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Date : 20040331

Dossier : T-320-01

Référence : 2004 CF 502

Toronto (Ontario), le 31 mars 2004

En présence de :         Madame la juge Heneghan   

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                     ELI LILLY AND COMPANY

                                                     et ELI LILLY CANADA INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Apotex Inc. (Apotex ou la demanderesse) a intenté la présente action en dommages-intérêts le 23 février 2001 contre les défenderesses Eli Lilly and Company (Lilly U.S.) et Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada), en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-133 (le Règlement). Lilly U.S. et Lilly Canada présentent maintenant une requête en vue d'obtenir un jugement sommaire en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, modifiées (les Règles). Lilly U.S. demande une ordonnance radiant l'action intentée contre elle et Lilly Canada demande une ordonnance rejetant l'action de la demanderesse en ce qui concerne la demande fondée sur l'enrichissement sans cause.

LES FAITS

i)           Les parties

[2]                Apotex est un fabricant de produits pharmaceutiques constitué selon les lois de l'Ontario; elle produit des produits pharmaceutiques « génériques » qui sont la contrepartie de médicaments de marque. Cette désignation distingue ses produits des produits pharmaceutiques utilisant les mêmes ingrédients médicamenteux actifs qui ont reçu l'approbation préalable du ministre de la Santé en vue de la commercialisation au Canada, appelés produits « innovateurs » .

[3]                Lilly U.S. est une société par actions constituée en vertu des lois de l'État de l'Indiana, ayant un bureau et un établissement à Indianapolis (Indiana).


[4]                Lilly Canada est une filiale en propriété exclusive de Lilly U.S. et elle est constituée en vertu des lois du Canada. Selon Apotex, Lilly U.S. « exerce un contrôle total » sur les activités de Lilly Canada, notamment sur une décision de cette dernière de demander la délivrance d'un avis de conformité au Canada et sur le contenu de la présentation de drogue nouvelle (PDN) à cet égard.

ii)          Le contentieux antérieur

[5]                La présente action a été intentée dans le contexte d'une procédure engagée par Lilly U.S. et Lilly Canada le 14 juin 1993, en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction empêchant le ministre de la Santé et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex à l'égard de la drogue nizatidine jusqu'à l'expiration de certains brevets qui sont la propriété de Lilly U.S. Le 9 février 1995, Madame la juge McGillis a accordé l'ordonnance d'interdiction demandée, malgré le fait que la nizatidine acquise par Apotex était fabriquée sous licence. La décision a été publiée sous l'intitulé Eli Lilly & Co. et al. c. Apotex Inc. et al. (1995), 91 F.T.R. 181.

[6]                Apotex a interjeté appel de cette ordonnance et la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel le 1er avril 1996. Elle a conclu que, si le fabricant des capsules contenant de la nizatidine fabriquée sous licence ne commettait pas de contrefaçon, le contrat conclu entre Apotex et Novopharm Limited (Novopharm) en vue de l'acquisition de la nizatidine fabriquée sous licence constituait une sous-licence qui était interdite par la licence obligatoire de Novopharm. Cet arrêt a été publié sous l'intitulé Eli Lilly & Co. et al. c. Apotex Inc. et al. (1996), 195 N.R. 378 (C.A.F.).

[7]                En appel auprès de la Cour suprême du Canada, Apotex a eu gain de cause. La Cour suprême du Canada, dans un arrêt prononcé le 9 juillet 1998, a rétabli la licence obligatoire de Novopharm et rejeté la demande de Lilly en vue d'obtenir l'ordonnance d'interdiction qui avait été prononcée par la Section de première instance de la Cour fédérale. Cet arrêt a été publié sous l'intitulé Eli Lilly & Co. et al. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129.

iii)          Les actes de procédure dans la présente action

a)          La déclaration de la demanderesse

[8]                Apotex a obtenu un avis de conformité pour son produit pharmaceutique utilisant la nizatidine le 30 avril 1997, après avoir introduit une procédure devant la Cour pour obtenir une ordonnance de mandamus, dans la cause T-1237-95. Dans la déclaration déposée dans la présente action, Apotex allègue avoir été retardée pour entrer sur le marché en raison de la longue période nécessaire pour la préparation et la commercialisation de son produit non contrefaisant. Elle allègue avoir été incapable d'entrer sur le marché avec son produit non contrefaisant avant le quatrième trimestre de 1998. Apotex dit avoir commandé de la nizatidine fabriquée sous licence chez Novopharm après que la Cour suprême du Canada a rétabli la licence de Novopharm et annulé l'ordonnance d'interdiction le 9 juillet 1998.

[9]                Apotex dit que, entre-temps, le 30 avril 1996 ou vers cette date, les représentants autorisés du ministre de la Santé ont décidé que son produit, l'apo-nizatidine, était efficace et sans danger et serait donc admissible à la délivrance d'un avis de conformité si les défenderesses n'avaient pas intenté la procédure d'interdiction.

[10]            Apotex allègue également que, pendant la période de retard, les défenderesses ont conclu un accord avec Pharmascience Inc. en vue de permettre aux défenderesses de vendre leurs produits de nizatidine comme un supposé produit « générique » sous la marque Pharmascience. De ce fait, les défenderesses, avec le concours de Pharmascience, « ont conquis une position intéressante sur le marché à long terme » dont aurait autrement profité Apotex et ont bénéficié d'un enrichissement sans cause. De façon précise, Apotex expose le fondement de sa demande à raison de l'enrichissement sans cause aux paragraphes 41 à 45 de sa déclaration modifiée de la façon suivante :

[traduction]

41.            En raison de la procédure d'interdiction et du retard qu'elle a causé pour l'arrivée sur le marché des capsules de nizatidine d'Apotex, Lilly a été à l'abri de la concurrence d'Apotex au cours de la prolongation de deux ans et demi du monopole. Il n'y avait pas d'autre concurrent pendant cette période.

42.            Par suite de ce retard, Lilly a fait toutes les ventes de capsules de nizatidine qu'Apotex aurait faites et les a faites au prix plus élevé qu'elle demande pour son produit.

43.            Du fait de ce qui précède :

a)              Lilly a réalisé des recettes de ventes qu'elle n'aurait pas eues si elle ne s'était pas prévalue du Règlement sur les brevets;


b)              Lilly a réalisé ses recettes de ventes, ainsi qu'il a été dit auparavant, au détriment d'Apotex, qui s'est trouvée privée de la possibilité de faire ces ventes, et au détriment des gouvernements provinciaux, des assureurs et des consommateurs qui auraient payé un prix nettement moindre pour l'Apo-Nizatidine;

c)              Il n'y a pas de motif juridique de laisser Lilly conserver son enrichissement et de priver Apotex de l'avantage correspondant;

d)              En l'absence de restitution des bénéfices, tout breveté a intérêt à abuser du Règlement sur les brevets pour retarder injustement l'entrée de tout produit générique aux dépens du fabricant de médicaments génériques et du système des services de santé, en étant assuré que les bénéfices à réaliser surpassent considérablement les dommages-intérêts auxquels il peut être condamné à raison du retard causé au fabricant de médicaments génériques.

