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     T-29-94

Ottawa (Ontario), jeudi le 20 mai 1997

En présence de l'honorable juge Gibson

ENTRE:

     ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO

     ET LES GRANDES SOEURS DU CANADA

     demanderesses

     -et-

     LES GRANDS FRÈRES DU CANADA

     défenderesse

     JUGEMENT

     La présente action est rejetée et les dépens fixés à 30 000 $, incluant les honoraires et débours, sont adjugés à la défenderesse.

                            

     FREDERICK E. GIBSON

     ____________________

                                             Juge
Traduction certifiée conforme                     
                                         C. Bélanger, LL.L.

     T-29-94

ENTRE:

     ASSOCIATION DES GRANDS SOEURS DE L'ONTARIO

     ET LES GRANDES SOEURS DU CANADA

     demanderesses

     -et-

     LES GRANDS FRÈRES DU CANADA

     défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge GIBSON

INTRODUCTION ET FAITS CONVENUS

     Par voie de déclaration déposée le 7 janvier 1994, l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario (AGSO) et les Grandes Soeurs du Canada (GSC) recherchent notamment les mesures de redressement suivantes contre la défenderesse, Les Grands Frères du Canada (GFC) :

     a) Un jugement déclaratoire pour valoir entre les parties portant que l'usage et l'adoption par la défenderesse de la dénomination "Les Grands Frères et Soeurs du Canada", seule ou conjointement avec d'autres indices, en rapport avec son entreprise, sont interdits par les articles 9 et 11 de la Loi sur les marques de commerce ;         
     b) Une ordonnance prescrivant la radiation de la publication par le registraire des marques de commerce de la marque officielle "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" ainsi qu'un jugement déclaratoire portant qu'une telle publication est invalide et inopposable;         
     c) Une injonction provisoire, interlocutoire et permanente interdisant à la défenderesse, ses dirigeants, administrateurs, mandataires, employés, représentants et à toute personne sur laquelle elle exerce un contrôle, d'employer, sans le consentement des GSC et ou de l'AGSO, les marques "Les Grandes Soeurs", Les Grandes Soeurs du Canada ou Les Grands Frères et Soeurs du Canada, seul ou conjointement avec d'autres indices, en rapport avec son entreprise ou ses activités, ou d'adopter ou employer, sans le consentement des GSC ou de l'AGSO, comme marque de commerce ou autrement, tout mot ou marque composé des marques officielles des demanderesses "Les Grandes Soeurs" et "Les Grandes Soeurs du Canada" ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement confondre ce mot ou cette marque avec les marques officielles;         
     ...         
     f) Les dépens de la présente action.         

     À l'ouverture du procès, les demanderesses se sont désistées des autres mesures de redressement recherchées, soit des dommages-intérêts ou une reddition de comptes et les intérêts.

     Par ordonnance datée du 17 juin 1994, la Cour a rejeté avec dépens la demande d'injonction interlocutoire des demanderesses.

     Le 28 février 1995, la défenderesse a déposé une défense et une demande reconventionnelle. À l'ouverture du procès encore-là, la défenderesse s'est désistée de sa demande reconventionnelle.

     Toujours à l'ouverture du procès, les avocats ont déposé un dossier conjoint de pièces contenant 199 documents sur lesquels les parties s'entendent quant à la date et la teneur, mais non la véracité. Les avocats ont aussi déposé un exposé conjoint des faits comprenant six annexes. Ces annexes sont reproduites comme telles dans les présents motifs, et il y est fait renvoi de la même manière que dans l'exposé conjoint des faits. Cet exposé se lit comme suit :

