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     T-769-96

OTTAWA (ONTARIO), le 22 novembre 1996

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge McKeown

ENTRE :

     MONSANTO CANADA INC.,

     demanderesse,


     - et -


     NOVOPHARM LIMITED,

     défenderesse.



     ORDONNANCE



         La requête visant à obtenir une injonction interlocutoire est rejetée. Il n'y a aucune adjudication des dépens.



                                     W.P. McKeown
                                     Juge



Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.




     T-769-96

ENTRE :

     MONSANTO CANADA INC.,

     demanderesse,


     - et -


     NOVOPHARM LIMITED,

     défenderesse.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

     La demanderesse, Monsanto Canada Inc. (Monsanto), sollicite une injonction interlocutoire pour empêcher la défenderesse, Novopharm Limited (Novopharm), de commercialiser un médicament générique ayant la même forme et la même couleur que son médicament breveté. La demanderesse fabrique, emballe et commercialise au Canada des préparations pharmaceutiques de marque nominale par l'intermédiaire de sa division Searle Canada.

     Il s'agit de déterminer en l'espèce si la demanderesse a démontré (1) qu'il existe une question sérieuse à trancher, (2) qu'elle subira un préjudice irréparable, et (3) que la prépondérance des inconvénients justifie la délivrance de l'injonction.

LES FAITS

     Je n'ai pas l'intention de passer tous les faits en revue, sauf dans la mesure où ils ont une incidence sur la présentation du médicament de la demanderesse et où ils concernent le préjudice irréparable. Le médicament est prescrit aux patients souffrant d'hypertension.

     L'hypertension est une maladie cardio-vasculaire dont souffrent fréquemment des patients dont l'âge peut aller du début de la vingtaine à un âge avancé. L'hypertension est un état chronique qui peut être traité à l'aide de médicaments que les patients prennent habituellement pendant le reste de leur vie. Le médecin de famille d'un patient commencera le traitement avec un médicament déterminé. Il peut être difficile de contrôler l'hypertension, en particulier si le patient prend d'autres médicaments. C'est pourquoi le médecin prendra le temps de choisir le médicament et discutera de ce choix avec le patient, en particulier si celui-ci souffre d'allergies. Au cours de ces discussions, le médecin expliquera le traitement de l'hypertension du patient avec le médicament choisi et les effets secondaires possibles du médicament. Une fois le médicament choisi, le médecin en indiquera le nom commercial au patient et lui en montrera des échantillons. Il est important que le médecin connaisse l'apparence du médicament, tant sa couleur que sa forme, pour que ses discussions avec le patient soient profitables.

     Le médecin commence habituellement le traitement du patient à l'aide d'échantillons du médicament choisi. Le patient revoit son médecin une semaine après avoir utilisé les échantillons fournis par une entreprise pharmaceutique. Si le médicament a l'effet souhaité, le médecin prescrit le médicament au patient pour une période d'un mois et demande au patient de revenir le voir avant la fin de cette période. Si le patient continue à bien réagir au médicament, le médecin lui remet une ordonnance renouvelable pour six mois, et il revoit le patient deux fois par année pour contrôler son état. S'il a de la difficulté à contrôler l'hypertension de son patient, le médecin de famille renvoie celui-ci à un spécialiste, soit un interniste ou un cardiologue.

     Je vais maintenant décrire les rapports entre le pharmacien et le patient.

     Le patient fait exécuter l'ordonnance du médecin par un pharmacien. Le pharmacien établit l'identité du patient et consulte son profil médical pour vérifier s'il souffre d'allergies et pour déterminer les réactions défavorables qu'il pourrait avoir parce qu'il prend d'autres médicaments. S'il n'a pas de dossier sur le patient, le pharmacien ouvre un dossier dans lequel il consigne les renseignements fournis par le patient. Le pharmacien inscrit les détails de l'ordonnance dans les dossiers de la pharmacie, il choisit le médicament prescrit dans son officine, il compte le nombre de comprimés ou de capsules, il met les comprimés ou les capsules dans un flacon, il imprime une étiquette pour le flacon et une facture pour le patient, et il s'assure que le médicament choisi est celui précisé dans l'ordonnance. Le pharmacien remet ensuite le médicament et la facture au patient, il discute avec celui-ci des effets secondaires possibles du médicament et il lui donne l'occasion de poser des questions sur le médicament.