44.            De plus, au cours de la période pendant laquelle Apotex a été retardée injustement, Lilly s'est organisée avec Pharmascience pour lancer les capsules de Lilly censément comme un produit générique sous la marque Pharmascience. Lilly et Pharmascience ont ainsi conquis une position intéressante sur le marché à long terme du produit générique, qui aurait autrement échu à Apotex.

45.            Apotex plaide donc que les défenderesses se sont enrichies sans cause au détriment d'Apotex.

[11]            Apotex fonde son action sur l'article 8 du Règlement, dans sa version originale de 1993 ou dans sa version modifiée de 1998, et dit que les défenderesses sont tenues à son endroit au paiement de dommages-intérêts ou à la restitution des bénéfices. Elle allègue que les deux défenderesses ont agi dans le cadre d'une entreprise commune et, plus particulièrement, que Lilly U.S. a donné des instructions que Lilly Canada a exécutées. Selon la demanderesse, [traduction] « en common law et en equity » , les agissements de Lilly Canada doivent être considérés comme constituant des agissements de Lilly U.S. et, par conséquent, Lilly U.S. est responsable à son endroit.

[12]            Précisément, Apotex demande les réparations suivantes dans sa déclaration :


[traduction]

a)              les dommages subis par Apotex relativement au médicament nizatidine du fait de l'introduction d'une procédure par les défenderesses en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les brevets), des chefs suivants :

i)               les ventes perdues au cours de la période où Apotex a été exclue du marché de la nizatidine;

ii)              les ventes perdues et la part de marché permanente perdue en raison du lancement par les défenderesses de leur produit de nizatidine « générique » sous la marque Pharmascience avant le lancement par Apotex de son produit de nizatidine;

iii)             les dépenses engagées pour développer un procédé de fabrication de la nizatidine qui ne constitue pas une contrefaçon, pour le faire approuver et pour le mettre à l'échelle;

iv)             le supplément de coût de la nizatidine fabriquée au moyen du procédé susmentionné;

v)              les frais juridiques engagés pour intenter une procédure de mandamus, dossier T-1237-95, dans la mesure où ils ne sont pas recouvrables dans cette procédure;

vi)             toute somme qu'Apotex peut être condamnée à payer aux défenderesses dans une action en contrefaçon intentée par celles-ci contre Apotex, dossier T-1100-97, y compris les dépens;

vii)            les frais juridiques engagés pour défendre à la procédure dans le dossier T-1100-97, dans la mesure où ils ne sont pas recouvrables dans cette procédure;

le tout de la façon exposée plus en détail dans la présente                     déclaration;

b)              la restitution des bénéfices réalisés par les défenderesses relativement aux ventes perdues et à la part de marché de la nizatidine perdue ainsi qu'il est indiqué aux sous-alinéas a)i) et ii), si Apotex effectue ce choix à titre subsidiaire aux sous-alinéas a)i) et ii);

c)              la restitution des recettes de la nizatidine des défenderesses attribuables aux prix supérieurs facturés par les défenderesses pour leur drogue nizatidine, injustement réalisées par les défenderesses au cours de la période pendant laquelle Apotex a été exclue du marché en raison du début d'une procédure intentée par les défenderesses en vertu du Règlement sur les brevets, dont on trouvera plus précisément le détail ci-dessous;


d)              une déclaration portant que, en raison de la demande exposée au sous-alinéa 1a)vi), Apotex a droit d'être indemnisée par les défenderesses à l'égard de toutes les sommes qu'elle a pu être condamnée à payer aux défenderesses dans le dossier T-1100-97, y compris les dépens et que, par conséquent, Apotex n'est pas et ne sera pas créancière envers les défenderesses de toute somme susceptible d'être adjugée aux défenderesses dans le dossier T-1100-97, y compris les dépens, ou, à titre subsidiaire, une déclaration portant qu'Apotex est autorisée à déduire de toute somme adjugée aux défenderesses à l'encontre d'Apotex dans le dossier T-1100-97, y compris les dépens, la somme des dommages-intérêts demandés au sous-alinéa 1a)vi);

e)              les intérêts avant jugement et après jugement;

f)              les dépens selon l'échelle établie par la Cour;

g)             toute autre réparation que la Cour estime juste.

b)          Les actes de procédure des défenderesses

[13]            Lilly U.S. et Lilly Canada ont présenté chacune une défense à la déclaration de la demanderesse. Lilly U.S. dénie toute responsabilité à l'endroit d'Apotex et prétend qu'il n'existe pas de cause d'action contre elle ou que la Cour n'a pas compétence sur elle au titre de l'article 8 du Règlement. Elle affirme qu'il n'y a pas de source indépendante de compétence autorisant la Cour à connaître de la demande. En particulier, Lilly U.S. allègue qu'elle ne peut faire l'objet d'aucune demande, du fait qu'elle n'est pas une « première personne » au sens du Règlement. Elle demande le rejet de l'action intentée contre elle et les dépens avocat-client.


[14]            Dans sa défense, Lilly Canada attaque la validité de l'article 8, conteste que la demanderesse ait subi une perte et s'oppose spécifiquement à la demande de la demanderesse fondée sur l'enrichissement sans cause et à la compétence de la Cour de connaître d'une action fondée sur la restitution des bénéfices et l'enrichissement sans cause.

[15]            Les défenderesses souhaitent maintenant que soit prononcé un jugement sommaire. Lilly U.S. présente une requête en vue de faire rejeter l'action de la demanderesse contre elle. Lilly Canada demande un jugement sommaire partiel à l'égard de la demande de la demanderesse fondée sur l'enrichissement sans cause.

LES OBSERVATIONS

i)           Les observations de Lilly U.S.

[16]            Lilly U.S. appuie sa requête sur la définition de la « première personne » dans le Règlement. Elle fait valoir que l'article 8 ne confère une cause d'action en dommages qu'à la « première personne » , au sens du Règlement. Lilly U.S. soutient qu'elle n'est pas la « première personne » , que l'avis de conformité a été délivré à Lilly Canada et qu'elle n'était partie à la procédure d'interdiction qu'à titre de propriétaire du brevet 248 qui était l'objet de la procédure d'interdiction.


[17]            En outre, Lilly U.S. fait valoir qu'en l'absence d'une compétence fondée sur l'article 8, la Cour n'est pas compétente pour connaître de la présente action. Elle soutient que la Cour fédérale est un tribunal créé par la loi et qu'elle ne bénéficie pas d'une compétence inhérente pour trancher ces affaires. Les facteurs nécessaires pour établir la compétence, exposés dans l'arrêt ITO-International Terminal Operators Limited c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, ne sont pas présents en l'espèce. Ces facteurs sont les suivants :

a)          une attribution légale de compétence par le Parlement fédéral;

b)          un ensemble de règles de droit qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence;

c)         la loi invoquée dans l'affaire doit être une « loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[18]            Lilly U.S. soutient que ni le Règlement ni l'article 20 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, ne fondent Apotex à présenter une demande contre une personne autre que la première personne. L'article 8 prévoit le droit de demander des dommages-intérêts seulement à la « première personne » et Lilly U.S. n'a pas cette qualité.


