques montrent que quinze pour cent des Canadiens souffriront de dépression à un moment ou à un autre de leur vie. Bon nombre d'entre eux peuvent ne jamais faire appel à une aide médicale. Parmi ceux qui le feront, tous ne seront pas traités au moyen de médicaments délivrés sur ordonnance; certains seront orientés vers d'autres formes de traitement. Une proportion de ceux qui recevront une ordonnance prendront un antidépresseur autre que la fluoxétine. Certains recevront un médicament moins récent ou un médicament qui fera partie d'autres I.S.R.S. comme Paxil, Luvox ou Zoloft, et d'autres recevront l'un des nouveaux médicaments.

     Une fois qu'il a déterminé une chimiothérapie efficace pour un patient en particulier, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'un patient dépressif, le médecin sera réticent à modifier la médication. Plus les épisodes dépressifs sont nombreux, plus l'affection est difficile à traiter. Ce ne sont pas tous les patients qui réagissent bien à un même médicament. Il arrive qu'un médecin doive prescrire plusieurs médicaments différents à un patient avant de trouver celui qui apporte l'effet désiré. Par conséquent, il est possible qu'une personne utilisant l'antidépresseur Paxil, par exemple, ne soit pas un consommateur potentiel de la fluoxétine. En outre, les personnes qui ne souffrent pas de dépression peuvent se situer à la fois dans le marché des consommateurs potentiels et actuels de la fluoxétine parce que ce médicament est prescrit aussi pour d'autres affections que la dépression. Ces conditions rendent difficile, sinon impossible, la détermination des consommateurs potentiels.     

     Une autre difficulté liée à la délimitation de l'ensemble pertinent réside dans l'inconstance du marché actuel. Certaines personnes vont prendre des antidépresseurs de façon continue pendant une longue période, d'autres en prendront moins longtemps. Les éléments de preuve présentés par les Drs Jones et Liefeld indiquent que 170 000 personnes ont commencé à prendre de la fluoxétine depuis que les défenderesses ont pénétré le marché. Toutes les semaines, quelque 4 000 patients commencent à prendre Prozac. Les renseignements fournis par Lilly indiquent que les traitements à l'aide de Prozac durent en moyenne six à neuf mois. Mais l'arrêt du traitement ne signifie pas que la personne est guérie. La dépression est une maladie récidivante et la personne peut être appelée à reprendre des médicaments par la suite. Quoi qu'il en soit, la clientèle actuelle de la fluoxétine change de jour en jour et peut différer considérablement entre deux périodes consécutives de six à neuf mois.

     Selon les Drs Liefeld et Fenwick, comme la jurisprudence a jugé pertinentes les opinions de tous les consommateurs actuels ou potentiels, l'avis du grand public devrait être pris en considération. L'étude réalisée par Environics tient aussi pour pertinents les points de vue du public en général. Cette attitude a été adoptée en raison de la considérable couverture médiatique accordée à Prozac. Une partie des études de Liefeld-Fenwick et d'Environics porte sur des sous-groupes qui ont réagi soit à la marque Prozac, soit à la couleur des capsules. Ces personnes ont été classées parmi celles qui connaissent Prozac ou qui sont renseignées sur son sujet. Les experts cités par les demanderesses, plus particulièrement le Dr Heeler, ont défini le segment du marché occupé par le produit comme celui des antidépresseurs et ont estimé que les consommateurs d'antidépresseurs dont il faut tenir compte aux fins du présent litige sont les utilisateurs passés et actuels de Prozac. Ce sont les seules personnes qui auront vu l'apparence de la capsule.

     La Cour accepte que les points de vue du grand public, ceux des consommateurs d'antidépresseurs et ceux des consommateurs de Prozac sont pertinents. Si la preuve démontrait qu'une proportion importante du grand public associe l'apparence de la capsule avec la marque de fluoxétine de Lilly, ou avec une seule source ou origine, cette preuve serait convaincante. La Cour accepte que les consommateurs d'antidépresseurs, même ceux qui ne prennent pas Prozac, connaissent davantage les traitements de la dépression et les médicaments offerts en vente pour cette affection que le public en général. De même, il est à prévoir, comme le confirment les éléments de preuve révélés par les études, que les utilisateurs de Prozac ou les personnes qui sont renseignées sur son sujet sont plus susceptibles que les autres de connaître ou de reconnaître la couleur des capsules. Le marché des consommateurs actuels de fluoxétine comprend ceux qui ont consulté un médecin et qui ont obtenu une ordonnance pour ce médicament. Comme c'est une maladie qui récidive, les anciens consommateurs sont plus susceptibles que le public en général d'être des consommateurs potentiels. Le marché des consommateurs potentiels est difficile, sinon impossible, à définir. La Cour ne rejette aucune preuve offerte pour le motif que le marché ciblé n'aurait pas été le bon. La valeur qu'il faut accorder à chaque étude peut être estimée en fonction des questions posées et du groupe à qui ces questions ont été posées.

     b) La preuve apportée par des études

     Afin d'apporter la preuve des points de vue des consommateurs actuels et potentiels, toutes les parties ont fourni à la Cour des éléments de preuve résultant de diverses études. En fait, la plus grande partie de l'instruction a été consacrée à la présentation, à l'analyse et à la critique de ces éléments de preuve. Ces éléments de preuve sont pertinents dans une affaire de ce genre, lorsqu'une partie essaie de savoir quelles sont les opinions et les réactions d'un nombre important de personnes face à la présentation d'un produit.2

     La Cour voudrait, tout d'abord, formuler certaines observations générales sur la qualité de cette preuve, puis exposer les conclusions qu'elle en a tirées. L'étude du Dr Heeler a été fortement critiquée par un certain nombre de témoins. Il est évident qu'il s'agit d'un travail très peu soigné, ce qui se voit dès la première lecture, avant même d'avoir l'avis d'un expert. Le témoignage des experts a corroboré cette évaluation initiale. Le rapport comporte des graves failles, que la Cour n'envisage pas d'exposer en détail. Selon son évaluation de la preuve, la Cour conclut que les principales lacunes sont les suivantes : la nature tendancieuse et biaisée des questions posées et l'ordre des questions; l'absence d'essai préliminaire; le défaut de prendre des mesures pour s'assurer que les personnes interrogées ne sont pas des [TRADUCTION] " abonnés " des mails (qui passent une bonne partie de leur temps dans les centres commerciaux); la présentation confuse et exagérée des résultats de l'étude. Une bonne partie de la preuve a porté sur la non-représentativité de l'échantillon choisi. Selon la Cour, la nature biaisée des questions et l'ordre dans lequel elles ont été posées représentent une faille beaucoup plus grave. L'étude avait l'avantage de demander aux gens de procéder à une reconnaissance visuelle en leur présentant réellement une capsule vert et crème. Toutefois, les défauts qu'elle comporte sont si importants qu'ils en compromettent l'utilité. À cet égard, par exemple, la conclusion du Dr Heeler selon laquelle la renommée de Prozac porte non seulement sur le nom de marque mais aussi sur l'apparence de la capsule constitue un cheminement logique que les données n'étayent pas.

     L'enquête d'Environics a été conçue, menée et présentée d'une manière très professionnelle. Cette société a pris soin de choisir un échantillon représentatif de la population en général. Les résultats ont été présentés en termes clairs et non biaisés. Pour ce qui est des consommateurs de Prozac ou d'antidépresseurs, le fait d'essayer de rassembler un échantillon représentatif à l'aide de techniques d'échantillonnage aléatoire, lorsque le pourcentage de la population à représenter est si faible, constituait manifestement un défi. Il est admis que de demander aux personnes interrogées d'identifier une capsule d'après une description verbale de son apparence fait appel à leur mémoire plutôt qu'à leur capacité de reconnaître le médicament, et qu'il y a moins de gens qui se rappellent l'apparence de la capsule, qu'il n'y en a qui la reconnaissent en la voyant. Une méthode fondée sur la reconnaissance visuelle est donc préférable à une méthode basée sur la mémoire pour évaluer le caractère distinctif d'une marque de commerce. Toutefois, pour être décisive, la reconnaissance visuelle doit s'accompagner d'une association avec la source.

     Les motifs invoqués par le Dr Liefeld pour justifier le choix de cette méthode sont hautement plausibles. À son avis, l'absence sur le marché, de produits concurrents par rapport auxquels on aurait pu distinguer le produit des demanderesses, jusqu'à peu de temps avant que l'étude du marché ne soit entreprise, a posé de grandes difficultés dans la réalisation d'une recherche utile. Il a fait remarquer que, dans de telles circonstances, un consommateur pouvait associer l'apparence de la capsule (sa couleur) à une ou plusieurs caractéristiques du produit : la posologie, la composition chimique, la maladie pour laquelle le médicament est administré, la marque et la source. Il a appelé ce phénomène [TRADUCTION] " confusion liée à la recherche " ou [TRADUCTION] " confusion liée au monopole ". Pour parvenir à réaliser une recherche valable sur le caractère distinctif d'une marque ou d'une source, il faut donc, selon lui, tenter de distinguer les diverses significations attribuées afin de déterminer quelle proportion des personnes interrogées attribuent une ou plusieurs significations à l'apparence de la capsule et dans quelle mesure. La Cour accepte son témoignage. La Cour convient qu'il ne suffit pas de demander à une personne si elle reconnaît ou connaît un symbole particulier (y compris une présentation ou une marque de commerce), mais qu'il faut aussi déterminer la signification que la personne donne à ce qu'elle connaît ou a reconnu.

     La deuxième difficulté éprouvée, selon le Dr Liefeld, consistait à trouver des consommateurs de Prozac pour participer à une étude qui vérifiait la signification attribuée, en évitant qu'ils soient influencés par le fait qu'ils avaient été choisis parce qu'ils prenaient Prozac. C'est ce qui l'a amené à conclure que la recherche qui présenterait le plus d'utilité, compte tenu du temps et des fonds disponibles, devrait chercher à déterminer quelle(s) signification(s) les personnes associent aux couleurs des médicaments délivrés sur ordonnance en général. À partir de ces renseignements, il aurait été possible de tirer des conclusions en ce qui a trait à la (aux) signification(s) que les personnes associent à l'apparence des capsules de Prozac, à moins que Prozac soit différent des produits en général. La présente méthode comportait l'avantage supplémentaire d'inclure l'expérience et les opinions des consommateurs potentiels faisant partie de la population en général, mais qui n'étaient pas identifiables au moment de l'étude. La preuve présentée par le Dr Liefeld et le Dr Fenwick, à partir de leur étude, était, tout comme celle d'Environics, préparée avec soin et professionnalisme. Les méthodes de recherche utilisées sont garantes de résultats valides et fiables.

     La critique faite par le Dr Papadopoulos de l'enquête Liefeld-Fenwick n'est pas convaincante : il a passé en revue les affidavits des deux médecins, mais n'a pas examiné la documentation relative à l'étude et n'a entendu ni examiné aucun des témoignages rendus par le Dr Fenwick. À titre d'exemple, il a critiqué la question 2A de l'étude, mais il a ajouté qu'il n'aurait aucune réserve à propos de cette question si les termes [TRADUCTION] " mêmes couleurs " avaient été remplacés par " même apparence ". Selon lui, la question aurait dû être formulée de façon à préciser aux personnes interrogées que les capsules contenaient le même médicament, mais provenaient de différents fabricants. Il ne semblait pas réaliser que la question était posée, entre autres, pour savoir si les gens estimaient que la couleur désignait le médicament ou le fabricant.

     Il est évident qu'un fort pourcentage de la population canadienne en général connaît la marque Prozac et l'associe avec un médicament psychotrope. Cependant, malgré la publicité dont le produit a fait l'objet, la preuve n'établit pas qu'un nombre important de personnes associent la taille, la forme et la couleur de la capsule, ou la couleur uniquement, avec Lilly ou avec une source ou origine commerciale. L'étude d'Environics montre que 1,4 % de la population en général croit qu'une capsule moitié verte, moitié jaune pâle signifie qu'il s'agit de Prozac. De ce pourcentage, moins de quatre personnes sur dix pensent que Prozac est fabriqué par une société en particulier. En d'autres termes, la moitié de un pour cent (0,5 %) de la population en général pense qu'une capsule moitié verte, moitié jaune pâle désigne un médicament appelé Prozac qui est fabriqué par une société en particulier.

     Comme il a été mentionné précédemment, la recherche d'Environics comportait également des questions destinées aux personnes qui avaient indiqué qu'elles-mêmes ou des membres de leur famille avaient pris Prozac (le groupe des personnes qui connaissent Prozac). Selon les résultats de l'étude, seulement 10 % des personnes de ce groupe (qui connaissent Prozac) ont reconnu la capsule moitié verte, moitié jaune pâle comme étant Prozac et, parmi ces personnes, seulement un peu plus du quart (soit 2,7 %) pensait que Prozac était fabriqué par une société en particulier.