     Le pharmacien indique l'entreprise pharmaceutique dont le produit est délivré par ordonnance grâce à un code et à une identification numérique de la drogue (DIN) appliqués sur l'étiquette du flacon et, suivant la pratique suivie à la pharmacie, il désigne le médicament sur l'étiquette soit par son nom commercial soit par le nom de l'ingrédient actif. Le pharmacien exécute les ordonnances que le patient prend en passant et, en réponse à une commande téléphonique, il renouvelle les ordonnances. Le pharmacien livre les médicaments prescrits par ordonnance; il s'agit habituellement du renouvellement des ordonnances. Dans les échantillons des bouteilles d'ordonnance qui ont été produits devant la Cour, aucune mention n'est faite de la demanderesse Monsanto ou de son nom commercial "Searle Canada". Les termes "comprimés Isoptin SR" figurent sur l'étiquette.

     Pour comprendre l'importance de la couleur et de la forme des pilules, il faut aussi examiner le régime juridique qui régit la commercialisation des préparations pharmaceutiques génériques au Canada. La Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé du Canada (DGPS) approuve la vente d'une préparation générique en délivrant un avis de conformité. L'avis de conformité d'une préparation générique indique que le médicament est bioéquivalent à une préparation de marque nominale. La DGPS considère que deux préparations sont bioéquivalentes si leur capacité est de plus ou moins 20 %, c'est-à-dire qu'il pourrait y avoir une différence de 40 % dans la capacité des préparations. Il existe dans la plupart des provinces des régimes réglementaires qui déterminent si un médicament générique pour lequel un avis de conformité a été délivré peut constituer un produit de remplacement pour la préparation de marque nominale qui est considérée comme bioéquivalente par la DGPS.

     Une fois qu'un avis de conformité est délivré pour une préparation générique, des demandes sont présentées en vertu des régimes réglementaires provinciaux pour que la préparation soit désignée comme produit de remplacement de la préparation de marque nominale. Si elle conclut qu'une préparation générique est un produit de remplacement pour une préparation de marque nominale, la province inscrit la préparation générique dans un document communément appelé le formulaire, et la préparation générique peut ensuite être substituée à la préparation de marque nominale. Jusqu'à un changement récent dans la jurisprudence, les préparations pharmaceutiques génériques avaient eu la même forme et la même couleur que les préparations de marque nominale.

     Les ventes de préparations pharmaceutiques génériques dépendent en grande partie des régimes réglementaires qui désignent les préparations qui sont des produits de remplacement des préparations de marque nominale. Tant qu'une préparation générique n'est pas inscrite dans un formulaire, il est peu vraisemblable que le nombre de ventes de cette préparation soit important, car les pharmaciens ne les offriront pas à la place d'une préparation de marque nominale tant qu'une telle inscription n'aura pas été faite.

     Le pharmacien décide alors s'il doit choisir une préparation pharmaceutique générique plutôt qu'une autre et, pour ce faire, il doit prendre en considération les éléments suivants : 1) la qualité des préparations; 2) la réputation des entreprises pharmaceutiques et le service qu'elles offrent, et 3) le prix. Les facteurs pris en considération relativement au service fourni par les entreprises pharmaceutiques sont les suivants : 1) la rapidité de livraison; 2) la fréquence des commandes inexécutées; 3) la politique de retour, et 4) la facilité des rapports avec le service du crédit de l'entreprise.

     On s'attend à ce que le marché immédiat des comprimés SR soit le Québec et Terre-Neuve. La défenderesse prévoit que ces comprimés seront des produits de remplacement dans ces provinces et qu'ils seront inscrits dans les formulaires de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick, plus tard en 1996. Il est peu probable que les comprimés Novopharm SR soient inscrits comme produits de remplacement en Ontario ou qu'ils soient considérés comme tels en Colombie-Britannique.

