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T-2221-96


OTTAWA, LE JEUDI 30 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :


ROBERT PRESTON,


requérant,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

DIRECTION DU TRAVAIL), RICK MORGENROTH,

CHTK SKEENA BROADCASTING INC.,

intimés.


O R D O N N A N C E

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME :

     VU la demande de contrôle judiciaire visant deux décisions du ministère du Développement des ressources humaines, et après avoir lu les documents versés au dossier, et entendu les avocats des parties à Edmonton (Alberta) le 19 juin 1997, par les motifs d'ordonnance exposés en ce jour,

     LA COUR ORDONNE le rejet de la demande.

"James A. Jerome"

Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme :     
                     François Blais, LL.L.

T-2221-96


OTTAWA, LE JEUDI 30 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :


ROBERT PRESTON,


requérant,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

DIRECTION DU TRAVAIL), RICK MORGENROTH,

CHTK SKEENA BROADCASTING INC.,

intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME :

La présente demande de contrôle judiciaire de deux décisions du ministère du Développement des ressources humaines m'a été soumise à Edmonton (Alberta) le 19 juin 1997. À la fin des plaidoiries, j'ai réservé ma décision, indiquant que j'exposerai ultérieurement mes motifs par écrit.

Le requérant a été licencié par Newcap Broadcasting Inc., à Charlottetown, le 22 septembre 1995, son travail devant effectivement prendre fin le 29 décembre 1995. Le 11 septembre 1995, il reçoit une offre d'emploi de Skeena Broadcasters, à Prince Rupert, ce travail devant débuter le 2 octobre 1995. Alors qu'il se rend en Colombie-Britannique, le requérant apprend que Skeena n'est pas en mesure de lui offrir un emploi dans l'immédiat mais qu'il doit reprendre contact avec eux dans six semaines. En décembre 1996, le requérant et Skeena discutent d'une nouvelle date d'entrée en fonction. Mais M. Preston a épuisé ses économies et n'a plus les moyens d'assurer son déménagement en Colombie-Britannique. Il sollicite une aide de Skeena mais n'a jamais eu de nouvelles de leur part.

Le 18 mars 1996, le requérant dépose une plainte auprès du ministère du Développement des ressources humaines, se fondant sur le Code canadien du travail (le Code) et faisant valoir que son emploi auprès de Skeena avait débuté le 2 octobre 1995, et qu'il avait été injustement congédié par cette compagnie le 22 décembre 1995. Sa demande est rejetée le 1er avril 1996 au motif que le requérant ne répond pas aux conditions prévues à l'article 240 du Code qui, dans version anglaise, dispose notamment que :

                240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person                 
                     (a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and                         
                     (b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,                         
                 may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.                 

         Cette décision du mois d'avril a été confirmée par lettre en date du 10 septembre 1996, rédigée en réponse aux arguments avancés par l'avocat du requérant. Il semblerait que ces décisions aient été fondées sur le fait que M. Preston n'avait pas travaillé au moins douze mois pour Skeena Broadcasters avant de déposer sa plainte.

         L'avocat du requérant a fait valoir que la version anglaise de l'alinéa 240(1)a) autorise une lecture très large puisqu'il parle simplement de " an employer ". L'avocat estime que cela permettrait à tout requérant ayant travaillé, pendant douze mois consécutifs, pour n'importe quel employeur soumis à la réglementation fédérale, d'intenter une action contre tout autre employeur, quelle que soit la durée des fonctions occupées chez ce dernier.

         L'avocat de l'intimé réplique que l'ambiguïté qui semblerait marquer l'alinéa 240(1)a) dans sa version anglaise peut être dissipée en se reportant à la version française :

                 240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :                 
                      (a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois, pour le même employeur;                         
                      (b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.                         
                                      [non souligné dans l'original)                 

         En précisant qu'un demandeur doit avoir travaillé pour " le même employeur " pendant douze mois, le législateur a refusé aux personnes se trouvant dans la situation actuelle du requérant la possibilité de demander réparation en vertu du Code.

         Le juge Noël a eu l'occasion de se prononcer sur la manière de concilier les versions anglaise et française d'un texte de loi, dans l'arrêt Beotuk Data Systems, Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451. Il a repris à son compte la thèse développée dans l'ouvrage Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition (Toronto : Butterworths, 1994) selon laquelle lorsqu'une version d'un texte est susceptible de multiples interprétations alors que l'autre version n'est susceptible que d'une seule, c'est le sens qui est commun aux deux textes qui sera censé correspondre à l'intention du législateur. Se penchant sur la décision rendue dans l'affaire Beotuk, la Cour d'appel fédérale (dossiers A-757-95, A-758-95, A-759-95) (28 août 1997) a ajouté que les tribunaux doivent interpréter toute ambiguïté existant entre les deux versions d'un même texte d'une manière qui favorise le plaignant dans la mesure où cette interprétation est conforme à l'objet même du texte. Je ne vois aucune raison ne pas me rallier à cette démarche.

         Le recours, dans la version anglaise, à l'article indéfini dans le membre de phrase " an employer " invite diverses interprétations, dont celle qui correspond à l'expression non ambiguë utilisée dans la version française, à savoir " le même employeur ". Par conséquent, selon le sens qui est commun aux deux versions, les employés doivent avoir travaillé pendant douze mois pour l'employeur faisant l'objet de la plainte. Selon le juge Noël, ce délai a pour objet de : 1) limiter le nombre de plaintes déposées en vertu du Code; 2) admettre une période de stage permettant à un employeur de jauger le travail de l'employé; et 3) établir un parallèle avec les clauses de permanence inscrites dans les conventions collectives. J'estime que le délai prévu par l'article 240 ne servirait à rien si l'on pouvait intenter une action contre un employeur avec qui on n'a eu que des liens éphémères. J'estime, par conséquent, que le législateur a voulu que douze mois de travail sans interruption aient été effectués auprès du même employeur avant qu'une plainte puisse être déposée au titre du Code canadien du travail .

         Par les motifs exposés ci-dessus, j'estime que c'est à juste titre que les représentants du ministère du Développement des ressources humaines ont décidé de ne pas donner suite à cette plainte. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

O T T A W A

Le 30 octobre 1997

"James A. Jerome"

Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme :     
                         François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              T-2221-96
INTITULÉ :                      Robert Preston c. Procureur général du Canada
                             et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 19 juin 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      le juge en chef adjoint
DATE :                      le 30 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. G. Brent Gawne              Pour le requérant
Mme Mary King                  Pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

G. Brent Gawne & Associates

Edmonton (Alberta)              Pour le requérant

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  Pour les intimés
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