     La preuve de Liefeld-Fenwick indique que les gens en général n'attachent vraiment pas beaucoup de signification à la couleur des médicaments délivrés sur ordonnance. Il ressort de cette étude que 55 % des personnes n'attribuent aucune signification au fait que la couleur des capsules est la même. S'il y avait une signification attribuée au fait que des capsules de médicaments délivrés sur ordonnance étaient de la même couleur, c'était le plus souvent que le contenu des capsules était le même (c'est-à-dire la composition chimique, ou encore les ingrédients, la posologie, ou la maladie pour laquelle il est prescrit) - 17 % des gens étant de cet avis. Seulement 2 % des gens ont pensé que des couleurs identiques indiquent que la source des capsules est la même. Les autres ont donné des réponses qui étaient trop ambiguës pour être classées, ou qui n'avaient absolument aucun rapport avec la question, ou encore lui ont attribué une signification quelconque qui n'était aucunement liée à la source.

     L'étude Liefeld-Fenwick cherchait aussi à déterminer la proportion de la population en général qui avait eu une expérience liée à Prozac (personnes qui connaissent Prozac). Ces chercheurs ont tenté, dans le cadre de leur étude générale, de savoir si les gens qui connaissent Prozac ou à qui la marque Prozac disait quelque chose pouvaient en indiquer les couleurs, et si les personnes à qui les couleurs de la capsule avaient été indiquées, sans mention de la marque, pouvaient préciser la marque. Parmi ceux qui ont nommé Prozac comme médicament servant à traiter les états dépressifs, l'anxiété ou les troubles de l'alimentation, seulement 6 % (soit 1,2 % de l'échantillon total des personnes qui connaissaient Prozac) pouvaient indiquer les bonnes couleurs. Parmi ceux qui prétendaient avoir vu le produit, en avoir entendu parler ou avoir lu à son sujet, seulement 2 % (1,4 % du total des personnes renseignées au sujet de Prozac) pouvaient dire avec exactitude de quelles couleurs il était en entendant le nom. Parmi les répondants qui ont prétendu avoir déjà vu un médicament délivré sur ordonnance dont la capsule était vert et jaune pâle, en avoir entendu parler ou avoir lu quelque chose à ce sujet, moins de 0,5 % ont identifié ce médicament comme étant Prozac.

     À l'insu des Drs Liefeld et Fenwick, la défenderesse de Novopharm a utilisé l'étude qu'ils avaient conçue pour interroger un groupe de personnes réputées vivre dans un foyer où l'un des membres de la famille avait consulté un médecin au cours des douze derniers mois en raison d'une dépression. (La preuve décrit à tort ce groupe comme [TRADUCTION] " l'échantillon des anxieux ").

     L'étude conçue par les Drs Liefeld et Fenwick avait été menée, sous leur supervision, par Market Facts du Canada Ltée (Market Facts). Market Facts est une entreprise qui fait des études de marché et qui maintient un " panel postal de consommateurs ". Ce panel comprend environ 60 000 ménages au Canada, qui sont choisis comme étant assez représentatifs du point de vue démographique en fonction d'un certain nombre de variables. Les panélistes acceptent de recevoir de temps à autre des questionnaires de Market Facts et d'y répondre. La composition du panel change de façon périodique afin que les panélistes ne s'habituent pas trop à répondre à des questionnaires et ne deviennent ainsi non représentatifs des gens ordinaires. À l'époque en question, Market Facts venait juste de terminer une enquête générale sur la santé auprès de 10 000 ménages à l'aide de son panel postal. Cette enquête a permis d'identifier les panélistes qui avaient déclaré avoir eux-mêmes consulté un médecin, ou qu'un de leurs proches l'avait fait, au cours de la dernière année pour des troubles de l'humeur ou pour une dépression. Le questionnaire élaboré par les Drs Fenwick et Liefeld, auquel on a ajouté deux questions, a été soumis à ces panélistes.

     L'enquête menée sur l'échantillon des anxieux a eu recours aux mêmes méthodes valides et fiables qui ont été utilisées pour l'enquête générale Liefeld-Fenwick. Les résultats indiquent que les personnes qui ont consulté elles-mêmes un médecin à cause d'une dépression, ou qui ont vécu dans un foyer où quelqu'un l'avait fait, avaient moins tendance que les personnes de l'échantillon général à dire que la similitude des couleurs de la capsule ne signifiait rien pour elles. Le plus souvent, elles déclaraient que la similitude des couleurs des capsules était liée au contenu de celles-ci ou à leur utilisation (par exemple, composition chimique et maladie pour laquelle le médicament est prescrit). Parmi toutes les associations faites entre la similitude des couleurs des capsules et leur signification, c'était encore la signification liée à la source qui était le moins souvent mentionnée; ainsi, seulement 5 % des répondants ont attribué une signification liée à la source. Dans la sous-catégorie des personnes qui connaissent Prozac, seulement 19 % des répondants ont pu donner avec exactitude au moins une combinaison de couleurs de Prozac, 59 % ont déclaré ne pas savoir de quelle couleur était la capsule, et 23 % n'ont pas indiqué les bonnes couleurs.

     Les deux questions qui ont été ajoutées au questionnaire de Liefeld - Fenwick étaient les suivantes : vous a-t-on déjà prescrit Prozac? et, Est-ce qu'on a déjà prescrit Prozac à un membre de votre famille, à un de vos amis ou à un de vos proches parents? Les personnes qui ont répondu par l'affirmative ont été classées comme ayant prétendu avoir été en contact avec Prozac. Dans ce groupe, 27 % des répondants ont associé les bonnes couleurs de capsule avec Prozac.

     Dans l'ensemble, les résultats de l'enquête ne révèlent que très peu d'éléments prouvant que les gens associent les mêmes couleurs de capsule à une même source, très peu d'éléments prouvant qu'ils associent la marque Prozac aux couleurs réelles de la capsule de Prozac, et très peu d'éléments prouvant qu'ils associent les couleurs vert et jaune pâle de la capsule à la marque Prozac.

     Comme la Cour l'a mentionné précédemment, l'étude mise au point par les Drs Liefeld et Fenwick ne visait pas à vérifier la signification que les consommateurs de Prozac attribuent à l'apparence des capsules de Prozac lorsqu'ils font le lien entre les couleurs des capsules et Prozac. La Cour répète que le Dr Liefeld estimait qu'il était très difficile de le faire sans gauchir les résultats de la recherche. Selon lui, la meilleure façon de mener une recherche pour obtenir des résultats suffisamment valides et fiables était de mener une expérience sur le terrain, c'est-à-dire d'avoir la même fluoxétine provenant de diverses sources et présentée dans des capsules de mêmes couleurs, et d'évaluer la confusion qui en résulte. Cette expérience aurait, cependant, entraîné des coûts exorbitants et il aurait fallu au moins un an et demi pour la réaliser.2 À l'époque où les Drs Liefeld et Fenwick ont procédé à la recherche demandée, l'injonction était encore en vigueur et il n'y avait sur le marché aucune capsule de fluoxétine provenant des concurrents ayant les mêmes couleurs que le produit innovateur.

     Ce qui étonne par rapport à la preuve apportée par des études, notamment par rapport aux travaux extrêmement biaisés du Dr Heeler, c'est l'absence d'association. On aurait pu s'attendre à ce que les personnes qui prennent effectivement Prozac à un moment donné, ou qui en ont pris dans un passé relativement récent, soient en mesure de le reconnaître par son apparence, étant donné qu'elles ont pris ce médicament chaque jour pendant une longue période pour soulager une maladie si grave et si pénible. Même lorsque la recherche était axée précisément sur ce groupe, que les personnes interrogées étaient choisies dans un contexte extrêmement biaisé et qu'on leur a posé des questions très tendancieuses, une grande proportion des répondants n'ont pas reconnu les capsules par leur apparence.

     c) Les patients

     Les personnes qui ont comparu pour témoigner peuvent être classées en deux catégories : (1) les personnes interrogées par Me McIntyre et (2) les autres. La première catégorie comprend Mme Quon, Mme Dunn, M. Ashdown et Mme Johnson. Ce sont toutes des personnes très renseignées sur les troubles de l'humeur et sur Prozac.

     Mme Quon travaille pour la Depression Support Society of British Columbia. Cet organisme se consacre à la sensibilisation de ses membres et du public en général à la dépression et aux autres troubles de l'humeur. Mme Dunn dirige un groupe de soutien relevant de la Mood Disorder Association of British Columbia. M. Ashdown est directeur général de la Society for Depression and Manic-Depression of Manitoba. Il est également président de l'Association canadienne des dépressifs et des maniaco-dépressifs. Ces deux dernières organisations ont reçu des dons de Lilly Canada allant de 400 $ à 25 000 $. Lilly Canada a déjà commandité un voyage que M. Ashdown a effectué dans toutes les régions du Canada avec l'un de ses employés pour donner des informations générales sur la dépression. Mme Johnson est au service de la Society for Depression and Manic-Depression du Manitoba comme travailleuse des services d'approche au Centre des services de la santé de Winnipeg. Il était normal de s'attendre à ce que tous ces témoins, compte tenu de leur expérience et de leur travail respectifs, sachent que Lilly est le fabricant de Prozac, et cette hypothèse s'est confirmée.

     En octobre 1995, Me McIntyre a interrogé ces personnes, en prévision d'une demande d'injonction interlocutoire, et avant l'arrivée sur le marché de toute fluoxétine générique. Avant de le rencontrer, les témoins savaient que Me McIntyre était avocat et représentait la société Lilly; ils savaient aussi qu'ils avaient été choisis pour être interrogés parce qu'ils avaient pris Prozac. Bien que M. Ashdown ait prétendu ignorer que Me McIntyre venait s'entretenir de Prozac avec lui, c'est lui qui a trouvé Mme Johnson pour l'entrevue et, selon le témoignage de cette dernière, il lui aurait dit : [TRADUCTION] " quelqu'un doit venir à Winnipeg pour nous parler de Prozac et désire s'entretenir avec quelqu'un qui a déjà pris Prozac ".

     Me McIntyre a interrogé Mmes Dunn et Quon et leur a demandé si elles prenaient toutes les deux Prozac ou si elles savaient à quoi Prozac ressemblait. Il a dit à Mme Johnson qu'ils allaient parler de Prozac et lui a demandé si elle savait à quoi ressemblait ce médicament. Me McIntyre a sorti un flacon et a versé des capsules dans la paume de sa main devant Mme Quon et Mme Dunn. Il a placé quelques capsules vert et jaune pâle sur la table devant M. Ashdown et Mme Johnson. Dans chaque cas, les capsules sont restées à une certaine distance du sujet. Aucune des personnes interrogées n'a ouvert le flacon ni n'a manipulé les capsules au début. Les témoins ont été interrogés en ayant Prozac à l'esprit et ont manifestement été incités à répondre Prozac.

     Tel que mentionné, au départ, ces témoins n'ont pas eu l'occasion de manipuler le médicament ou de retirer les capsules du flacon étiqueté - situation qui se serait le plus rapprochée des circonstances dans lesquelles un consommateur voit le produit pour la première fois après l'avoir acheté chez le pharmacien. Toutefois, lorsque par la suite les témoins ont vu les capsules de plus près et les ont manipulées, ils ont tous facilement reconnu, soit à partir des inscriptions sur les capsules, soit à partir de la forme des capsules, qu'il ne s'agissait pas de Prozac. La Cour souligne également que les inscriptions qui se trouvent sur les capsules de fluoxétine des défenderesses sont plus grosses que le " TRADE DRESS LICD " écrit sur les capsules de pms-Fluoxetine. Les demanderesses se servent de cette indication pour avertir le consommateur de l'usage autorisé de l'apparence de la capsule.

     La deuxième catégorie de patients appelés à témoigner comprend Mme Coady, Mme Bingham, Mme Salo, M. Reimer, M. Wilson. La Cour ne peut accorder aucune force probante au témoignage de Mme Coady; il contient tout simplement trop d'incohérences et de contradictions. Elle a d'abord dit qu'elle était allée chercher son ordonnance en se rendant à l'aéroport et qu'elle a pris une capsule le jour suivant son arrivée. Par la suite, elle a modifié son récit et a prétendu avoir pris une capsule deux ou trois jours après son arrivée et ne pas s'être rendue directement à l'île de Salt Spring. Elle a déclaré qu'après avoir été conduite à l'hôpital, où elle est demeurée sept heures, elle est retournée chez sa fille où elle a dormi pendant trente heures, mais qu'elle se sentait toujours bien à l'Halloween. Les dossiers d'hôpital indiquent qu'elle a passé environ une heure dans l'établissement le 30 octobre. Elle affirme que le médecin de l'hôpital lui a dit qu'elle faisait une réaction allergique au médicament (choc anaphylactique). Son dossier d'hôpital indique que le médecin avait diagnostiqué une crise de panique, la maladie pour laquelle elle était soignée. Le diagnostic inscrit dans les dossiers correspond à celui posé par la Dre Binkley.

