Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 20001026


Dossier : T-1072-98

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE :      M. LE JUGE JOHN A. O'KEEFE


ENTRE :



CHARLOTTE HUTCHINSON


demanderesse


et


L'HONORABLE CHRISTINE STEWART

en sa qualité de ministre de l'Environnement


défenderesse



MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE O'KEEFE


LE CONTEXTE


[1]      La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de ne pas constituer un tribunal pour entendre les plaintes de pratiques discriminatoires dans l'emploi déposées par la demanderesse contre son ancien employeur, le ministère fédéral de l'Environnement (l'employeur).

[2]      La demanderesse, Mme Hutchinson, est à l'emploi du gouvernement fédéral depuis plusieurs années. En 1985, elle a obtenu un transfert au bureau régional d'Environnement Canada à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. En 1987, la demanderesse a obtenu un congé de maladie et d'invalidité par suite de [traduction] « stress, épuisement professionnel et incompatibilité du travail » . Mme Hutchinson est demeurée en congé jusqu'en octobre 1990. Durant cette période, il semble qu'on ait diagnostiqué qu'elle souffrait de « polysensibilité aux agresseurs chimiques » ou de « maladie environnementale » . De ce fait, Mme Hutchinson est devenue extrêmement sensible aux parfums et elle souffrait de symptômes de types grippaux lorsqu'elle y était exposée. Un examen de Santé Canada, auquel la demanderesse s'est soumise en août 1990, portait que Mme Hutchinson était apte à travailler sans restrictions (catégorie A), mais recommandait toutefois qu'elle ne soit pas exposée à la climatisation, à la fumée du tabac et aux émanations de produits chimiques.

[3]      En 1993, la demanderesse a sollicité la transformation de son poste en poste saisonnier, requête qui lui a été accordée. Par la suite, la demanderesse était mise à pied durant l'hiver et elle retournait à son travail chaque printemps.

[4]      Au retour de sa mise à pied saisonnière en 1995, Mme Hutchinson a à nouveau eu des problèmes de santé liés à son travail. L'édifice à bureaux dans lequel elle travaillait était en rénovation et une nouvelle collègue se parfumait abondamment. Suite à ces difficultés, l'employeur de Mme Hutchinson a promulgué une politique encourageant le personnel à s'abstenir d'utiliser des parfums. Il a aussi déménagé l'employée pour qu'elle puisse travailler dans des zones où il n'y avait pas de travaux de rénovation. À diverses occasions, Mme Hutchinson a aussi travaillé à la maison.

[5]      La demanderesse a fait état de difficultés continues dans son travail, qu'elle attribuait à sa polysensibilité environnementale. L'employeur a envoyé la demanderesse à divers lieux de travail, notamment dans un entrepôt d'Environnement Canada ainsi que dans un immeuble du ministère des Anciens combattants. La demanderesse s'est présentée au travail à ces endroits, mais elle les a quittés quelques heures après son arrivée en se déclarant malade. Mme Hutchinson avait proposé qu'on l'installe dans un immeuble où se trouvaient divers laboratoires, proposition que Santé Canada a jugée inacceptable. Les surveillants de Mme Hutchinson ont commencé à exprimer certaines frustrations au vu de l'absence de corroboration médicale de son état, ainsi que du manque d'information spécifique au sujet des déclencheurs de sa polysensibilité.

[6]      L'employeur a fourni à la demanderesse un purificateur d'air, ainsi qu'un masque industriel qu'elle pouvait utiliser à son travail. Mme Hutchinson a trouvé que le purificateur d'air était utile, mais elle n'a pas voulu utiliser le masque industriel car elle considérait qu'il lui donnait l'apparence de [traduction] « la créature du lagon noir » .

[7]      La demanderesse a proposé deux autres possibilités de solution : soit la modification de locaux gouvernementaux existants en construisant un bureau fermé avec des fenêtres qu'on pouvait ouvrir, soit l'utilisation d'un bureau dans un espace privé que la demanderesse louerait à ses frais. L'employeur a rejeté la première option, considérant la dépense de 20 000 $ injustifiée étant donné qu'il n'était pas du tout sûr que le problème serait réglé. L'employeur a fait remarquer que dans le passé, Mme Hutchinson avait exprimé son insatisfaction face à diverses options qui au départ semblaient pouvoir régler le problème. Quant à la possibilité d'autoriser Mme Hutchinson à travailler dans des bureaux privés, l'employeur ne considérait pas qu'il s'agissait là d'une solution puisque les lieux proposés n'étaient pas isolés des émanations de la rue. Il avait aussi certaines préoccupations quant à la sécurité et à sa responsabilité d'employeur.