     Jusqu'à tout récemment, au Québec, les pharmaciens pouvaient, à leur discrétion, décider de substituer une préparation pharmaceutique de remplacement. En vertu du régime d'assurance-médicaments du Québec, le prix de la préparation prescrite par ordonnance, moins une somme de 2 $ à titre de frais d'exécution d'ordonnance, leur était remboursé. Le régime a été modifié au cours de la dernière année. Avant cette modification, la pénétration des produits pharmaceutiques génériques sur le marché n'était pas aussi grande que dans les autres provinces parce que les pharmaciens du Québec choisissaient de délivrer des préparations de marque nominale plutôt que des préparations génériques de remplacement moins coûteuses. La situation est différente en Ontario où, aux termes des articles 4 et 5 de la Loi sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance, L.R.O. 1990, ch. P-23, les pharmaciens sont tenus de préparer le produit de remplacement le moins coûteux, à moins de directives contraires du patient ou du médecin. Toutefois, par suite des modifications apportées récemment au régime d'assurance-médicaments du Québec, seul le montant le plus bas inscrit dans le formulaire pour les préparations pharmaceutiques qui sont considérées comme des produits de remplacement sera payé, peu importe le produit de remplacement qui est remis. Le montant ainsi versé est appelé le meilleur prix existant; la préparation dont le prix est le meilleur est identifiée dans le formulaire par les lettres "PPB".

     Au Québec et au Manitoba, les pharmaciens ne sont pas tenus d'informer les patients qu'un produit pharmaceutique de remplacement a été substitué. Certains pharmaciens informent toutefois les patients de cette substitution. Cette pratique n'est pas uniformément suivie lorsque la préparation générique a la même forme et la même couleur que la préparation de marque nominale, en particulier lorsqu'il s'agit de prescriptions renouvelées par téléphone qui doivent être livrées ou que le patient vient chercher à la pharmacie. Si la préparation générique est différente de par sa forme et sa couleur, les pharmaciens sont forcés d'informer leurs patients de la substitution. Si le pharmacien omet de le faire lorsqu'il remet le médicament, les patients lui téléphoneront pour s'assurer qu'il n'a pas commis d'erreur en exécutant l'ordonnance. Si le patient n'est pas satisfait des explications données par le pharmacien au sujet de la substitution, il peut (1) téléphoner au médecin pour obtenir son avis quant à savoir si la préparation remise est équivalente à la préparation de marque nominale, (2) demander au médecin de préciser sur l'ordonnance qu'il ne peut y avoir "aucune substitution", ou (3) demander la préparation de marque nominale et payer le montant applicable. Si le pharmacien n'informe pas le patient qu'il y a eu substitution et que la préparation générique a la même apparence que la préparation de marque nominale, le patient conclura que la préparation qui lui a été remise est la même préparation de marque nominale qu'il avait reçue auparavant.

     Certains des éléments de preuve indiquaient que la substitution de préparations pour affections cardio-vasculaires peut être très dangereuse pour la santé du patient dans les cas où il y a une différence de capacité entre les préparations, même si celles-ci peuvent être considérées comme bioéquivalentes par la DGPS. Il est donc important que les patients aient le choix soit d'accepter une préparation générique pour affections cardio-vasculaires soit d'exiger la préparation de marque nominale.

     Searle Canada vend les comprimés Isoptin SR au Canada depuis 1988. Pendant toute la période en cause, chacun des comprimés Isoptin SR était vert pâle, pelliculé, en forme de capsule biconvexe, sécable des deux côtés (présentation des comprimés Isoptin SR). Les seules inscriptions sur les comprimés Isoptin SR sont deux triangles en relief. Les patients remarquent rarement ces triangles. Il arrive fréquemment que les patients ne remarquent pas les inscriptions qui apparaissent sur les comprimés parce qu'elles ne sont pas faciles à voir, en particulier pour les personnes âgées dont la vue baisse. Même si le patient remarque l'inscription sur le comprimé, il ne se donnera vraisemblablement pas la peine de la lire.

     Des étiquettes sont collées sur les bouteilles de comprimés Isoptin SR vendus par Searle Canada aux pharmaciens, et le nom Searle Canada ainsi que le nom "Searle" y sont en évidence. Toutefois, ces noms ne figurent pas sur la bouteille que le pharmacien vend aux patients.

