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                                                                                                                                           Date : 20020412

                                                                                                                                     Dossier : T-2384-00

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2002                              

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                            DELBERT E. STEWART

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                             et ANDREW SIGGNER

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                     ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire concernant une décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique du Canada en vue d'obtenir :

  • 1.                    une ordonnance annulant la décision du comité d'appel en date du 29 novembre 2000;
  • 2.                    une ordonnance renvoyant l'affaire au jury de sélection pour décision et nouvel examen avec les directives appropriées pour assurer qu'elle soit conforme aux dispositions de l'article 10 de la Loi;
   

  • 3.                    les dépens de la présente demande;
  • 4.                    toute autre réparation que l'avocat peut juger à propos de demander et que la présente Cour estime équitable.
   

APRÈS lecture des documents déposés et audition des observations des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance prononcée aujourd'hui;

           LA COUR ORDONNE QUE :

1.      la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision du comité d'appel soit annulée;

2.                    l'affaire soit renvoyée au comité d'appel afin que soit accueilli l'appel de la nomination et qu'un nouveau jury de sélection évalue les candidats, y compris le demandeur, en se fondant sur le mérite;

3.          les dépens de la présente demande soient payables au demandeur au montant convenu de

3 000 $.

  

        « Michael A. Kelen »

___________________________

      JUGE

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                                                          Date : 20020412

                                                    Dossier : T-2384-00

                                      Référence neutre : 2002 CFPI 423

ENTRE :                     

                              DELBERT E. STEWART

                                                                         demandeur

                                    et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                          et ANDREW SIGGNER

                                                                        défendeurs

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN :

[1]         La présente demande est faite en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédéraleL.R.C. (1985), ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire d'une décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique en date du 29 novembre 2000, laquelle rejetait l'appel du demandeur concernant la nomination du défendeur Siggner au poste de conseiller-analyste principal, Statistiques sur les Autochtones, Statistique Canada.


[2]    À cause d'une erreur informatique dans la procédure de sélection, seules quatre pages et demie sur les neuf pages du curriculum vitae du demandeur ont été prises en considération dans le processus de nomination en vertu de l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique L.R.C. (1985), ch. P-33 (la Loi). En conséquence, le demandeur a été informé qu'il n'avait pas l'expérience nécessaire pour être qualifié pour le poste. Il s'agit de savoir si le comité d'appel a erré quand il a conclu qu'il n'y avait pas d'irrégularité dans le processus de sélection puisque le demandeur a été invité à fournir davantage de renseignements, mais a refusé de le faire puisque, selon lui, il avait déjà fourni les renseignements pertinents dans son curriculum vitae.

LES FAITS

A)    Le processus de concours

[3]    Au printemps 2000, Statistique Canada a lancé un concours interne pour doter un poste de conseiller-analyste principal, Statistiques sur les Autochtones, Statistique Canada. Le concours était ouvert à tous les employés de la fonction publique.


[4]         Le 4 mai 2000, le demandeur a participé au concours en utilisant le processus informatisé de demande en direct qui est obligatoire. Le demandeur a soumis son curriculum vitae de neuf pages électroniquement et, conformément aux directives, il n'a pas envoyé de copie papier. Bien qu'aucun message d'erreur n'ait été reçu par le demandeur, le curriculum vitae de neuf pages reçu par le jury de sélection de Statistique Canada a été coupé au milieu d'une phrase, après quatre pages et demie. Les parties conviennent que c'est le système de l'employeur qui est la cause de l'erreur informatique.

  

B.         Décision du jury de sélection

[5]         Le jury de sélection est une formation de la Commission de la fonction publique constituée pour nommer un candidat à un poste en se fondant sur le mérite. La demande a été examinée par un jury de sélection qui ne s'est pas aperçu que le curriculum vitae du demandeur était incomplet. Le jury de sélection a conclu que l'expérience du demandeur ne répondait pas aux critères du poste.

[6]         Au total, neuf demandes ont été reçues et examinées par le jury de sélection. Six candidats ont été [Traduction] « éliminés à l'étape de présélection » parce qu'ils ne respectaient pas les critères de présélection. Une des demandes a été réputée tardive. Les deux autres ont été évaluées pour le poste et le défendeur Siggner a été choisi.