[8]      Au cours de cette période, Mme Hutchinson n'a pas voulu s'inscrire au programme de « télétravail » , qui permet aux employés du gouvernement fédéral de travailler à leur domicile. L'employeur lui avait fait savoir qu'une telle demande serait acceptée. La demanderesse considérait qu'il s'agissait là d'une solution de désespoir et elle n'avait pas l'intention d'utiliser son domicile comme lieu de travail. De plus, les bureaux qu'elle avait identifiés lui permettraient d'avoir des relations plus suivies avec ses collègues.

[9]      Mme Hutchinson a aussi fait état de harcèlement fondé sur sa déficience : un de ses surveillants lui aurait dit [traduction] « Lis sur mes lèvres Charlotte, ton bureau est au quatrième étage » , l'imposition du masque industriel et le fait d'être envoyée pour travailler dans des lieux où l'on reléguait les employés difficiles.

[10]      Mme Hutchinson a refusé de travailler par deux fois, puisqu'elle était d'avis que son lieu de travail représentait des dangers. Elle a déposé une formule de refus de travailler chaque fois, conformément au Code canadien du travail, et elle a été mise en congé. Ces deux refus de travailler ont été rejetés par les enquêteurs de Travail Canada et la demanderesse a dû revenir au travail.

[11]      Le 27 mars 1997, l'employeur a écrit à Mme Hutchinson pour lui indiquer qu'elle devait se présenter au travail le 1er avril 1997 (rappel du printemps) en utilisant son domicile comme lieu de travail. La demanderesse a refusé de se conformer à cette demande et intimé l'ordre à son employeur de s'abstenir de pénétrer sur sa propriété ou d'utiliser son numéro de téléphone pour la contacter.

[12]      L'employeur a ensuite ordonné à la demanderesse de se présenter au travail à son lieu habituel de travail le 21 avril 1997. La demanderesse s'est présentée au travail, mais elle a déposé un refus de travailler après une présence de quatre heures. La demanderesse a alors été congédiée au motif qu'elle ne pouvait se décharger des fonctions de son poste.

[13]      La demanderesse a présenté une plainte à la Commission. Après enquête, la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse au motif que son ancien employeur avait assuré un « accommodement raisonnable » face à sa déficience.

[14]      Sur réception de la plainte en juillet 1996, la Commission a nommé Jean-Guy Boissoneault comme enquêteur. Le 28 février 1997, la plainte a été confiée à Mme Denise Ommanney, qui a complété le rapport d'enquête. Le dossier n'a toutefois pas été mené à terme par Mme Ommanney, les commentaires suite au rapport étant rédigés par Françoise Girard.

[15]      Le rapport d'enquête de Mme Ommanney, daté du 11 novembre 1997, recommande que la Commission rejette la plainte selon laquelle il y avait eu discrimination, « parce que, d'après la preuve, l'allégation est sans fondement » .

[16]      Le 22 avril 1998, la Commission a rendu sa décision portant qu'elle ne constituerait pas un tribunal des droits de la personne. Elle a rejeté la plainte au motif que les commentaires qu'on lui aurait faits [traduction] « ne suffisaient pas à établir le harcèlement » et que [traduction] « l'employeur a fait des efforts pour accommoder la déficience physique de la demanderesse » .

[17]      Le 27 mai 1998, la demanderesse a initié la présente demande de contrôle judiciaire.

ARGUMENTATION

Le point de vue de la demanderesse

[18]      La demanderesse soutient qu'à l'occasion d'un contrôle judiciaire, la Cour n'est pas tenue d'examiner uniquement la preuve dont disposait la personne qui a pris la décision originale. Par conséquent, elle soutient que son deuxième affidavit supplémentaire, auquel est annexé un rapport médical de son médecin, le Dr Beresford, devrait être admis en preuve.