     [TRADUCTION]         
     1. LES PARTIES         
     a)      L'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario         
     1.      Les demanderesses, l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario et les Grandes Soeurs du Canada ainsi que la défenderesse, Les Grands Frères du Canada, sont des organismes de bienfaisance. Le mouvement des Grandes Soeurs a été créé au Canada en 1912 par le Local Council of Women de Toronto, afin de contribuer au bien-être affectif, physique et social des jeunes filles.         
     2. En 1974, l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario s'est organisée en un organisme administratif régional afin de venir en aide sur une base individuelle aux agences des Grandes Soeurs de l'Ontario, par le biais d'un programme de développement, d'une agence de gestion, de cours de formation du personnel, de références et de levées de fonds. À cette époque, il y avait en Ontario 11 agences des Grandes Soeurs constituées en corporation.         
     3.      Par lettres patentes datées du 17 juillet 1981, l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario (AGSO) a été constituée en vertu du Ontario Corporations Act, S.R.O. 1980, ch. 95, par les agences des Grandes Soeurs d'alors. Au moment de cette constitution, le nombre d'agences des Grandes Soeurs était passé à 27.         
     4. Actuellement, il existe 51 agences des Grandes Soeurs affiliées à l'AGSO. Ces agences jumellent présentement 3 075 Grandes Soeurs et Petites Soeurs. L'AGSO ne compte aucune agence à l'extérieur de l'Ontario. Treize d'entre elles sont des agences conjointes, et chacune d'elles est également membre des GFC.         
     5.      Le personnel de l'AGSO compte 4 employés et 15 volontaires qui siègent à son conseil d'administration. Les activités de l'AGSO comprennent les suivantes :
         a)      publier en Ontario, six fois l'an, un bulletin d'information à l'intention des agences membres des Grandes Soeurs;         
         b)      fournir des bandes vidéo traitant de formation et de l'art de parler en public;         
         c)      fournir de l'information sur les activités de levée de fonds;                 
         d)      fournir de l'information sur l'élaboration des programmes "Petites Soeurs";                 
         e)      tenir des conférences périodiques sur diverses questions connexes auxquelles les représentants des agences locales des Grandes Soeurs peuvent assister; et                 
         f)      offrir en Ontario des occasions d'échanges et de rencontres entre les représentants des agences des Grandes Soeurs.                 
     b)      Les Grandes Soeurs du Canada         
     6.      Il existe des agences des Grandes Soeurs à l'extérieur de l'Ontario partageant la même philosophie ou une philosophie semblable à celle des agences des Grandes Soeurs ontariennes ainsi que les mêmes programmes.         
     7.      Le 9 mai 1989, l'AGSO a constitué en corporation les Grandes Soeurs du Canada (GSC) par lettres patentes émises en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes. Les objets des GSC sont les suivants :         
         a)      agir comme première ressource et fournir un soutien aux organismes des Grandes Soeurs à travers le Canada;         
         b)      répondre aux besoins particuliers des jeunes filles dans les communautés à travers le Canada en encourageant la mise en place et la croissance des organismes de Grandes Soeurs;         
         c)      par l'information du public, sensibiliser les communautés au programme des Grandes Soeurs afin que celles qui pourraient en bénéficier puissent y avoir accès;         
         d)      agir comme porte-parole des jeunes filles à l'égard de questions d'intérêt public.         
     8.      La présidente de l'AGSO est membre du conseil d'administration des GSC.         
     9.      Le siège social des GSC est situé au 40, avenue Sheppard Ouest, bureau 707, North York (Ontario).         
     10.      Il existe 42 agences membres des GSC - 34 en Ontario, une au Manitoba, trois en Saskatchewan, deux en Alberta et deux en Colombie-Britannique.         
     11.      Les GSC lèvent des fonds pour soutenir financièrement l'organisme par le biais de dons et de commandites.         
     12.      Le programme des agences membres des GSC doit comporter comme premier volet le service de jumelage d'une Grande Soeur et d'une Petite Soeur.         
     c) Les Grands frères du Canada
     13. Le mouvement des Grands Frères a débuté au Canada en 1913 lorsqu'un groupe d'hommes d'affaires de Toronto a recruté des bénévoles afin de venir en aide aux jeunes garçons et jeunes filles au prise avec le système judiciaire. Au début des années 60, les groupes de Grands Frères ont concentré leurs activités sur les cas de garçons vivant au sein de foyers de père absent plutôt que sur celui de jeunes contrevenants.         
     14.      La défenderesse, Les Grands Frères du CanadaBig Brothers of Canada (GFC), est une corporation constituée par lettres patentes datées du 15 décembre 1964, émises sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, modifiée. Lors de sa constitution, Les Grands Frères du Canada comptaient 10 agences locales, principalement dans le sud de l'Ontario. Les Grands Frères du Canada exercent leurs activités comme organisation-cadre pour leurs 176 agences membres, dont 129 sont des agences conjointes Grands FrèresGrandes Soeurs. Soixante-treize pour cent (73 %) des membres des Grands Frères du Canada fournissent des services aux Grands Frères et Grandes Soeurs. Quarante-six agences membres sont des agences distinctes des Grands Frères et l'une d'elles est une agence distincte des Grandes Soeurs. Les Grands frères du Canada ont des agences conjointes Grands Frères Grandes Soeurs dans toutes les provinces canadiennes depuis au moins 10 ans. Les agences qui sont affiliées aux Grands Frères du Canada sont membres de la corporation nationale. La plupart des agences ont conclu des ententes avec Les Grands Frères du Canada concernant leurs activités et l'emploi de dénominations. Certaines des agences sont à la fois membres des Grands Frères du Canada et des Grandes Soeurs de l'Ontario, ou des Grandes Soeurs du Canada.         
     15.      Les GFC sont un organisme national offrant des services aux organismes conjoints des Grands Frères et Grandes Soeurs. Les agences conjointes emploient les mots "Grands Frères" et "Grandes Soeurs" dans leur dénomination.         
     16.      Les GFC fournissent des services administratifs et de soutien aux agences locales membres. Les GFC n'administrent pas de programmes de jumelage.         
     d)      Les agences membres         
     17.      Au cours des années qui ont suivi la formation de ces mouvements, un certain nombre d'agences locales ou distinctes offrant des programmes de Grandes Soeurs ou Grands Frères ont été établies dans les communautés, principalement en Ontario. Généralement, ces agences locales de Grandes Soeurs et Grands Frères n'étaient pas affiliées l'une à l'autre. Cependant, à certains égards, pour des raisons administratives, les agences locales de Grandes Soeurs et Grands Frères exerçaient leurs activités comme organismes conjoints et partageaient les mêmes locaux.         
     18.      Les agences locales des demanderesses et de la défenderesse exercent leurs activités par le biais de programmes qu'elles administrent et en vertu desquels elles fournissent des services spécifiques aux Petites Soeurs et Petits Frères. Les agences locales sont des corporations distinctes de l'AGSO, des GSC ou des GFC, et elles sont des agences soit "conjointes", soit "distinctes". Les agences distinctes ne fournissent des services qu'à des enfants du même sexe. Les agences conjointes fournissent des services aux enfants des deux sexes.         
     19.      Au cours des 17 dernières années, certaines agences locales de Grands Frères et Grandes Soeurs ont fusionnées.         
     20.      Habituellement, les dénominations utilisées par les agences locales membres comprennent une référence relative au lieu où elles se trouvent - à titre d'exemple, Les Grandes Soeurs de Toronto, Les Grands Frères de Peel, ou Les Grands FrèresGrandes Soeurs de St-Thomas - Elgin.         
     21.      Cinquante et une agences locales sont membres de l'AGSO. Ces agences locales sont situées dans la province d'Ontario et sont à la fois des agences distinctes et conjointes. Les agences membres de l'AGSO sont indiquées à l'annexe "A".         
     22.      Quarante-deux agences locales sont membres des GSO, celles-ci étant à la fois des agences distinctes et conjointes. Les agences membres des GSO sont indiquées à l'annexe "A".         
     23.      Toutes les agences membres des GSC sont aussi membres de l'AGSO.         
     24.      En octobre 1986, il y avait 176 agences locales membres des GSC, dont 129 (73%) sont des agences conjointes de Grands Frères et Grandes Soeurs, 46 des agences distinctes des Grands Frères et l'une d'elles, une agence distincte des Grandes Soeurs. Ces agences conjointes emploient les mots "Grandes Soeurs" dans leur dénomination, fournissent des services aux Petites Soeurs et recrutent et fournissent les services de Grandes Soeurs. Ces agences sont à la fois distinctes et conjointes. Les agences membres des GFC sont indiquées à l'annexe "C".         
     25.      L'annexe "D" indique, par province, le nombre d'agences locales membres de chacune des parties et le nombre d'agences locales conjointes qui en sont membres.         
     26.      L'annexe "E" indique, par province, le nombre de jumelages de Petites Soeurs ou de Petits Frères effectués par des agences locales qui sont membres de chacune des parties.         
     27.      Les GFC exigent qu'une agence locale devienne membre des GFC avant de pouvoir employer la dénomination "Les Grands Frères".              
     B.      LES MARQUES         
     1)      Publication des marques         
     28.      Le 8 août 1973, les GFC ont fait publié un avis public de l'adoption de la marque "Les Grands Frères" conformément au s.-al. 9(1)n )(iii) de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10.         
     29.      Le 28 mai 1979, les GSC ont déposé une demande de certification de la marque "Les Grands Frères", qui a été enregistrée le 7 novembre 1980 et renouvelée le 7 novembre 1995.         
     30.      Le 25 septembre 1985, en vertu de la Loi sur les marques de commerce, le registraire a donné un avis public de l'emploi par l'AGSO de la marque l'"Association des Grandes Soeurs de l'Ontario (Big Sisters Association of Ontario )". Une copie du certificat d'authenticité daté du 25 septembre 1985 est jointe comme annexe "F".         
     31.      Le 23 janvier 1986, l'AGSO a déposé une demande en vertu du s.-al. 9 (1) (n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce afin que le registraire donne un avis public de l'adoption et de l'emploi par l'AGSO des marques "Les Grandes Soeurs du Canada" et "Les Grandes Soeurs". Le 2 avril 1986, conformément au s.-al. 9 (1)n )(iii) de la Loi sur les marques de commerce, le registraire a donné un avis public de l'adoption et de l'emploi par l'AGSO des marques "Les Grandes Soeurs du Canada" et "Les Grandes Soeurs" en vue de "favoriser et développer les services des Grandes Soeurs en Ontario, recueillir des fonds par le biais de donations ou autrement, et accepter des dons, legs, équipements et biens, afin de promouvoir les services des Grandes Soeurs en Ontario. Une copie de l'avis daté du 2 avril 1986 est jointe comme annexe "G".         
     32.      Le 7 janvier 1987, à la suite d'une demande déposée par les GFC le 15 octobre 1986, le registraire a donné, en vertu du s.-al. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, un avis public de l'adoption et de l'emploi de la marque officielle "Les Grands Frères et Soeurs du Canada"; "Brothers and Sisters of Canada" ainsi qu'un dessin représentant un enfant dans l'étreinte d'un adulte (le dessin des GFC). (Dossier des pièces, onglet 153)         
     IV.      Chronologie de certains événements         
     33.      Le 14 janvier 1986, Les Grands Frères du Canada ont publié un avis de leur intention d'obtenir de leurs membres l'autorisation de changer de dénomination.         
     34.      En sa qualité de membre du Comité inter-agences, la présidente de l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario a été mise au courant de "l'évolution" des Grands Frères du Canada et d'"informations" sur ces derniers, et a reçu une copie du questionnaire et de l'avis d'intention de changement de dénomination.         
     35.      Le 21 janvier 1986, Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont déposé une demande auprès du registraire des marques de commerce afin qu'il donne un avis public de l'adoption et de l'emploi par Les Grandes Soeurs de l'Ontario de la marque officielle "Les Grandes Soeurs du Canada". La demande précisait que la marque officielle "Les Grandes Soeurs du Canada" avait été adoptée et employée pour "...favoriser le développement des services des Grandes Soeurs en Ontario..." Les GFC n'ont pas été informés à l'avance de la demande de l'AGSO ni n'ont cherché à obtenir quelque autorisation pour le devenir. (Dossier des pièces, onglet 148)         
     36.      Au moment où Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont franchi cette étape, les deux organismes poursuivaient les discussions sur leurs différends. À titre d'exemple, le procès-verbal de l'assemblée du conseil des Grandes Soeurs de l'Ontario de mars 1986 confirme que celle-ci et Les Grands Frères du Canada se sont rencontrés afin de discuter de la question de la fusion des agences en Ontario. Par ailleurs, le procès-verbal révèle qu'au cours de ces discussions, le président des Grands Frères du Canada a déclaré que le conseil national avait, en principe, approuvé unanimement la décision voulant que leur dénomination sociale soit changée en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada".         
     37.      L'avis de l'adoption et de l'emploi par les Grandes Soeurs de l'Ontario des marques officielles "Les Grandes Soeurs" et "Les Grandes Soeurs du Canada" a été publié dans le Journal des marques de commerce le 2 avril 1986. (Dossier des pièces, onglet 149)         
     38.      Le changement de dénomination sociale projeté par les Grands Frères du Canada a été l'une des raisons qui ont incité Les Grandes Soeurs de l'Ontario à obtenir les marques officielles "Les Grandes Soeurs" et "Les Grandes Soeurs du Canada".         
     39.      Au cours d'une recherche qui eut lieu en avril 1986, les conseillers juridiques des Grandes Soeurs de l'Ontario ont découvert que la dénomination "Les Grands Frères Grandes Soeurs du Canada" avait été proposée dans le cadre d'une requête en constitution en corporation soumise par Les Grands Frères du Canada.         
     40.      Par lettre datée du 16 avril 1986, une opposition, pour le compte des Grandes Soeurs de l'Ontario, a été enregistrée auprès du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales selon laquelle l'emploi de la dénomination proposée porterait à confusion avec les marques "Les Grandes Soeurs" et l'"Association des Grandes Soeurs de l'Ontario". La lettre d'opposition indiquait par ailleurs que "bien qu'il existe des associations locales des Grands Frères Grandes Soeurs en Ontario et à travers le Canada... les efforts de levée de fonds des organismes de l'Ontario [Les Grandes Soeurs] seraient affectés s'il existait un organisme national connu sous la dénomination "Les Grands Frères Grandes Soeurs du Canada". (Dossier des pièces, onglet 150)         
     41.      Par lettre datée du 22 mai 1986, Les Grands Frères du Canada ont fait part à la présidente des Grandes Soeurs de l'Ontario de leur "inquiétude la plus profonde" à l'endroit des mesures prises par son organisme. À cette époque, 46 % des membres des Grands Frères du Canada étaient des agences conjointes des Grands Frères Grandes Soeurs du Canada.         
     42.      Dans une lettre datée du 18 juin 1986, la présidente des Grandes Soeurs de l'Ontario a exposé les grandes lignes des mesures prises par son organisme en réponse au changement de dénomination sociale projeté par Les Grands Frères du Canada. Dans cette lettre, elle a aussi indiqué qu'"...il est dans notre intérêt de confirmer notre identité comme Grandes Soeurs avant que ne débutent notre première levée de fonds à l'échelle provinciale et notre campagne de relations publiques". Elle a exprimé la volonté de discuter davantage de la question, mentionnant que "... cela pourrait être utile compte tenu des intérêts mutuels de nos organismes lorsqu'il s'agit du bien-être des enfants de ce pays". (Dossier des pièces, onglet 152)         
     43.      Lors de l'assemblée générale annuelle des GFC tenue à Vancouver en juillet 1986, la motion visant le changement de dénomination sociale des GFC en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" a été retirée.         
     44.      Le 7 janvier 1987, le registraire des marques de commerce a donné un avis public de l'adoption et de l'emploi par Les Grands Frères du Canada des marques officielles "Les Grands Frères et Soeurs du Canada, Big Brothers and Sisters of Canada" et d'un dessin représentant un enfant dans l'étreinte d'un adulte. (Dossier des pièces, onglet 153)         
     43.      L'AGSO n'a pas été informée à l'avance de la demande des GFC pour l'obtention d'une marque officielle ni n'a consenti à l'emploi de la marque par les GFC.         
     44.      Le 30 mars 1987, la présidente de l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario a informé Les Grands Frères du Canada que la marque officielle "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" causerait de la confusion dans le public et leur demanda de cesser l'emploi de cette marque. (Dossier des pièces, onglet 154)         
     45.      En juin 1987, à la demande du Conseil régional de l'Atlantique, une motion demandant que la dénomination sociale des Grands Frères du Canada soit changée en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" a été présentée à l'assemblée générale annuelle des Grands Frères. Cette motion a été retirée ""...étant donné la nécessité d'un complément d'information et de clarification".         
     46.      Le 16 février 1988, la présidente de l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario a écrit aux Grands Frères du Canada leur confirmant qu'elle comprenait qu'une motion visant à changer leur dénomination sociale en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" allait être présentée. Elle a exprimé son inquiétude du fait que le changement de dénomination projeté causerait de la confusion, déclarant ce qui suit :         
         "Nous sommes d'avis que l'emploi de la dénomination Les Grands Frères et Soeurs du Canada causera, au détriment de nos deux organismes, de la confusion dans les régions du Canada où il existe des agences conjointes des Grands Frères et Grandes Soeurs.         
         Nous réalisons que dans une grande partie du Canada, il n'y a pas d'organismes distincts des Grandes Soeurs, mais qu'en Ontario, en Alberta et dans certaines de nos grandes régions métropolitaines, il est évident qu'il y a un risque de conflits". (Dossier des pièces, onglet 155)         
     47.      Le président des Grands Frères du Canada, M. Richardson, a répondu par lettre datée du 17 mars 1988, et confirmé qu'une motion visant à changer leur dénomination en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" serait présentée à l'assemblée générale annuelle de juillet, à la demande du Conseil régional de l'Atlantique. Il a par ailleurs proposé l'établissement d'un groupe de travail conjoint "...afin d'examiner et de faire des recommandations sur la direction conjointe ..." des deux organismes. En date de cette lettre, le logo de la marque officielle des Grands Frères du Canada, représentant un enfant dans l'étreinte d'un adulte, était bien en vue sur leur papier en-tête. (Dossier des pièces, onglet 156)         
     48.      En juillet 1988, une motion visant le changement de la dénomination sociale des GFC a été présentée à l'assemblée générale annuelle. Cette motion a été retirée de manière à permettre la mise sur pied d'un groupe de travail afin d'examiner les répercussions du changement de dénomination projeté.         
     49.      Le 12 août 1988, Les Grands Frères du Canada reçurent de la part des Grandes Soeurs de l'Ontario un avis officiel selon lequel elles ne consentiraient pas à l'emploi par Les Grands Frères du Canada des marques "Les Grandes Soeurs" ou "Les Grandes Soeurs du Canada" comme partie de leur dénomination ou autrement. Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont menacé d'entamer des procédures, au besoin, afin de protéger leurs droits. (Dossier des pièces, onglet 158)         
     50.      En juillet 1988, les GFC ont mis sur pied un "Groupe de travail oeuvrant de concert avec Les Grandes Soeurs" (le groupe de travail) chargé d'examiner la direction conjointe des agences des Grands Frères et Grandes Soeurs. L'AGSO a été invitée à participer au groupe de travail et à envoyer des représentants à certaines de ses assemblées.         
     51.      En mars 1989, le "Rapport sur le groupe de travail oeuvrant de concert avec Les Grandes Soeurs" (rapport du groupe de travail) a été rendu public. Les membres de ce groupe étaient représentatifs des agences distinctes et conjointes de toutes tailles appartenant aux deux organismes ainsi que des diverses régions du pays. La responsabilité principale du groupe de travail était de "...concevoir un questionnaire et de le distribuer à toutes les agences connexes qui seraient affectées par le changement de dénomination". Le questionnaire a été envoyé à toutes les agences distinctes des Grands Frères et Grandes Soeurs ainsi qu'aux agences conjointes Grands Frères Grandes Soeurs. Le groupe de travail a noté "... que le type d'organisme répondant au questionnaire constituait "l'élément le plus important dont il fallait tenir compte en prenant une décision quant au changement de dénomination". À cet égard, 92 % des agences conjointes Grands Frères Grandes Soeurs étaient en faveur du changement de dénomination projeté, tandis que près de 75 % des organismes distincts des Grandes Soeurs étaient contre. Dans ses remarques finales, le groupe de travail a mentionné que plusieurs de ceux qui avaient répondu au questionnaire avaient exprimé "... une grande incertitude ... quant aux répercussions à long terme du changement de dénomination, en particulier, une inquiétude du fait que les organismes au niveau local seraient forcés de fusionner leurs programmes". En outre, ce comité a noté que l'information devrait être partagée afin d'éviter d'autres malentendus. À cet égard, le comité a déclaré ce qui suit : "Si l'avenir à long terme des Grands Frères et Grandes Soeurs doit être à l'enseigne d'une association positive, la décision de changer la dénomination des Grands Frères du Canada doit être soigneusement négociée avec tous les intéressés et non simplement imposée légalement". (Dossier des pièces, onglet 158)         
     52.      Par lettres patentes datées du 9 mai 1989, les Grandes Soeurs du Canada ont été constituées en corporation "...dans le but de sensibiliser le public en général, de financer les Grandes Soeurs, de leur servir de soutien à l'échelle nationale et d'agir à titre d'organisme-ressource..." auprès des agences membres. Leur "énoncé de mission" reconnaissait les "besoins particuliers des jeunes filles et jeunes femmes". Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont contribué à la constitution des Grandes Soeurs du Canada.         
     53.      Le 15 mai 1989, M. Richardson, le président des Grands Frères du Canada, a écrit aux présidents des agences et aux membres du conseil national à propos de l'assemblée générale de juillet 1989 à laquelle on leur demanderait de voter sur la question du changement de dénomination de l'organisme en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada". Dans cette lettre, il leur a fourni de l'information pour les aider à prendre une décision à ce sujet et offert son opinion personnelle selon laquelle le changement de dénomination aurait un impact sur les agences membres et les agences des Grandes Soeurs dans tout le Canada. Par ailleurs, il a déclaré qu'il était selon lui inopportun pour le moment de changer la dénomination de l'organisme. Cependant, il recommandait qu'un changement de dénomination soit mise en application "... après quelques années d'étude supplémentaires, ou de travail commun et de coopération entre les deux groupes ...". Dans cette perspective, un organisme national dénommé "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" fournirait des services aux agences distinctes ou conjointes. La décision de savoir si une agence serait distincte ou locale [sic] serait toujours prise par la communauté locale. En conclusion, il faisait remarqué que cela "...serait préférable pour les jeunes de toutes les communautés que nous desservons". Tel que l'avait recommandé le président des Grands Frères du Canada, l'assemblée a rejeté la motion visant à changer la dénomination de l'organisme (Dossier des pièces, onglet 159).         
     54.      Après le rejet de la motion de changement de dénomination, les GFC ont dissous leur groupe de travail.         
     55.      Par lettre datée du 23 octobre 1989, le président du groupe de travail, qui était un représentant des Grands Frères du Canada, a écrit aux Grandes Soeurs de l'Ontario et aux Grandes Soeurs du Canada pour les informer de l'évolution des travaux du groupe de travail dont le mandat avait été "renouvelé pour une autre année afin de maintenir et améliorer le dialogue ... et promouvoir une meilleure compréhension des programmes des agences conjointes...". La première partie des travaux de la première année du groupe serait consacrée à l'examen des "réalisations et des frustrations" des agences conjointes et la seconde, à discuter des questions en jeu avec les organismes distincts des Grandes Soeurs ainsi qu'à réexaminer leurs programmes. (Dossier des pièces, onglet 161)         
     56.      Par lettres datées du 18 avril et 21 mars 1990, l'AGSO et les GSC ont demandé aux GFC de les informer du moment où le dialogue serait entamé. (Dossier des pièces, onglets 163 et 164)         
     57.      En avril 1990, les GSC et l'AGSO ont appris que le 30 juin 1990, une motion serait présentée à l'assemblée générale annuelle des GFC afin que la dénomination sociale des GFC soit changée en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada".         
     58.      Le 19 avril 1990, la présidente des Grandes Soeurs du Canada a écrit au ministère de la Consommation et des Affaires commerciales (le ministère) lui indiquant que, d'après ses informations, Les Grands Frères du Canada soumettraient une demande afin de changer leur dénomination sociale en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada". La présidente déclarait que les Grandes Soeurs du Canada s'opposeraient à un tel changement de dénomination. (Dossier des pièces, onglet 165)         
     59.      Les GSC, l'AGSO et les agences individuelles des Grandes Soeurs se sont opposées au changement de dénomination projeté des Grands Frères du Canada, par lettres adressées aux GFC et à divers organismes gouvernementaux, y compris une lettre des GSC, datée du 19 avril 1990 et destinée au ministère de la Consommation et Affaires commerciales, Direction générale des services intégrés par laquelle elles s'opposaient au changement de dénomination et à laquelle le ministère a répondu par lettre datée du 8 mai 1990, une lettre de l'agence des Grandes Soeurs du Northumberland, datée du 8 mai 1990 et destinée à Tony Allen, le président des GFC d'alors, par laquelle elles s'opposaient au changement de dénomination projeté, ainsi que des lettres de l'AGSO, datées du 27 juin 1990 et destinées au ministère de la Consommation et du Commerce, Division des services aux entreprises; des copies de celles-ci ont été envoyées au bureau du Procureur général, Division des sociétés de bienfaisance du Bureau du Curateur public ainsi qu'à Consommation et Affaires commerciales Canada, Section de l'examen corporatif (Dossier des pièces, onglets 165, 166 et 167).         
     60.      Par lettre datée du 27 juin 1990, les Grandes Soeurs de l'Ontario ont également enregistré auprès du ministère une opposition à l'égard du changement de dénomination des Grands Frères du Canada. (Dossier des pièces, onglet 168)         
     61.      Le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales a répondu par lettre datée du 9 juillet 1990. Le chef de la Section de l'examen corporatif du ministère a répondu que du point de vue de la procédure, une telle demande serait soumise à son attention, que le requérant serait mis au courant de l'opposition et s'il y avait protestation, Les Grandes Soeurs participeraient au processus avant qu'une décision ne soit rendue. (Dossier des pièces, onglet 171)         
     62.      Lors de l'assemblée générale annuelle des Grands Frères du Canada du 30 juin 1990, une motion visant le changement de leur dénomination sociale en celle de "Les Grands Frères et Soeurs du Canada", a été adoptée par un vote majoritaire de 75 %.         
     63.      Le 11 juillet 1990, une demande de réexamen de dénomination, soumise par les Grands Frères du Canada, a été rejetée par le ministère pour le motif que la dénomination projetée, "Les Grands Frères et Soeurs du Canada", créerait de la confusion avec 54 noms commerciaux ou marques de commerce, y compris celles des "Les Grandes Soeurs" et "Les Grandes Soeurs du Canada". Plusieurs des dénominations indiquées dans le rapport se rapportaient à des agences distinctes ou conjointes. (Dossier des pièces, onglets 173, 174 et 175)         