     La fiabilité de certaines parties du témoignage de Mme Bingham peut aussi être mise en doute. Bien que Prozac lui ait été prescrit pour soigner une dépression, elle a décidé plus d'une fois d'abandonner la médication sans l'assentiment de son médecin. Lorsqu'elle est retournée consulter un médecin, autre que son médecin habituel qui était en vacances, elle a eu une nouvelle ordonnance de fluoxétine; elle a attribué sa difficulté à se rétablir dans un certain délai au fait qu'elle avait obtenu un médicament générique et non Prozac. Comme il l'a été mentionné auparavant, il n'est pas fondé scientifiquement de prétendre qu'une marque générique soit moins efficace que le produit de Lilly. De plus, aucune confusion ne régnait dans l'esprit de Mme Bingham concernant le produit qu'elle avait obtenu à la pharmacie. Sur l'ordonnance, le médecin avait écrit le nom chimique et non un nom de marque du médicament. Le pharmacien lui avait expliqué que, le brevet de Prozac ayant pris fin, il lui fournirait un produit d'une marque générique. Le médicament générique qu'elle a acheté était l'une des capsules entièrement crème de la défenderesse qui ont été mises sur le marché pendant que l'injonction était en vigueur. Il est possible de croire qu'au moins une des raisons expliquant les effets négatifs qu'elle a éprouvés était une réaction psychologique à l'apparence différente des capsules. Elle a dit à son médecin que [TRADUCTION] " le comprimé entièrement jaune [...] ne devrait pas être prescrit aux patients [...] les gens devraient en être avertis [...] ".

     L'expérience relatée par Mme Salo peut aussi être considérée de cette manière. Aucune confusion ne régnait dans son esprit quant au médicament qui lui avait été délivré. La situation lui avait été clairement expliquée. Elle savait, toutefois, que son mari n'avait pas obtenu la marque PMS recommandée par son médecin. Elle a indiqué que, dès qu'elle a vu les capsules d'aspect différent, sa réaction a été la suivante [TRADUCTION] : " ... Je les ai regardées et j'ai conclu que j'avais des ennuis ". Encore une fois, ces propos semblent montrer qu'il s'agit d'une réaction psychologique négative de type placebo causée par la différence d'apparence des capsules.

     Il y a peu à dire sur le témoignage de MM. Reimer et Wilson si ce n'est qu'il n'étaye pas l'existence d'un risque de confusion. M. Reimer a indiqué qu'il savait qu'il était possible d'obtenir des marques génériques et qu'il pouvait dire s'il avait reçu une marque plutôt qu'une autre. Le médecin lui avait prescrit une forme posologique de 10 mg et il l'a obtenue. Bien qu'il ait précisé que, d'après ses lectures sur Prozac, il s'attendait à recevoir une capsule vert et crème, le fait de recevoir une capsule vert et gris ne l'a pas inquiété, car la marque Prozac et le nom Lilly étaient inscrits dessus. La Cour a eu l'impression que la capacité de M. Reimer et de M. Wilson d'identifier Lilly comme étant le fabricant de Prozac n'était pas entièrement spontanée. En effet, M. Wilson semblait passablement embarrassé lorsqu'il a répondu " E.Y. Lilly " au lieu de " Eli Lilly " à la question de l'avocat.

Le manque de crédibilité des médecins

     La Cour n'a pas jugé crédibles et fiables certaines parties capitales des témoignages des médecins appelés à témoigner par les demanderesses. À titre d'exemple, dans son témoignage, le Dr Coyle a indiqué qu'il prescrivait à tous ses patients les médicaments de l'innovateur par leur nom de marque, en indiquant " aucune substitution ", sans se préoccuper des conséquences au point de vue des coûts pour les patients. Il préfère utiliser le nom de marque de l'innovateur dans ses ordonnances parce que les fabricants de ces produits font beaucoup de recherches. Il ignore tout des défenderesses, à savoir Apotex, Nu-Pharm et Novopharm. Il a bénéficié de fonds de recherche provenant des sociétés qui fabriquent des médicaments d'origine. Il donne des conférences pour leur compte. Son opinion suivant laquelle certaines marques sont meilleures que la marque générique correspondante n'a aucun fondement scientifique. Il semble avoir délibérément essayé de mémoriser les couleurs de capsule de divers médicaments, sur lesquels il s'attendait à être interrogé par l'avocat des défenderesses, et lorsqu'il a été incapable de répondre, il a donné comme explication qu'il n'avait pas prescrit ce médicament depuis longtemps. Son témoignage n'était pas convaincant.

     Quant au Dr Bugeja, son témoignage manquait totalement de crédibilité. Il a affirmé que le droit du patient de choisir était primordial. Il a admis qu'il entretenait un rapport de fiduciaire avec ses patients, qu'il était en mesure de les informer des choix de marques et de la façon de s'assurer qu'ils obtiennent le produit désiré. Du même coup, il a affirmé que la plupart d'entre eux ne savent pas qu'ils peuvent choisir une marque en particulier. Il a déclaré, dans son affidavit, qu'étant donné que ses patients se fient à la taille, à la forme et à la couleur du produit, [TRADUCTION]" si les fabricants de médicaments génériques peuvent mettre sur le marché des médicaments qui ressemblent aux produits d'origine, beaucoup de patients croiront à tort qu'ils reçoivent le médicament de l'innovateur ". Lorsqu'il a été interrogé s'il savait que la pratique actuelle était de commercialiser les médicaments génériques sous une apparence similaire à la marque du produit d'origine correspondant, il a répondu que ce n'était pas vrai dans tous les cas. Il a mentionné Eltroxin et Synthroid à titre d'exemples d'exception à cette pratique généralisée. Toutefois, ces produits ne sont pas une exception à la pratique généralisée. Le Dr Bugeja a raconté le cas d'un de ses patients qui prenait de l'énalapril et qui a obtenu Vasotec. Ce patient est venu lui demander s'il avait eu le bon médicament, la capsule obtenue étant d'une couleur différente de celle de l'énalapril. Le Dr Bugeja a dit qu'à sa connaissance Vasotec était [TRADUCTION]" violacé ". En fait, les deux produits (l'énalapril et Vasotec) ont la même apparence et aucune forme posologique de Vasotec n'est violacée.     

     Le Dr Gribble a témoigné qu'en général il écrit " aucune substitution " sur ses ordonnances. Il croit que les médicaments génériques ne sont pas aussi efficaces. Il a demandé à un pharmacien du quartier, sur l'ordre d'un représentant de Lilly, de ne délivrer que la marque Lilly à ses patients s'il oubliait d'inscrire " aucune substitution " sur l'ordonnance. Il a déclaré que, deux semaines auparavant, l'un de ses patients lui avait mentionné que le médicament qu'il prenait ne donnait pas d'aussi bons résultats qu'avant. Il s'agissait d'apo-Fluoxétine. Le Dr Gibble lui a prescrit de nouveau Prozac, mais il ignore si la situation s'est améliorée parce qu'il n'a pas revu ce patient depuis. Certains de ses patients ont fait un rechute lorsqu'ils étaient traités à l'aide de Prozac. Il ignorait qu'il était de pratique courante d'autoriser les médicaments génériques à revêtir la même apparence que le produit d'origine. Son opinion selon laquelle les patients reconnaissent une marque par l'apparence des capsules et voulant que l'existence de capsules d'apparence similaire nieraient leur droit de savoir quelle marque ils prennent repose sur la méconnaissance des pratiques commerciales actuelles.

     En ce qui concerne le Dr Lapierre, bien qu'il ait apporté un témoignage d'expert utile sur l'effet placebo en général, aucune étude ne corrobore son opinion mentionnée précédemment selon laquelle le fait de renseigner les patients pourrait permettre de surmonter facilement tout effet placebo négatif découlant de la différence de présentation des capsules. Il a parlé d'un de ses patients qui prenait un médicament breveté, Sinequan, qui est passé à un médicament générique, la doxépine, et qui a commencé à faire des cauchemars. Le Dr Lapierre ne connaît aucun ingrédient inactif susceptible d'occasionner des cauchemars. Il ne semble pas être à jour en ce qui concerne l'évaluation des équivalents thérapeutiques fournie par la Direction générale de la protection de la santé. Tout en déclarant que l'apparence différente de Sinequan et de la doxépine avait amené son patient à conclure qu'une marque différente lui avait été délivrée, il ignore si les deux produits ont une apparence réellement différente. Pour sa part, il délivre rarement des ordonnances en spécifiant " aucune substitution ". À son avis, il est utile que les médicaments provenant de différentes sources aient une apparence différente, mais il ignore si la majorité des médicaments génériques délivrés en Ontario, où il exerce sa profession, ressemblent aux médicaments d'origine ou sont différents. Il ne se préoccupe pas de cette question quand il conseille ses patients.

     Bien que le Dr Levitt estime qu'environ vingt-cinq pour cent des patients auxquels il a prescrit Prozac, savent ou apprennent qu'il est fabriqué par Lilly, parce que le nom de Lilly est écrit sur les emballages-échantillons et divers documents, cette opinion ne repose que sur des conjectures. La Cour n'accepte pas son opinion à cet égard. Ce médecin considère qu'il serait sage d'attribuer des couleurs différentes à chaque marque d'un médicament donné parce que, selon lui, les effets secondaires et les degrés d'efficacité des diverses marques ne sont pas les mêmes. À son avis, la biodisponibilité diffère selon les marques - une conclusion que la preuve contredit tout à fait. Il ignorait que, maintenant, la plupart des médicaments génériques ressemblent aux médicaments d'origine. Il utilise toujours le nom chimique dans ses ordonnances et se sert d'un carton pour montrer à ses patients à quoi ressemble le médicament prescrit, avant qu'il ne leur soit délivré. Dans le cas de la fluoxétine, le carton montre des capsules de Prozac 20 mg, de Prozac 10 mg et de pms-Fluoxetine 20 mg, mais il ne présente aucun exemple des produits des défenderesses. Deux semaines avant son témoignage du 29 novembre 1996, il ignorait encore l'existence de versions génériques de fluoxétine autres que pms-Fluoxetine. Il ne savait pas que la plupart des médicaments génériques ressemblent au médicament de l'innovateur.

     Le Dr Jones a présenté un témoignage très utile sur l'historique du traitement de la dépression et sur l'importance de la mise au point de la fluoxétine à cet égard. Toutefois, son témoignage selon lequel certains patients se sont plaints de ne pas se sentir aussi bien avec le médicament générique qu'avec le médicament d'origine ne s'appuie sur aucune information précise quant au nombre d'appels qu'il a reçus à ce sujet (soit entre un et cinq, selon lui), et il n'a pu fournir de renseignements précis sur le contenu de ces appels. Il n'a jamais fait de rapport sur ces plaintes, ni à la Direction générale de la protection de la santé, ni à la société pharmaceutique visée. Habituellement, le Dr Jones prescrit des médicaments génériques plutôt que des médicaments d'origine pour limiter les coûts supportés par ses patients.

Les considérations d'ordre public

     Les témoins comparaissant tant pour les demanderesses que pour les défenderesses ont évoqué des considérations d'ordre public. Les témoins des demanderesses affirment que les patients ont le droit de savoir quelle marque de médicament ils reçoivent et ils estiment que, si les différentes marques se présentaient dans des capsules de couleur différente, les consommateurs auraient un moyen facile de les reconnaître. Les témoins des défenderesses soutiennent que le fait d'avoir les mêmes médicaments et les diverses formes posologiques de ceux-ci dans des capsules de même taille, forme et couleur représente une sécurité qu'il ne faut pas abandonner : il permet à la fois aux patients et aux professionnels de la santé de s'apercevoir rapidement d'une erreur possible dans le médicament délivré, tant à la pharmacie qu'à l'hôpital; ainsi, les patients, particulièrement les personnes âgées, peuvent faire la distinction entre leurs médicaments s'ils en prennent plusieurs en même temps. Le témoignage de Kathleen Connors, présidente de la Fédération nationale des syndicats d'infirmières/infirmiers, offre un exemple particulièrement touchant du rôle que peut tenir le système actuel sur le plan de la sécurité. Elle a évité de commettre une erreur en administrant un médicament à une patiente hospitalisée qui a reconnu, grâce à sa couleur, le médicament précis auquel elle était fortement allergique.

     Tous les professionnels de la santé qui ont été appelés à témoigner, à l'exception de trois, ont reconnu le droit des patients de savoir quelle marque de médicament leur est délivrée. De l'avis du Dr Ensom, président sortant de la Société canadienne des pharmaciens d'hôpitaux, ce n'est pas une information importante. Le Dr Remick, médecin-conseil au St. Paul's Hospital de Vancouver, estime que la marque du médicament n'est pas une considération pertinente. Selon Simon Ng, pharmacien superviseur de la chaîne London Drug, la marque n'a d'importance qu'en cas de changement de marque. En général, les médecins ne disent pas à leurs patients que différentes marques sont offertes. Les pharmaciens ne considèrent pas la marque comme étant un facteur important, sauf si la marque délivrée n'est plus la même. Bien que les professionnels de la santé reconnaissent le droit des patients d'être informés, ils ne considèrent pas, de façon générale, avoir l'obligation de les informer du choix de marques. S'il faut instaurer un mécanisme pour donner effet au droit des patients d'être informés, on ne sait pas trop pourquoi il ne serait pas possible de demander aux pharmaciens d'inscrire le nom complet de la société pharmaceutique qui fabrique le produit, par exemple LILLY au lieu de LIL, ou APOTEX au lieu de APO, sur le reçu et sur l'étiquette du flacon.