[19]      Quant à la norme de contrôle, la demanderesse soutient que la décision de la Commission doit être soumise à la norme de la décision correcte. Si la Cour n'est pas convaincue que la demanderesse a eu droit à [traduction] « un accommodement raisonnable jusqu'à la contrainte excessive » , ou qu'il n'y a pas eu de harcèlement, sa demande doit être accueillie.

[20]      La demanderesse soutient aussi qu'elle n'a pas eu droit à l'équité procédurale. Elle soutient que l'enquête était déficiente, qu'elle n'a pas été approfondie et que la Commission n'a pas examiné sa plainte de façon adéquate. La demanderesse soutient qu'on n'a pas reconnu ses droits à l'équité procédurale, car elle n'a pas eu l'occasion de répondre à toutes les allégations de son employeur. De plus, l'enquête aurait été déficiente puisque la personne contact principale au cours de l'enquête faisait l'objet d'une plainte de harcèlement déposée par la demanderesse.

[21]      La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu de harcèlement pour cause de sa déficience et en n'adoptant pas la bonne norme permettant de conclure à l'existence d'actes discriminatoires.

Le point de vue de la défenderesse

[22]      La défenderesse soutient que l'affidavit supplémentaire ne peut être déposé, la jurisprudence de notre Cour ayant établi qu'au cours d'un contrôle judiciaire elle doit n'examiner que la preuve présentée à la personne qui a pris la décision à l'origine. Le dépôt de nouvelle preuve n'est autorisé qu'en cas de manquement à certains aspects limités de l'équité procédurale.

[23]      La défenderesse soutient que si les conclusions de la Commission portant sur des questions de droit sont soumises à la norme de la décision correcte, en matière de questions de fait la norme est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[24]      La défenderesse soutient que les critères d'équité procédurale ont été satisfaits en l'instance. L'équité exige que la Commission tienne une enquête assez approfondie et neutre, mais non qu'elle doive interroger toutes les personnes mentionnées par la demanderesse ou lui transmettre toutes les déclarations des parties adverses.

[25]      La défenderesse soutient de plus que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit et que sa déclaration portant que la demanderesse avait eu droit à une « accommodation raisonnable » n'indique pas qu'elle aurait mal interprété la norme permettant de conclure à l'existence d'actes discriminatoires.

LE DROIT APPLICABLE

[26]      La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. H-6 (la Loi) énonce les dispositions pertinentes qui s'appliquent en l'instance. L'objectif de la Loi est énoncé comme suit, à l'article 2 :

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant_: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

[27]      La Loi interdit les actes discriminatoires fondés sur un certain nombre de motifs, et ce dans divers domaines dont celui de l'emploi. Dans sa plainte à la Commission, la défenderesse soutient qu'elle a fait l'objet, dans le cadre de son emploi, d'actes discriminatoires fondés sur sa déficience. La « déficience » est un motif de distinction illicite en vertu de l'article 3 de la Loi. Les actes discriminatoires auxquels l'employeur se serait livré sont les suivants : l'exigence que la demanderesse travaille dans des locaux où elle devenait malade par suite de sa déficience; le fait de mettre fin à son emploi lorsqu'elle a refusé de se soumettre; et le harcèlement dans le cadre de son emploi fondé sur sa déficience. La définition de la déficience est assez large, comme on le voit à l'article 25 de la Loi :


25. In this Act,


"disability" means any previous or existing mental or physical disability and includes disfigurement and previous or existing dependence on alcohol or a drug.

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« déficience » Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

[28]      L'interdiction d'actes discriminatoires en matière d'emploi se trouve à l'article 7 de la Loi. C'est sur cette base que la demanderesse a présenté une plainte à la Commission :


7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,



(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

[29]      Comme il est indiqué plus haut, la demanderesse s'est aussi plainte d'avoir été soumise au harcèlement fondé sur sa déficience. Le harcèlement fondé sur la déficience est un acte discriminatoire illicite :


14. (1) It is a discriminatory practice,




. . .

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu_:

. . .

c) en matière d'emploi.