     64.      Le 14 novembre 1990, les conseillers juridiques des Grands Frères du Canada ont demandé au ministère de réexaminer sa décision selon laquelle la dénomination projetée n'était pas disponible. Les Grandes Soeurs du Canada et les Grandes Soeurs de l'Ontario ont fait d'autres représentations auprès du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales, soit par une lettre datée du 18 décembre 1990, demandant que la décision rendue le 11 juillet 1990 soit confirmée. (Dossier des pièces, onglet 179)         
     65.      Par lettre datée du 18 juin 1991, le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales a confirmé sa décision rendue le 11 juillet 1990, soit que la dénomination projetée par les GFC n'était pas disponible parce que "le changement de dénomination projeté créerait un risque de confusion avec les marques Les Grandes Soeurs du Canada et l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario". (Dossier des pièces, onglet 184)         
     66.      Les Grands Frères du Canada ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d'appel fédérale. (Dossier des pièces, onglet 182)         
     67.      Afin d'éviter un nouveau litige, des discussions ont eu lieu et une déclaration conjointe a été signée en mai 1992 par les représentants des Grandes Soeurs de l'Ontario, des Grandes Soeurs du Canada et des Grands Frères du Canada. Les trois organismes se sont mis d'accord sur cette déclaration conjointe recommandant à leur conseil d'administration respectif l'élaboration d'un protocole visant l'emploi mutuel à l'échelle nationale des dénominations "Les Grands Frères" et "Les Grandes Soeurs". (Dossier des pièces, onglets 186 et 187)         
     68.      Aucune décision ne fut prise.         
     69.      En octobre 1992, la demande de contrôle judiciaire présentée par Les Grands Frères du Canada a été rejetée au motif que la décision contestée du ministère était de nature administrative et non sujette à révision [voir Les Grands Frères du Canada c. Canada (Ministre de la Consommation et des Affaires commerciales), (1992) 145 N.R. 261, 36 A.C.W.S. (3d) 511].         
     70.      Le 9 février 1993, Les Grands Frères du Canada ont écrit aux Grandes Soeurs du Canada pour les informer que le comité exécutif des Grands Frères avait décidé de "poursuivre" l'emploi de leur marque officielle et que cette marque serait employée "d'une manière généralisée". Ils ont confirmé leur intention de présenter à nouveau leur demande de changement de dénomination. (Dossier des pièces, onglet 192)         
     71.      Les représentants des Grands Frères du Canada ont reconnu que l'emploi de leur marque officielle, "Les Grands Frères et Soeurs du Canada", risquait de susciter un litige mais ils ont néanmoins décidé d'aller de l'avant avec leur projet d'emploi.         
     72.      Par lettres envoyées en mars 1993, Les Grandes Soeurs du Canada et Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont enregistré leur opposition à la ligne de conduite projetée par les Grands Frères du Canada. Dans leur lettre, Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont indiqué que si Les Grands Frères faisaient défaut de cesser l'emploi de la marque de commerce "Les Grandes Soeurs", "une action serait immédiatement intentée" en conséquence, y compris une demande d'injonction. (Dossier des pièces, onglets 194 et 195)         
     73.      En mars 1993, dans le numéro de 1993 du Big News, leur bulletin d'information interne, Les Grands Frères du Canada ont informé leurs agences locales de leur décision d'utiliser la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada". (Dossier des pièces, onglet 193)         
     74.      Des discussions visant à résoudre le litige ont eu lieu en septembre 1993. Cette tentative de négociation s'est avérée infructueuse et Les Grandes Soeurs de l'Ontario et les Grandes Soeurs du Canada ont intenté une action le 7 janvier 1994. La demande d'injonction a été présentée en mars 1994.         

     À ce point, l'exposé conjoint des faits affiche un espace en blanc. Le paragraphe suivant apparaît sur une page séparée, mais au-dessus de la ligne de date et des signatures des avocats des parties.

     12.      Les GSC ont maintenu leur opposition à l'emploi par les GFC de leur marque en écrivant au ministère de la Consommation et des Affaires commerciales le 26 mai 1993 (Dossier des pièces, onglet 197)         

     Avant de poursuivre avec un aperçu sommaire des témoignages rendus lors de l'instruction, je désire faire quelques commentaires à l'égard de l'exposé conjoint des faits qui précède. Tout d'abord, il est évident que son élaboration est le fruit d'efforts considérables. Il est aussi évident que ces efforts se sont intensifiés, sinon déployés dans les quelques semaines précédant l'instruction, lorsqu'il est devenu très clair qu'il n'existait aucun moyen de régler le présent litige. L'exposé conjoint des faits est daté du jour où l'instruction a débuté.

     À la lumière de l'exposé conjoint des faits, il est manifeste que le litige en l'espèce remonte à une date relativement lointaine. Il est tout aussi manifeste que le litige a grugé passablement de temps, d'énergie et d'attention, souvent de la part de volontaires dont l'intérêt premier est de servir les jeunes garçons et jeunes filles, jeunes femmes et jeunes hommes dans le besoin. Me fondant sur l'exposé conjoint des faits ou sur les témoignages et le comportement des personnes qui ont comparu devant moi, je ne mets pas en doute les mobiles de ceux qui se sont retrouvés mêlés au litige ayant conduit à la présente instance, ou à l'instance elle-même. Je suis convaincu que ces personnes auraient été beaucoup plus heureuses et auraient éprouvé davantage de satisfaction en consacrant leurs efforts à leur intérêt principal et à la poursuite des objectifs fondamentaux de leur organisme respectif plutôt qu'au litige et à l'instance. Cela dit, comme il appert de l'exposé conjoint des faits et comme il n'a été que trop évident pour la Cour à la lumière des témoignages présentés devant moi, des deux côtés, les points de vue des personnes directement concernées par le litige et l'instance étaient et demeurent profondément tranchés et divergents.

     Pour les personnes provenant de l'est de l'Ontario, l'AGSO et les GSC n'ayant pas d'agences membres à l'est de l'Ontario aux époques concernées, il n'est que logique et raisonnable que les GFC déploient des efforts pour que leur dénomination sociale reflète le fait, qu'à travers le Canada, ils sont au service des jeunes filles et jeunes femmes, tout comme des jeunes garçons et jeunes hommes. Selon leur point de vue, agir autrement équivaudrait à perpétuer une erreur de désignation dans la dénomination sociale des GFC.

     Ce qui vraisemblablement résume le mieux la position prédominante chez plusieurs des personnes provenant de l'Ouest canadien, où la majorité des agences sont conjointes et dont la vaste majorité sont membres des GSC, est le témoignage de l'un des témoins convoqués pour le compte des GFC qui, pendant de nombreuses années, a été associé à une agence régionale d'Edmonton et des environs - à l'origine une agence distincte des Grandes Soeurs et qui est maintenant une agence conjointe, un membre des GFC et non de l'une ou l'autre des demanderesses - et qui a déclaré que le présent litige était l'aboutissement "d'un enjeu ontarien" et non pas "d'un enjeu albertain".

     Par contre en Ontario, où les demanderesses sont de loin les plus présentes, l'enjeu en cause serait, pour un grand nombre de personnes actives en leur sein ou qui y sont associées, en raison d'une tendance croissante vers les agences conjointes qui, à leur tour, semblent graviter autour de la défenderesse, lié à la propre survie des demanderesses et à leur propre engagement à l'endroit des agences distinctes fournissant des services aux jeunes filles et aux jeunes femmes.

PREUVE DE VIVE VOIX

     Les demanderesses ont fait entendre six témoins.

     Le premier témoin a été Mme Madeline Bergin, directrice générale de l'AGSO depuis janvier 1992. Mme Bergin a consacré un temps considérable à passer en revue la preuve documentaire qui, à son avis, appuie la proposition selon laquelle l'emploi par les GFC de la dénomination Les Grands Frères et Soeurs du Canada, leur marque officielle, a créé de la confusion, plus spécialement chez les donateurs potentiels qui, selon elle, ont eu l'impression qu'en faisant un don aux Grands Frères et Soeurs du Canada, ils contribuaient en réalité aux oeuvres de l'AGSO tout comme à celles des GSC. Elle a témoigné que même si les GFC employaient la marque Les Grands Frères et Soeurs du Canada accompagnée invariablement d'un astérisque et en indiquant qu'elle était une marque officielle des GFC, cela n'a été le cas qu'en liaison avec le premier emploi dans les documents et publications de la marque Les Grands Frères et Soeurs du Canada et non pas en liaison avec son dernier emploi. Elle s'est dit d'avis qu'en raison de l'emploi de cette marque officielle, plusieurs voyaient en l'AGSO une "filiale" des Grands Frères et Soeurs du Canada.

     Mme Barbara Keenan, le deuxième témoin des demanderesses, participe au mouvement des Grandes Soeurs depuis 1978. Elle est à l'origine de la mise sur pied de l'agence des Grandes Soeurs du comté du Northumberland et elle en est demeurée la directrice générale. Elle a collaboré activement à la constitution de l'AGSO et en a été la première présidente. Elle a également collaboré activement à la constitution des GSC dont elle a été l'un des administrateurs fondateurs. Le témoignage de Mme Keenan s'est concentré en grande partie sur l'histoire.

     Le troisième témoin des demanderesses a été Mme Karin Kuwahara, présidente des GSC depuis décembre 1994 et qui s'occupe activement de la publicité et des relations publiques pour les GSC depuis décembre 1990. Mme Kuwahara a reconnu que les GSC n'ont conclu aucune entente avec l'AGSO concernant l'usage de la marque officielle des Grandes Soeurs du Canada, et qu'elles n'exercent aucun contrôle sur cet usage. Mme Kuwahara a relaté des anecdotes sur des cas d'erreur ou de confusion1 découlant de l'emploi par les GFC de la marque Les Grands Frères et Soeurs du Canada. À cet égard, une partie importante de sa déposition constitue du ouï-dire. J'ai permis que la preuve soit déposée, tout en me réservant la possibilité d'en apprécier ultérieurement la valeur probante, selon les circonstances.

     En contre-interrogatoire, Mme Kuwahara a reconnu que les GSC ne comptaient que huit agences membres à l'extérieur de l'Ontario et qu'elles étaient toutes situées dans l'ouest de l'Ontario. Deux d'entre elles étaient des agences conjointes et également des membres des GFC.

     Le quatrième témoin des demanderesses, M. David Devan, est président de l'AGSO depuis la fin de 1992. En 1990, il est devenu membre du conseil d'administration afin de fournir son aide pour lever des fonds et recruter des volontaires. Son témoignage a porté largement sur la confusion qu'éprouvaient les autres personnes quant à la relation existant entre les Grands Frères et Soeurs du Canada et l'AGSO, et les difficultés qu'en conséquence il a rencontrées, pour le compte de l'AGSO, dans ses démarches de levée de fonds et de recrutement de volontaires.

     Mme Marilyn Cumming, cinquième témoin des demanderesses, était, au moment de l'instruction, directrice générale des Grandes Soeurs de AjaxPickering depuis plusieurs années. À nouveau, la preuve a porté largement sur un certain nombre de cas de confusion dont elle a eu connaissance.

     Le dernier témoin des demanderesses a été Mme Barbara Mustard, directrice générale des Grandes Soeurs de Toronto depuis la fondation de cette agence en mars 1990. Mme Mustard a témoigné d'une manière assez circonstanciée sur la relation existant entre son agence et trois autres agences interdépendantes de la région métropolitaine de Toronto qui ont employé ou emploient encore l'expression "Les Grandes Soeurs" et qui ne fournissent que des services d'assistance et services connexes. Mme Mustard a poursuivi sa déposition en relatant certains cas de confusion dont elle a eu connaissance découlant de l'emploi par les GFC de la marque Les Grands Frères et Soeurs du Canada.

     Avant de clore sa preuve, l'avocat des demanderesses a versé au dossier un certain nombre de questions et réponses tirées des transcriptions des interrogatoires de M. Allan Will, directeur principal des GFC d'avril 1992 jusqu'à la date de sa déposition en avril 1994, et de M. Frederick Maurice Rodgerson qui, au moment de la sienne, le 29 mai 1995, était président sortant et membre du conseil d'administration des GFC. Il est devenu membre de ce conseil en 1988.

     La défenderesse a fait entendre sept témoins. Le premier témoin a été le Dr John W. Senders dont l'affidavit comme témoin expert avait été déposé. Les compétences du Dr Senders sont imposantes. En effet, il a apparemment agi comme témoin expert durant de nombreuses années. Dans la décision Mr. Submarine v. Voultos2, le juge Osler de la Haute Cour de Justice de l'Ontario écrit, à la p. 273 :

     [TRADUCTION] Le professeur John Warren Senders, ingénieur industriel et psychologue très compétent, qui gère le Groupe des facteurs humains du Département de génie industriel de l'université de Toronto, est un expert dans le domaine de l'étude de la perception humaine, et spécialement à propos de ce que l'oeil humain distingue et ce qu'il confond. Il a été assigné comme témoin pour le compte des défenderesses, ... [il] a témoigné avec candeur et grande franchise.         

     Les avocats des demanderesses n'ont soulevé aucune objection quant aux compétences du Dr Senders en sa qualité de témoin expert. Dans son affidavit, le Dr Senders décrit l'opinion qu'on lui a demandée de fournir comme suit :

     [TRADUCTION]         
     8. On m'a demandé de donner mon opinion sur la question de savoir si l'emploi par Les Grands Frères du Canada (GFC) de leur marque officielle LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA (ci-après désignée LGFSC) "crée de la confusion ou pourrait vraisemblablement causer de la confusion entre les services des GFC et ceux des demanderesses" ou si LGFSC "est une marque composée des marques officielles", LES GRANDES SOEURS et LES GRANDES SOEURS DU CANADA (ci-après désignées "LGSC") "ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec ces marques officielles. Ces revendications de confusion apparaissent aux paragraphes 25 et 26 de la déclaration des demanderesses.
     9. On m'a également demandé de fournir mon opinion sur la revendication des demanderesses, telle qu'elle est énoncée aux paragraphes 5 et 7 de leur déclaration, selon laquelle la dénomination LES GRANDES SOEURS est "devenue dans l'esprit du public canadien associée au mouvement des GRANDES SOEURS" et que la dénomination LES GRANDES SOEURS est "devenue dans l'esprit du public canadien associée à l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario (ci-après désignée "l'AGSO")".         

     Les conclusions du Dr Senders sont énoncées dans son affidavit comme témoin expert en ces termes :

     [TRADUCTION]         
     35. Selon mon opinion, il est peu probable que la marque officielle LGFSC "puisse être confondue avec les marques officielles" des demanderesses.
     36. Selon mon opinion, il est peu probable que la marque officielle LGFSC "puisse créer de la confusion entre les services des GFC et ceux des demanderesses" (GSC et l'AGSO).         
     37. Selon mon opinion, la déclaration des demanderesses selon laquelle la "dénomination "Les Grandes Soeurs" est devenue dans l'esprit du public canadien associée au mouvement des Grandes Soeurs", peut être tout à fait exacte; et la déclaration selon laquelle "la dénomination Les Grandes Soeurs est devenue dans l'esprit du public canadien associée à l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario" est probablement incorrecte.         
     38. Selon mon opinion, la marque officielle LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA n'est pas à ce point semblable aux marques LES GRANDES SOEURS et LES GRANDES SOEURS DU CANADA que les personnes voyant la première croiront voir les marques des demanderesses, et penseront très probablement aux marques des demanderesses. Les données indiquent plutôt le contraire.         
     39. J'en conclus que la marque officielle LES GRANDES FRÈRES ET SOEURS DU CANADA est perçue comme un tout plutôt qu'un ensemble de mots isolés dont elle est composée. Elle n'évoque pas, d'une manière importante, l'idée de l'une ou l'autre des demanderesses, ni celle de la défenderesse.         