     L'avocat des demanderesses prétend que le droit du patient de choisir n'est pas une considération d'ordre public parce que l'arrêt Ciba-Geigy a établi, à titre de question de droit, que les patients avaient ce droit, de même que celui d'en exiger le respect par les fabricants en adoptant des couleurs différentes pour les capsules ou les pilules d'une marque particulière d'un médicament qu'ils fabriquent. La Cour interprète l'arrêt Ciba-Geigy autrement, mais comme elle l'a mentionné ailleurs, c'est sûrement à une cour de plus haute instance que la présente qu'il incombera de trancher la question.

     Quoi qu'il en soit, les recommandations sur ce que devrait être la loi ne sont pas pertinentes aux fins de la présente instance. La Cour estime qu'elle n'a pas le droit de tenir compte de la preuve qui a été produite par les défenderesses et qui provient de différentes associations dont les efforts visent à obtenir que la couleur d'une forme posologique d'un médicament soit la même pour toutes les marques.

Commentaires sur la preuve

     Il est toujours difficile pour le juge du procès de déterminer jusqu'à quel point il doit fournir des motifs détaillés. S'il omet certaines parties de la preuve, il existe toujours un risque qu'il soit soutenu ultérieurement, et avec succès, que le juge n'en a pas tenu compte. Par ailleurs, évaluer et commenter par écrit chaque détail prend beaucoup de temps et entraîne la rédaction de motifs extrêmement longs. Même si Cour fait des commentaires sur certains aspects de la preuve, cela ne signifie pas qu'elle a considéré ou conclu que tous les points passés sous silence avaient une certaine valeur ou devaient être écartés. La Cour s'est intéressée surtout à la preuve des demanderesses parce que le fardeau de la preuve leur incombe.

     Deuxièmement, en l'espèce, la preuve franchissait continuellement la ligne de démarcation séparant la preuve de fait de la preuve sous forme d'opinion et celle séparant la preuve sous forme d'opinion qui porte sur les conclusions de fait qu'un témoin peut tirer de son expérience personnelle et la preuve sous forme d'opinion d'expert qui recoupe celle-ci. Indépendamment du genre de preuve sous forme d'opinion visée, les principes d'évaluation restent les mêmes, et la Cour a appliqué les suivants : l'opinion s'appuie-t-elle sur une base de fait solide? La logique ou le raisonnement suivi pour former cette opinion est-il valable?

     Depuis quelques années, les règles régissant la preuve sous forme d'opinion sont moins rigoureuses qu'auparavant.2 Celles qui s'appliquent au ouï-dire se sont assouplies elles aussi. Il est évident que les témoins ont le droit d'exprimer des opinions fondées sur leurs connaissances personnelles et leur expérience, à moins que des raisons de principe n'excluent une telle preuve. Reste alors à déterminer la valeur qu'il faut lui attribuer.

     En l'espèce, avant la tenue du procès et conformément à la règle 482 des Règles de la Cour fédérale, les demanderesses ont déposé vingt et un rapports d'experts et les défenderesses, trente. À l'instruction, les demanderesses ont appelé trente-quatre témoins et les défenderesses, vingt-huit. De ce nombre, quinze ont présenté un témoignage d'expert pour le compte des demanderesses et dix-neuf, pour celui des défenderesses. Très peu d'entre eux étaient des experts dans le sens où le juge des faits aurait eu de la difficulté à tirer des conclusions à partir de la preuve sans leur collaboration. La preuve d'expert peut consister en une preuve sous forme d'opinion ou en une preuve de fait, cette dernière reposant souvent sur du ouï-dire.2

     La Cour en est arrivée à croire que, si les avocats ont déposé autant de rapports d'experts, c'est pour éviter de se voir opposer, à l'instruction, des objections quant à la recevabilité de cette preuve, soit parce qu'il s'agissait de témoignages sous forme d'opinion, soit parce qu'elle était le fruit de l'expérience et des connaissances des professionnels et, donc, qu'elle n'aurait pas été recevable si un rapport visé par la règle 482 des Règles de la Cour fédérale n'avait pas été déposé. Les objections soulevées relativement au témoignage du Dr Ensom constituent une illustration de ce genre d'objections.2 Son témoignage est un exemple du chevauchement qui existe entre la déposition d'un témoin averti et celle d'un " expert ". Quoi qu'il en soit, le dépôt des divers rapports qualifiés de rapports d'expert a joué un rôle important et apprécié, car il a permis la divulgation de la preuve aux parties adverses avant le procès.

     Examinons maintenant la différence qui existe entre la reconnaissance d'un témoin à titre d'expert pour déposer dans un domaine déterminé et l'évaluation de la preuve ainsi fournie. Les objections et les décisions concernant le témoignage des Drs Slater et Stephens constituent peut-être la meilleure illustration de cette distinction. En ce qui concerne le Dr Slater, il a été prétendu que, pour apprécier sa compétence en matière de conception d'enquêtes et d'évaluation de la fiabilité et de la validité de celles-ci, la Cour devait tenir compte de son inexpérience relativement aux enquêtes menées dans des centres commerciaux et aux enquêtes portant sur les marques de commerce. Il a été soutenu aussi que sa compétence en matière de méthodologie de recherche quantitative et d'analyse des données touchant la santé, notamment relativement à l'appréciation des erreurs systématiques dans l'auto-évaluation de comportements liés à la santé, devrait se limiter à son expérience sur les enquêtes faites auprès des cancéreux. Ce médecin n'avait jamais conduit d'enquêtes auprès de personnes chez qui une dépression avait été diagnostiquée. Les compétences du Dr Stephens ont été mises en doute de la même manière parce qu'il n'avait jamais fait d'enquêtes sur les marques de commerce et sur la reconnaissance de celles-ci.

     Relativement à ces deux témoins, la Cour a indiqué qu'elle les entendrait et, dans la mesure où leur expérience ou leur compétence ne les autorisait pas à présenter une certaine partie de la preuve, elle en tiendrait compte dans l'appréciation de leur témoignage. La Cour considère que leur formation et leur expérience leur permettaient de formuler une preuve sous forme d'opinion sur les méthodes d'enquête en général, mais pas de faire des commentaires sur certains détails des enquêtes menées dans des centres commerciaux. Le fait que la Cour reconnaisse qu'un témoin est habile à donner une preuve d'expert ne l'empêche pas d'évaluer cette preuve. Il est intéressant de noter que l'examen des témoignages des Drs Slater et Stephen dans le cadre de l'ensemble de la preuve révèle qu'une bonne partie de ceux-ci confirme la preuve présentée par d'autres témoins. L'importance possible de leur témoignage ne justifiait pas le temps consacré à débattre de leurs compétences et à s'opposer à leur témoignage.

     Passons maintenant à certaines questions non réglées concernant des objections à la preuve qui n'ont pas été tranchées durant l'instruction. Comme elle l'a indiqué aux avocats, la Cour a tendance à prendre au sérieux les objections, surtout celles qui sont formulées par des avocats aussi éminents et chevronnés que ceux qui occupent pour les parties en l'espèce, même si sa première réaction est d'estimer qu'il ne faudrait pas en faire grand cas. Par conséquent, elle a reporté certaines décisions quand, après réflexion, il n'y avait réellement aucun motif valable de le faire. Quoi qu'il en soit, elle indiquera plus loin comment elle entend trancher les questions laissées en suspens et ajoutera certains commentaires sur des décisions connexes.

     L'avocat des demanderesses s'est souvent opposé aux questions posées par l'avocat des défenderesses, prétendant qu'elles constituaient des critiques directes ou indirectes du rapport du Dr Heeler qui n'avaient pas été soumises à ce dernier lorsqu'il était lui-même à la barre. L'avocat a invoqué la décision Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.) aux pages 70 et 71. La Cour a reporté sa décision relativement à certaines de ces objections et, à l'instruction, elle s'est engagée à expliquer, dans les motifs écrits, pourquoi d'autres objections avaient été rejetées. Après avoir examiné ces objections, tant celles qui ont été tranchées que les autres, la Cour conclut qu'aucune n'était justifiée. La Cour était invitée à appliquer la décision Browne c. Dunn à des cas qui n'étaient pas visés par cette décision. Par exemple, l'avocat s'est opposé au témoignage du Dr Stephens, qui prétendait qu'il fallait attribuer une marge d'erreur trois à quatre fois plus grande que les 6,2 % à l'étude du Dr Heeler. Il a invoqué que cette remarque n'avait pas été adressée au Dr Heeler. Toutefois, le Dr Heeler avait été interrogé sur la marge d'erreur applicable à son rapport et sur la façon dont elle avait été calculée. La preuve du Dr Stephens est entièrement régulière.

     L'allégation selon laquelle le témoignage du Dr Stephens constituait un " témoignage justificatif " parce qu'il évaluait non seulement la méthodologie employée par le Dr Heeler, mais aussi celle utilisée dans la préparation des rapports d'Environics, est si manifestement dénuée de bien-fondé qu'il n'y a pas lieu de s'y attarder davantage. En ce qui concerne les questions auxquelles l'avocat s'est opposé parce que l'affidavit de l'expert concerné ne portait pas sur ce point, la Cour a appliqué le principe suivant : s'il était raisonnablement possible d'interpréter l'affidavit comme donnant avis à la partie adverse de l'intention de produire cette preuve, alors il est justifié d'admettre ce témoignage. Il est arrivé qu'il y ait des exceptions, par exemple, le témoignage du Dr Heeler expliquant pourquoi il n'avait pas effectué d'essai préliminaire et sa mention de l'article écrit par Bush et Haire.

     La Cour a refusé d'accepter une bonne partie de la preuve offerte par le Dr Yaneff. Bien qu'elle admette que les experts ont le droit de présenter un témoignage sur les points litigieux d'une affaire, elle fait une distinction entre un témoignage portant sur les points litigieux et un témoignage exposant une conclusion directe tirée sur ceux-ci. De toute façon, la preuve rejetée n'était pas utile. Par la suite, l'attention de la Cour a été attirée, dans le cadre d'un autre argument, sur la décision prononcée dans l'affaire Emil Anderson Construction c. British Columbia Railway, [1987] 5 W.W.R. 523 (C.S.C.-B.). Les commentaires faits dans cette décision au sujet des opinions combinées à des arguments s'appliquent aux parties de l'affidavit du Dr Yaneff qui n'ont pas été acceptées. En revanche, les observations qu'elle contient au sujet de l'inadmissibilité d'un rapport conjoint ne s'appliquent pas au présent cas. Les avocats se sont entendus sur une démarche qui a permis de procéder à un contre-interrogatoire convenable et juste des coauteurs du rapport. Malgré une objection formulée par l'avocat, la Cour a accepté la présentation du témoignage d'expert du Dr Lal. Après l'avoir entendu, elle l'a jugé inutile. Elle n'en a tenu aucun compte. Par ailleurs, elle estime non fondé l'argument selon lequel les déclarations faites par M. Thompson au cours de l'interrogatoire préalable ne pouvaient être mises en preuve parce que M. Ashley n'avait pas été appelé à les commenter. M. Thompson représentait Lilly U.S. au cours de l'interrogatoire préalable. Personne de cette société n'a été appelé à témoigner à l'instruction. Il n'était pas nécessaire de soumettre des parties de la déposition qu'il avait faite lors de l'interrogatoire préalable à M. Ashley, un témoin de Lilly Canada, même si ce dernier représentait les deux sociétés à la reprise de l'interrogatoire préalable.

     Il importe de faire remarquer que le fait d'accepter le témoignage d'un expert sous forme d'affidavit déposé en vertu de la règle 482 des Règles de la Cour fédérale ne confère pas à ce témoignage une valeur supérieure à celle qu'il aurait eue s'il avait été présenté oralement. L'acceptation d'affidavit est un simple mécanisme procédural qui permet d'abréger l'instruction. Il dispense le témoin de lire sa déposition ou de faire une déposition orale. Son témoignage est quand même évalué selon les critères habituels, notamment en fonction de son comportement à la barre lorsqu'il est contre-interrogé sur son affidavit.

     À maintes reprises, l'avocat des demanderesses s'est opposé à l'utilisation par les médecins, les pharmaciens, les patients et le public en général du nom Prozac pour désigner le médicament lui-même - ce qu'il a parfois appelé la transformation possible de Prozac en une dénomination commune.2 Il a invoqué que, puisque cette assimilation n'a pas été plaidée dans l'exposé de la défense, la Cour devrait refuser toute preuve à ce sujet et il a ajouté avoir été pris à l'improviste par cet argument et cette preuve. La Cour doute beaucoup de cette dernière affirmation. Il est révélateur de constater, toutefois, que cette question n'est pas en litige. Le litige porte sur la question de savoir si l'apparence de la capsule de fluoxétine de Lilly est caractéristique et constitue une indication de sa source ou son origine commerciale, et si l'utilisation par les défenderesses d'une capsule d'apparence similaire est susceptible de semer la confusion. C'est pour répondre aux demanderesses qui soutenaient qu'un bon nombre de personnes associaient l'apparence de la capsule à Prozac, ce qui revenait à l'associer à une source ou à une origine commerciale, que la preuve quant à l'utilisation du mot Prozac pour désigner le médicament lui-même a été présentée. Cette preuve n'est pas le genre de fait substantiel qu'on s'attend à trouver dans un exposé de la défense déposé pour répondre à une allégation qui reproche aux défenderesses de faire passer leurs marchandises pour celles des demanderesses en se servant d'une capsule dont l'apparence est similaire à la leur. Dans le contexte du présent litige, ces déclarations ne sont pas assimilables à des faits substantiels qu'il faut plaider dans l'exposé de la défense; c'est plutôt une preuve qui n'est pas abordée dans les plaidoiries.