[7]         Le demandeur a été informé par lettre datée du 8 juin 2000 qu'il avait été éliminé à l'étape de présélection du fait que, selon les documents reçus par le jury de sélection, il ne répondait pas aux exigences d'expérience pour le poste. La lettre était en partie rédigée comme suit :

[Traduction]En réponse à votre demande dans le cadre du processus de sélection susmentionné, le jury de sélection a conclu que, selon les documents que vous avez soumis, vous ne répondez pas aux critères de présélection énumérés à l'avis de concours :


·                 Une vaste expérience des données de recensement et d'enquête et d'autres données statistiques dans le but de mener des recherches quantitatives sur les conditions sociales des Autochtones et les tendances dans ce domaine;

Le demandeur, qui ne savait pas que le curriculum vitae soumis avec sa demande était incomplet, a communiqué avec un agent des ressources humaines et exprimé son désaccord concernant la conclusion selon laquelle il n'avait pas assez d'expérience pour le poste. Il s'est vu offrir l'occasion de compléter la documentation accompagnant sa demande mais il a refusé de le faire, se fiant à l'information pertinente contenue dans son curriculum vitae.

  

DÉCISION DU COMITÉ D'APPEL

[8]    Le demandeur a interjeté appel de la décision du jury de sélection en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Une audience a été tenue le 15 novembre 2000 par le comité d'appel. Dans sa décision datée du 29 novembre 2000, le comitéd'appel a conclu que :

·                      le demandeur a été écarté parce que les renseignements étaient incomplets àcause d'une erreur du système informatiséde demande en direct;

·                      le demandeur a refusé l'occasion de fournir plus d'information puisqu'il pensait que le ministère avait tous les renseignements pertinents qu'il avait soumis à l'origine;


·                      le ministère a agi raisonnablement en concluant que le demandeur a été écarté sur la base de l'information soumise au jury de sélection, et qu'il n'y a pas eu d'irrégularité dans le processus de sélection du candidat fondé sur le mérite.

Le comité d'appel a conclu comme suit aux paragraphes 13 et 14 de sa décision :

[TRADUCTION]

[13] Je dois déterminer qui doit subir les conséquences d'une erreur causée par le système créépour accepter des demandes en direct. Selon la preuve, l'appelant [le demandeur en l'espèce] a soumis sa demande en direct, le ministère l'a reçue et l'a écartédu concours àl'étape de présélection en se fondant sur de l'information incomplète transmise par le système de l'employeur. Le ministère a informé l'appelant de sa décision de l'éliminer à l'étape de présélection et lui a donné l'occasion de fournir plus d'information. L'appelant a choisi de ne pas fournir de plus amples renseignements, affirmant que le ministère avait déjà l'information pertinente. En conséquence, le ministère a publié les résultats et l'appelant a interjetéappel. Il a alors appris que le ministère avait fondé sa décision de l'éliminer du concours sur de l'information incomplète.

[14]    Selon les faits susmentionnés, je dois conclure que le ministère a agi raisonnablement. Bien que je sympathise avec lui, c'était la décision de l'appelant de refuser l'offre du ministère de fournir d'autres renseignements qui a conduit le jury de sélection à maintenir sa décision selon laquelle celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences de sélection. En conséquence, je suis d'avis que les conclusions du jury de sélection en ce qui concerne les qualifications de l'appelant étaient fondées sur l'information qu'il possédait à ce moment-là, après un processus qui pouvait raisonnablement permettre d'évaluer le mérite relatif. Par conséquent, il n'y a pas d'irrégularités dans le processus et je rejette le présent appel.

[Non souligné dans l'original]     

LE PRINCIPE DU MÉRITE      

[9]    Le paragraphe 10(1) de la Loi énonce le principe du mérite comme critère de nomination à des postes de la fonction publique :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.


L'article 21 de la Loi prévoit qu'un appel de nominations ou de nominations proposées peut être interjeté devant un comité d'appel par un candidat non reçu :


21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.