Tout comme le faisait remarquer le juge Osler dans la décision Mr. Submarine v. Voultos, le Dr Senders a, devant la Cour, "[TRADUCTION] ...témoigné avec candeur et grande franchise". J'en conclus qu'il convient d'accorder un poids important à son témoignage. Je reviendrai sur mon raisonnement à cet égard, dans la partie analytique des présents motifs.

     Le premier témoin non-expert de la défenderesse a été M. Richard Bassett, membre du conseil d'administration des GFC depuis cinq ans et président depuis juillet 1995. Le déposition de M. Bassett a largement porté sur le rôle des GFC, la nature de leurs agences membres et l'emploi de la marque officielle LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA qui a commencé à être généralisé en mars 1993. Au moment de l'instruction, les GFC comptaient 176 agences membres au Canada, dans chacune des provinces et le territoire du Yukon. Cent vingt-neuf de leurs agences membres étaient des agences conjointes. L'une d'elles était une agence distincte des Grandes Soeurs. Les deux tiers de leurs jumelages étaient des jumelages Grands Frères et Petits Frères et l'autre tiers, Grandes Soeurs et Petites Soeurs.

     Le troisième témoin de la défenderesse, Mme Deborah Woods, est une volontaire comptant huit années d'expérience auprès des Grands Frères et Grandes Soeurs de HaldimandNorfolk, dont elle est devenue récemment membre du conseil d'administration. À la lumière de son expérience, Mme Woods a fait état des avantages qu'offre une agence conjointe capable de servir les jeunes filles et jeunes garçons d'une même famille.

     Au moment de l'instruction, le quatrième témoin de la défenderesse, M. Bruce MacDonald, était depuis près de deux ans directeur du marketing de la défenderesse. M. MacDonald a témoigné au sujet des activités de levée de fonds des GFC et de recherche de commanditaires d'événements ou de programmes. Il a dit que les fonds étaient levés surtout par sollicitation postale avec un certain suivi personnel, alors que la sollicitation de commanditaires se faisait principalement par le biais de rencontres. Au cours de celles-ci, selon son témoignage, un commanditaire potentiel était toujours informé de l'existence des demanderesses, de leurs activités et de la relation ou de l'absence de relation entre les GFC et les demanderesses.

     Le cinquième témoin de la défenderesse a été M. Maurice Rodgerson, désigné dans les présents motifs comme étant Frederick Maurice Rodgerson, et dont une partie du témoignage rendu lors d'un interrogatoire préalable a été versée au dossier par l'avocat des demanderesses. M. Rodgerson réside à l'Île-du-Prince-Édouard. Depuis les années 1970, il participe à des activités de levée de fonds et de recrutement et occupe des postes de direction au sein d'une agence conjointe locale. Il a aussi servi au niveau de la région de l'Atlantique ainsi qu'au niveau national, ayant été président des GFC de 1991 à 1993. Selon son témoignage, c'est dans la région atlantique, où toutes les agences membres des GFC sont des agences conjointes, qu'est né le désir impérieux de changer la dénomination des GFC et d'employer de manière généralisée la marque officielle Les Grands Frères et Soeurs du Canada. Il a témoigné que la marque officielle reflète la situation existant dans cette région et qu'elle favorise le recrutement et la levée de fonds. M. Rodgerson a été membre du groupe de travail mis sur pied par les GFC afin d'oeuvrer sur une base conjointe à l'amélioration des rapports suscités par la question de l'emploi des dénominations et des marques officielles et ce, à partir de l'été 1988 jusqu'à mars 1989, moment où le groupe remettait son rapport. Il est fait renvoi à ce groupe de travail dans l'exposé conjoint des faits. Selon sa déposition, le rapport du groupe de travail reflète l'atmosphère de méfiance, d'incertitude, de confusion et chargée de soupçons qui existait alors entre les GFC et les demanderesses.

     Mme Ruth Kelly, le sixième témoin de la défenderesse, a été membre du conseil d'administration d'une agence distincte des Grandes Soeurs d'Edmonton de 1986 jusqu'à sa fusion avec son agence équivalente des Grands Frères. Il semble que l'initiative de la fusion appartienne à l'agence des Grandes Soeurs. Depuis 1990, Mme Kelly a siégé au conseil d'administration des Grands Frères et Grandes Soeurs du Canada d'Edmonton et de la région. Depuis juillet 1995, elle est membre du conseil d'administration des GFC et elle en est la vice-présidente depuis juillet 1996. Mme Kelly s'est présentée comme une fervente porte-parole des agences conjointes offrant, s'il y a lieu, une programmation commune à l'intention des Petits Frères et Petites Soeurs ainsi qu'une programmation distincte à l'égard des autres services fournis aux Petites Soeurs et Petits Frères. L'échange suivant a eu lieu entre l'avocat des GFC et Mme Kelly :

     [TRADUCTION] Q. Le litige dont il est question aujourd'hui devant le tribunal vous préoccupe-t-il?         
     R. Bien, à vrai dire, mis à part les enjeux principaux, ce litige serait sans intérêt pour nous, parce qu'il constitue un enjeu ontarien. Il ne s'agit pas d'un enjeu albertain. Il existe en Ontario un grand nombre d'agences distinctes. Je ne comprends pas pourquoi Les Grandes Soeurs de l'Ontario existent. Cependant, je crois qu'à l'extérieur de l'Ontario ce litige n'apporte rien qui vaille.3         

     Le dernier témoin de la défenderesse a été M. Michael Howorth. Au milieu des années 70, M. Howorth était un Grand Frère dans la ville de Sudbury, une région de l'Ontario. De 1978 à 1984, il vivait à Fredericton, au Nouveau-Brunswick; il a été directeur général fondateur à mi-temps de l'agence des Grands Frères de Fredericton qui, pendant qu'il était en fonction, s'est transformée en agence conjointe. De 1984 à 1991, M. Howorth a été vice-président principal des GFC et par la suite, directeur général. M. Howorth a témoigné qu'au cours de son service à Fredericton, il a préconisé que les GFC changent leur dénomination afin "de refléter la réalité", soit que les agences de la région de l'Atlantique étaient conjointes. Avant d'oeuvrer pour les GFC, il a participé aux discussions entourant le changement de dénomination des GFC ainsi qu'aux efforts déployés visant l'établissement d'un dialogue à ce sujet entre les GFC et les demanderesses. Il a témoigné que le logo employé par les GFC à partir de la fin des années 70 jusqu'à l'adoption de la marque officielle Les Grands Frères et Soeurs du Canada, était sexiste. Il a dit que le logo employé depuis l'adoption de la marque officielle était non sexiste et adapté pour refléter la réalité des services fournis par les GFC à travers le Canada.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     L'avocat des demanderesses a défini les questions en litige devant la Cour en ces termes :

             
     [TRADUCTION]         
     QUESTION NO 1         
     a) Sous le régime du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, quel critère doit-on appliquer pour déterminer si une marque "est composée" d'une marque officielle "ou la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec cette marque officielle?         
     b) En fonction des faits de l'espèce, la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" est-elle composée des marques officielles des demanderesses "Les Grandes Soeurs", "Les Grandes Soeurs du Canada" et l"'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario", ou s'agit-il d'une marque "dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec ces marques officielles?         

     QUESTION NO 2

     Si la Cour est d'avis que la marque de la défenderesse "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" est composée des marques officielles des demanderesses ou qu'il s'agit d'une marque dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ces marques officielles, y a-t-il un motif pour lequel la Cour devrait conclure que la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" n'est pas une marque interdite au sens du paragraphe 9(1) de la Loi sur les marques de commerce ?         
     QUESTION NO 3         
     Quels sont les mesures de redressement auxquelles les demanderesses ont droit?         
     QUESTION NO 4         
     L'emploi par la défenderesse de la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" contrevient-il à l'alinéa 7b ) de la Loi sur les marques de commerce?         

     Dans leur déclaration, les demanderesses allèguent que la défenderesse contrevient à l'alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce4 (la"Loi") de même qu'à l'alinéa 7b ) de la Loi. À l'ouverture du procès, la prétention à l'égard de l'alinéa 7c) a été abandonnée.

     À l'ouverture de son plaidoyer oral, l'avocat de la défenderesse a reconnu que la définition par les demanderesses des questions en litige était pertinente et exacte.

LE CADRE LÉGISLATIF

     Les dispositions pertinentes de la Loi en l'espèce sont les suivantes :

     2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

     ...         
     "créant de la confusion" Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s'entend au sens de l'article 6.         
     ...         
     "marque de commerce" Selon le cas :         
     a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;         
     b) marque de certification;         
     c) signe distinctif;         
     d) marque de commerce projetée.         
     ...         
     "nom commercial" Nom sous lequel une entreprise est exercée, qu'il s'agisse ou nom d'une personne morale, d'une société de personnes ou d'un particulier.         
     ...         
     6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.         
     (2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.         
     (3) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.         
     (4) L'emploi d'un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.         
     (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :         
     a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;         
     b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;         
     c) le genre de marchandises, services ou entreprises;         
     d) la nature du commerce;         
     e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.         
     7. Nul ne peut :         
     ...         
     b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;         
             
     ...         
     9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :         
     ...         
     n) tout insigne, écusson, marque ou emblème:         
     ...         
     (iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,         
     à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;         
     ...         
     2) Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher l'adoption, l'emploi ou l'enregistrement, comme marque de commerce ou autrement, quant à une entreprise, d'une marque :         
     a) visée au paragraphe (1), à la condition qu'ait été obtenu, selon le cas, le consentement de Sa Majesté ou de telle autre personne, société, autorité ou organisation que le présent article est censé avoir voulu protéger;         
     ...         
     11. Nul ne peut employer relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque adoptée contrairement à l'article 9 ou 10 de la présente loi ou contrairement à l'article 13 ou 14 de la Loi sur la concurrence déloyale, chapitre 274 des Statuts révisés du Canada de 1952.         
     ...         
     50. (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.         
     (2) Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques et de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.         

     ...         
     53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.         

De ce qui précède, il appert qu'une marque protégée en vertu de l'article 9 de la Loi et plus particulièrement une "marque officielle", telle que cette expression est employée à l'alinéa n ) du paragraphe (1) de cet article, peut être une marque de commerce au sens de l'alinéa a) de la définition de "marque de commerce", mais pas nécessairement. Elle n'est certainement pas spécifiquement incluse dans cette définition comme le sont les marques de certification, les signes distinctifs et les marques projetées. Vu les faits de la présente espèce, les marques officielles l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario et son dessin, Les Grandes Soeurs, Les Grandes Soeurs du Canada et Les Grands Frères et Soeurs du Canada apparaissent toutes comme des "noms commerciaux" et, pour certaines fins, des marques de commerce.

LES POSITIONS DES PARTIES

La position des demanderesses

     En ce qui a trait au premier volet de la première question du résumé des points en litige dont il est fait état précédemment dans les présents motifs " savoir le critère qu'il convient d'appliquer, sous le régime du sous-alinéa 9(1)n )(iii) de la Loi, pour déterminer si une marque est composée d'une marque officielle ou s'il s'agit d'une marque dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec cette marque officielle " la position de l'avocat des demanderesses est que premièrement, sous le régime de l'article 9 de la Loi, le critère applicable est celui de la comparaison directe. Deuxièmement, il a fait valoir que le critère de la comparaison directe suppose la question de la ressemblance; troisièmement, la ressemblance signifie "presque la même chose" ou "essentiellement similaire"; finalement, l'avocat des demanderesses a fait valoir que les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, dont il faut tenir compte pour déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, sont non pertinents aux fins de l'article 9.

     Dans la décision La Reine c. Kruger5, portant sur une procédure d'opposition sous l'article 9, le registraire des marques de commerce écrit, à la page 139 :

     [TRADUCTION] Il reste à déterminer si l'adoption par le requérant, comme marque de commerce, de la marque CANADASPORT & son dessin est une marque dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec la marque SPORT CANADA. [...] Une personne familière avec la marque de l'opposant mais qui s'en souvient imparfaitement, ne pourrait vraisemblablement pas la confondre avec la marque du requérant.         
     À certains égards, la protection qu'accorde le sous-alinéa 9(1)n)(iii) est plus large que celle que procurent les critères visant à établir la confusion et à d'autres égards, le critère de la ressemblance énoncé au sous-alinéa 9(1)n)(iii) est plus strict que le critère de la confusion que l'on retrouve à l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce. Si la marque qu'utilise une personne est une marque dont la ressemblance avec la marque interdite est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec cette marque interdite, l'emploi de cette marque peut être interdit même dans les cas où il n'y a aucune vraisemblance de confusion. Le critère sous le régime du sous-alinéa 9(1)n)(iii) se limite à la ressemblance entre la marque interdite et la marque adoptée. Pour déterminer s'il y a vraisemblance de confusion aux termes de l'article 6, il faut considérer toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) de Loi sur les marques de commerce, le degré de ressemblance entre les marques n'étant que l'une des nombreuses circonstances devant être prises en compte. [Non souligné dans l'original.]         

Dans la décision Assoc. olympique canadienne Assoc. c. Konica Canada Inc.6, le juge Denault écrit à la page 65 :

             
     En outre, il a été établi par le registraire dans l'affaire La Reine c. Kruger [...] que le critère de la ressemblance du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi est encore moins sévère que le critère de la confusion. La ressemblance de la marque officielle avec la marque adoptée est le seul facteur dont il faut tenir compte; d'autres considérations jugées pertinentes dans les affaires de marques de commerce, comme celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5), ne sont pas pertinentes en l'espèce.         

Dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Health Care Employees Union of Alberta7, le juge Rothstein écrit à la page 19 :

     La grande différence, à mon avis, réside dans les mots "Union of Alberta Health Care Employees" qui apparaissent sur la marque de l'intimée. Si on les examine de près et attentivement, ces mots distinguent cette marque de celles de l'appelante. Je ne pense cependant pas qu'un examen attentif de près soit le critère applicable. La question qui se pose est de savoir si une personne qui ne connaît qu'une des marques en cause et en garde un vague souvenir, pourrait, sous l'effet d'une première impression, se tromper ou se méprendre.         

Au soutien de sa formulation du critère, le Juge Rothstein cite l'arrêt Battle Pharmaceuticals v. British Drug Houses, Ltd.8

     Dans Canadian Olympic Assn. v. Schwauss9, D.J. Martin, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, critique la formulation du critère du juge Rothstein et écrit, à la page 109 :

     [TRADUCTION]         
     Finalement, sans fournir une explication claire, le juge Rothstein a eu recours au critère de "la première impression et du souvenir imparfait", appliqué à l'article 6, pour l'appliquer à 9 de la Loi.
     Je suis fortement en désaccord avec l'approche du juge Rothstein en ce qui concerne l'article 9 de la Loi. Le critère de la ressemblance de l'article 9 n'est pas le même que le critère de la confusion qu'énonce l'article 6 de la Loi. Le critère de l'article 6 est un critère de marché en vertu duquel diverses circonstances sont examinées comme le caractère distinctif inhérent des marques en cause, la mesure dans laquelle elles sont devenues connues ainsi que le genre de marchandises, services ou entreprises. Le critère de l'article 9 en est un de comparaison directe entre les marques en cause, indépendamment des considérations du marché. Comme l'a dit le juge Denault dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Konica Canada Inc. ..."La ressemblance de la marque officielle avec la marque adoptée est le seul facteur dont il faut tenir compte ...".         