     Il y a lieu maintenant de faire quelques commentaires sur deux décisions rendues au cours de l'instruction : l'une, sur l'application de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), c. C-5, l'autre, exigeant des demanderesses qu'elles communiquent plus de renseignements aux défenderesses afin qu'elles sachent davantage ce qu'elles ont à prouver. L'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit :

         7. Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.                 

     [Non souligné dans l'original.]

En l'espèce, trois actions ont été inscrites au rôle pour être entendues en même temps, sur preuve commune. Ces actions n'ont pas été fusionnées, mais Me Radomski, en sa qualité de procureur d'Apotex et de Nu-Pharm, a procédé essentiellement, par rapport à ses clientes, comme si elles l'avaient été. L'article 7 a été interprété comme ne s'intéressant qu'aux témoignages d'opinion d'expert et comme limitant à cinq le nombre témoins par sujet ou par question de fait soulevés dans une cause, non à cinq témoins au total.2

     Avant que l'avocat des défenderesses n'appelle un de ses témoins experts, l'avocat des demanderesses s'est inquiété parce qu'il lui semblait que les défenderesses entendaient citer plus que cinq témoins par " côté " sur une question de fait (plus particulièrement pour critiquer la preuve apportée par l'étude du Dr Heeler). Une version révisée des motifs rendus oralement par la Cour à ce sujet a été versée au dossier. En résumé, les conclusions de ces motifs sont les suivantes : l'article 7 ne s'applique pas à un cas où des actions distinctes sont entendues simultanément; la Cour n'a trouvé aucune jurisprudence portant sur le sens à donner à " côté "; le fait d'interpréter le mot " côté " comme synonyme de partie conduirait au résultat plutôt illogique selon lequel les trois défenderesses pourraient appeler quinze témoins et les deux demanderesses, constituant des parties distinctes dans les trois actions, pourraient en appeler trente sur chaque question de fait . Idéalement, si quelqu'un y avait pensé à ce moment-là, il aurait fallu trancher cette question quand les parties ont demandé que les trois actions soient inscrites au rôle pour être entendues en même temps.

     Quoi qu'il en soit, la Cour a estimé que l'article 7 autorisait Me Deeth à appeler cinq témoins pour le compte de sa cliente (Novopharm) et Me Radomski à en appeler cinq pour le compte de ses deux clientes (Apotex et Nu-Pharm). Heureusement, l'avocat des demanderesses a assuré à la Cour que, puisqu'il avait déjà produit sa preuve, sauf en ce qui concerne les témoins appelés en réponse, il ne se servirait pas de la logique de cette décision pour ajouter d'autres témoignages d'expert pour le compte de ses clientes. La limite prévue à l'article 7 s'applique si la Cour ou le juge ne donne pas la permission d'y déroger. La Cour a indiqué que, vu l'étape de la procédure où cette question était soulevée, elle aurait, de toute façon, été disposée à accorder la permission de dépasser la limite prévue dans cet article si cela s'était avéré nécessaire. La nature de l'instance, et plus particulièrement le fait qu'elle repose en grande partie sur des témoignages d'expert, a également été un facteur. Quoi qu'il en soit, ce qui a commencé comme une simple préoccupation de l'avocat des demanderesses a été traité comme une requête présentée par les défenderesses afin d'obtenir une décision quant à l'interprétation à donner à l'article 7 et, subsidiairement, si cette décision ne leur était pas favorable, afin d'obtenir la permission d'appeler d'autres témoins. Cette requête a été tranchée également sur ce moyen subsidiaire.

     Finalement, la Cour ajoute quelques remarques sur une décision qu'elle a rendue au cours des premiers jours de l'instruction et qui appelle de plus amples commentaires. J'ai exigé des demanderesses qu'elles fournissent aux défenderesses plus de renseignements de la nature d'une communication préalable à propos de ce que les défenderesses devaient établir. Leur avocat s'est vigoureusement opposé à cette exigence au motif que le juge Rothstein, dans une ordonnance sur la gestion des cas, avait refusé une telle divulgation.

     D'entrée de jeu, la Cour fait remarquer que le juge du procès est informé de circonstances et possède des renseignements dont ne bénéficie pas toujours un juge saisi d'une question de gestion des cas. Ce qui importe encore plus, toutefois, c'est que la Cour ne croit pas que le juge Rothstein voulait que son ordonnance joue le rôle que lui prête l'interprétation donnée par l'avocat. Les défenderesses avaient demandé des renseignements sur ce qu'elle devaient établir, sur les témoins qui seraient appelés. Les demanderesses n'ont pas obtempéré à cette requête. Pour se plier à l'ordonnance du juge Rothstein, le 25 octobre 1996, elles ont fourni aux défenderesses un document de sept pages contenant le nom de 217 personnes. De ce nombre, il y en avait 146 pour lesquelles aucune adresse n'était précisée, à l'exception de la province et parfois de la ville. L'instruction devait commencer le 4 novembre 1996. À toutes fins pratiques, la divulgation n'avait guère été utile. De plus, au cours de l'instruction, il est arrivé souvent à l'avocat des défenderesses de demander d'être avisé à l'avance des témoins qui allaient être appelés et de l'ordre dans lequel ils le seraient. Il n'a obtenu ce renseignement qu'après que la Cour a finalement prononcé une ordonnance à cet effet. La Cour en est arrivée à croire, pour reprendre une description déjà utilisée, que les avocats des demanderesses étaient comme des joueurs de poker ayant l'habitude de cacher des cartes dans leurs manches. Il est même arrivé à une occasion que la presse ait appris avant les avocats de la partie adverse qui serait le témoin expert appelé à témoigner le jour suivant. Lorsque la question du manque de divulgation a été soulevée face à l'éventualité du témoignage de M. Reimer, la Cour a conclu que qu'il fallait que les avocats des défenderesses obtiennent plus de précisions sur les témoins que les demanderesses entendaient appeler afin qu'ils aient une occasion valable de les contre-interroger. Par conséquent, elle a prononcé une ordonnance en ce sens, exigeant en outre des demanderesses qu'elles communiquent aux défenderesses tout renseignement qu'elles détenaient et qui, soit servait la cause des défenderesses, soit servait la leur. La Cour estime que les poursuites permettent un meilleur règlement des différends lorsque la position de toutes les parties est révélée aux parties adverses longtemps avant l'instruction. Les litiges remplissent mieux leur fonction lorsqu'il se produit le moins de surprises possible à l'instruction.

Arguments juridiques et analyse

     a) L'utilisation sans licence (1989-1995) et la commercialisation de la pms-Fluoxetine

     L'exposé de la demande avance que Lilly U.S. est propriétaire de droits de marque dans l'apparence de la capsule. Lilly U.S. n'est pas une titulaire enregistrée de l'apparence de la capsule au Canada. Seule Lilly Canada vend le produit Prozac au Canada. Si Lilly Canada était un usager sous licence de l'apparence de la capsule et que l'apparence de la capsule constituait une marque de commerce, alors, l'utilisation de cette marque de commerce par Lilly Canada s'appliquerait au profit de Lilly U.S. Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit :

         (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.                 

     L'avocat des défenderesses soutient que, puisque l'utilisation faite par Lilly Canada n'était pas sous licence, la demande, telle que plaidée par les demanderesses, doit échouer. Par ailleurs, il prétend que l'accord conclu entre Lilly Canada et PMS constitue, en réalité, un accord de distribution et non une licence conventionnelle, et, finalement, que la commercialisation de la fluoxétine dans une capsule de la même couleur que celle du produit Prozac, mais sous le nom de marque pms-Fluoxetine sème une confusion telle sur le marché que, s'il existait un droit de marque dans l'apparence de la capsule, il a été anéanti.

     Les prétentions de l'avocat des demanderesses sont les suivantes : (1) l'utilisation était autorisée, soit en vertu de l'accord de 1991 ou indépendamment de celui-ci; (2) l'utilisation faite par Lilly Canada se serait appliquée au profit de Lilly U.S., de toute façon, parce que ce sont des entreprises commerciales liées, qui font partie d'une même association commerciale; (3) le paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce ainsi que la modification apportée en novembre 1995 à l'accord conclu en 1991 entre Lilly US et Lilly Canada ont pour effet de corriger tout vice susceptible d'avoir existé; (4) l'utilisation de l'apparence de la capsule en liaison avec la marque PMS n'anéantit pas le droit de marque parce que cette utilisation est autorisée et que le public en a été informé.

     L'argument voulant que Lilly U.S. ait autorisé Lilly Canada à utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce dans l'accord de 1991 se fonde sur le libellé du préambule de cet accord et sur les articles 1.3 et 1.4. Le libellé pertinent est le suivant :

         [TRADUCTION] Lilly [U.S.] affirme [...] qu'elle a le droit exclusif d'octroyer des licences autorisant la licenciée [Lilly Canada] à fabriquer [...] et à vendre certains produits, y compris le droit d'utiliser au Canada, certains brevets, marques de commerce [..] dessins ou autres données scientifiques ou techniques [...] se rapportant à ces produits et à leur préparation, fabrication, conditionnement et emballage, ces produits étant désignés aux présentes comme les " produits de Lilly ", expression qui s'entend des produits qui seront vendus au Canada sous les marques de commerces, le nom de marque, les noms ou les autres désignations appartenant à Lilly ou utilisés par elle.                 

     [...]

         1.2      Lilly [...] accorde à Lilly Canada une sous-licence non-exclusive [..] en vertu des brevets canadiens énumérés à l'annexe A [...] pour fabriquer [...], vendre [...] ou importer les produits de Lilly dont la préparation est visée par les [...] brevets.                 
         1.3      Lilly accorde aussi à Lilly Canada le droit et l'autorisation d'appliquer aux produits de Lilly les marques maison, marques de commerce, noms de marque et autres désignations des produits de Lilly [...] énumérés à l'annexe B [...]                 
         1.4      Lilly divulguera à Lilly Canada, et lui accordera une licence non-exclusive l'autorisant à fabriquer [...] et à vendre des produits Lilly [...], tous les renseignements sur les produits de Lilly. Ces renseignements comprendront des formules, des procédés, des dessins et d'autres données scientifiques et techniques, notamment la préparation, la fabrication et la composition des produits en formes pharmaceutiques, l'étiquetage et l'emballage des produits de Lilly [...] et toutes les autres données scientifiques et techniques [...] auxquelles renvoie l'expression " savoir-faire " utilisée dans les présentes [...]                 

     [Non souligné dans l'original.]

     Comme la Cour l'a fait remarquer précédemment, le brevet de la fluoxétine est inscrit à l'annexe A. Le nom de marque Prozac est répertorié à l'annexe B. Aucune mention n'est faite de l'apparence de la capsule. Il n'est indiqué nulle part que l'apparence constitue une marque de commerce ou une désignation. La Cour ne peut interpréter cette accord comme attribuant à Lilly Canada le droit d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce. L'article 1.4 permet à Lilly Canada d'avoir accès aux renseignements nécessaires à la fabrication des capsules, mais l'accord fait précisément une distinction entre les concessions de droits de brevet, celles de droits de marque et l'engagement de fournir des renseignements techniques. Il est impossible d'interpréter le libellé de l'accord et de ses annexes comme conférant à Lilly Canada le droit d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce.

     Pour trancher la prétention selon laquelle, même si l'accord ne prévoyait pas expressément une licence pour l'utilisation de l'apparence de la capsule comme marque de commerce, une telle concession dépasse le cadre de cet accord et que le droit de l'utiliser a été conféré verbalement à Lilly Canada, il y a lieu d'examiner l'article 13.2 :

         Le présent accord constitue l'entente définitive des parties quant à son objet [...] Il ne peut être modifié que par un document écrit signé par un représentant dûment autorisé des parties. Aucune convention orale, garantie, assertion ou entente ne le modifie et toutes les négociations, assertions et ententes antérieures ou autres intervenues entre Lilly et Lilly Canada s'y retrouvent.                 

     [Non souligné dans l'original.]