[19]            Lilly U.S. fait aussi valoir que l'article 20 de la Loi sur les cours fédérales, précitée, ne confère pas à la Cour un droit illimité de se prononcer sur toute demande en dommages-intérêts. Le paragraphe 20(1) définit la portée de la compétence originale exclusive de la Cour pour les demandes relatives à des invalidations ou à des conflits. Le paragraphe 20(2) porte sur la compétence de la Cour fédérale touchant les recours en matière de brevets d'invention. En l'absence d'une compétence fondée sur le Règlement au sujet de Lilly U.S., la demanderesse n'a pas le droit de demander des dommages-intérêts à l'encontre de cette partie et un jugement sommaire devrait être prononcé pour ce seul motif.

[20]            En dernier lieu, Lilly U.S. soutient qu'aucune raison ne justifie la Cour de lever le voile de la personnalité juridique par référence à la théorie de l' « entreprise commune » avancée par Apotex. Elle fait valoir qu'en l'absence d'allégations portant que la société est un « trompe-l'oeil » , un véhicule permettant de commettre des fautes, ou en l'absence d'une autorisation légale de lever le voile de la personnalité juridique, aucun fondement ne justifie la Cour d'entreprendre cet exercice. À cet égard, Lilly U.S. s'appuie sur les arrêts Meredith c. Canada (2000), 291 N.R. 352 (C.A.F.), Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, Haskett c. Equifax Canada Inc. (2003), 63 O.R. (3d) 577 (C.A.) et Canada c. Jennings, [1994] 2 C.T.C. 106 (C.A.F.).

[21]            De plus, le Règlement ne prévoit pas que le breveté et la « première personne » , selon la définition donnée, doivent être traités comme une seule personne morale. Si telle était l'intention du législateur, il l'aurait clairement dit. À ce sujet, Lilly U.S. cite la décision Imperial Oil Resources Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1997), 139 F.T.R. 106 et l'arrêt Meredith, précité.


ii)          Les observations de Lilly Canada

[22]            Lilly Canada soutient que la Loi sur les cours fédérales, précitée, ou le Règlement ne confèrent aucune compétence à la Cour pour connaître de la demande formée contre elle à raison de l'enrichissement sans cause.

[23]            Lilly Canada se fonde également sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada, ITO-International Terminal Operators Ltd., précité, à l'appui de ses observations sur la compétence. Elle fait valoir que l'article 8 du Règlement, modifié, autorise la seconde personne à demander une indemnité pour les pertes résultant d'un retard dans la délivrance de l'avis de conformité, mais n'autorise pas la seconde personne à présenter une demande fondée sur l'enrichissement sans cause à l'encontre de la première personne.

[24]            Lilly Canada soutient également que les circonstances alléguées dans la déclaration de la demanderesse ne satisfont pas aux conditions d'une action pour enrichissement sans cause. Elle dit qu'une telle action exige les trois éléments suivants, exposés dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834 :

a)         un enrichissement;

b)         un appauvrissement correspondant;

c)          l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement.

[25]            Lilly Canada prétend que l'ordonnance d'interdiction de la Cour fédérale constitue un motif juridique qui entraînerait le rejet de l'action pour enrichissement sans cause, même si la demande relevait de la compétence de la Cour ou si on pouvait l'établir. Il s'ensuit que la demande de la demanderesse ne comporte pas de véritable cause d'action pour enrichissement sans cause et qu'un jugement devrait être rendu contre elle à l'égard de cette partie de sa demande.

LES OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

i)          La réponse à Lilly U.S.

[26]            La demanderesse soutient que pendant toute la procédure d'interdiction intentée ensemble en 1993 par Lilly U.S. et Lilly Canada, Lilly U.S. a exercé le contrôle total, notamment sur la décision d'abandonner ou d'interrompre la présente procédure. Dans sa déclaration, Apotex allègue que Lilly U.S. et Lilly Canada faisaient partie d'une « entreprise commune » .


[27]            Apotex mentionne également que les défenderesses ont tenté sans succès dans d'autres actions de faire radier des déclarations portant sur l'interprétation de l'article 8 du Règlement, dans sa version originale ou modifiée. Elle renvoie à certaines décisions dans lesquelles la Cour a conclu qu'en présence d'une incertitude dans un domaine du droit ou lorsqu'est soulevée une question d'interprétation des lois, il n'est pas approprié de trancher le litige sans un procès. À ce sujet, la demanderesse s'appuie sur les décisions suivantes : Houle c. Canada, [2001] 1 C.F. 102 (1re inst.), Apotex Inc. c. Eli Lilly Canada Inc. et al. (2001), 15 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.), (conf. par (2002), 22 C.P.R. (4th) 19 (C.A.F.)), Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals Ltd. et al. (2001), 16 C.P.R. (4th) 473 (C.F. 1re inst.), (conf. par (2002), 224 F.T.R. 160 (C.A.F.)).

[28]            De même, Apotex renvoie aux vaines tentatives antérieures des défenderesses en vue d'obtenir la radiation de la présente action. En mars 2001, Lilly Canada a présenté une requête en radiation de la présente procédure au motif qu'elle ne comportait pas de cause d'action raisonnable. Elle a soutenu que l'article 8 du Règlement ne s'applique pas aux faits allégués et que certains aspects de la demande de la demanderesse, notamment la demande fondée sur l'enrichissement sans cause, outrepassaient la compétence de la Cour.


[29]            Lilly U.S. a simultanément présenté une requête sollicitant la radiation de l'action intentée contre elle au motif qu'elle n'était pas la partie appropriée. Par la voie d'une ordonnance datée du 11 juillet 2001, le juge Blanchard de la Cour a rejeté les deux requêtes. Dans les motifs de son ordonnance, il a conclu que l'interprétation de l'article 8 « ... est une question complexe d'interprétation de la loi et qu'il est préférable que cette question soit débattue à l'instruction, où il est possible de présenter les éléments de preuve appropriés... » Apotex Inc. c. Eli Lilly Canada Inc. et al. (2001), 13 C.P.R. (4th) 78 aux pages 81 et 82 (C.F. 1re inst.). Dans une ordonnance datée du 16 octobre 2002, la Cour d'appel fédérale a rejeté un appel des défenderesses et adjugé des dépens de 10 000 $. La demanderesse fait valoir que cette attribution des dépens reconnaît le « caractère frivole » de l'appel.