Après que l'avocat des demanderesses eut cité notamment les sources qui précèdent, l'échange suivant a eu lieu entre lui et la Cour, tel qu'il appert à la page 726 de la transcription de l'espèce :

     [TRADUCTION] SA SEIGNEURIE : Avant que vous ne terminiez sur ce point, M. Brown, la Cour aimerait revenir à COA v. Schwauss , est-ce que vous soutenez que la critique de l'analyse du juge Rothstein qui y est faite est exacte ou erronée?         
     M. BROWN : Erronée.         
     SA SEIGNEURIE : La critique était erronée et la décision du juge Rothstein était compatible avec Kruger.         
     M. BROWN : Oui. Parce que, à titre d'exemple, selon la critique, en ce qui a trait au critère, le juge Rothstein a fait appel à celui de la première impression et du souvenir imparfait. Bien, d'accord. Les mots "première impression" ne semblent pas avoir été utilisés dans d'autres espèces, mais le souvenir imparfait constitue précisément le critère tel qui a été articulé dans Kruger . Je crois que la querelle porte davantage sur la forme que sur le fond, si je peux m'exprimer ainsi, en ce qui a trait au critère.         

L'avocat des demanderesses s'est penché ensuite sur le second volet de la première question en litige, soit de savoir si en fonction des faits de l'espèce, la marque de la défenderesse LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA est composée des trois marques officielles de l'AGSO, soit LES GRANDES SOEURS, l'ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO et LES GRANDES SOEURS DU CANADA, ou s'il s'agit d'une marque dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ces marques officielles. L'avocat a soutenu qu'en se fondant sur quatre facteurs, la question qui précède devait recevoir une réponse affirmative. Ces facteurs sont la "comparaison directe" entre les marques; le rejet par Consommation et Affaires commerciales Canada de la demande de changement de nom projeté de la défenderesse en celle de Les Grands Frères et Soeurs du Canada; la preuve par sondage du Dr Senders; et finalement la preuve, grâce au témoignage des témoins des demanderesses et, dans une certaine mesure, des témoins de la défenderesse, de cas réels d'erreur ou de confusion.

     L'avocat des demanderesses a reconnu que la marque de la défenderesse n'est pas la même que celle de l'AGSO. Il a néanmoins insisté sur l'existence d'éléments importants de similitude. Chacune des marques constitue une simple dénomination. Seule l'une des marques inclut des éléments graphiques. Toutes les marques contiennent un mot commun : "Soeurs". Deux de ces marques contiennent un élément descriptif commun indiquant un emplacement géographique, à savoir "du Canada". En se fondant sur ces facteurs, l'avocat des demanderesses a invité la Cour à conclure qu'il existe une similitude importante entre la marque des GFC et la "famille" des marques de l'AGSO.

     Les GFC ont demandé que leur dénomination soit changée en celle de Les Grands Frères et Soeurs du Canada. En juillet 1990, par lettre de décision, Consommation et Affaires commerciales Canada a rejeté la demande au motif que la dénomination projetée créait de la confusion avec les noms commerciaux et les marques de commerce mis en évidence par le rapport de recherche de noms. Ces marques incluaient la famille des marques de l'AGSO. Les GFC ont demandé un réexamen de la décision rejetant leur demande. La décision découlant du réexamen a confirmé la première. Une demande de contrôle judiciaire visant cette dernière décision a été présentée devant la Cour d'appel fédérale. Par décision datée du 8 octobre 1992, cette Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire pour des motifs de procédure10.

L'avocat des demanderesses a fait valoir qu'à son humble avis :

     [TRADUCTION]...il serait, dans une certaine mesure, incompatible avec l'ordre public que la défenderesse " après le rejet d'une demande de changement de dénomination par un organisme fédéral, encore que pour des motifs de compétence, et le rejet d'une demande de contrôle judiciaire par une cour - puisse être en mesure d'en éviter les conséquences, en tirant son épingle du jeu par le biais d'une marque officielle qu'il sait - parce que les autres organismes le lui ont dit - créer de la confusion avec Les Grandes Soeurs du Canada et l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario ou susceptible d'être confondue avec elles11.         

L'avocat des demanderesses a invité la Cour à traiter avec précaution la preuve par sondage du Dr Senders au motif que sa méthodologie n'a pas fait appel à une comparaison directe entre la marque des GFC et celles de l'AGSO, et en raison d'autres faiblesses méthodologiques et d'ordre procédural dans la conduite du sondage. L'avocat a soutenu

     [TRADUCTION]...que s'il y a quelque chose à tirer de la preuve par sondage du Dr Senders, c'est que lorsque la marque [LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADABIG BROTHERS AND SISTERS OF CANADA] a été présentée aux personnes interrogées, elles risquaient tout autant d'évoquer la marque "Les Grandes Soeurs du Canada" que celle de "Les Grands Frères du Canada", et qu'elles ont évoqué un plus grand nombre de fois la dénomination l'"Association des Grandes Soeurs de l'Ontario" qu'elles ont évoqué celle de Les Grands Frères du Canada12.         

L'avocat des demanderesses a alors fait la revue d'un certain nombre de cas d'erreur ou de confusion que les témoignages ont, a-t-il soutenu, permis de révéler. L'avocat a résumé son argumentation à cet égard en faisant valoir que la Cour se devait, vu l'ensemble de la preuve, d'arriver à la conclusion que :

     [TRADUCTION] ...il ressort de la preuve qu'il y a eu des cas où une personne a confondu une marque avec une autre ... Trois des quatre marques en cause en l'espèce sont de simples dénominations et il est important de s'en rappeler en évaluant la preuve, car lorsqu'une marque est une simple dénomination, alors tout emploi de cette marque, oralement ou par écrit, va augmenter la vraisemblance de confusion13.         

Puis, l'avocat des demanderesses s'est penché sur la question de savoir si, en supposant que la ressemblance de la marque des GFC avec les marques de l'AGSO est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ces marques, il existe une raison pour laquelle la Cour ne devrait pas conclure que la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" est une marque interdite. L'avocat a soutenu que la Cour n'avait aucune raison de conclure de la sorte. Il a fait valoir que les marques de l'AGSO sont opposables aux GFC et, en particulier, que les GFC sont empêchés de soutenir l'inopposabilité des marques de l'AGSO, parce que cette question n'a pas été soulevée dans la défense telle qu'elle était rédigée au moment de l'instruction. Il a affirmé que les demanderesses sont des "autorités publiques", au sens du sous-alinéa 9(1)n )(iii) de la Loi et que par conséquent, elles sont en droit de s'appuyer sur leur famille de marques à l'encontre des GFC. Dans la décision Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne14, apparaît aux pages 64 et 65, le passage suivant :

     L'avocat de l'appelant a fait valoir que, bien que l'expression "autorité publique" ne soit pas définie dans la Loi, la jurisprudence indique que, dans d'autres contextes, on a établi un examen en trois points pour décider si un organisme peut être considéré comme une autorité publique :         
     a) il doit avoir une obligation envers le public en général;         
     b) il doit, dans une mesure importante, être soumis au contrôle public; et         
     c) les bénéfices ne doivent pas servir un intérêt privé mais doivent profiter à l'ensemble du public.         

Bien que la Cour d'appel ne semble pas avoir spécifiquement endossé le critère tripartite, il ressort qu'elle l'a néanmoins adopté.

     L'avocat des demanderesses a soutenu que la mention que les trois marques de l'AGSO se rapportaient à "des services fournis en Ontario" ne doit pas affecter l'opposabilité des marques au défenderesse, à tout le moins en Ontario. Il a par ailleurs affirmé que le fait que les GFC ont pu obtenir la publication de leur marque de commerce postérieurement à celle des trois marques des demanderesses ne peut jouer contre leur opposabilité. Il a soutenu que l'absence de contrôle de la part de l'AGSO sur les GSC, l'emploi de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA, et l'absence de toute entente formelle entre l'AGSO et les GSC concernant l'emploi de la marque, ne peut jouer contre les demanderesses, puisque le paragraphe 9(2) de la Loi prévoit un emploi "de consentement" et non un consentement plus formel comme c'est le cas à l'égard de l'emploi des marques de commerce visées par l'article 50 de la Loi. L'avocat de la défenderesse a déclaré être entièrement d'accord avec ce moyen de l'avocat des demanderesses.

     Finalement, sur cette question, l'avocat des demanderesses a soutenu que toute prétention de la défenderesse voulant que les demanderesses ne puissent invoquer leurs marques de commerce en raison du motif illégitime ou inopportun ayant présidé à l'obtention de leur publication, devait être simplement écartée. Il a fait valoir que le contexte global des rapports entre les demanderesses et la défenderesse, dès le début des années 80, n'a démontré aucun motif illégitime ou inopportun de la part des demanderesses.

     Après avoir renvoyé à l'article 53.2 de la Loi et aux sources connexes selon lesquelles cette Cour a le pouvoir d'accorder les mesures de redressement recherchées par les demanderesses, et m'avoir invité à les accorder vu les circonstances de l'espèce, l'avocat des demanderesses a abordé la question de savoir si l'emploi par les GFC de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA contrevient à l'alinéa 7b) de la Loi.

     L'avocat des demanderesses a renvoyé la Cour à l'arrêt Asbjorn Horgard AS c. GibbsNortac Industries Ltd. et al15, où le juge Macguigan, rédigeant les motifs de la Cour d'appel, dit ceci à la page 330 :

     L'alinéa 7b) comporte trois éléments. Il prévoit que nul ne doit (1) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise (2) de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, (3) lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre.         

     En fonction des éléments ci-dessus, l'avocat des demanderesses a soutenu que la preuve révèle que: (1) les GFC ont appelé l'attention du public sur leurs marchandises et services; (2) de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada; (3) lorsqu'ils ont commencé à y appeler ainsi l'attention, entre leurs marchandises et leurs services et ceux des demanderesses. De plus, l'avocat a fait valoir qu'il importe peu que la marque officielle des GFC soit ou non une marque officielle. L'alinéa 7b), a-t-il dit, s'étend à des activités comme celles des GFC, peu importe que l'attention du public soit appelée par le biais de l'emploi d'une marque de commerce.

LA POSITION DE LA DÉFENDERESSE

     Tel qu'il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, l'avocat du défendeur a adopté la formulation des questions en litige de l'avocat des demanderesses. Il a présenté son argumentation sur ces questions.

     En ce qui a trait au premier volet de la première question, soit le critère applicable sous le régime du sous-alinéa 9(1)n)(iii) aux fins de déterminer si une marque "est composée" d'une marque officielle ou s'il s'agit d'une marque "dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec cette marque officielle, l'avocat a soutenu :

     [TRADUCTION] Le critère est à mon avis le suivant : Est-ce qu'une personne raisonnable, ayant un souvenir imparfait de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA, en voyant la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA, immédiatement, en fonction de cette première impression, penserait que cette marque est la même que celle de LES GRANDES SOEURS DU CANADA16?         

À l'appui de cette formulation du critère, il a renvoyé à La Reine c. Kruger17 et Canadian Olympic Assn. c. Health Care Employees Union of Alberta18, deux décisions également mentionnées par l'avocat des demanderesses et citées précédemment.

     L'avocat de la défenderesse a soutenu que la seule disposition de l'article 6 de la Loi pertinente aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii) est l'alinéa 6(5)e) qui dispose que l'une des circonstances devant être prise en considération pour déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion est "...le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent". Il a soutenu que

     [TRADUCTION] "...la véritable différence entre les moyens [de l'avocat des demanderesses] et ceux que je soumets présentement à la Cour est cette question de la première impression, la question de la première impression par opposition au fait de les regarder côte à côte19.         

     L'avocat de la défenderesse a renvoyé la Cour à la décision Sum-Spec Canada Ltd. c. Imasco Retail Inc.20, où le juge Denault écrit à la page 13 :

     Il ressort également de la jurisprudence que "le premier mot ou la première syllabe d'une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif" (Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, à la page 188 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, les premiers mots et les premières syllabes des marques concurrentes ne sont pas du tout les mêmes, au point que les marques diffèrent visuellement et phonétiquement.         

L'avocat a fait valoir qu'il s'agit là d'un élément pertinent du critère, et que "le premier mot ou la première syllabe" important de la marque de la défenderesse est le mot "FRÈRES" qui distingue visuellement et phonétiquement cette marque de la défenderesse de la famille des marques de l'AGSO.

     Selon l'avocat, la preuve démontre que la plus grande partie de l'emploi par la défenderesse de sa marque officielle se fait en association avec un logo imaginatif d'un adulte et d'un enfant accompagné d'un astérisque renvoyant aux mots indiquant que la marque et le logo constituent "la marque officielle des Grands Frères du Canada".

     En ce qui concerne le second volet de la première question en litige, telle que définie par les demanderesses, savoir si en fonction des faits de l'espèce, la ressemblance de la marque de la défenderesse avec la famille des marques de l'AGSO ou l'une d'elles est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec elles, l'avocat de la défenderesse a fait valoir qu'il serait inopportun d'invoquer la décision des autorités du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales rejetant la demande de changement de dénomination de la défenderesse; en effet, soutient-il, cette décision était fondée sur un critère équivalent à celui qu'énonce l'article 6 de la Loi plutôt que sur celui de la "ressemblance"; de plus, elle contredisait une autre décision rendue plus tôt par le même ministère constituant en corporation les Grandes Soeurs du Canada, au vu de la marque officielle de la défenderesse, Les Grands Frères et Soeurs du Canada, qui avait déjà été publiée.

     En ce qui a trait à l'argument voulant que le rejet de la demande de changement de dénomination de la défenderesse par Consommation et Affaires commerciales Canada a trouvé appui sur un critère équivalent à celui de l'article 6 de la Loi plutôt que sur celui de la "ressemblance" ou celui de "la composition d'une marque ou de sa ressemblance probable", l'avocat a mentionné à la Cour les articles 13 et 20 du Règlement sur les corporations canadiennes21.