     Cette disposition ne permet pas à la Cour d'accepter l'interprétation de l'avocat prétendant que le droit d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce aurait pu être conféré par convention orale, indépendamment des clauses prévues dans l'accord écrit. Il ressort du préambule que l'accord vise les [TRADUCTION] " produits de Lilly " qui sont fabriqués ou vendus au Canada. L'un d'entre eux est le produit de fluoxétine de Lilly. L'accord confère des droits relativement à ce produit ainsi qu'à d'autres produits de Lilly, y compris des droits de propriété intellectuelle qui y sont rattachés et qui sont répertoriés dans les annexes A et B. En tant que tels, tous les droits de marque dont Lilly U.S. aurait pu être titulaire sur l'apparence de la capsule comme marque de commerce devraient être visés par l'accord. Il n'est pas étonnant que le droit d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce n'ait pas été mentionné dans l'accord. Il est probable qu'à l'époque de sa signature, les parties estimaient qu'il était impossible de considérer l'apparence d'une capsule comme une marque de commerce. Il y a lieu de rappeler que cet accord a été conclu avant que ne soit rendu l'arrêt Ciba-Geigy , et ce n'est pas avant le troisième, sinon le quatrième, trimestre de 1995 que Lilly a rendu publique une revendication expresse de marque de commerce dans l'apparence de la capsule.

     L'avocat des demanderesses fait valoir que, même en l'absence d'une licence, l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce a pour effet de faire bénéficier Lilly U.S. de l'utilisation faite par Lilly Canada parce que ce sont des sociétés apparentées qui fonctionnent comme une entreprise unique. Cet argument repose sur les arrêts Good Humor Corporation c. Good Humor Food Products, [1937] R.C. de l'É. 61, et Gray Rocks Inn Ltd. c. Snowy Eagle Ski Club Inc. (1971), 3 C.P.R. (2d) 9 (C.F. 1re inst.). Pour sa part, l'avocat des défenderesses invoque les arrêts Robert Crean and Company Limited c. Dobbs and Company, [1930] R.C.S. 307, Dubiner c. Cheerio Toys and Games, [1965] 1 R.C. de l'É. 524, et Chalet Bar B-Q (Canada) Inc. et autres c. Foodcorp Ltd., 66 C.P.R. (2d) 56 (C.A.F.) à l'appui de sa prétention affirmant que la Cour doit interpréter strictement le droit de propriété d'une marque de commerce, qu'il est possible, dans les circonstances de l'espèce, que Lilly U.S. n'ait aucun droit de propriété rattaché à une marque de commerce dans l'apparence de la capsule au Canada et, par conséquent, que la Cour devrait rejeter la demande telle que formulée.

     Il ne fait aucun doute que Lilly U.S. contrôlait l'emploi par Lilly Canada de l'apparence de la capsule et qu'elle avait enjoint cette dernière d'utiliser les capsules vert et crème et les capsules vert et gris. Lilly U.S. contrôlait aussi le produit de fluoxétine qui serait vendu dans ces capsules. Cette situation ne signifie pas, pour autant, que cette société avait enjoint d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce. Par analogie, prenons le cas où une société mère enjoint à une filiale d'utiliser un certain type de contenant en carton, d'une certaine solidité et d'une certaine forme, pour l'expédition du produit. Même si la société mère exige de sa filiale d'utiliser ces contenants et lui donne des renseignements sur la façon de les fabriquer, cela ne signifie pas que la filiale utilise ce contenant comme marque de commerce.

     La Cour sait très bien, aussi, que le bien-fondé des décisions rendues dans les affaires Good Humor et Gray Rocks a été remis en question.2 Indépendamment de cette question, l'argument de l'avocat des demanderesses se heurte à un problème plus fondamental : cette prétention n'a été soulevée qu'à la toute dernière minute dans le débat. Les plaidoiries n'invoquaient pas l'utilisation faite sans licence par Lilly Canada pour revendiquer des droits acquis pour Lilly U.S. Même si elle indique que Lilly Canada est une filiale à cent pour cent de Lilly U.S., la preuve produite ne donne aucune précision sur la possession des actions, ni sur la structure des sociétés intermédiaires. La preuve n'a pas abordé l'argument qui est maintenant avancé et la Cour estime que ni les plaidoiries, ni la preuve ne sont susceptibles d'étayer la conclusion qu'on lui demande de tirer.

     L'avocat des demanderesses soutient que, indépendamment des clauses de l'accord de 1991, il est possible de conclure à l'octroi d'une licence parce qu'un avis indiquant que Lilly Canada est un usager inscrit des marques de commerce de Lilly U.S. est apposé sur les bouteilles fournies aux pharmaciens.2 Un tel argument n'est valable que jusqu'à preuve du contraire. Les accords qui ont été produits en preuve étayent une conclusion contraire relativement à l'apparence de la capsule. L'utilisation qui a été autorisée et recommandée n'était pas une utilisation à titre de marque de commerce.

     Il est prétendu que, de toute façon, en vertu du paragraphe 50(1), une fois qu'en novembre 1995, une licence a été accordée à Lilly Canada pour lui permettre d'utiliser l'apparence de la capsule comme marque de commerce, cette licence a eu pour effet d'assimiler l'utilisation antérieure faite par Lilly Canada à celle de Lilly U.S. L'article 50 est entré vigueur par proclamation le 9 juin 1993.2 Le libellé invoqué est le suivant : " si une licence [...] est octroyée [...] à une entité [...] l'emploi [...] de la marque [...] par cette entité [...] [a] le même effet et [est] réputé[...] avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire " (Non souligné dans l'original). L'interprétation du paragraphe 50(1) doit se faire en fonction des dispositions sur l'usager inscrit qu'il a remplacées.

     À l'origine, les droits liés aux marques de commerce ne pouvaient être transférés si l'achalandage de l'entreprise ne l'était pas lui aussi. On considérait qu'agir de la sorte aurait trompé le public quant à la source des marchandises et anéanti la marque de commerce. Cette situation a été modifiée en 1954, par l'inclusion des dispositions sur l'usager inscrit dans la Loi sur les marques de commerce. Le droit d'utiliser la marque de commerce d'un autre n'anéantissait pas les droits en question si cette utilisation était autorisée au moyen d'une licence attribuée par leur titulaire et si cette licence était enregistrée. Ce système présentait lui aussi des difficultés. Il arrivait que des licences soient accordées, mais que leur enregistrement soit négligé ou retardé. C'est dans ce contexte que l'article 50 a été adopté. Les dispositions déterminatives de celui-ci visent à corriger la situation lorsqu'une licence existe, mais n'a pas été enregistrée. Cette disposition n'assimile pas une utilisation antérieure à l'octroi d'une licence à une utilisation qui s'applique au profit du titulaire.

     Comme la Cour l'a fait remarquer précédemment, l'avocat des défenderesses a avancé deux autres arguments qui reposent sur des ententes conclues entre Lilly Canada et PMS : la " concession de licence " à PMS n'est pas une licence, mais une entente de distribution, et l'utilisation de l'apparence de la capsule pour indiquer à la fois Lilly et PMS en tant que source du produit anéantit tout caractère distinctif susceptible d'avoir existé. La Cour n'entend pas faire un examen approfondi de ces arguments. Les faits ont été exposés précédemment. Il y a lieu seulement de faire remarquer que le premier argument de l'avocat des défenderesses repose sur les arrêts suivants : Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 329 (F.C.A.); Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 377 (F.C.A.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 455 (F.C.A.); Nu-Pharm Inc. c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, non publié, le 19 février 1997, A-466-95 (F.C.A). Les deux premières décision font maintenant l'objet d'un pourvoi en Cour suprême.

     Il semble évident qu'il faille se ranger à l'argument voulant que l'utilisation de l'apparence de la capsule pour indiquer à la fois Lilly et PMS comme source du produit anéantit tout caractère distinctif. Pour faire une analogie, prenons le cas où la compagnie Coca-Cola autoriserait R.C. Cola à utiliser sa bouteille à la forme bien particulière, qui serait remplie de coca-cola, mais qui désignerait R.C. Cola comme sa source. Il en résulterait une confusion sur le marché quant à la source du produit, même si la concession de la licence avait fait l'objet de publicité.2 Cette analogie n'a pas été présentée en preuve. Elle n'est évoquée qu'à des fins d'illustration seulement. Il semble que l'association de l'apparence d'une capsule avec deux désignations différentes de source commerciale entraîne, en soi, l'absence de tout caractère distinctif. Pour ce simple fait, les demanderesses doivent échouer.

     b) L'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.

     L'exposé de la demande mentionnait que les présentes actions reposaient sur les alinéas 7d) et 7b) de la Loi sur les marques de commerce, et sur le délit d'imitation frauduleuse de common law. Dans les plaidoiries, toutefois, seule la demande fondée sur l'alinéa 7b) a été abordée. Cet alinéa prévoit :

         7. Nul ne peut :                 

     [...]

         b)      appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;                 

     Un libellé similaire à celui de l'actuel alinéa 7b) fait partie de la loi fédérale depuis 1932. Il a été interprété comme représentant une codification du délit civil d'imitation frauduleuse de la common law, sauf qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention de tromper.2 (Le délit civil de common law ne l'exige plus non plus.) La codification législative qu'opère l'alinéa 7b) n'échappe pas à la limite constitutionnelle voulant qu'elle doive relever du domaine de compétence du Parlement en matière de marques déposées et de marques non déposées.2 Le délit d'imitation frauduleuse de common law ne se limite aux représentations trompeuses découlant de l'utilisation de marques de commerce, même si c'est là son principal champ d'application.2

     L'arrêt Ciba-Geigy c. Apotex expose deux formulations des éléments propre à l'imitation frauduleuse (aussi appelée commercialisation trompeuse). La première est le critère à cinq volets exposé dans les l'arrêt Erven Warnink B.V. c. J. Townend & Sons (Hull) Ltd., [1980] R.P.C. 31 (H.L.). La deuxième, sous forme de critère à trois volets, est tiré de l'arrêt Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873 (H.L.)2 Dans l'un ou l'autre cas, pour réussir dans une action en imitation frauduleuse, les demanderesses doivent établir que les défenderesses ont faussement représenté leurs produits aux clients éventuels ou aux consommateurs ultimes. Dans l'affaire Perry c. Truefitt2, qui est une des plus anciennes décisions, la Cour a fait une déclaration, qui a été reprise dans l'arrêt Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc. and Others, [1990] R.P.C. 341, aux pages 416 et 417 (H.L.), et selon laquelle [TRADUCTION] :

         [...] si un client demande du cirage à chaussure étain ou noir sans préciser une marque quelconque et qu'on lui propose le produit de A, qu'il confond à tort avec celui de B, il est possible qu'il soit dans la confusion relativement à ce qu'il a effectivement acheté, mais il n'a pas été induit en erreur lors de son acquisition. Aucune représentation trompeuse n'a influencé son achat.                 

     [Non souligné dans l'original.]

     Dans Ayerst, McKenna & Harrison Inc. c. Apotex Inc. (1983), 72 C.P.R. 57, à la page 66 (C.A. Ont.), la Cour a indiqué [TRADUCTION] :

         Pour avoir gain de cause dans une action en imitation frauduleuse, le demandeur doit d'abord établir que ses marchandises sont connues et ont acquis une réputation en raison justement de ce caractère distinctif. Deuxièmement, il doit prouver que le défendeur a fait passer ses marchandises pour les siennes, c'est-à-dire que la marque de commerce [utilisée par le défendeur] a été conçue précisément pour encourager le consommateur à acheter les marchandises du défendeur tout en croyant qu'il s'agit de celles du demandeur.                 

     [Non souligné dans l'original.]

     L'apparence de la capsule des défenderesses n'a pas pour effet d'amener le consommateur à demander ses produits plutôt que ceux des demanderesses. Sur le marché, l'apparence de la capsule ne sert pas d'élément identificateur en fonction duquel le consommateur choisit une marque de fluoxétine plutôt qu'une autre. Il est vrai que les défenderesses ont décidé d'utiliser des capsules de la même couleur que celles des demanderesses pour une raison de commercialisation, mais cette raison n'est pas de faire passer leurs produits pour ceux des demanderesse aux yeux du grand public, mais bien de permettre à celui-ci de reconnaître un médicament qui, au point de vue thérapeutique, est équivalent au produit des demanderesses. Il peut y avoir tromperie sans intention de tromper. Toutefois, en l'espèce, la Cour le répète, non seulement l'intention de tromper est-elle absente, mais encore l'apparence de la capsule ne cherche pas à jouer ce rôle.