[30]            La demanderesse s'appuie également sur une décision du juge Blais dans la présente action, dans un appel où elle a eu gain de cause à l'encontre d'une ordonnance du protonotaire qui avait refusé d'autoriser une modification de la déclaration. Cette décision est publiée sous l'intitulé Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. (2001), 15 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.).

[31]            La demanderesse invoque l'argument que l'interprétation de l'article 8, tant en ce qui concerne la qualité de Lilly U.S. que la recevabilité de l'action pour enrichissement sans cause, soulève une véritable question litigieuse au sens des Règles. Elle conteste l'interprétation de l'article 8 que donnent les défenderesses au sujet de la question de la compétence et soutient que l'action pour enrichissement sans cause relève de la compétence de la Cour et de la réparation visée à l'article 8.

[32]            De plus, la demanderesse fait valoir que la réparation prévue à l'article 8 ne se limite pas à la demande de dommages-intérêts en réparation de pertes, mais peut comprendre une demande en recouvrement de profits, et elle renvoie au paragraphe 8(4) qui confère à la Cour la compétence de rendre une ordonnance pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts « ou de profits » selon le cas. Quoi qu'il en soit, elle déclare que c'est le juge du fond qui devrait trancher la portée de l'article 8.


[33]            La demanderesse s'oppose au fait que Lilly Canada s'appuie sur un affidavit déposé dans une procédure sans lien avec la présente procédure, soit la cause n ° T-442-96. Cet affidavit, dont l'auteur est M. H.B. Radomski, membre du cabinet d'avocats représentant la demanderesse dans l'affaire en question, traite du sens de la « première personne » dans les actes de procédure afférents à la cause n ° T-442-96. La demanderesse soutient que la défenderesse Lilly Canada s'appuie à tort sur cet affidavit. Elle fait valoir qu'en ce qui concerne la preuve par affidavit dans la présente requête, la Cour devrait considérer l'affidavit de M. Bernard Sherman, déposé en réponse aux requêtes des défenderesses.

[34]            Selon la demanderesse, l'article 8 du Règlement prévoit clairement un ensemble de réparations à l'égard de la contrefaçon de brevet. L'article 20 de la Loi sur les cours fédérales, précitée, confère une compétence à la Cour sur les questions de contrefaçon de brevet. L'article 8 traite également des réparations et n'offre pas seulement un mode de réparation en droit administratif, comme le soutiennent les défenderesses. Le Règlement ne s'applique que dans le cas où un brevet revendiquant un médicament ou l'utilisation d'un médicament est inscrit au registre des brevets et, selon la demanderesse, [traduction] « bénéficie au médicament générique en vertu d'une allégation de non-contrefaçon du brevet ou d'une allégation d'invalidité du brevet ou encore des deux » . La demanderesse fait valoir que toutes les questions soulevées par le Règlement doivent nécessairement viser un « brevet d'invention » et se placer dans le cadre de compétence défini au paragraphe 20(2) de la Loi sur les cours fédérales, précitée.


[35]            En réponse à l'argument que Lilly U.S. n'est pas la « première personne » , Apotex adopte comme position que Lilly U.S. exerce un contrôle total sur les activités de Lilly Canada et est, en fait et en droit, la « première personne » . Elle se fonde sur la jurisprudence relative aux relations entre les personnes morales et l'exercice du contrôle pour faire valoir que Lilly U.S. a agi comme une première personne et, par conséquent, est une partie appropriée dans la présente action.

[36]            Apotex soutient également que dans la présente requête en jugement sommaire, les allégations de la déclaration doivent être acceptées comme vraies et que la défenderesse Lilly U.S. n'a présenté aucun élément de preuve pour contrer les allégations qu'elle exerçait le contrôle sur les actes de Lilly Canada en 1993 lorsque la procédure d'interdiction qui sous-tend la présente action a été engagée.

[37]            De plus, Apotex fait valoir qu'au vu des allégations et de l'absence de preuve pour les contredire, le sens de l'expression « première personne » n'est pas la question principale. La poursuite contre Lilly U.S. est fondée sur le rôle de celle-ci à titre de personne morale exerçant le contrôle sur les actes de Lilly Canada.


[38]            Apotex fait également valoir que la défenderesse Lilly U.S. a déjà échoué dans ses tentatives en vue d'éviter le présent procès, premièrement quand elle a cherché à faire rejeter la procédure au motif qu'elle ne présentait pas de cause raisonnable d'action et, deuxièmement, quand elle s'est opposée à la requête de la demanderesse en vue de modifier sa déclaration. Selon Apotex, la Cour a estimé jusqu'ici que les questions soulevées par les parties dans les diverses procédures interlocutoires étaient complexes, posaient de difficiles questions d'interprétation de la loi et ne devaient pas être tranchées par une procédure sommaire, mais par une décision rendue au terme d'une instruction complète.

[39]            Apotex renvoie également à des requêtes semblables qui ont échoué, la Cour ayant refusé la réparation demandée par les défenderesses qui avançaient des arguments parallèles à ceux que soulève maintenant Lilly U.S. La demanderesse soutient que le respect du principe de la courtoisie entre juges impose à la Cour de suivre l'approche adoptée par d'autres tribunaux et de conclure que les questions soulevées par les défenderesses sont trop complexes pour être tranchées sans la tenue d'une instruction.

L'ANALYSE

i)           Généralités

[40]            La demande dans la présente action est fondée sur l'article 8 du Règlement. Comme la demanderesse a été autorisée à modifier sa déclaration pour invoquer à la fois la version originale et la version modifiée de l'article 8, en réponse à la déclaration déposée par les défenderesses, la demanderesse s'appuie sur les deux versions. La version originale de l'article 8 prévoit :



(1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l'objet d'un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l'ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d'un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l'absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d'après la preuve qu'une autre date est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance.

(2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) Le tribunal peur rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêt ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

(1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

(4) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).


[41]            La version modifiée de l'article se lit comme suit :



(1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l'objet d'un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l'ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d'un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l'absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d'après la preuve qu'une autre date est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance.

(2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1). DORS/98-166, art. 8 et 9.

(1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

(4) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1). SOR/98-166, ss. 8, 9.


[42]            L'article 2 définit certains termes. Les définitions de « tribunal » , « première personne » , « avis de conformité » , « liste de brevets » et « seconde personne » , qui sont pertinentes ici, prévoient :



Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues.

« liste de brevets » Liste de brevets soumise aux termes de l'article 4.

« première personne » La personne visée au paragraphe 4(1).

« seconde personne » Selon le cas, la personne visée aux paragraphes 5(1) ou (1.1).

« tribunal » La Cour fédérale du Canada ou tout autre cour supérieure compétente.