     Le choix de la forme et de la couleur d'une préparation pharmaceutique est en grande partie arbitraire. Il y a sur le marché de nombreuses préparations pharmaceutiques qui font concurrence aux comprimés Isoptin SR. L'apparence de chacune de ces préparations diffère considérablement de celle des comprimés Isoptin SR. Searle Canada a fait de la publicité pour les comprimés Isoptin SR auprès des médecins pour les encourager à prescrire ces comprimés aux patients qui souffrent d'hypertension. Dans le cadre de sa publicité, Searle Canada a distribué aux médecins des échantillons de comprimés Isoptin SR dans des emballages jumelés que les médecins remettent à leurs patients. Searle Canada est clairement identifiée sur les emballages échantillons. Au cours des trois dernières années, Searle Canada a distribué plus de 3 000 000 d'échantillons de comprimés Isoptin SR à des médecins au Canada. Les médecins ont tout d'abord présenté les comprimés Isoptin SR à leurs patients en leur montrant un comprimé échantillon pour leur permettre d'en reconnaître l'apparence, et en désignant le comprimé par la marque de commerce ISOPTIN. De nombreux médecins utilisent la marque de commerce ISOPTIN sur leurs ordonnances lorsqu'ils prescrivent des comprimés Isoptin SR. Les pharmaciens utilisent en règle générale la marque de commerce ISOPTIN sur les étiquettes des flacons de comprimés Isoptin SR qu'ils remettent à leurs patients. Les témoignages de médecins et de pharmaciens indiquent que les patients identifient les comprimés Isoptin SR par la forme et la couleur des comprimés.

     Le 15 mars 1996, Searle Canada a obtenu d'une pharmacie une copie d'un avis publié par Novopharm annonçant que les comprimés Novopharm SR seraient offerts aux pharmacies et aux distributeurs le 10 avril 1996 et que leur présentation ne serait guère différente de celle des Isoptin SR. Les comprimés Novopharm SR ne se distinguent des comprimés Isoptin SR que par les inscriptions en relief qui s'y trouvent, inscriptions que le patient ne remarquera vraisemblablement pas.

     La défenderesse a commencé à prendre des commandes pour les comprimés Novopharm SR immédiatement après avoir reçu l'avis de conformité pour ses comprimés, et dès la fin de mars 1996, ses représentants avaient déjà obtenu les commandes initiales. En juin 1996, la défenderesse avait obtenu des commandes de comprimés Novopharm SR pour une somme totalisant 1,1 million de dollars.

     Searle Canada a présenté une demande d'injonction provisoire qui a été entendue le 9 avril 1996, soit un jour avant que la défenderesse ne commence à expédier ses comprimés Novopharm SR. Dans une ordonnance datée du 11 avril 1996, le juge Noël a accordé l'injonction provisoire. La défenderesse a interjeté appel de cette ordonnance, et la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel le 23 mai 1996, en s'appuyant sur la preuve non vérifiée fournie dans l'affidavit de M. Steven Johnston. La défenderesse a commencé à expédier ses comprimés Novopharm SR dans ses entrepôts du Québec et de Nouvelle-Écosse en juin 1996.

     L'entreprise pharmaceutique Wyeth-Ayerst vend au Canada un comprimé à libération prolongée de chlorhydrate de vérapamil en capsules de 240 mg dont l'ingrédient actif est du chlorhydrate de vérapamil (capsules Verelan SR). Les capsules Verelan SR, vendues sous la marque nominale VERELAN, sont jaunes et bleues. En janvier 1996, le formulaire du Québec indiquait que ces capsules étaient un produit de remplacement des comprimés Isoptin SR. Il s'agit des premières préparations qui sont inscrites comme produits de remplacement des comprimés Isoptin SR. Elles sont donc considérées comme une version générique des comprimés Isoptin SR au Québec, bien que les parties reconnaissent que les capsules Verelan SR ne sont pas bioéquivalentes aux comprimés Isoptin SR. On croit aussi que les capsules Verelan SR sont inscrites comme des produits de remplacement des comprimés Isoptin SR en Colombie-Britannique. Comme l'apparence des capsules Verelan SR est différente de celle des comprimés Isoptin SR, les pharmaciens sont obligés d'expliquer à leurs patients la substitution des capsules Verelan SR aux comprimés Isoptin SR.