     Dans une action en imitation frauduleuse, le demandeur doit prouver un achalandage lié à sa marque de commerce ou à sa présentation, voir l'arrêt Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., (précité). L'achalandage est le résultat de l'association, dans l'esprit des consommateurs, de la marque de commerce ou de l'apparence avec les marchandises du demandeur ou avec une source ou une origine commerciale, peu importe qu'ils soient ou non en mesure de l'identifier. Ce critère est expliqué dans l'arrêt Parke, Davis & Co. c. Empire Laboratories Ltd.2 et a été réaffirmé par la Cour suprême du Canada dans Oxford Pendaflex Canada c. Korr Marketing Ltd.2 :

             Quant à la question qui se pose directement en l'espèce, on peut se laisser guider jusqu'à un certain point par l'observation du lord juge Russell dans l'arrêt Roche Products Ltd. v. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1973] R.P.C. 473, à la p. 482 :                 
             [TRADUCTION] Or, ici comme dans toutes les autres affaires de passing-off, la question fondamentale est de savoir si, directement ou indirectement, la façon dont le défendeur présente ses marchandises aux consommateurs visés a pour effet de susciter dans leur esprit l'impression qu'il s'agit des marchandises du demandeur. Dans une affaire de présentation, il ne suffit pas de dire tout simplement que les marchandises du défendeur ressemblent beaucoup à celles du demandeur. Il faut établir que les consommateurs, en raison de la présentation des marchandises du demandeur, en sont venus à les considérer comme ayant une source ou une origine commerciale unique, que ce soit sur le plan de la fabrication ou sur celui de la mise en marché, peu importe qu'ils en connaissent ou pas le nom.                         
         Il faut remarquer que dans la première partie de l'observation du lord juge Russell, il semble nécessaire que le public acheteur ait l'impression que les marchandises du défendeur sont les marchandises du demandeur. La deuxième partie de l'alinéa établit clairement, toutefois, qu'il est tout simplement nécessaire que l'acheteur croie que tous les comprimés (dans cette affaire-là), en raison de leur forme, de leur taille et du genre de marque, ont une " origine commerciale unique ". Selon cette norme, il n'est pas nécessaire que le demandeur passe à l'étape suivante et difficile qui consiste à établir que le consommateur doit avoir su ou cru que le demandeur était le seul fabricant de ce produit. La règle de l'arrêt Roche n'est qu'un raffinement ou une application détaillée de la condition générale nécessaire au succès d'une action en passing-off, énoncée par le maître des rôles Cozens-Hardy dans l'arrêt J.B. Williams Company v. H. Bronnley & Co. Ltd. (1909), 26 R.P.C. 765, à la p. 771:                 
             [TRADUCTION] Que doit établir un commerçant agissant à titre de demandeur dans une action en passing-off? Il me semble que pour avoir gain de cause, il doit tout d'abord établir qu'il a choisi une conception nouvelle et originale telle qu'elle confère un caractère distinctif à ses marchandises, que celles-ci sont connues sur le marché, où elles ont acquis une réputation en raison justement de ce caractère distinctif, et que s'il ne peut réussir à prouver cela, les bases mêmes de son action sont absentes.                         

     [Non souligné dans l'original.]

     La Cour ne peut conclure des faits exposés ci-dessus que les demanderesses ont établi que l'apparence de la capsule a acquis, sur le marché, la réputation requise à titre de caractère distinctif de leur produit.

     En l'espèce, les demanderesses se heurtent à une autre difficulté. Même s'il était possible de tenir pour établi que l'apparence de la capsule, d'une part, sert d'élément identificateur de la source ou de l'origine commerciale en fonction duquel le consommateur choisit les produits des défenderesses et, d'autre part, qu'elle a acquis la réputation voulue sur le marché, les demanderesses devraient encore démontrer que l'utilisation faite par les défenderesses d'une capsule dont l'apparence est similaire à la leur entraîne une possibilité de confusion.

     Dans l'affaire Asbjorn, le juge MacGuigan a statué qu'une conclusion de possibilité de confusion doit s'appuyer sur une certaine preuve et qu'un demandeur n'est pas tenu de démontrer qu'il existe une possibilité de confusion dans plus de la moitié des ventes.2 Le degré de possibilité de confusion qu'il faut établir pour étayer une action en imitation frauduleuse varie selon les faits de chaque affaire.2

     En l'espèce, rien ne prouve l'existence d'une véritable confusion. Il est vrai, cependant, que pour établir la possibilité de confusion il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'une véritable confusion. Rien ne semble indiquer que les médecins, les infirmières ou les pharmaciens seraient induits en erreur par le fait que les produits des défenderesses sont vendus dans des capsules dont la couleur est la même que celles de la demanderesse. En fait, certains préfèrent qu'il en soit ainsi. Les patients qui ont été appelés à témoigner n'ont pas été induits en erreur. Les personnes interrogées par Me McIntyre ne se sont pas trompées, lorsqu'elles ont eu la possibilité d'examiner les capsules de près, une situation qui ressemble à celle où un client verrait le médicament pour la première fois après l'avoir acheté.

     Les consommateurs à qui la fluoxétine est prescrite pour la première fois et qui n'ont jamais pris le produit de la demanderesse ne seront pas induits en erreur puisqu'il est peu probable qu'ils aient vu de quoi avait l'air la capsule auparavant. La preuve ne permet pas de conclure que la distribution d'emballages-échantillons aux patients y change quelque chose.

     Une grande partie des consommateurs qui ont déjà pris le produit des demanderesses et qui font préparer une nouvelle ordonnance ou qui obtienne le renouvellement d'une ordonnance existante associent l'apparence de la capsule avec la nature du médicament et non avec sa source ou son origine commerciale. La ressemblance entre les produits des défenderesses et ceux des demanderesses n'est pas susceptible de semer la confusion chez ces consommateurs.

     La preuve montre qu'en général les patients ne savent pas, et ne s'inquiètent guère de savoir, quelle marque de médicaments délivrés sur ordonnance ils prennent. La plupart savent qu'il existe des médicaments génériques, moins chers que les médicaments d'origine, et que les pharmaciens vont délivrer des médicaments génériques interchangeables. Parmi les consommateurs qui relient l'apparence d'une capsule à une source commerciale, que ce lien s'accompagne ou non d'une association avec la nature du médicament, se retrouvent ceux qui n'attachent pas d'importance au fait qu'une marque ou l'autre leur soit délivrée. Ils ne seront pas induits en erreur.

     Les consommateurs qui se préoccupent de la marque de fluoxétine qu'ils reçoivent, ou ceux dont le médecin s'en inquiète, peuvent obtenir une ordonnance où il est écrit " aucune substitution ". Il n'y aura pas de confusion avec une telle ordonnance. Ceux dont l'ordonnance ne précise pas qu'il ne doit pas y avoir de substitution peuvent demander au pharmacien de leur délivrer la marque qu'ils préfèrent. Il n'y aura pas de confusion pour ces personnes. Il est raisonnable de tenir pour établi que les clients qui n'expriment pas de préférence quant à la marque n'en ont effectivement aucune.

     L'attention des consommateurs qui, bien que ne demandant pas une marque en particulier, s'attendent néanmoins à en recevoir une, peut être éveillée, quant à l'identité de marque qu'ils ont obtenue, par le reçu qui leur est remis au moment de l'achat, par l'étiquette sur le flacon, par les inscriptions apposées sur chaque capsule ou par la différence de prix dans les cas où ils passent d'un médicament d'origine à un médicament générique. Même si certaines de ces indications, comme la désignation du fabricant sur le reçu ou sur l'étiquette du flacon, n'attirent valablement l'attention du consommateur que si celui-ci a appris à les chercher, il est fort probable que le pharmacien, qui veut délivrer une marque différente de Prozac à un consommateur de ce produit, informera le client du changement.

     La Cour ne peut conclure que les demanderesses ont prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le fait que les défenderesses vendent de la fluoxétine dans des capsules similaires aux leurs est susceptible d'entraîner un important risque de confusion.

     c) La jurisprudence relative à l'apparence des médicaments d'ordonnance

     Les parties ont cité un certain nombre de décisions portant sur l'apparence des médicaments d'ordonnance. La Cour doute qu'elle puisse s'appuyer beaucoup sur les décisions émanant de ressorts où les usages en matière de prescription, de délivrance et de commercialisation des médicaments d'ordonnance peuvent être différents. Aucune de ces décisions, à l'exception de celles qui ont été rendues par les tribunaux américains, n'a été prononcée après l'instruction complète du litige sur le fond.2 Deux décisions portent sur la possibilité d'enregistrer l'apparence d'une capsule ou d'un comprimé; les autres sont principalement des demandes d'injonction interlocutoire.

     Les deux décisions qui traitent de l'enregistrement de l'apparence d'une capsule ou d'un comprimé sont celles de l'affaire Smith, Kline and French Laboratories Ltd. c. Sterling-Winthrop Group Ltd., [1976] R.P.C. 511 (H.L.), et de l'affaire Smith Kline & French Canada c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 F.C. 633 (1re inst.). Dans la première, la Cour a statué que l'enregistrement de l'apparence d'une capsule ne pouvait être refusée simplement parce que la " marque " s'appliquait à toute la partie visible de la marchandise. La capsule en question était moitié opaque et de couleur, et moitié transparente et incolore; elle était remplie de granules multicolores. Dans la deuxième décision, la Cour a statué que, bien que l'enregistrement d'une marque qui ne repose que sur la couleur puisse être refusée, ce n'est pas le cas lorsque la demande d'enregistrement porte sur l'ensemble de l'apparence de la capsule (grosseur, forme et couleur).

     Parmi les autres décisions, (la Cour examinera les décisions américaines à part) seulement deux ont donné lieu à une injonction interlocutoire, sans contestation fructueuse. L'une d'elle est la décision Hoffman-LaRoche c. D.D.S.A. Pharmaceuticals Limited, [1969] F.S.R. 410 (C.A.), confirmant [1969] F.S.R. 391 (le juge Pennycuick). Cette décision repose sur un témoignage par affidavit affirmant que la capsule vert et noir utilisée par la demanderesse pour son chlordiazépoxide (Librium) était hautement distinctive et que l'arrivée sur le marché d'un produit de défenderesse utilisant des capsules de la même couleur créait une possibilité de confusion pour les patients qui avaient déjà pris le produit Librium de la demanderesse et qui renouvelaient leur ordonnance. La présente Cour a rendue une décision contraire relativement aux mêmes capsules et au même médicament dans l'affaire Hoffman-LaRoche Ltd. c. Rocke-William Cie, Ltée (1970) 62 C.P.R. 233 (C. de l'É.). Le juge Dumoulin a statué qu'en ce qui concerne la vente de médicaments délivrés sur ordonnance, la forme et la couleur de présentation des capsules sont sans importance.

     Dans une décision rendue quatre années plus tard, la Cour d'appel de la Haute Cour de justice a statué qu'elle ne pouvait accorder une injonction interlocutoire pour empêcher la vente de comprimés jaune et blanc de diazépam, vendu sous le nom de marque Vallium. La Cour a estimé que l'apparence très ordinaire des comprimés jaune et blanc n'avait pas incité les consommateurs à leur attribuer une source ou origine commerciale, et que, sans cette attribution, leur copie par la défenderesse ne constituait pas une représentation visant faire passer ses produits pour ceux de la demanderesse, mais plutôt une simple indication que le médicament était le même : Roche Products Ltd. c. Berk Pharmaceutical, [1973] R.P.C. 473 (C.A.), confirmant [1973] R.P.C. 461.

     Une injonction interlocutoire a aussi été accordée dans l'affaire Hoffman-LaRoche Ltd. c. Novopharm (1980), 51 C.P.R. (2d) 40 (H.C.J. Ont.). Une décision contraire, portant sur le même médicament et sur la même apparence de la capsule a été rendue dans Hoffman-LaRoche Ltd. c. Apotex Inc. (1982), 72 C.P.R. (2d) 183 (H.C.J. Ont.)

     Plusieurs facteurs influencent la décision d'accorder ou non un injonction interlocutoire. Parmi les affaires citées, certaines sont des cas où l'injonction interlocutoire a été refusée en raison de l'absence d'une preuve de préjudice irréparable; des dommages-intérêts ont été considérés comme représentant une réparation valable : voir, par exemple, l'affaire Boots Co. Ltd. c. Approved Prescription Services Ltd., [1988] F.S.R. 45 (C.A.); celle de Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (F.C.A.) et celle de Searle Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (1994) 56 C.P.R. (3d) 213 (F.C.A.). Dans d'autres décisions, la Cour a refusé d'accorder une injonction interlocutoire parce que la similitude des couleurs des médicaments délivrés sur ordonnance ne créait pas de confusion chez les médecins et les pharmaciens : voir, par exemple, la décision Smith, Kline & French Ltd. c. Novopharm Ltd. (1983), 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C.J. Ont.) (dans la mesure où la Cour a considéré pertinent le point de vue des patients, leur témoignage a été jugé non concluant) et l'affaire Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1983), 74 C.P.R. (2d) 110 (H.C.J. Ont.). Il est arrivé que la Cour refuse d'accorder des injonctions interlocutoires parce que la demanderesse n'avait pas prouvé que l'apparence de la capsule ou du comprimé indiquait une seule source ou origine commerciale. Dans l'affaire Hoffman-LaRoche Ltd. c. Apotex Inc. (1982), 72 C.P.R. (2d) 183 (H.C.J. Ont.), la Cour a déclaré que les couleurs ne signalaient pas au patient ou au consommateur l'existence d'une seule source commerciale, mais plutôt la nature du médicament. Dans l'affaire Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1983) (précitée), la Cour a constaté que les patients associent l'apparence d'un comprimé ou d'une capsule avec la sorte de médicament et non avec une source commerciale unique. Dans l'affaire John Wyeth Ltd. c. M. & A. Pharmchem Ltd., [1988] F.S.R. 26 (H.C. - Div. Chanc.), la Cour a estimé que la demanderesse n'avait pas établi une cause défendable en prétendant que les patients considéraient que la forme d'une pilule est une indication d'une source précise de fabrication; dans ce cas, les deux capsules de couleurs différentes servaient à distinguer des posologies précises et non une source de fabrication. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 289, dans l'affaire Ayerst, McKenna & Harrison Inc. c. Apotex Inc. (1983), 72 C.P.R. 57 (C.A. Ont.), la Cour a annulé la décision du tribunal de première instance parce que le juge du procès s'était conduit d'une manière propre à soulever une crainte raisonnable de partialité.