     L'avocat de la défenderesses s'est ensuite penché sur la question de la probité de la preuve par sondage du Dr Senders et du témoignage s'y rapportant et l'a comparée avec la preuve fournie pour le compte des demanderesses, qu'il décrit comme étant du "ouï-dire et du double ouï-dire", portant sur de prétendus cas réels de méprise ou de confusion de la part de tierces parties en raison d'une prétendue similitude entre la marque officielle de la défenderesse et la famille des marques officielles de l'AGSO. Il a renvoyé la Cour à la décision Sun Life Assurance Co. of Canada c. Sunlife Juice Ltd.22, où la juge MacFarland écrit aux pages 248 et 249 :

     [TRADUCTION] J'accepte la preuve par sondage soumise pour le compte de la demanderesse comme ayant été conduite d'une manière scientifique et impartiale. Sur la question de la recevabilité de tels sondages, je renvoie à la décision du juge Dubé dans la récente affaire Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd.Lunettes Cartier Ltée ...(1988), 20 C.P.R. (3d) 68, à la p. 78] où il dit :

         La jurisprudence a clairement statué que dans le cadre de recours en matière de propriété intellectuelle et industrielle, de tels sondages étaient recevables en preuve afin de démontrer la confusion.                 

     et il cite sept décisions à l'appui.         
     Sans cette preuve, comment pourrais-je déterminer s'il y a vraisemblance de confusion au sens de la loi comme je la comprends - ce que je crois personnellement étant sans importance.         
     ...         
     J'estime qu'essayer de rendre une telle décision sans égard à la preuve de ce que les autres peuvent penser ou ont dit, ne serait rien de plus qu'un exercice de pure fantaisie judiciaire et sans grande utilité. Je suis convaincue que le sondage qui m'a été présenté est très satisfaisant, ayant été conduit par des personnes très compétentes dans le domaine.         
     Les questions de fait doivent être déterminées en fonction de la preuve, et la seule soumise à la Cour est un sondage mené de façon professionnelle par des experts dans leur domaine, lequel s'est avéré plus utile que si on avait, d'une manière archaïque, fait parader un nombre de témoins choisis au hasard pour remplir précisément la même fonction que le sondeur. Le sondage est de loin plus efficient et avantageux pour la Cour. J'estime qu'il constitue une preuve fort pertinente.         

     L'avocat de la défenderesse a renvoyé à la décision Choice Hotels International Inc. c. Hotels Confortel Inc.23, où le juge Rouleau de cette Cour écrit à la page 348 :

     En l'espèce, ce sondage indique que la majorité des consommateurs moyens des services des parties en présence qui se souvient imparfaitement de la marque COMFORT INN et qui voit la marque CONFORTEL par la suite risque de penser que cette dernière est détenue par la même compagnie que la première.         
     Il est évident que le rapport de Madame Ruth M. Corbin ne lie pas cette Cour en ce qu'elle demeure maître de l'appréciation des faits. Toutefois, ce sondage est un outil que cette Cour ne saurait écarté puisqu'il apporte une preuve additionnelle à l'effet qu'il existe un risque raisonnable de confusion entre la marque de commerce COMFORT INN de l'appelante et la marque de commerce CONFORTEL de l'intimée, preuve que l'intimée a été incapable de contredire ou même de mettre en doute.         

     L'avocat de la défenderesse a reconnu que les données provenant de Vancouver, l'une des cinq villes du Canada où le Dr Senders a conduit son sondage, étaient incomplètes. Il a cependant souligné que même abstraction faite de ces données, lorsqu'on a montré aux personnes interviewées, soit 170 personnes à Halifax, Montréal, Toronto et Calgary, la carte portant les mots "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" ou "Big Brothers and Sisters of Canada", seulement deux d'entre elles ont répondu quelque chose ressemblant à "Soeurs", ou "Grandes Soeurs", ou "Grandes Soeurs du Canada" ou "Association des Grandes Soeurs de l'Ontario". De cela, l'avocat de la défenderesse a invité la Cour à déduire que seulement deux des 170 personnes environ, convenablement interviewées, ont identifié la marque officielle de la défenderesse comme une marque "...dont la ressemblance" avec l'une des marques de la famille des marques de l'AGSO "est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre..." avec l'une d'elles.

     Puis l'avocat de la défenderesse s'est penché sur la deuxième question, celle de l'opposabilité des marques à la défenderesse, dans l'hypothèse où la Cour conclurait que la ressemblance de la marque de la défenderesse avec l'une ou l'autre des marques de l'AGSO est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec l'une d'elles ou l'ensemble de ces marques. L'avocat a fait valoir que les marques de l'AGSO n'étaient pas opposables à la défenderesse parce que : premièrement, la marque officielle LES GRANDES SOEURS DU CANADA n'a pas été employée avant qu'un avis public de son adoption et de son emploi ne soit publié; et deuxièmement, l'AGSO a été guidée par des motifs illégitimes en adoptant sa marque officielle LES GRANDES SOEURS DU CANADA et en obtenant un avis officiel de son adoption.

     L'avocat a fait valoir qu'en raison de l'avis contenu dans ses remarques préliminaires, la défenderesse n'était pas empêchée, après avoir abandonné sa demande reconventionnelle, d'alléguer l'inopposabilité des marques des demanderesses.

     Sur cette question, l'avocat de la défenderesse a reconnu qu'il n'est pas tout à fait certain que l'une ou l'autre des parties en cause soit une "autorité publique", mais il a réitéré que cette question n'était pas en litige entre les parties. Il a également indiqué qu'il ne discuterait pas de la question de savoir si l'une ou l'autre des parties ou les deux avaient employé leurs marques en liaison avec une entreprise, ou si la limite d'emploi à l'égard des trois marques de l'AGSO pour "des services fournis en Ontario" portait à conséquence. Finalement, l'avocat de la défenderesse a reconnu que cette dernière n'invoquait pas la notion de "licenciation non autorisée" aux fins du moyen relatif à l'article 9. Il a reconnu qu'aux fins de cet article, la question pertinente était celle du consentement plutôt que celle de la licenciation.

     Sur la question de l'adoption et de l'emploi d'une marque avant sa publication, l'avocat de la défenderesse a renvoyé la Cour à la décision Canadian Olympic Association c. Donkirk International Inc.24, où le juge Teitelbaum écrit à la page 307:

     Sur la base des prétentions exprimées, les avocats de la demanderesse et de la défenderesse conviennent que pour bénéficier de la protection de l'article 9, la marque devait être adoptée et employée au Canada, avant que le registraire n'ait notifié au public son adoption et son emploi.         

     Dans cette affaire, le juge Teitelbaum avait à se prononcer sur une demande d'injonction interlocutoire. Sur la question de l'adoption et de l'emploi, le juge Teitelbaum conclut à la page 309 :

     Je suis convaincu, aux fins de l'espèce seulement, que je peux et je le fais effectivement, déclarer que les deux marques ont été adoptées et employés avant la publication de l'avis public prévu au sous-alinéa 9(1)n)iii) de la Loi sur les marques de commerce.

     L'avocat de la défenderesse a indiqué que la date de publication de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA était le 2 avril 1986. Il a allégué, qu'avant cette date, qu'il n'y avait aucune preuve d'emploi de cette marque en liaison avec des marchandises ou des services.

     Sur la question des motifs illégitimes, l'avocat de la défenderesse a fait valoir que la preuve démontrait clairement que la demanderesse, l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario, avait demandé au registraire des marques de commerce de donner avis de l'adoption et de l'emploi de la marque officielle LES GRANDES SOEURS DU CANADA "...pour contrecarrer, pour devancer ..." les initiatives de la défenderesse dont l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario avait eu parfaitement connaissance. Au soutien de ce moyen, l'avocat a cité une lettre datée du 18 juin 1986 du président de l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario d'alors, adressée au président des Grands Frères du Canada dans laquelle il est écrit :

     [TRADUCTION] En réponse au changement de dénomination sociale projeté des Grands Frères du Canada , le conseil d'administration provincial [de l'Association des Grandes Soeurs de l'Ontario] a pris les initiatives suivantes :         
         ...         
             
     3) il a exprimé notre inquiétude auprès du Bureau des marques de commerce du gouvernement fédéral advenant une demande prochaine de la part des Grands Frères du Canada. (ministère de la Consommation et des Affaires commerciales, 16 avril 1986)         
     4) il a fait l'acquisition des marques "Les Grandes Soeurs du Canada" et "Les Grandes Soeurs". (24 avril 1986)         

         ...

     Nous avons choisi de prendre ces mesures puisqu'il est dans notre intérêt de confirmer notre identité comme Grandes Soeurs avant que ne débutent notre première levée de fonds à l'échelle provinciale et notre campagne de relations publiques. Cette mesure fait suite à notre engagement de continuer à fournir des services de grande qualité à l'intention des jeunes filles et des jeunes femmes de nos communautés25. [Non souligné dans l'original.]         

     L'avocat de la défenderesse a renvoyé la Cour à la décision Insurance Corporation of British Columbia c. Le registraire des marques de commerce26, où le juge Cattanach, à la page 5, examine l'article 9 de la Loi en commençant par le paragraphe suivant :

     Je n'oublie pas que l'intention du législateur se déduit avant tout de l'objet spécifique de la loi ou, parfois, d'un article de la loi qu'il faut interpréter. Il convient bien entendu, dans la recherche de cette intention, de se fonder sur les termes employés, mais pour bien comprendre ceux-ci, il faut connaître le sujet dont il est question et l'objet visé.         

Aux pages 13 et 14, il conclut en ces termes :

     Manifestement, l'article 9(1)n)(iii) prévoit que lorsqu'une autorité publique a adopté une marque officielle, elle peut seule l'employer. En chargeant le registraire d'aviser le public de l'adoption et de l'emploi de cette marque officielle, il a pour objet de prévenir toute violation à cet égard. À mon sens, et pour les raisons que j'ai déjà exposées, il ne confère au registraire aucun pouvoir de contrôle.         
     Je suis pleinement conscient des conséquences qui en découlent. Une autorité publique se lance dans l'entreprise de fournir au public des marchandises et des services et pour ce faire, adopte une marque officielle. Après quoi, tout le monde se voit interdire l'emploi de cette marque. Ce qui revient à dire que, de sa propre initiative, elle s'approprie ladite marque sans aucune restriction ou contrôle que sa propre conscience et la volonté que le corps électoral exprimera éventuellement par les moyens dont il dispose. [Non souligné dans l'original]         

     En l'espèce, l'avocat de la défenderesse a fait valoir que Les Grandes Soeurs de l'Ontario ont agi immoralement, au préjudice de la défenderesse, et en cherchant consciemment à lui faire du tort. Il a fait valoir que cela équivalait à un abus de la Loi que la Cour ne doit pas approuver.

     Sur la question des mesures de redressement, sans reconnaître que les demanderesses ont droit à quelque mesure, l'avocat de la défenderesse a reconnu que le pouvoir de la Cour en vertu de l'article 53.2 de la Loi est suffisamment large pour englober les mesures recherchées. Il a souligné que le pouvoir de la Cour en matière de mesures de redressement est discrétionnaire et fait remarquer qu'en état de cause, une injonction ne devait pas être accordée pour interdire l'emploi de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA, étant donné les répercussions d'une telle mesure sur les oeuvres concrètes de la défenderesse et des agences membres à travers le Canada; subsidiairement, si une injonction était accordée, elle ne devait pas s'étendre à l'emploi de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA en liaison avec le logo de la défenderesse représentant un adulte et un enfant et l'emploi d'un astérisque indiquant que cette marque est la marque officielle des Grands Frères du Canada.

     Puis l'avocat de la défenderesse s'est penché sur la dernière question, celle de savoir si les initiatives de la défenderesse contreviennent ou non à l'alinéa 7b) de la Loi. Il a décrit l'alinéa 7b) comme étant "... le prolongement législatif de l'action en imitation frauduleuse de la common law". Il a renvoyé la Cour à l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.27, où le juge Gonthier écrit à la page 297 :

     Les trois éléments nécessaires à une action en passing off sont donc: l'existence d'un achalandage, la déception du public due à une représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur.         

     En ce qui a trait à "la déception du public due à une représentation trompeuse" ou, pour emprunter les termes de l'alinéa 7b ) de la Loi, à la "confusion", l'avocat de la défenderesse a renvoyé la Cour à l'article 6 et aux facteurs qui y sont énumérés et qui doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit, aux fins de la Loi, de déterminer si une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un nom commercial. Il a fait valoir qu'aucun élément de preuve n'indiquait que des personnes avaient été amenées à croire que les services fournis par les demanderesses et la défenderesse étaient le fait d'une même personne.

     L'avocat de la défenderesse a fait valoir que la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA ne possède pas de caractère distinctif inhérent, sinon uniquement en raison du mot "Soeurs"; de cela, la Cour doit conclure que la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA est également distinctive à cause de l'emploi du mot "Frères". Il a souligné qu'en termes d'emploi de marque, la marque employée par les Grandes Soeurs du Canada, est, depuis 1993, composée des mots LES GRANDES SOEURS DU CANADA accompagnés d'un logo en forme de coeur stylisé, tandis que la marque employée par LES GRANDS FRÈRES DU CANADA est composée des mots LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA accompagnés d'un logo représentant un adulte et un enfant. S'agissant du critère du marché applicable sous le régime de l'alinéa 7b ), il a soutenu que l'emploi actuel de la marque de commerce ne pouvait aucunement causer de la confusion.

     En ce qui concerne la période de temps au cours de laquelle les marques ont été employées au sens de l'"emploi" d'une marque de commerce, l'avocat de la défenderesse a prétendu que la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA a été employée pour la première fois au cours de l'été 1990, alors que LES GRANDES SOEURS DU CANADA, qui n'ont été constituées en corporation qu'en 1989, n'ont commencé l'emploi de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA que plusieurs mois après. Il a soutenu que, d'après la preuve, l'emploi de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA, au moins jusqu'aux premiers mois de 1993, a été plus étendu que ne l'a été celui de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA. En conséquence, aux fins de l'alinéa 7 b ) de la Loi, l'avocat en a conclu que les droits de la défenderesse priment ceux des demanderesses.

     En ce qui concerne l'existence d'un achalandage ou, selon l'expression utilisée dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, de "good will", l'avocat de la défenderesse a indiqué que la demanderesse l'AGSO n'a jamais utilisé la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA et, conséquemment, elle ne peut revendiquer une réputation ou un achalandage associé à la marque. Par ailleurs, puisque LES GRANDES SOEURS DU CANADA n'étaient titulaires d'aucune licence pouvant, en théorie, satisfaire aux exigences de l'article 50 de la Loi " ou du régime précédent d'usager autorisé ", elles ne peuvent revendiquer aucun droit et, par voie de conséquence, aucune réputation ou aucun achalandage associé à la marque28.

ANALYSE

     J'estime utile de reproduire à nouveau les dispositions pertinentes de l'article 9 de la Loi :

     9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :         
     ...         
     n) tout insigne, écusson, marque ou emblème:         
             
     ...         
     (iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,         
     à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;         
     ...         
     2) Le présent article n'a pour effet d'empêcher l'adoption, l'emploi ou l'enregistrement, comme marque de commerce ou autrement, quant à une entreprise, d'une marque :         
     a) visée au paragraphe (1), à la condition qu'ait été obtenu, selon le cas, le consentement de Sa Majesté ou de telle autre personne, société, autorité ou organisation que le présent article est censé avoir voulu protéger;         
     ...                      

     En l'espèce, deux questions soumises à la Cour ne sont pas contestées par les parties et, en conséquence, il n'appartient pas à la Cour de rendre une décision à leur égard. Néanmoins, j'aimerais les commenter car je les considère comme des questions d'une certaine importance dont l'issue n'aurait pas été claire vu la preuve et les moyens soumis.

     La première est de savoir si, aux fins de l'article 9 de la Loi, les parties au présent litige sont des "autorités publiques". Dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne29, s'exprimant au nom d'un collège de trois juges de la Cour d'appel fédérale, le juge Urie adopte implicitement le moyen selon lequel, pour être considéré comme une autorité publique, un organisme doit avoir une obligation envers le public en général, être soumis au contrôle public dans une mesure importante, et ses bénéfices doivent obligatoirement profiter à l'ensemble du public et non pas servir un intérêt privé. Vu les faits soumis à la Cour, les parties au présent litige sont clairement vouées au bien public, mais je ne suis pas certain qu'elles aient une "obligation" envers le public en général. La preuve ne révèle pas non plus qu'elles étaient, dans une mesure importante, soumises au contrôle public. S'agissant de sociétés à but non lucratif, je suis convaincu qu'elles satisfont au troisième élément du critère.