     Le 4 mars 1996, ayant appris que Novopharm avait reçu une approbation de la DGPS pour les comprimés Novopharm SR, Searle Canada a autorisé Genpharm Inc., une entreprise pharmaceutique fabriquant des produits génériques (Genpharm), à commencer à vendre une version générique des comprimés Isoptin SR provenant de Searle Canada et dont la composition était identique à celle des comprimés Isoptin SR (comprimés Genpharm SR). Ces produits génériques sont appelés "ultra-génériques" dans cette branche de l'industrie.

     La part du marché actuel des préparations pharmaceutiques génériques que possède Genpharm est relativement petite. Cette entreprise n'offre pas les mêmes services ni la même gamme de produits que la défenderesse. Les préparations ultra-génériques présentent un avantage sur les préparations génériques plus traditionnelles en ce qu'il est possible d'obtenir plus rapidement une approbation réglementaire pour qu'elles soient désignées comme produits de remplacement de préparations de marque nominale. L'approbation réglementaire des préparations ultra-génériques n'est habituellement qu'une question de semaines.

     Searle Canada obtiendra ses comprimés Genpharm SR de Knoll AG, la même source d'approvisionnement que pour ses comprimés Isoptin SR. Searle Canada distribue les comprimés Isoptin SR. L'emballage des comprimés Isoptin SR porte les noms "Knoll" et "Searle", et précise que Isoptin SR est une marque de commerce déposée de Knoll AG. Searle Canada a autorisé Genpharm à utiliser pour les comprimés Genpharm SR la même présentation que pour les comprimés Isoptin SR. Toutefois, les comprimés Genpharm SR porteront en relief l'inscription "SR 240" sur l'une des faces des comprimés plutôt que les deux triangles en relief que l'on retrouve sur les comprimés Isoptin SR. Comme les comprimés Genpharm SR ont la même forme et la même couleur que les comprimés Isoptin SR, je présume que les patients croiront que les comprimés Genpharm SR sont fabriqués par la même entreprise pharmaceutique qui fabrique les comprimés Isoptin SR. Genpharm a commencé à expédier les comprimés Genpharm SR dès la mi-mars 1996, avant la date à laquelle la défenderesse avait projeté à l'origine de commencer ses envois de comprimés Novopharm SR. En vertu de l'entente intervenue avec Genpharm, Searle Canada touchera la plus grande partie des recettes tirées de la vente des comprimés Genpharm SR. La demanderesse a choisi de ne pas fournir à la Cour une copie de l'entente conclue avec Genpharm et de ne pas lui faire part de ses modalités. De plus, la Cour ignore les modalités de l'entente intervenue entre Knoll AG et Searle Canada.

     La demanderesse a produit des éléments de preuve afin de démontrer que dans le cas d'un autre médicament, la "fluoxétine générique", lorsqu'une injonction a été accordée pour empêcher la défenderesse de vendre ses comprimés dont la couleur et la forme étaient identiques à celles des comprimés de la marque nominale d'Eli Lilly and Company, l'entreprise a pu rapidement introduire sur le marché de la fluoxétine générique dont la forme et la couleur étaient différentes de celles de la préparation de marque nominale. Afin d'aider les pharmaciens à conseiller leurs patients quant au remplacement de la préparation de marque nominale par de la fluoxétine générique et à répondre à leurs questions, la défenderesse a distribué aux pharmaciens une brochure que ceux-ci devaient remettre aux patients qui recevaient de la fluoxétine générique. Cette brochure permet d'éviter de semer la confusion dans l'esprit des patients et elle fait gagner du temps aux pharmaciens qui n'ont pas à expliquer aux patients la substitution de la fluoxétine générique à la préparation de marque nominale.

ANALYSE

     Comme c'est le cas dans les demandes d'injonction interlocutoire, le demandeur doit démontrer 1) qu'il existe une question sérieuse à trancher; 2) qu'il subira un préjudice irréparable et 3) que la prépondérance des inconvénients justifie la délivrance de l'injonction.