     Les parties ont cité plusieurs décisions rendues par des tribunaux américains : Boehringer Ingelheim G.m.b.H. c. Pharmadyne Laboratories et al. (1980) 211 USPQ 1163 (Dist. Ct. N.J.); Ciba-Geigy c. Bolar Pharmaceutical Co., Inc. (1984), 224 USPQ 349 (Court of Appeals, Third Circuit); McNeill-PPC c. Granutec Inc. 37 USPQ 2d 1713 (E.D.N.C. 1995); Qualitex Co. c. Jacobson Products Co. (1995), 34 USPQ 2d 1161 (U.S. Sup. Ct.). D'après ces décisions, les lois sur la concurrence déloyale de certains États, au moins, interdisent à un fabricant d'utiliser la même apparence de capsule que celle utilisée par un autre. Par ailleurs, dans Qualitex Co. c. Jacobson Products Company (1995), 34 U.S.P.Q. (2d) 1161 (U.S.S.C.), une décision qui ne vise pas les médicaments délivrés sur ordonnance, la Cour suprême des États-Unis a été statué que, bien que la couleur seule puisse constituer une marque de commerce, la doctrine de la fonctionnalité protégeait les concurrents contre un désavantage (non lié à la reconnaissance ou à la réputation) que la protection d'une marque de commerce leur aurait par ailleurs imposé, c'est-à-dire leur incapacité de copier, dans une mesure raisonnable, des caractéristiques importantes du produit qui sont sans rapport avec sa réputation. À titre d'illustration, la Cour a mentionné la copie de la couleur d'une pilule dans les cas où cette couleur servait à reconnaître le genre de médicament en plus de sa source.

     Finalement, l'attention de la Cour a été attirée sur une autre affaire, étrangère au domaine pharmaceutique, mais portant sur l'apparence d'un produit de santé. Il s'agit de l'affaire Hodgkinson & Corby Limited c. Wards Mobility Services Limited, [1995] F.S.R. 169 (H.C.J.- Ch. Div.), une action en imitation frauduleuse intentée pour empêcher la vente d'un coussin d'un aspect particulier. D'après les descriptions qui en ont été faites, ce coussin avait un aspect bizarre, il était même laid, vraiment frappant et impossible à oublier. Il était connu sous la marque de commerce Roho. La défenderesse a tenté de vendre un produit qui lui " ressemblait " sous la marque de commerce Flo'Tair. La décision contient une brillante démonstration des difficultés auxquelles se heurte une demanderesse lorsqu'elle tente de prouver que, dans l'esprit des consommateurs, la " présentation " du produit est associée à une source plutôt qu'à la nature du produit. La Cour a aussi mis en relief qu'il n'existait pas de délit civil de copiage et qu'en l'absence de représentation trompeuse la copie était une forme de concurrence parfaitement acceptable.

     Bien que les précédents mentionnés ci-dessus concernent surtout des demandes d'injonction interlocutoire, dans l'ensemble, la direction qu'ils ont prise n'est pas différente des conclusions tirées par la présente Cour en l'espèce, après l'instruction complète du litige.

Conclusion

     Il ressort des motifs qui précèdent que les actions des demanderesses doivent être rejetées. Les ordonnances applicables seront jointes à chaque dossier.

                                

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 25 avril 1997

Traduction certifiée conforme                 

                                     Martine Guay, LL.L.

     INDEX

Le chlorhydrate de fluoxétine - Un médicament révolutionnaire      2
Les accords concernant la vente de Prozac au Canada et l'arrivée d'un générique Lilly sur le marché      3
     a)      L'accord de janvier 1991 intervenu entre Lilly Canada et Lilly U.S.      3
     b)      L'accord du 30 juin 1995 intervenu entre Lilly Canada et Pharmascience      4
     c)      La modification apportée en novembre 1995 à l'accord de janvier 1991      4
     d)      La modification apportée le 10 novembre 1995 à l'accord du 30 juin 1995      4
Les injonctions interlocutoires      5
L'arrêt Ciba-Geigy rendu le 29 octobre 1992      6
La commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance - Plus particulièrement Prozac      7
La prescription de médicaments - Plus particulièrement Prozac      8
L'achat de médicaments des sociétés pharmaceutiques      9
La délivrance et la vente des médicaments d'ordonnance - Plus particulièrement Prozac      11
     a) L'étiquetage      12
     b) Conseils - Avis      12
     c) Les lois permettant la substitution - Formulaires provinciaux      15
     d) Les demandes des patients      17
La qualité des médicaments génériques et des médicaments innovateurs (Prozac et le générique de PMS)      17
L'effet placebo      21
Le choix de l'apparence de la capsule - Revendication d'une marque de commerce dans l'apparence      22
Les différences entre les capsules      23
Le point de vue du consommateur      24
     a) Le marché visé      24
     b) La preuve apportée par des études      26
Le manque de crédibilité des médecins      36
Les considérations d'ordre public      39
Commentaires sur la preuve      41
Arguments juridiques et analyse      49
     a) L'utilisation sans licence (1989-1995) et la commercialisation de la pms-Fluoxetine      49
     b) L'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce      55
     c) La jurisprudence relative à l'apparence des médicaments d'ordonnance      61
Conclusion      65

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-2432-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELI LILLY AND COMPANY ET AL. c. NOVOPHARM LIMITED

NO DU GREFFE :              T-2433-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELI LILLY AND COMPANY ET AL. c. NU-PHARM INC.

NO DU GREFFE :              T-2434-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELI LILLY AND COMPANY ET AL. c. APOTEX INC.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 4 novembre 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge REED en date du 25 avril 1997

ONT COMPARU :

Me Anthony Creber                 

Me Charles Beall

Me Patrick Smith                      POUR LES DEMANDERESSES

Me Douglas Deeth

Me Michelle Marcellus                  POUR LA DÉFENDERESSE Novopharm

Me Harry Radomski

Me Richard Naiberg                      POUR LES DÉFENDERESSES Apotex et Nu-Pharm

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Toronto (Ontario)                      POUR LES DEMANDERESSES

Deeth Williams Wall

Toronto (Ontario)                      POUR LA DÉFENDERESSE Novopharm

Goodman Phillips & Vineberg         

Toronto (Ontario)                      POUR LES DÉFENDERESSE Apotex et                              Nu-Pharm

__________________

     A-382-96, A-383-96, A-384-96, le 25 septembre 1996.

     À la page 304.

     Ibid.

     À la page 310.

     À la page 312.

     Voir aussi, cependant, l'affaire Qualitex Co. c. Jacobson Products Co. (1995), 34 USPQ 2d 1161, à la page 1165 (U.S. Sup. Ct.).

1      Règlement 936, Loi sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance , R.O. 684/91. L'avis est ainsi rédigé :
             [TRADUCTION] En exécutant votre ordonnance, votre pharmacien peut choisir une autre marque du même médicament, lorsque les lois ontariennes le permettent.
             Vous avez le droit de demander un produit interchangeable. (En caractères gras)
             Demandez à votre pharmacien s'il prépare votre ordonnance avec un médicament moins cher.
             N'hésitez pas à consulter votre pharmacien au sujet de votre ordonnance.

     Voir, par exemple, la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation (appelée auparavant Loi sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance), L.R.O. 1990, c. P-23, et ses modifications, la Pharmacists, Pharmacy Operations and Drug Scheduling Act, 1993, c-62, S.B.C. 1993, c. 62, et ses modifications et la Loi sur les pharmacies, L.M. 1991-92, c. 28, et ses modifications.

     Voir, en particulier, les paragraphes 25 à 27 de l'affidavit du Dr Spino.

     Les principes généraux relatifs à l'admissibilité d'éléments de preuve tirés d'études sont exposés dans l'arrêt R. v. Prairie Schooner New (1970), 75 W.W.R. 585, 1 C.C.C. (2d) 251 (C.A. Man.). Il est possible de trouver une mention particulière de son emploi dans les affaires de marques de commerce dans les décisions Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier Ltée (1988), 20 C.P.R. (3d) 68 (C.F. 1re inst.) et dans la décision Cordon Bleu International Ltée c. F.C. Bradley Co. Ltd. (1979), 60 C.P.R. (2d) 71 (C.S.Q.).

     Voir l'affidavit du Dr Liefeld, daté du 15 octobre 1996, annexe B, en particulier aux pages 11 à 13 (points 5.3 et 5.4) et aux pages 17 à 24 (points 5.8 à 5.8.3.2) pour un examen des différentes méthodes d'essai possibles.

     Voir Sopinka, Lederman, Bryant, The Law of evidence in Canada (1992), Butterworths, aux pages 523 à 526.

     L'ouvrage de Von Doussa, Difficulties of Assessing Expert Evidence, (1987) 61 Aust. L.J. 615 présente une description utile de la preuve d'expert. Voir aussi l'ouvrage de B. McLachlin, The Role of the Expert Witness, (1990) 14 Prov. Judges J. 27, pour une discussion du rôle des experts.

     Voir la transcription, aux pages 5542 à 5556.

     Voir, par exemple, la transcription à la page 5290.

     Buttrum v. Udell, [1925] 3 D.L.R. 45 (C.A. Ont.), Re Scamen v. Canadian Northern Railway Company (1912), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb. en banc), Fagnan v. Ure [1958] R.C.S. 377, Hamilton v. Brusnyk (1960), 28 D.L.R. (2d) 600 (C.S. Alb.), R. c. Morin, [1991] A.O. No 2528, B.C. Pea Growers Ltd. c. City of Portage La Prairie (1963), 43 D.L.R. (2d) 713 (C.B.R. Man.).

     Chalet Bar B-Q (Canada) Inc. et al. v. Foodcorp Ltd., 66 C.P.R. (2d) 56 (C.A.F.).

     (2) - Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques et de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

     S.C. 1993, c. 15, entré en vigueur par proclamation le 9 juin 1993.

     La jurisprudence portant sur l'invalidité qui découle d'une concession de licence irrégulière fait l'objet de discussion dans l'ouvrage d'Henderson (éd.), Trade Mark Law of Canada, au chapitre 12, et dans celui de D.E. Clarke, On Trade-marks Becoming Invalid, plus particulièrement aux pages 329 à 331.

     Coca-Cola v. Bernard Beverages (1948), 8 Fox Pat. Cas. 194 (C. de l'É.); Westfair Foods Ltd. v. Jim Pattison Industries Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 174 (C.A.C.-B.), aux pages 179 et 180.

     Asbjorn Hogard A/S v. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 14 C.P.R. 314 (C.A.F.); Dumont Vins & Spiritueux Inc. v. Celliers du Monde Inc. (1992), 42 C.P.R. (3d) 198 (C.A.F.).

     Waldow, The Law of Passing Off (1990), à la page 2.

     Premièrement, il doit établir l'existence d'un achalandage ou d'une réputation relativement aux produits ou services qu'il fournit en raison du fait que le public associe, dans son esprit, la présentation particulière (qu'il s'agisse simplement d'une marque de commerce ou d'une description commerciale, ou des caractéristiques particulières de l'étiquetage ou de l'emballage) des produits ou des services qui lui sont offerts à ceux du demandeur, de sorte que cette présentation est reconnue par le public comme constituant un caractère distinctif des produits ou services du demandeur.
     Deuxièmement, il doit établir que le défendeur a fait (intentionnellement ou non) une représentation trompeuse au public qui l'amène ou est susceptible de l'amener à croire que ses produits ou services sont ceux du demandeur.
         Troisièmement, il doit établir qu'il subit ou, dans une action quia timet, qu'il est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur que la source de ses produits et services est la même que ceux du demandeur.
     [Non souligné dans l'original.]

     (1842), 49 E.R. 749.

     (1964), 45 D.L.R. (2d) 97 à la page 103, 43 C.P.R. 1, aux pages 9 et 10, [1964] R.C.S. 351, à la page 358 et 27 Fox Pat. C. 67.

     Oxford Pendaflex Canada c. Korr Marketing Ltd. et autres (1982), 64 C.P.R. (2d) 1 (C.S.C.), à la page 7.

     Aux pages 330 et 331.

     Voir l'ouvrage d'Henderson (éd.),Trade-marks Law of Canada , chapitre 8 et celui de R.S Jolliffe, The Common Law Doctrine of Passing Off, plus particulièrement aux pages 217 et 218.

     Dans l'arrêt Ayerst, McKenna & Harrison Inc. c. Apotex Inc. (1983), 72 C.P.R. (2d) 57 (C.A. Ont.) infirme une décision rendue à l'instruction.

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