In these Regulations,

"court" means the Federal Court of Canada or any other superior court of competent jurisdiction;

"first person" means the person referred to in subsection 4(1);

"notice of compliance" means a notice issued under section C.08.004 of the Food and Drug Regulations;

"patent list" means a list of all patents that is submitted pursuant to section 4;


[43]          L'article 6, qui est pertinent, prévoit :



6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

(3) La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

(4) Lorsque la première personne n'est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l'inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d'avis de conformité;

b) il conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

(6) Aux fins de la demande visée au paragraphe (1), lorsque la seconde personne a fait une allégation aux termes des sous-alinéas 5(1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) à l'égard d'un brevet et que ce brevet a été accordé pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, la drogue que la seconde personne projette de produire est, en l'absence d'une preuve contraire, réputée préparée ou produite selon ces modes ou procédés.

(7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l'instance :

a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l'instance;

b) enjoindre au ministre de vérifier que les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la demande d'avis de conformité.

(8) Tout document produit aux termes du paragraphe (7) est considéré comme confidentiel.

(9) Le tribunal peut, au cours de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), rendre toute ordonnance relative aux dépens, notamment sur une base avocat-client, conformément à ses règles.

(10) Lorsque le tribunal rend une ordonnance relative aux dépens, il peut tenir compte notamment des facteurs suivants :

a) la diligence des parties à poursuivre la demande;

b) l'inscription, sur la liste de brevets qui fait l'objet d'une attestation, de tout brevet qui n'aurait pas dû y être inclus aux termes de l'article 4;

c) le fait que la première personne n'a pas tenu à jour la liste de brevets conformément au paragraphe 4(6).

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

(3) The first person shall, within the 45 days referred to in subsection (1), serve the Minister with proof that an application referred to in that subsection has been made.

(4) Where the first person is not the owner of each patent that is the subject of an application referred to in subsection (1), the owner of each such patent shall be made a party to the application.

(5) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application

(a) if the court is satisfied that the patents at issue are not eligible for inclusion on the register or are irrelevant to the dosage form, strength and route of administration of the drug for which the second person has filed a submission for a notice of compliance; or

(b) on the ground that the application is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process.

(6) For the purposes of an application referred to in subsection (1), where a second person has made an allegation under subparagraph 5(1)(b)(iv) or (1.1)(b)(iv) in respect of a patent and where that patent was granted for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents, it shall be considered that the drug proposed to be produced by the second person is, in the absence of proof to the contrary, prepared or produced by those methods or processes.

(7) On the motion of a first person, the court may, at any time during a proceeding,

(a) order a second person to produce any portion of the submission for a notice of compliance filed by the second person relevant to the disposition of the issues in the proceeding and may order that any change made to the portion during the proceeding be produced by the second person as it is made; and

(b) order the Minister to verify that any portion produced correspoPDN fully to the information in the submission.

(8) A document produced under subsection (7) shall be treated confidentially.

(9) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), a court may make any order in respect of costs, including on a solicitor-and-client basis, in accordance with the rules of the court.

(10) In addition to any other matter that the court may take into account in making an order as to costs, it may consider the following factors:

(a) the diligence with which the parties have pursued the application;

(b) the inclusion on the certified patent list of a patent that should not have been included under section 4; and

(c) the failure of the first person to keep the patent list up to date in accordance with subsection 4(6).


[44]            Comme il appert à la définition, la « première personne » est la partie qui demande une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité. Le Règlement fait partie d'un régime administratif régissant l'attribution de licences aux produits pharmaceutiques à usage thérapeutique; voir l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. et al. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al. (1994), 169 N.R. 342 (C.A.F.).

[45]            Le Règlement vise à conférer à la seconde personne, telle qu'Apotex en l'occurrence, le droit de demander une indemnité si une procédure d'interdiction engagée par la première personne fait l'objet d'un désistement, ou est finalement rejetée. En l'espèce, la procédure d'interdiction a fini par être rejetée par la Cour suprême du Canada.


[46]            L'article 8 accorde le droit de demander des dommages-intérêts à l'encontre de la « première personne » . La question qui est ici soulevée est de savoir « qui est la première personne » pour l'application du Règlement. Il s'agit donc, par conséquent, d'une question d'interprétation législative et, selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo and Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 à la page 41, l'approche qui s'impose en matière d'interprétation de la loi va au-delà du seul libellé du texte de loi; il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en tenant compte de l'esprit de la loi, de l'objet de la loi et de l'intention du législateur.

[47]            Les requêtes des défenderesses pour obtenir un jugement sommaire doivent être tranchées à la lumière des articles 213 et suivants des Règles. Les paragraphes 213(2), 216(1), l'alinéa 216 (2)b) et l'article 3, qui sont pertinents, prévoient ce qui suit :


213(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

213(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.


216(1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

...

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

216(1)    Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

...

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.


[48]            Les principes régissant le jugement sommaire sont résumés dans l'arrêt Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 aux pages 859 et 860 :

1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire;

2. il n'existe pas de critère absolu mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (Pizza Pizza) (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.). Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth, précitée, et Feoso, précité);

4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario ) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso, précité, et Collie, précitée);

5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick);

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman, précitée, et Sears, précitée);

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde, précitée, et Sears, précitée). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes, précitée).

[49]       Les présentes requêtes soulèvent des questions d'interprétation législative et, par conséquent, des questions de droit. Les deux défenderesses font valoir que la Cour n'est pas compétente à l'égard d'une action pour « enrichissement sans cause » du fait que la demande outrepasse la compétence conférée par l'article 20 de la Loi. En outre, Lilly U.S. soutient que l'action ne la vise pas parce qu'elle n'est pas la « première personne » au sens défini par le Règlement. S'agissant de Lilly U.S., la question soulevée est celle de l'interprétation de l'expression « première personne » utilisée dans le Règlement concernant l'avis de conformité. L'expression « première personne » est définie à l'article 2 de la manière suivante :


« première personne » La personne visée au paragraphe 4(1).

"first person" means the person referred to in subsection 4(1);


[50]            La compétence de la Cour à l'égard de la présente action fait spécifiquement l'objet de la présente requête, compte tenu du fait que la Cour fédérale est un tribunal créé par la loi, dont la compétence est définie par la Loi sur les cours fédérales, précitée. Ce point a été traité dans de nombreux arrêts, notamment Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 et Chavali c. Law Society of Upper Canada (2001), 202 F.T.R. 166. La question de la compétence ne se limite pas à examiner si la Cour est compétente en ce qui a trait à un objet particulier, mais vise aussi la compétence à l'égard des parties; voir l'arrêt Fédération Franco-Ténoise c. Canada, [2001] 3 C.F. 641 (C.A.) et la décision Greeley c. « Tami Joan » (Le) (1996), 113 F.T.R. 66, (conf. par) (2001) 273 N.R. 310 (C.A.).

[51]            Comme il a été indiqué ci-dessus, la demanderesse fonde sa cause d'action contre la défenderesse Lilly U.S. sur l'article 8 du Règlement. Il s'agit d'une cause d'action issue du Règlement et, à mon avis, la demanderesse est tenue d'établir que la défenderesse répond au critère défini dans le Règlement.

ii)          La qualité de Lilly U.S.