NORME DE RÉVISION

[10]      Dans la décision Boucher c. P.G. (Canada), [1998] A.C.F. no 1557 (C.F. 1re inst.), confirmée par la Cour d'appel fédérale, [2000] A.C.F. no 86 (C.A.F.), il a été conclu que la norme de révision était celle de la décision correcte pour les questions de droit, y compris l'application du principe du mérite posé à l'article 10 de la Loi. La Cour d'appel fédérale a déclaré au paragraphe 7 :


[par. 7] Quant à la première question en litige, celle du traitement du facteur des connaissances par le comité de sélection, nous sommes d'avis qu'elle constitue une question de droit en ce qui a trait aux exigences du principe du mérite et nous considérons par conséquent que la décision du CACFP de confirmer ce procédéconstituait également une question de droit. Nous ne sommes pas convaincus que nous devrions considérer que le CACFP est un tribunal qui possède une telle expertise en matière d'interprétation de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique que nous devrions faire preuve d'un haut degré de retenue à son égard quant à cette question. Le comité de sélection est un comité ad hoc. Nous concluons à cet égard que la norme de révision que la Section de première instance aurait dû appliquer est celle de la décision correcte.

[11]      En l'espèce, le comité d'appel a conclu selon les faits qu'une erreur informatique importante avait eu lieu. La conclusion du comité d'appel selon laquelle l'erreur informatique n'avait pas eu d'incidence sur l'application du principe du mérite contenu à l'article 10 de la Loi est une question de droit. La norme de révision appropriée quant à cette question de droit est celle de la décision correcte.

ANALYSE

[12] Conformément au paragraphe10(1) de la Loi, les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats. En l'espèce, le comité d'appel de la Commission de la fonction publique a convenu avec le demandeur qu'une erreur informatique causée par le système (et non par le demandeur) servant àaccepter les demandes en direct avait écarté le demandeur du concours à cause de l'information incomplète transmise par le système informatique de l'employeur. Pour ce motif, je conclus que le demandeur n'a pas été traité selon le principe du mérite pour cette nomination.


[13] Lorsque le demandeur s'est plaint d'avoir été exclu à tort, le jury de sélection l'a invité à soumettre de plus amples renseignements. Le demandeur a naturellement dit qu'il avait déjà soumis toute l'information pertinente et qu'il n'avait donc pas d'autre information àfournir. En conséquence, la possibilité de soumettre d'autres renseignements n'a pas corrigé l'erreur dans le processus de sélection.

[14] Pour ces motifs, je conclus que le comité d'appel a erré en droit en décidant que le jury de sélection avait fait la nomination conformément au principe du mérite comme le prescrit le paragraphe 10(1) de la Loi. Le défaut d'évaluer le demandeur sur son véritable curriculum vitae plutôt que sur le curriculum vitae transmis de façon incomplète à cause de l'erreur informatique, constitue une irrégularité importante dans le processus de nomination. Aussitôt l'erreur découverte, le jury de sélection aurait dû rouvrir le concours et tenir compte du curriculum vitae complet du demandeur.

[15] De plus, le demandeur croyait légitimement et raisonnablement que le jury de sélection lirait son curriculum vitae et remarquerait qu'il était tronqué et incomplet. Le jury de sélection aurait au moins dû interroger le demandeur pour savoir pourquoi son curriculum vitae finissait au milieu d'une phrase et omettait des renseignements essentiels aussi importants que les études faites par le demandeur. Il incombait au jury de sélection de voir ce qui était évident et de le porter à l'attention du demandeur. Le jury de sélection a plutôt invitéle demandeur àprésenter de plus amples renseignements, ce que le demandeur a refusé de faire parce qu'il estimait que le jury de sélection possédait déjà toute l'information pertinente. En conséquence, le comité d'appel a commis une erreur de fait en concluant que le ministère avait agi de façon raisonnable dans ces circonstances.


[16] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée au comitéd'appel. Ce dernier devrait faire droit à l'appel de la nomination et ordonner qu'un nouveau jury de sélection évalue les candidats, y compris le demandeur, en se fondant sur le mérite.

[17] Le demandeur a droit aux dépens pour le montant convenu, soit 3 000 $.

          « Michael A. Kelen »

___________________________

         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 12 avril 2002                                                                 

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                      T-2384-00

INTITULÉDE LA CAUSE :           DELBERT E. STEWART - et - LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et ANDREW SIGGNER

LIEU DE L'AUDIENCE :       Ottawa      

DATE DE L'AUDIENCE :         le 10 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE KELLEN

DATE DES MOTIFS :            le 12 avril 2002

COMPARUTIONS:   

Caroline Engelmann Gottleib POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

Peter Engelmann               POUR LE DEMANDEUR

Michael Roach                   POUR LES DÉFENDEURS

    
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