     Pour ce qui est de l'existence d'une question sérieuse à trancher, la demanderesse doit démontrer, conformément à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, que la défenderesse : 1) a appelé l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise, 2) de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion, 3) lorsqu'elle a commencé à y appeler ainsi l'attention. Pour déterminer s'il existe une cause d'action aux termes de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, je dois examiner la jurisprudence portant sur le recours en passing off existant en vertu de la common law. Dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, aux pages 141 et 142; (1992), 44 C.P.R. (3d) 289 le juge Gonthier a dit ce qui suit :

     Il n'est pas nécessaire d'insister sur les buts de l'action en passing-off dans ce domaine [le domaine pharmaceutique] car ils sont essentiellement les mêmes que ceux que je viens d'examiner. En adaptant les principes énoncés aux cas comme celui qui intéresse cette Cour, cela amène à dire que des laboratoires concurrents doivent éviter de fabriquer et commercialiser des médicaments dont l'apparence est tellement similaire que cela sème la confusion dans l'esprit de la clientèle.
     D'abord, quelques commentaires sur la question de l'apparence des produits dont il est question ici. Comme le fait remarquer Waldow, op. cit., à la p. 379, les compagnies pharmaceutiques sont limitées dans le choix d'éléments caractéristiques pour la présentation de leurs produits. En effet, comme les pharmaciens achètent ceux-ci en vrac et les délivrent au public dans des récipients standards, transparents et anonymes, la seule façon d'attirer l'attention des patients sur l'origine du produit réside dans les capsules ou les comprimés eux-mêmes. Les possibilités sont peu nombreuses; des inscriptions sur les comprimés étant souvent trop petites pour être lisibles, du moins facilement, il ne reste que la forme, la taille et la couleur des produits pour les distinguer. [...]

     Quant à la commercialisation de préparations pharmaceutiques d'ordonnance, une action en passing off sera maintenue si le demandeur peut démontrer : 1) la notoriété ou le prestige liés à l'apparence de la préparation; 2) la confusion pour les médecins, les pharmaciens ou les patients qui prescrivent, délivrent ou utilisent la préparation, et 3) un préjudice réel ou potentiel.

     Pour établir la notoriété ou le prestige liés à l'apparence d'un produit, la demanderesse doit prouver que, en raison de l'apparence, les consommateurs considèrent que les produits qui revêtent la même apparence proviennent de la même source. Rien dans la preuve n'indique que les patients savent que Searle Canada est la source d'approvisionnement de ce médicament. Il n'est pas nécessaire d'établir que la source est la demanderesse. (Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd., [1982] 1 R.C.S. 494, à la page 503) Par conséquent, il n'est pas nécessaire de préciser que Searle ou Monsanto est la source.

     Une question se pose au regard du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce qui prévoit ce qui suit :

     Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci -- ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.

     Les seuls éléments de preuve que nous possédons au sujet de l'entente intervenue entre Genpharm et Monsanto sont les paragraphes 53 et 54 de l'affidavit de M. Cloutier. Nous savons seulement qu'il s'agit d'une entente ayant trait au partage des recettes. Je suis incapable, en l'absence d'éléments de preuve concernant les modalités des ententes intervenues entre Searle Canada et Knoll AG, et Searle Canada et Genpharm, de déterminer une question en litige en ce qui a trait au paragraphe 50(1).

     Je suis convaincu, compte tenu de ce qui précède, que la demanderesse a établi l'existence d'une question sérieuse à trancher.

     Je dois maintenant examiner la question du préjudice irréparable. Il convient de signaler qu'avant que je rende ma décision mais après la clôture des plaidoiries, la Cour d'appel fédérale a rendu publique sa décision dans l'affaire Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 25 septembre 1996, no de greffe A-382-96 (Eli Lilly), qui a infirmé la décision rendue en première instance par le juge Rothstein. Les demanderesses avaient invoqué le jugement rendu en première instance. Le jugement prononcé par le juge des requêtes avait été invoqué par la demanderesse en l'espèce. Par conséquent, lorsque mon attention a été attirée sur la décision rendue dans cet appel, j'ai demandé aux deux parties de présenter des arguments sur la question du préjudice irréparable. Dans l'arrêt Eli Lilly, précité, le juge Décary dit aux pages 3 et 4 :