[52]            Je traiterai d'abord les arguments concernant l'action intentée contre Lilly U.S. À mon avis, la présente requête en jugement sommaire devrait être accueillie.

[53]            Lilly U.S. soutient qu'elle ne satisfait pas à la définition de l'article 2 du fait qu'elle n'est pas la personne ayant déposé la demande d'avis de conformité visée au paragraphe 4(1). En réponse, la demanderesse dit que Lilly U.S. était partie à la procédure d'interdiction engagée en 1993. En réponse à cette observation, Lilly U.S. affirme qu'en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement, le propriétaire d'un brevet est partie à la procédure visée à l'article 6 dans le cas où la première personne n'est pas le propriétaire du brevet. Les paragraphes 4(1) et 6(4) prévoient :


4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7).

4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

6(4) Lorsque la première personne n'est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

6(4) Where the first person is not the owner of each patent that is the subject of an application referred to in subsection (1), the owner of each such patent shall be made a party to the application.


[54]            De même, Lilly U.S. renvoie à la décision du juge Noël (tel était alors son titre) dans Pfizer Canada Inc. et al. c. Apotex Inc. et al., T-442-96, 12 février 1997, à la page 4 :

La requête doit être rejetée. Apotex affirme, avec raison, que Pfizer est l'unique première personne, que l'avis d'allégation ne pouvait être signifié qu'à cette dernière, qu'elle seule pouvait introduire l'instance dans le cadre de laquelle la présente requête est faite et qu'elle seule a droit à la réparation demandée. Néanmoins, le Règlement prévoit qu'UCB, à titre de propriétaire du brevet en litige, doit être partie à l'instance. De toute évidence, cette exigence permet, dans les cas où la première personne n'est pas propriétaire du brevet pertinent, de veiller à ce que le titulaire du brevet soit également lié par l'issue de l'instance visant l'interdiction introduite sous le régime du Règlement. Lorsqu'il tente de sauvegarder ses droits à titre de propriétaire du brevet en litige, le titulaire de ce brevet peut être représenté par le procureur de son choix. J'estime qu'il n'existe aucun fondement qui permette de rendre une ordonnance ayant pour effet de le priver de ce droit. [Renvois omis.]

[55]            La déclaration modifiée de la demanderesse ne fait pas mention de l'avis de conformité délivré à la défenderesse Lilly Canada à l'égard des capsules de nizatidine. Toutefois, la pièce B jointe à l'affidavit de Nancy Schuurmans, souscrit le 15 avril 2003 et déposé par Lilly U.S. à l'appui de la présente requête, est une copie de l'avis de conformité daté du 31 décembre 1987. Cet avis de conformité a été délivré à « Eli Lilly Canada Inc. » relativement à la demande portant le numéro 7HN855038 à l'égard des [traduction] « capsules d'axid de 150 mg et de 300 mg (nizatidine) » .

[56]            Je fais de nouveau référence à la définition de la « première personne » à l'article 2. Cette définition ne renvoie qu'au paragraphe 4(1), non au paragraphe 6(4) ni à une autre disposition du Règlement. La demanderesse n'avance aucune cause d'action de common law dans la procédure et fonde son action exclusivement sur l'article 8 du Règlement. De manière spécifique, le paragraphe 40 de la déclaration modifiée énonce ce qui suit :


40. [traduction] En vertu de l'article 8 du Règlement sur les brevets, modifié, ou à titre subsidiaire, dans sa version originale, Lilly est responsable envers Apotex d'une réparation par voie de dommages-intérêts ou de profits. En particulier, les actions intentées par Lilly U.S. et Lilly Canada faisaient partie d'une entreprise commune menée par Lilly Canada sous la direction et pour le compte de Lilly U.S. Par conséquent, les actions intentées par Lilly Canada doivent, en droit et en equity, être traitées comme le fait de Lilly U.S. Cette dernière est donc également responsable envers Apotex en vertu de l'article 8 du Règlement sur les brevets, modifié ou, à titre subsidiaire, dans sa version originale.

[57]            La demanderesse fait valoir que la présente requête présentée pour le compte de Lilly U.S. devrait être rejetée parce qu'elle soulève des questions litigieuses d'interprétation législative et qu'en outre, la question soulevée a déjà été débattue sans succès. À ce sujet, la demanderesse renvoie à un certain nombre de requêtes interlocutoires antérieures présentées par Lilly U.S. dans la présente procédure. Il serait donc utile d'examiner l'historique de la procédure jusqu'à la date d'audience sur la présente requête.

[58]            La demanderesse a déposé une déclaration le 23 février 2001. La défenderesse Lilly U.S. a déposé sa défense le 28 juin 2001. Cet acte de procédure soulevait la question de la qualité de Lilly U.S. en tant que « première personne » et du recours à la version originale de l'article 8 du Règlement comme fondement de la demande de la demanderesse.


[59]            La défenderesse Lilly U.S. a présenté une requête en vue de faire radier l'action intentée contre elle au motif qu'elle n'était pas la partie appropriée. La requête a été rejeté par le juge Blanchard le 11 juin 2001, dans la décision publiée sous l'intitulé Apotex Inc. c. Eli Lilly & Co. (2001), 13 C.P.R. (4th) 78 (C.F. 1re inst.). La présente requête a été présentée en vertu de l'article 221 des Règles. Dans sa décision sur la requête, la Cour a dit à la page 82 :

Il semble être bien établi dans la jurisprudence que les questions de droit litigieuses se rapportant à l'interprétation de la loi ne doivent pas être réglées dans le cadre d'une requête visant à la radiation d'un acte de procédure. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex, Monsieur le juge Lemieux a examiné la question :

Dans le contexte des questions d'interprétation légale, Madame le juge Reed, dans la décision R. c. Amway, [1986] 2 C.F. 312, à la page 326, a dit que lorsqu'il faut trancher une question, cette question, puisqu'elle n'est pas évidente et manifeste, doit être débattue à l'audience plutôt que d'être tranchée par le juge des requêtes au cours d'une procédure préliminaire.

Dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, Madame le juge Wilson au nom de la Cour, a examiné les principes applicables régissant la détermination d'une requête en radiation fondée sur le fait que la demande n'était pas raisonnable. Elle a examiné l'origine de la disposition qui est maintenant incorporée dans les règles de pratique ainsi que son application dans la jurisprudence anglaise et canadienne.

À mon avis, le juge Wilson a approuvé le principe selon lequel les arguments complexes concernant le droit et les faits devraient être examinés à l'audience une fois que tous les éléments de preuve ont été présentés parce que, en pareil cas, il est impossible de conclure qu'il n'existe en fait ou en droit aucune cause d'action.

Pour les motifs susmentionnés, la requête que la défenderesse Lilly Canada a présentée en vue d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration au complet, et subsidiairement certains paragraphes tel qu'il est plaidé, est rejetée.