     Dans Ontario Federation of Anglers and Hunters c. F.W. Woolworth Co.30, une décision de la Commission d'opposition des marques de commerce, apparaît aux pages 274 et 275 le passage suivant :

     [TRADUCTION]

     Le requérant a prétendu que le premier moyen ne pouvait être pris en considération parce que l'opposant ne se qualifiait pas comme autorité publique, selon la définition qu'en a donnée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne [...] Je ne suis pas d'accord. Le registraire avait probablement déjà déterminé que l'opposant était une autorité publique lorsqu'il a donné avis de l'adoption et de l'emploi de la marque officielle de l'opposant. Tout comme il n'est pas nécessaire que l'opposant fournisse une preuve de l'adoption et de l'emploi de sa marque officielle, il n'a pas à faire à nouveau la preuve de son statut d'autorité publique. À mon sens, l'avis donné par le registraire équivaut à l'enregistrement d'une marque de commerce dans la mesure où sa validité ne peut être contestée dans le cadre d'une procédure d'opposition. [Non souligné dans l'original, renvoi omis.]         

     Je m'interroge quant à l'application du précédent principe à l'instance dont la Cour est saisie en l'espèce. L'article 9 de la Loi accorde une protection extraordinaire. Dans la décision Insurance Corporation of British Columbia c. Le registraire des marques de commerce31, le juge Cattanach, dans ses motifs déjà cités que j'estime utile de reproduire ici, écrit :

     Manifestement, l'article 9(1)n)(iii) prévoit que lorsqu'une autorité publique a adopté une marque officielle, elle peut seule l'employer. En chargeant le registraire d'aviser le public de l'adoption et de l'emploi de cette marque officielle, il a pour objet de prévenir toute violation à cet égard. À mon sens, et pour les raisons que j'ai déjà exposées, il ne confère au registraire aucun pouvoir de contrôle.         
     Je suis pleinement conscient des conséquences qui en découlent. Une autorité publique se lance dans l'entreprise de fournir au public des marchandises et des services et pour ce faire, adopte une marque officielle. Après quoi, tout le monde se voit interdire l'emploi de cette marque. Ce qui revient à dire que, de sa propre initiative, elle s'approprie ladite marque sans aucune restriction ou contrôle que sa propre conscience et la volonté que le corps électoral exprimera éventuellement par les moyens dont il dispose. [Non souligné dans l'original.]         

     En ce qui a trait à l'absence de pouvoir de contrôle du registraire des marques de commerce, particulièrement dans des circonstances comme celles soumises à l'attention de la Cour, où il n'apparaît pas clairement de la preuve que les parties ou l'une d'elles sont ou ont déjà été des autorités publiques, je me demande sérieusement s'il convient que la Cour s'appuie, sans preuve supplémentaire, sur la simple publication d'un avis d'adoption et d'emploi comme preuve qu'un organisme était, au moment de la publication, une autorité publique et le demeure.

     Le second point que je désire commenter a trait à la notion, au paragraphe 9(2) de la Loi, de consentement à l'adoption, à l'emploi ou à l'enregistrement, comme marque officielle ou autrement, quant à une entreprise, d'une marque officielle. Contrairement à l'article 50 de la Loi traitant de la licenciation de marques de commerce, le paragraphe 9(2) n'assujettit la preuve du consentement et de sa nature continue à aucune formalité. Selon la preuve soumise à la Cour en l'espèce, l'AGSO a obtenu la publication par le registraire des marques de commerce d'un avis de l'adoption et de l'emploi de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA. À toutes fins pratiques, la preuve révèle que l'emploi de la marque a été le fait exclusif des GSC. La preuve de consentement à un tel emploi repose uniquement sur le fait que l'AGSO a été de toute évidence mise au courant de cet emploi, et il n'existe certainement aucune preuve que l'on s'y soit objecté, ainsi que sur le fait qu'un représentant de l'AGSO siège au conseil des GSC. À cette étape-ci, je m'interroge simplement sur la possibilité que la publication d'une marque, élargissant la protection de l'article 9 de la Loi, puisse autoriser l'organisme qui a obtenu la publication de cette marque à pouvoir effectivement la "concéder par licence" par simple consentement, non constaté par quelque document que ce soit et sans preuve d'un contrôle apparent sur l'emploi de cette marque.

     J'en viens maintenant aux questions soulevées par l'avocat des demanderesses, telles qu'elles ont été adoptées par l'avocat de la défenderesse.

     QUESTION NO 1

     a) Sous le régime du sous-alinéa 9 (1n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, quel critère doit-on appliquer pour déterminer si une marque "est composée" d'une marque officielle "ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec cette marque officielle?              

     Les avocats qui ont comparu devant la Cour ont pour l'essentiel convenu que le critère applicable aux fins de décider si la marque officielle LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA adoptée par la défenderesse est une "...marque qui est composée" des marques officielles de l'AGSO ou de l'une d'elles "ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait la confondre" avec elles, est le critère de la ressemblance. Il est évident que la marque de la défenderesse n'est pas identique aux marques de l'AGSO. La question qui se pose est donc de savoir si la marque de la défenderesse est pratiquement la même que l'une ou toutes les marques de l'AGSO, ou si elle est essentiellement similaire. Les avocats ont convenu que la question, telle qu'elle a été formulée dans la décision La Reine c. Kruger32, est de savoir si "une personne familière avec les marques de l'AGSO [ou l'une d'elles], mais qui s'en souvient imparfaitement [...] pourrait vraisemblablement la confondre [avec la marque de la défenderesse"]. Je suis d'accord. De plus, je suis persuadé que la formulation du critère par le juge Rothstein dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Health Care Employees Union of Alberta33 n'est rien de plus qu'une reformulation utile du critère de Kruger et qu'elle n'en diffère point. Je rappelle que le juge Rothstein a écrit :

     La question qui se pose est de savoir si une personne qui ne connaît qu'une des marques en cause et en garde un vague souvenir, pourrait, sous l'effet d'une première impression, se tromper ou se méprendre.         

Avec respect, je ne puis partager la conclusion du membre de la Commission d'opposition des marques de commerce qui, dans Canadian Olympic Assn. c. Schwauss34, ne souscrit pas à la formulation par le juge Rothstein du critère applicable.

     Je ne peux accepter le moyen soumis pour le compte des demanderesses voulant que le critère soit celui de la "comparaison directe". La notion de "comparaison directe" suppose un examen rigoureux et consciencieux des marques de l'AGSO et de la marque de la défenderesse ou une comparaison de ces marques. Or un tel examen rigoureux et consciencieux ou une telle comparaison a été spécifiquement rejeté par le juge Rothstein dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Health Care Employees Union of Alberta.

     Dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Konica Canada Inc.35 la juge Denault écrit:
         La ressemblance de la marque officielle avec la marque adoptée est le seul facteur dont il faut tenir compte; d'autres considérations jugées pertinentes dans les affaires de marques de commerce, comme celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5), ne sont pas pertinentes en l'espèce.                 

    

     Je ne considère pas que cet énoncé écarte l'application de l'alinéa 6(5)e) qui prévoit que lorsqu'il s'agit de déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux portent à confusion, il est possible de prendre en compte le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent. Par voie de conséquence, je ne souscris pas à l'argument de l'avocat des demanderesses selon lequel le paragraphe 6(5), particulièrement les facteurs qui y sont énoncés, sont dénués de toute pertinence aux fins de la présente affaire. Cependant, cela étant dit, je ne suis pas convaincu que le renvoi à la terminologie de l'alinéa (6)(5)e) ajoute quoique ce soit au critère énoncé dans les décisions Kruger et COA c. Health Care Employees Union of Alberta.

    

     (b) En fonction des faits de l'espèce, la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" est-elle composée des marques officielles des demanderesses "Les Grandes Soeurs", "Les Grandes Soeurs du Canada" et l'"Association des Grandes Soeurs de l'Ontario", ou s'agit-il d'une marque "dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre" avec ces marques officielles?         

     L'avocat des demanderesses m'a invité à répondre affirmativement à cette question en se fondant sur quatre facteurs: premièrement, la " comparaison directe" des marques; deuxièmement, le rejet par le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales de la demande de changement de nom de la défenderesse en celle de Les Grands Frères et Soeurs du Canada; troisièmement, la preuve par sondage du Dr Senders et, finalement, la preuve de vive voix fournie par les autres témoins qui ont comparu lors de l'audition.

     Pour les motifs que je viens de donner, je rejette l'argument des demanderesses fondé sur une "comparaison directe" de la marque de la défenderesse et de celles de l'AGSO. Toutefois, dans l'hypothèse où j'estimerais qu'une comparaison directe est pertinente, j'en conclurais qu'aucune méprise ou confusion ne pourrait vraisemblablement résulter de la comparaison de la marque de la défenderesse et de la marque de l'AGSO, l'ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO & DESSIN ou de la marque LES GRANDES SOEURS. En d'autres mots, je suis persuadé que la marque de la défenderesse ne ressemble pas à ce point à l'une ou l'autre des deux marques de l'AGSO qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec l'une d'elles. Cependant, ma conclusion serait différente s'il y avait comparaison directe entre la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA et la marque de l'AGSO, LES GRANDES SOEURS DU CANADA, toujours dans l'hypothèse où c'est là le critère applicable. J'ai toujours à l'esprit la citation tirée de Sum-Spec Canada Ltd. c. Imasco Retail Inc.36, qui apparaît précédemment dans les présents motifs et que j'estime utile de reproduire ici:

     Il ressort également de la jurisprudence que "le premier mot ou la première syllabe d'une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif".         

Le premier mot important de la marque de la défenderesse est "FRÈRES", lequel tranche fortement avec le premier mot important de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA, soit "SOEURS". Cela étant dit, à tous autres égards, les marques sont à peu près identiques. Cependant, à nouveau, je conclus que le critère de la comparaison directe ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de décider si une ressemblance causerait vraisemblablement de la confusion, aux fins du paragraphe 9(1) de la Loi.

     Je n'accorde aucun poids au rejet par le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales du changement de dénomination projeté de la défenderesse en celle de Les Grands Frères et Soeurs du Canada. La preuve soumise à la Cour ne révèle pas que ce rejet était fondé sur un critère pertinent aux fins du paragraphe (9)(1) de la Loi. Il semblerait plutôt que ce rejet était fondé sur un critère équivalant davantage à celui visant à déterminer si des marques de commerce ou noms commerciaux portent à confusion, critère dont l'avocat des demanderesses a allégué la non-pertinence à l'égard d'une demande fondée sur l'article 9 de la Loi, ce avec quoi je suis essentiellement d'accord.

     L'avocat des demanderesses a invité la Cour à traiter avec précaution la preuve par sondage du Dr Senders parce que ses résultats découleraient d'une méthodologie loin d'être idéale et dont ils refléteraient les difficultés ou les faiblesses ainsi que la faiblesse dans l'interprétation des données recueillies. Cela étant dit, je suis convaincu que le sondage a été conçu pour refléter celui pertinent, non pas le critère de la comparaison directe, mais plutôt celui de la ressemblance et du souvenir imparfait. J'estime utile de reproduire à nouveau l'un des paragraphes de la citation tirée de Sun Life Assurance Co. of Canada c. Sunlife Juice Ltd.37, apparaissant précédemment dans les présents motifs :

     [TRADUCTION] Les questions de fait doivent être déterminées en fonction de la preuve, et la seule soumise à la Cour est un sondage mené de façon professionnelle par des experts dans leur domaine, lequel s'est avéré plus utile que si on avait, d'une manière archaïque, fait parader un nombre de témoins choisis au hasard pour remplir précisément la même fonction que le sondeur Le sondage est de loin plus efficient et avantageux pour la Cour. J'estime qu'il constitue une preuve fort pertinente.         

En l'espèce, la preuve par sondage n'a pas été la seule soumise à la Cour. Je conclus cependant qu'elle a été le meilleur élément de preuve pour les motifs que je décrirai brièvement et succinctement. J'en résumerais l'impact comme suit: la preuve par sondage démontre, encore que sur la base d'un sondage conduit en toute hâte et dont la mise en application a présenté des difficultés importantes ou des faiblesses, que suivant la notion de souvenir imparfait, la marque de la défenderesse ne ressemble pas à ce point à l'une ou l'autre des marques de l'AGSO qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec l'une d'elles.

     La preuve de vive voix présentée à la Cour pour le compte des demanderesses, et corroborée par la preuve documentaire, dans la mesure où elle révélait des cas d'erreur ou de confusion fondés sur la ressemblance et sur un souvenir imparfait, a été en totalité ou en quasi-totalité interprétée à travers ce qu'ont vu et entendu les personnes associées aux demanderesses, et j'ai la conviction qu'elles étaient prédisposées à conclure à l'erreur et à la confusion, quelle que soit la situation qui pouvait les amener à le faire. Je conclus que cette preuve portait, invariablement ou, à tout le moins, presque invariablement, sur des cas d'erreur ou de confusion non fondés sur la ressemblance entre les marques mais plutôt sur des facteurs non pertinents sous le régime de l'article 9 de la Loi.

    

     Pour terminer sur cet aspect de la question, le fardeau d'établir l'erreur ou la confusion fondée sur la ressemblance incombait aux demanderesses. Je suis convaincu que la preuve fournie n'a pas permis d'écarter ce fardeau. La décision du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales de rejeter le changement de dénomination projeté de la défenderesse est pertinente, mais à mon avis, non probante. Sauf lorsqu'elle était corroborée par des documents, et en dépit de la sincérité évidente des témoins des demanderesses, leur témoignage était peu fiable sur la question de l'erreur ou de la confusion. Lorsqu'elle était corroborée par des documents, cette preuve était souvent ambivalente. Il appartenait aux demanderesses de fournir une preuve directe des cas allégués ayant conduit à de la méprise ou de la confusion, mais une telle preuve n'a jamais été présentée. Également, il leur appartenait de fournir leur propre preuve par sondage indépendante. Elles ont choisi de ne pas le faire. Même si la preuve par sondage du Dr Senders aurait été d'une plus grande valeur si on avait alloué plus de temps et de ressources à sa conduite, c'est la meilleure preuve qui m'a été soumise. Elle étaye la position de la défenderesse et non celle des demanderesses.

     En conséquence, la Cour répond à la présente question négativement.

QUESTION NO 2

     Si la Cour est d'avis que la marque de la défenderesse "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" est composée des marques officielles des demanderesses ou qu'elle est une marque dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ces marques officielles, y a-t-il un motif pour laquelle la Cour devrait conclure que la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" n'est pas une marque interdite au sens du paragraphe 9(1) de la Loi sur les marques de commerce ?         

     Compte tenu des conclusions auxquelles j'arrive sur les deux volets de la première question, je n'ai pas à se prononcer sur la question de l'opposabilité des marques. Cependant, par souci d'exhaustivité, advenant que ma décision fasse l'objet d'un appel sur ce point, j'y répondrai brièvement.