     Il est bien établi en droit au sein de la présente Cour que le demandeur qui cherche à obtenir une injonction interlocutoire doit établir au moyen de preuves claires qu'il, par opposition à une autre personne ou partie, subira un préjudice irréparable. Il n'est pas facile de s'acquitter de ce fardeau car l'injonction interlocutoire est une réparation extraordinaire qui ne sera accordée que si le requérant convainc la Cour, entre autres, que l'attribution de dommages-intérêts selon la common law ne constituerait pas une réparation suffisante si la Cour refuse d'accorder l'injonction.

     Dans l'affaire Eli Lilly, Lilly a intenté une action en passing off (imitation frauduleuse) de sa marque de commerce alléguée sur la couleur, la forme et la taille de ses gélules de chlorhydrate de fluoxétine, et elle a aussi demandé une injonction interlocutoire. Avant que les procédures ne soient engagées, Lilly a accordé une licence à Pharmascience en vue de la commercialisation d'une version générique du chlorhydrate de fluoxétine, produit qui était quasi identique, quant à la couleur, à la forme et à la taille, au médicament portant le nom commercial de Lilly. Ce contrat n'a pas été déposé en preuve devant la Cour. La preuve présentée à la Cour relativement à la nature de la licence était mince. Pharmascience n'était pas partie aux procédures.

     Au procès, le juge Rothstein a conclu que Lilly subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas accordée. Sa conclusion reposait en partie sur le fait que Lilly subirait une perte incalculable en l'absence d'une injonction. En particulier, il a rejeté l'argument des défenderesses que toute perte d'une part du marché en raison de la présence des défenderesses sur le marché serait ressentie par Pharmascience, et que rien dans la preuve n'indiquait que Lilly subirait le contrecoup de cette perte. Le juge Rothstein a admis que la preuve relative au contrat intervenu entre Lilly et Pharmascience était "mince", mais il a néanmoins conclu que Lilly profitait des ventes faites par Pharmascience. Il a tiré cette conclusion en se fondant sur une déclaration faite dans un affidavit déposé par un représentant de Lilly et indiquant qu'un tel profit existait. La Cour d'appel a infirmé la conclusion du juge sur ce point. Le juge Décary a dit à la page 4 :

     Dans la présente espèce, la conclusion du juge des requêtes n'est pas fondée sur la constatation que les intimées [Lilly] subiraient une perte directe. Le juge des requêtes a essentiellement conclu que la perte irréparable serait subie par Pharmascience et serait transmise aux intimées. En admettant qu'il ait eu raison de conclure que la perte de Pharmascience était incalculable, d'où le préjudice irréparable, le problème réside dans le fait que sa constatation que cette perte serait transmise aux intimées n'était pas étayée par une preuve suffisante.

     En particulier, la Cour d'appel a dit que la preuve de Lilly était "vague et intéressée" et était loin de satisfaire au fardeau de la preuve suivant lequel la preuve du préjudice irréparable qui serait causé à Lilly doit être claire. La Cour a fait remarquer ce qui suit :

     Pharmascience n'est pas une partie demanderesse. Elle n'est même pas partie à l'instance. La perte qu'elle subit est donc sans importance, à moins qu'elle ne se répercute directement sur les intimées elles-mêmes. Faute de preuves claires établissant que la perte subie par le porteur de la sous-licence serait essuyée par les intimées, la Cour ne peut pas conclure que celles-ci subiront un préjudice irréparable.

     La Cour d'appel a ensuite ajouté qu'étant donné que le contrat n'avait pas été produit devant la Cour mais qu'on avait seulement déposé un affidavit signé par le directeur de l'unité des affaires relatives aux médicaments génériques de Lilly Canada portant que [TRADUCTION] "les ventes de Pharmascience profitent à ma firme", cela ne satisfaisait pas au fardeau de la preuve. Le juge Décary a ajouté à la page 5 :

     [...] Les intimées doivent prouver que la perte serait la leur et qu'elle serait irréparable aussi bien pour elles que pour Pharmascience. Il appartenait aux intimées de dissiper le mystère entourant la nature véritable de leurs liens avec Pharmascience et, partant, de fournir au moins quelques précisions sur le contrat passé avec le porteur de la sous-licence. Elles s'en sont abstenues. Selon nous, la seule conclusion raisonnable que cette abstention permet de tirer est que la communication de ces renseignements aurait desservi leur cause.