La défenderesse Lilly U.S. a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance la radiant de la présente instance pour le motif qu'elle n'est pas une partie appropriée en ce sens que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[60]            L'appel de cette décision du juge Blanchard a été rejeté par l'arrêt Eli Lilly and Co. et al. c. Apotex Inc., 2002 CAF 389. Au paragraphe 3 de ses motifs, la Cour d'appel fédérale a dit :

[traduction] Nous rejetterons donc l'appel. L'intimé aura droit à des dépens partie-partie de 10 000 $, débours et TPS compris. Notre décision sur le présent appel ne préjuge aucunement du bien-fondé de la requête en jugement sommaire en Section de première instance que les appelantes disent vouloir présenter sur rejet du présent appel.

[61]            La demanderesse a demandé l'autorisation de modifier sa déclaration pour invoquer à la fois la version originale et la version modifiée de l'article 8. La requête a d'abord été rejetée, mais en appel la modification a été autorisée. Dans les motifs de l'ordonnance, publiés sous l'intitulé Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. (2001), 212 F.T.R. 300, le juge Blais a conclu que la jurisprudence ne donne une interprétation claire d'aucune des deux versions de l'article 8 et il a déclaré « que l'autorisation d'Apotex à déposer une déclaration modifiée servirait les intérêts de la justice » .

[62]            Apotex dit que la question du sens de l'expression « première personne » a déjà été débattue dans la présente action, quoique dans le contexte d'une requête en radiation et d'une requête en vue de modifier une déclaration. Elle soutient que Lilly U.S. n'a apporté aucune bonne raison qui justifierait un résultat différent dans la présente requête et que la Cour devrait suivre les décisions antérieures où elle a conclu que la question était complexe et devait être tranchée par le juge du fond une fois qu'il aura entendu l'ensemble de la preuve. Apotex se réfère également au principe de la courtoisie entre juges pour exhorter la Cour à suivre les décisions antérieures.


[63]            À mon avis, toutefois, ces décisions antérieures se distinguent de la présente requête. En premier lieu, Lilly U.S. a présenté une requête en radiation de la déclaration au motif qu'elle n'était pas la partie appropriée, n'étant pas la « première personne » . La requête en radiation est régie par l'article 221 des Règles. Le critère applicable à la requête en radiation est un critère rigoureux. Il s'agit de savoir s'il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause raisonnable d'action : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. La requête pour modifier une déclaration est une affaire largement discrétionnaire qui met en jeu des questions et des critères différents de ceux qui sont soulevés dans une requête en jugement sommaire.

[64]            Il est clair que la demanderesse fonde la présente action sur l'article 8 du Règlement et, pour l'objet qui nous occupe, il n'est pas crucial que le fondement de l'action soit la version originale ou la version modifiée de l'article. Il demeure que la demanderesse n'intente pas une action de common law en responsabilité délictuelle, mais une action fondée sur le Règlement. Dans ces circonstances, la demanderesse doit établir que Lilly U.S. est une partie appropriée, au sens de l'article 8.

[65]            La demanderesse a clairement établi dans son argumentation qu'elle ne soutenait aucunement que son action contre Lilly U.S. reposait sur le fait que cette entité correspondait à la définition de la « première personne » .


[66]            À mon avis, le noeud de la présente action est la procédure de délivrance de l'avis de conformité et le retard causé à Apotex dans l'obtention de l'avis de conformité à l'égard de son produit pharmaceutique. Apotex attribue ce retard aux agissements de Lilly U.S. qui a fait engager la procédure d'interdiction. Apotex allègue que Lilly U.S. était l'entité ayant pris l'initiative de la procédure. Même dans l'hypothèse où l'allégation de contrôle, exposée dans la déclaration, pourrait être établie, cela ne change rien au fait que la demanderesse intente actuellement une poursuite fondée sur une cause d'action réglementaire, et non une cause d'action de common law; à mon avis, elle est tenue d'établir que Lilly U.S. est une partie qui correspond à la définition de la « première personne » . Quand il a promulgué le paragraphe 55.2(4) du Règlement pris en application de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée, le législateur avait le loisir de créer une large catégorie de demandeurs pour l'application de l'article 8 du Règlement. Il ne l'a pas fait. Une demande n'est possible qu'à l'égard d'une « première personne » .

[67]            À mon avis, ce procès ne soulève pas les questions de contrôle débattues dans les arrêts DAN Food Distributors Ltd. c. London Borough of Tower Hamlets, [1976] 3 All E.R. 462 à la page 467 (C.A.), The Palmolive Manufacturing Company (Ontario) Limited c. His Majesty the King, [1933] R.C.S. 131 à la page 140 et Aluminum Company of Canada Limited c. The Corporation of the City of Toronto, [1944] R.C.S. 267 à la page 271, invoqués par la demanderesse. J'estime que ces questions seraient plus pertinentes dans une affaire fondée sur une cause d'action de common law, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.


[68]            À mon avis, lorsque la demanderesse fonde son action sur le Règlement, comme c'est le cas en l'occurrence, elle doit établir que la défenderesse Lilly U.S. satisfait au critère énoncé dans le Règlement. L'article 8 du Règlement, dans sa version originale ou dans sa version modifiée, confère le droit d'intenter une action contre la « première personne » . Il s'agit là d'un terme qui est défini. Selon la définition, la première personne est la partie à laquelle l'avis de conformité est délivré. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[69]            Je repousse l'argument de la demanderesse que le principe de la courtoisie entre juges m'imposerait d'adopter les motifs de la Cour dans d'autres requêtes interlocutoires semblables. Tout d'abord, les décisions auxquelles renvoie la demanderesse relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour à l'égard de requêtes visant des réparations différentes. La décision du juge Blanchard a tranché une requête visant à radier Lilly U.S. de la procédure parce qu'elle ne répondait pas au « critère rigoureux énoncé dans la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) » . Les autres décisions citées par la demanderesse, dans des affaires qui soulèvent la portée et l'interprétation de l'article 8, ne concernent pas les questions d'interprétation de la « première personne » .

[70]            L'arrêt de la Cour d'appel fédérale qui confirme la décision du juge Blanchard ne change rien au fait que la Cour devait appliquer des critères différents. Une requête en radiation est différente d'une requête en jugement sommaire. L'exercice du pouvoir discrétionnaire de rejeter la première n'est pas déterminant pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard de la seconde.


[71]            La conclusion de la Cour d'appel fédérale portant que le juge des requêtes a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en statuant sur une requête en radiation ou une requête visant à modifier les actes de procédure, n'est pas déterminante pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans une requête en jugement sommaire. En outre, je note que lorsque la Cour d'appel fédérale procède au contrôle du pouvoir discrétionnaire du juge du fond, cette fonction de contrôle est menée en fonction du pouvoir discrétionnaire particulier qui a été exercé dans l'espèce; voir Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 209 N.R. 342 à la page 345.