     L'avocat des demanderesses a allégué qu'il n'était pas permis à la défenderesse de soutenir que les marques de l'AGSO lui étaient inopposables, parce qu'après l'abandon de sa demande reconventionnelle à l'ouverture de l'instruction, la question de l'opposabilité des marques ne faisait plus partie des plaidoiries. Même si c'est peut-être le cas techniquement, il est fait renvoi à cette question dans la déclaration préliminaire de l'avocat de la défenderesse. La règle 420 des Règles de la Cour fédérale38 prévoit la possibilité d'amender les plaidoiries "... à tout stade d'une action" et renvoie spécifiquement à des amendements "pendant ou après l'instruction". En l'espèce, à toutes les étapes de la présente action jusqu'à l'abandon de la demande reconventionnelle à l'ouverture de l'instruction, la question de l'opposabilité était clairement manifeste pour les demanderesses. J'estime que cet abandon a eu comme effet de rationaliser l'instruction dans l'intérêt de toutes les parties. Je ne suis pas disposé à permettre que la défenderesse en souffre préjudice. Si, lors de l'instruction, les demanderesses avaient insisté pour soulever cette question, j'aurais permis un amendement à la défense afin que soit inclue la question de l'opposabilité. Or on n'a pas insisté. Par conséquent, je conclus que la défenderesse pouvait faire valoir l'inopposabilité.

     Pour faire échec à la revendication faite en vertu de l'article 9 de la Loi, l'avocat de la défenderesse n'a pas soutenu que les marques de l'AGSO lui étaient inopposables parce qu'elles avaient été illégitimement concédées par licence ou que ces marques sont désignées dans les avis publiés dans le Journal des marques de commerce comme se rattachant à des services fournis uniquement en Ontario. Dans les présents motifs, il est fait renvoi à la première de ces questions, soit le consentement à l'usage de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA plutôt que sa licenciation.

     La Cour n'accorde aucun poids au fait que le registraire des marques de commerce a publié la marque de la défenderesse après la publication des trois marques de l'AGSO. Je suis persuadé que cette séquence particulière des événements n'a d'aucune manière entravé l'opposabilité des marques de l'AGSO à la défenderesse.

     Tel qu'il a été indiqué précédemment, l'avocat de la défenderesse a soutenu que les demanderesses devraient être empêchées de lui opposer les marques de l'AGSO puisqu'il appert de la preuve que l'AGSO a obtenu la publication de ses marques officielles pour des motifs illégitimes. Je rejette ce moyen. Comme je l'ai indiqué en introduction aux présents motifs, je ne mets pas en doute les mobiles de l'une ou l'autre des personnes qui se sont trouvées mêlées au litige ayant conduit à la présente instance, voire à l'instance elle-même.

     Le dernier point en ce qui a trait à l'opposabilité se rattache à la question

de savoir si l'AGSO a adopté et employé la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA avant que le registraire n'ait donné avis public de son adoption et de son emploi conformément à l'alinéa 9(1)n) de la Loi. Tel qu'il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, dans la décision Canadian Olympic Association c. Donkirk International Inc.39, le juge Teitelbaum écrit :

     Sur la base des prétentions exprimées, les avocats de la demanderesse et de la défenderesse conviennent que pour bénéficier de la protection de l'article 9, la marque devait être adoptée et employée au Canada, avant que le registraire n'ait notifié au public son adoption et son emploi.         

Vu les faits qui lui avaient été soumis, le juge Teitelbaum a conclu que les marques en cause avaient été adoptées et employées avant la publication de l'avis d'adoption et d'emploi. Implicitement il semble avoir accepté les moyens de l'avocat sur cette question. Je ne puis en arriver à une autre conclusion, compte tenu du libellé clair de l'alinéa 9(1)n) de la Loi selon lequel l'adoption et l'emploi d'une marque de commerce en liaison avec des marchandises et services, avant la publication par le registraire d'un avis public d'adoption et d'emploi, est une condition préalable à son opposabilité. La simple publication de l'avis d'adoption et d'emploi ne constitue pas, à mon sens, une preuve concluante d'une telle adoption et d'un tel emploi. De plus, le fardeau d'établir une telle adoption et un tel emploi dans le contexte des marques de commerce incombait aux demanderesses. La preuve soumise à la Cour s'est révélée insuffisante pour les décharger de ce fardeau. En conséquence, je conclus que la marque des Grands Frères et Soeurs du Canada est inopposable à la défenderesse.

     Pour le compte de la défenderesse, il a été admis que la preuve soumise à la Cour établissait que les marques ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO & DESSIN et LES GRANDES SOEURS ont été adoptées et employées avant la publication de l'avis de leur adoption et emploi. Par conséquent, je ne puis conclure que ces deux marques officielles sont inopposables à la défenderesse. Compte tenu de mes conclusions précédentes, cette conclusion particulière n'a aucune incidence.

          QUESTION NO 3                 
             
     Quels sont les mesures de redressement auxquelles les demanderesses ont droit?         

     Devant la Cour, les avocats ont convenu que le pouvoir que lui confère l'article 53.2 de la Loi à l'égard des mesures de redressement est suffisamment large pour englober celles recherchées par les demanderesses et dont il est question dans l'introduction des présents motifs. L'avocat de la défenderesse a mis l'accent sur la nature discrétionnaire du pouvoir de la Cour à cet égard et a fait valoir qu'une injonction aurait des répercussions négatives sur la capacité de la défenderesse à continuer son oeuvre de valeur à travers le Canada. Subsidiairement, il fait valoir qu'une injonction devrait être restreinte.

     Étant donné mes précédentes conclusions, aucune mesure de redressement ne sera accordée. Cependant, si j'avais conclu en faveur des demanderesses, j'aurais été prêt à accorder les jugements recherchés ainsi qu'une injonction permanente selon les modalités demandées. Je ne suis pas convaincu qu'une ordonnance visant la radiation de la publication de la marque officielle LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA par le registraire des marques de commerce soit justifiée.

     QUESTION NO 4         
     L'emploi par la défenderesse de la marque "Les Grands Frères et Soeurs du Canada" contrevient-il à l'alinéa 7b ) de la Loi sur les marques de commerce?

Par souci de commodité, je reproduis à nouveau les parties pertinentes de l'article 7 de la Loi :

     7. Nul ne peut :         
     ...         
     b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;         
             
     ...         

Tel qu'il a été mentionné précédemment, dans l'arrêt Asbjorn Horgard AS c. GibbsNortac Industries Ltd. et al.40, le juge Macguigan de la Cour d'appel écrit:

     L'alinéa 7b) comporte trois éléments. Il prévoit que nul ne doit (1) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise (2) de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, (3) lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre.         

     L'avocat de la défenderesse a décrit l'alinéa 7b) comme étant "... le prolongement législatif de l'action en imitation frauduleuse de la common law". La source à l'appui de cette proposition est l'arrêt MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd.41, où le juge en chef Laskin écrit :

     L'alinéa b) de l'art. 7 n'est que la formulation de l'action pour une espèce de concurrence déloyale en common law, que Fleming on Torts, supra, décrit à la p. 626, comme [TRADUCTION]"...une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur ... qui diffère de la fausse déclaration préjudiciable en ce qu'elle tend à réduire la clientèle du demandeur non pas par des remarques désobligeantes mais en usurpant sa réputation en faisant croire que des marchandises ou services viennent de lui ou d'une firme associée ou qu'il les garantit". Contrairement aux fausses déclarations préjudiciables [traduction] "il suffit que l'opération soit destinée ou de nature à induire en erreur même sans intention d'induire en erreur".         

À mon sens, la qualification de l'alinéa 7b) par le juge en chef Laskin a été adoptée, à tout le moins implicitement, dans les décisions Asbjorn Horgard, précitée et Dumont Vins & Spiritueux Inc. c. Selliers du Monde Inc.42, et plus récemment, clairement adoptée dans la décision Enterprises Rent-A-Car Co. c. Singer et al.43. Par contre, dans l'arrêt Westfair Foods Ltd. v. Jim Pattison Industries Ltd.44, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé que bien que l'alinéa 7 b) codifie l'action en imitation frauduleuse de la common law, il existe néanmoins une distinction entre les deux.

     Quoi qu'il en soit, j'accepte la qualification de l'alinéa 7b) offerte par l'avocat de la défenderesse.

     Dans le cas de la demanderesse l'AGSO, je conclus que la preuve est tout simplement insuffisante pour démontrer l'existence de quelque achalandage que ce soit à l'égard de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA ou qu'une confusion pourrait résulter. La preuve ne démontre aucun emploi quel qu'il soit de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA par l'AGSO. Dans ces circonstances, l'AGSO ne peut, en se fondant sur son propre emploi, invoquer l'alinéa 7b) de la Loi à l'encontre de la défenderesse. Nulle confusion au Canada ne pourrait vraisemblablement résulter du fait que la défenderesse attire l'attention sur ses services ou son entreprise par l'emploi de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA par rapport aux services et à l'entreprise de l'AGSO, qui n'a pas employé la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA. Par ailleurs, je suis convaincu que l'emploi par l'AGSO des marques ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO & DESSIN et LES GRANDES SOEURS est insuffisant pour occasionner de la confusion ou un effet préjudiciable sur l'achalandage découlant de l'emploi par la défenderesse de la marque LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA.

     En ce qui concerne la demanderesse les Grandes Soeurs du Canada, il ressort à l'évidence de la preuve soumise que, premièrement, les GSC n'utilisent pas les marques ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO & DESSIN et LES GRANDES SOEURS et, deuxièmement, qu'elles n'ont pas obtenu, en vertu de l'article 50 de la Loi, une licence d'emploi de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA de la part du titulaire de cette marque, l'AGSO. En conséquence, ni les GSC, ni l'AGSO ne peuvent invoquer, en faveur de l'une ou de l'autre, l'emploi de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA par les GSC pour soutenir que l'emploi par la défenderesse de la marque les GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA contrevient à l'alinéa 7b) de la Loi.

     En définitive, je conclus qu'il faut répondre à la quatrième question par la négative.

CONCLUSION

     Vu l'analyse qui précède, la présente action est rejetée.

     Les parties sont invitées à se gouverner suivant l'esprit de la citation suivante tirée du rapport conjoint du groupe de travail auquel fait renvoi le paragraphe 51 de l'exposé conjoint des faits qui a été intégré dans les présents motifs: [TRADUCTION] "Si l'avenir à long terme des Grands Frères et Grandes Soeurs doit être à l'enseigne d'une association positive, la décision de changer la dénomination des Grands Frères du Canada doit être soigneusement négociée avec tous les intéressés et non simplement imposée légalement". Le changement de dénomination n'a pas été géré aussi bien que le recommandait le groupe de travail. De plus grands efforts devraient être déployés pour assurer que tous les aspects de l'interaction entre les parties, à l'avenir, soient mieux gérés et coordonnés au bénéfice de ceux que les parties s'efforcent de servir.

     Tel qu'il a été convenu lors de la clôture de l'instruction, les présents motifs, sauf ce paragraphe, ont été remis aux avocats et du temps leur a été alloué pour leur permettre de préparer leurs observations écrites quant aux dépens. Les avocats des demanderesses et de la défenderesse ont soumis des observations détaillées. Il a été convenu que la Cour pouvait adjuger les dépens à la défenderesse mais, cela n'a rien de surprenant, il n'y a pas eu entente quant à leur montant. J'ai soigneusement examiné les observations. Les dépens, adjugés à la défenderesse, sont fixés à 30 000 $, incluant les honoraires et débours.


FREDERICK E. GIBSON

____________________

                          Juge

Ottawa, (Ontario)

Le 20 mai 1997

Traduction certifiée conforme                     
                                         C. Bélanger, LL.L.

                                                             COUR FÉDÉRALE


DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOMS DES AVOCATS AU DOSSIER

NUMÉRO DE GREFFE : T-29-24

INTITULÉ DE LA CAUSE : ASSOCIATION DES GRANDES SOEURS DE L'ONTARIO ET GRANDES SOEURS DU CANADA c. GRANDS FRÈRES DU CANADA

LIEU DE L'AUDITION : Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDITION : 18 novembre 1996

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MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE GIBSON

DATÉS DU 20 MAI 1997

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ONT COMPARU :

David Brown, pour la demanderesse

Ron Dimock, pour la défenderesse

AVOCATS AU DOSSIER :

Stickeman & Elliott, pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Dimock, Stratton, Clarizio, pour la défenderesse

Toronto (Ontario)

__________________

     1 Lorsqu'appliqués à un nom commercial ou une marque de commerce, le terme "confusion" et ses diverses formes sont des termes spécialisés dans le contexte de la Loi sur les marques de commerce. L'article 9 de la Loi utilise l'expression "confondre" en rapport avec des marques officielles. Dans les présents motifs, j'ai parfois utilisé le terme "confusion" et ses diverses formes dans un sens non technique puisqu'à mon sens, ce terme est plus exact en l'espèce d'un point de vue descriptif que ne l'est le terme "confondre".

2 (1997), 36 C.P.R. (2d) 270.

3 Transcription, aux pages 633 et 634.

4 L.C. (1985), ch. T-13 (modifiée).

5 (1978), 44 C.P.R. (2d) 135 (Reg. des marques de commerce).

6 (1990), 30 C.P.R. (3d) 60 (C.F. 1re inst.), appel accueilli pour d'autres motifs: (1991),      85 D.L.R. (4th) 719 (C.A.F.).

7 (1992), 46 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1ère inst.).

8 (1945), 5 C.P.R. 71 (C.S.C.).

9 (1995), 61 C.P.R. (3d) 104 (C.O.M.C.).

10 (1992), 145 N.R. 261 (C.A.F.).

11 Transcription, à la page 736.

12 Transcription, à la page 741.

13 Transcription, à la page 750.

14 (1982), 67 C.P.R. (2d) 59 (C.A.F.).

15 (1987), 14 C.P.R. (3d) 314 (C.A.F.).

16 Transcription, à la page 800.

17 Précité, note 5.

18 Précité, note 7.

19 Transcription, à la page 802.

20 (1990), 30 C.P.R. (3d) 7 (C.F. 1ère inst.).

21 DORS 79-316, modifié.

22 (1988), 22 C.P.R. (3d) 244 (H.C.J. Ont.).

23 (1996), 67 C.P.R. (3d) 340 (C.F. 1ère inst.) (en appel devant la Cour d'appel fédérale).

24 (1987), 17 C.P.R. (3d) 299 (C.F. 1ère inst.).

25 Dossier conjoint des pièces, volume 4 - onglet 152 et Exposé conjoint des faits,          paragraphe 42.

26 (1979), 44 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1ère inst.).

27 (1992), 44 C.P.R. (3d) 289 (C.S.C.).

28 Voir Harold J. Fox, The Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition , 3e      édition, Toronto, Carswell Company Ltd., aux pages 283 et 612.

29 Précité, note 14.

30 (1991), 39 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.).

31 Précité, note 26.

32 Précité, note 5.

33 Précité, note 7.

34 Précité, note 9.

35 Précité, note 6.

36 Précité, note 20.

37 Précité, note 22.

38 C.R.C., 1978, ch. 663.

39 Précité, note 24.

40 Précité, note 15.

41 [1977] 2 R.C.S. 134.

42 [1992] 2 C.F. 634 (C.A.).

43 [1996] 2 C.F. 694 (C.F. 1ère inst.).

44 [1990] 30 C.P.R. (3d) 174 (C.A.C.-B.).

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