     Dans l'affaire dont j'ai été saisi, la seule preuve relative à l'entente intervenue entre Genpharm Inc. et Searle Canada figure aux paragraphes 53 et 54 de l'affidavit de M. Cloutier :

     [TRADUCTION]
     53. Aux termes de l'entente intervenue avec Genpharm Inc., Searle Canada obtient les formulations identiques du chlorhydrate de vérapamil à libération prolongée comme les comprimés Isoptin SR de Knoll AG. Les comprimés Genpharm SR sont identiques aux comprimés Isoptin SR en ce qui a trait à leur composition et à leur apparence, sauf qu'on n'y retrouve pas les deux triangles en relief qui figurent sur les comprimés Isoptin SR mais plutôt l'inscription "SR 240" en relief sur l'une des faces des comprimés. Un flacon contenant des comprimés Genpharm SR m'a été présenté et joint comme pièce à mon affidavit sous la cote T.
     54. Aux termes de l'entente intervenue avec Genpharm Inc., Searle Canada touchera la plus grande partie des recettes tirées de la vente de comprimés Genpharm SR à des pharmaciens. Searle Canada a aussi autorisé et encouragé Genpharm à présenter les comprimés Genpharm SR comme une version ultra-générique des comprimés Isoptin SR.

     Lors du contre-interrogatoire, M. Cloutier a tenté de faire valoir que Searle octroie des licences à Genpharm en vue de la vente de chlorhydrate de vérapamil générique similaire. Toutefois, M. Cloutier est revenu sur sa position, plus tard au cours du contre-interrogatoire, et il a affirmé qu'il y avait simplement une [TRADUCTION] "entente entre Searle et Genpharm".

     À mon avis, Monsanto ne s'est pas acquittée de son obligation de prouver qu'elle subira un préjudice irréparable si une injonction n'est pas accordée. Comme l'a dit le juge à la page 4 de l'arrêt Apotex c. Eli Lilly, précité :

     [...] Faute de preuves claires établissant que la perte subie par le porteur de la sous-licence serait essuyée par les intimées, la Cour ne peut pas conclure que celles-ci subiront un préjudice irréparable.

     À mon avis, la déclaration que fait M. Cloutier au sujet du partage des recettes est vague et intéressée, et elle ne permet pas à la demanderesse de s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. J'en conclus, comme cela a été dit dans l'arrêt Eli Lilly, précité, qu'il appartenait à la demanderesse "de dissiper le mystère entourant la nature véritable de [ses] liens avec" Genpharm et de fournir au moins quelques précisions sur l'entente intervenue avec le titulaire de la sous-licence. À mon avis, la seule conclusion raisonnable que cette abstention permet de tirer est que la communication de ces renseignements aurait desservi la cause de la demanderesse.

     La demande d'injonction interlocutoire est rejetée. Vu la décision rendue par la Cour d'appel dans l'arrêt Apotex c. Eli Lilly, précité, après que la présente affaire eut été débattue, il ne devrait y avoir, à mon avis, aucune adjudication de dépens en l'espèce.



                                     W.P. McKeown
                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

22 novembre 1996


Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE




Avocats et procureurs inscrits au dossier



No DU GREFFE:                  T-769-96


INTITULÉ DE LA CAUSE:          MONSANTO CANADA INC. c. NOVOPHARM LIMITED


LIEU DE L'AUDIENCE:          Ottawa (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE:          3 septembre 1996


MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge McKeown en date du 22 novembre 1996



ONT COMPARU:

     Glen A. Bloom
     Diane E. Cornish
                         pour la demanderesse
     Carol Hitchman
     Stephanie Chong
                         pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     Osler, Hoskin & Harcourt
     Avocats
     Ottawa (Ontario)
                         pour la demanderese
     Ricout & Maybee
     Avocats
     Toronto (Ontario)
                         pour la défenderesse

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