[72]            La qualité de Lilly U.S. à titre de « première personne » , au sens du Règlement, est une question de droit. Sur le fondement de la définition, la « première personne » est la personne qui reçoit un avis de conformité. La déclaration allègue que Lilly Canada a reçu l'avis de conformité. Lilly U.S. n'est pas la « première personne » , selon la définition donnée, et j'estime qu'elle n'est pas une partie appropriée à la présente action.

[73]            La requête antérieure de la défenderesse au sujet de la qualité de Lilly U.S. a été présentée dans le cadre d'une requête en radiation et non comme objet d'une requête en jugement sommaire. Par conséquent, la décision antérieure n'est pas déterminante.

iii)          La compétence à l'égard de la demande pour enrichissement sans cause

[74]            L'article 20 de la Loi définit la compétence de la Cour dans les affaires reliées à la propriété industrielle. Il prévoit :



20. (1) La Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés_:a) conflit des demandes de brevet d'invention ou d'enregistrement d'un droit d'auteur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou d'une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés;

b) tentative d'invalidation ou d'annulation d'un brevet d'invention, ou d'inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d'auteur, de marques de commerce, de dessins industriels ou de topographies visées à l'alinéa a).

(2) Elle a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d'une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.

20. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise,

(a) in all cases of conflicting applications for any patent of invention, or for the registration of any copyright, trade-mark, industrial design or topography within the meaning of the Integrated Circuit Topography Act; and

(b) in all cases in which it is sought to impeach or annul any patent of invention or to have any entry in any register of copyrights, trade-marks, industrial designs or topographies referred to in paragraph (a) made, expunged, varied or rectified.

(2) The Federal Court has concurrent jurisdiction in all cases, other than those mentioned in subsection (1), in which a remedy is sought under the authority of an Act of Parliament or at law or in equity respecting any patent of invention, copyright, trade-mark, industrial design or topography referred to in paragraph (1)(a).


[75]            Lilly Canada fait valoir qu'une demande pour enrichissement sans cause échappe à la portée des demandes qui peuvent être tranchées par la Cour. Elle soutient en outre que, sur le fondement des faits allégués par la demanderesse, il n'y a pas matière à demande pour enrichissement sans cause, compte tenu des conditions juridiques nécessaires pour établir pareille demande. Ces éléments sont les suivants :

i)           un enrichissement;

ii)          un appauvrissement correspondant;

iii)          l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement.

Pettkus c. Becker, précité, à la page 848.


[76]            Selon Lilly Canada, ces éléments sont liés entre eux. Elle soutient qu'aucun élément de preuve n'établit l'enrichissement des deux défenderesses ni un appauvrissement correspondant de la demanderesse. De plus, elle dit que la conduite de la procédure en vue d'obtenir l'ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement constitue un motif juridique à la situation qui fait grief à la demanderesse.

[77]            La demanderesse fait valoir que la question de la compétence à l'égard de l'action pour enrichissement sans cause est trop complexe pour être réglée par la voie d'une requête en jugement sommaire. Elle soutient aussi que le même argument a fait l'objet d'une requête en jugement sommaire, rejetée au motif que la solution du litige ne devait pas être décidée dans le contexte d'une requête en jugement sommaire. À cet égard, la demanderesse s'appuie sur la récente décision du juge Russell dans Apotex Inc. c. Canada, (2003) 25 C.P.R. (4th) 479, conf. par [2004] A.C.F. n ° 164 (C.A.) (Q.L.). Le juge Russell a dit au paragraphe 27 :

En ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire que l'alinéa 216(2)b) des Règles confère à la Cour pour statuer sur le point de droit de savoir si la demanderesse peut, en vertu de l'article 8 du Règlement ou de toute autre compétence légale ou inhérente dont jouit la Cour, réclamer les profits réalisés par la première personne, je refuse de le faire parce que je ne dispose ni de tout le contexte de la réclamation de la demanderesse ni d'une preuve adéquate au sujet de l'objet véritable de l'article 8 du Règlement.

[78]            L'argumentation de Lilly Canada au sujet du recours pour enrichissement sans cause, dans le contexte de l'article 8, soulève des questions intéressantes. Toutefois, la Cour a déjà décidé que le sens et la portée de l'article 8, en particulier en rapport avec une demande pour enrichissement sans cause, ne devaient pas être tranchés dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Je renvoie aux décisions Apotex Inc., précitée, et Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc. et al., [2004] A.C.F. n ° 387. Récemment, dans l'arrêt Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Limited et al., 2004 CF 383, la Cour a fait observer au sujet de ces décisions :


Bien qu'elles ne me lient pas à proprement parler, j'estime que les décisions rendues par le juge Russell (Apotex Inc. c. Canada, 2003 CFPI 414, [2003] A.C.F. n ° 593) et la juge Snider (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc. And Merck-Frosst Canada & Co., 2004 CF 314) sont très convaincantes et je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de la même façon qu'ils l'ont fait et refuser de répondre aux questions de droit soulevées dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. À mon avis, il devrait exister des motifs impérieux pour justifier que je m'écarte du pouvoir discrétionnaire exercé par mes collègues dans le cadre d'une question très semblable.

[79]            En l'espèce, je ne suis pas persuadée qu'il y ait des « motifs impérieux » ou des éléments de preuve suffisants pour justifier que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Lilly Canada à l'égard de la demande de la demanderesse pour enrichissement sans cause. La requête est rejetée.

CONCLUSION

[80]            En conclusion, la demanderesse et la défenderesse ont eu partiellement gain de cause. Le jugement sommaire est accordé à Lilly U.S. et l'action contre elle est rejetée au complet. La requête de Lilly Canada est rejetée. Étant donné que chacune des parties a eu partiellement gain de cause, la question des dépens est mise en délibéré et à moins que les parties n'en conviennent autrement, elles peuvent présenter leurs observations dans un délai de trente jours.

                                        ORDONNANCE

La requête en jugement sommaire d'Eli Lilly and Company contre la demanderesse Apotex Inc. est accueillie et l'action contre Eli Lilly and Company est rejetée au complet.


La requête en jugement sommaire d'Eli Lilly Canada Inc. est rejetée.

Les dépens sont mis en délibéré et à moins que les parties n'en conviennent autrement, les parties peuvent présenter leurs observations dans un délai de trente (30) jours.

     « E. Heneghan »

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                         Noms des avocat inserts au dossier

DOSSIER :                                            T-320-01

INTITULÉ :                                           APOTEX INC.

demanderesse

et

ELI LILLY AND COMPANY

et ELI LILLY CANADA INC.

défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 23 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LA JUGE HENEGHAN

DATES DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE_:                       LE 31 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

David Lederman

POUR LA DEMANDERESSE

Anthony Creber

Patrick Smith

POUR LES DÉFENDERESSES

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE   

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040331

                    Dossier : T-320-01

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

ELI LILLY AND COMPANY

et ELI LILLY CANADA INC.

                                    défenderesses

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                        


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