[30]      La conclusion qu'un individu ou un groupe aurait été soumis à un traitement différent et à son désavantage en matière d'emploi, par suite d'une déficience ou de tout autre motif, n'entraîne pas nécessairement la conclusion que l'employeur est coupable. L'article 15 de la Loi porte que si ce traitement est lié à des exigences professionnelles justifiées et que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne constituent une contrainte excessive, le traitement ou la conduite visée ne constitue pas des actes discriminatoires :

15. (1) It is not a discriminatory practice if

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

. . .

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires_:

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

. . .

(2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Les procédures de la Commission
[31]      Sur réception d'une plainte, la Commission nomme un enquêteur qui doit examiner s'il y a lieu de constituer un tribunal. L'enquêteur doit présenter un rapport écrit de ses conclusions, recommandant soit de rejeter la plainte, soit de constituer un tribunal. C'est la Commission qui décide alors de la suite à donner au dossier. L'exigence de présentation d'un rapport est énoncée au paragraphe 44(1) de la Loi et le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte ou de faire procéder à son instruction par un tribunal se trouve au paragraphe 44(3) :

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission


(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied


(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted . . .

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted . . .

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_:

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_:


(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié . . .


b) rejette la plainte, si elle est convaincue_:


(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié . . .

LES QUESTIONS EN LITIGE
[32]      La demanderesse a énoncé les questions en litige de la manière suivante :

1.      La Cour doit-elle se saisir du rapport médical du Dr Patricia Beresford?


2.      Quelle est la norme de contrôle appropriée?


3.      a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en prenant une décision qui n'était pas fondée sur une base équitable et satisfaisante?

     1)      Le rapport d'enquête était-il un rapport approfondi et neutre qui a examiné toute la preuve pertinente et n'a pas tenu compte de preuves non pertinentes?

4.      a)      La demanderesse s'est-elle vu nier son droit à l'équité procédurale du fait qu'on ne lui a pas communiqué toutes les présentations d'Environnement Canada et qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire valoir son point de vue?

     b)      La demanderesse s'est-elle vu nier l'équité procédurale lorsque la Commission a autorisé Environnement Canada à désigner comme personne contact principale une personne qui faisait l'objet d'une plainte de harcèlement de la part de la demanderesse et qui était donc en conflit d'intérêt?


5.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'avait pas été soumise au harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne?


6.      a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en se demandant si Environnement Canada avait essayé d'accommoder la déficience de la demanderesse, plutôt que si on l'avait accommodée jusqu'à la contrainte excessive? ou


     b)      Subsidiairement, la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu'Environnement Canada avait accommodé la demanderesse jusqu'à la contrainte excessive?

[33]      Question no 1

     La Cour doit-elle se saisir du rapport médical du Dr Patricia Beresford?

     La demanderesse veut que la Cour examine son deuxième affidavit supplémentaire, souscrit le 21 avril 1999, ainsi que le rapport médical du Dr Patricia Beresford. Ces documents n'ont pas été présentés à l'enquêteur de la Commission. Selon moi, cet affidavit et ce rapport ne peuvent être examinés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, puisqu'ils n'étaient pas en possession du tribunal dont la décision est contestée. Dans Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 3 C.F. 315 (C.F. 1re Inst.), le juge Gibson déclare, à la p. 329 :

[20] Il est bien établi en droit qu'une cour de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l'office fédéral dont la décision fait l'objet de l'appel10. La jurisprudence des cours de révision a suivi cette règle, faisant observer que si des éléments de preuve qui n'ont pas été déposés devant le tribunal initial étaient présentés dans une instance en contrôle judiciaire, la demande de contrôle serait en fait convertie en un appel ou un procès de novo11. Bien que je sois convaincu qu'il existe une exception juridictionnelle à la règle selon laquelle de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans une instance en contrôle judiciaire12, je suis également convaincu qu'il n'y a pas en l'espèce de question portant sur une erreur de compétence des tribunaux.

Je me range à cet énoncé du droit.

[34]      Je vais maintenant traiter de la question no 4a).

     La demanderesse s'est-elle vu nier son droit à l'équité procédurale du fait qu'on ne lui a pas communiqué toutes les présentations d'Environnement Canada et qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire valoir son point de vue?

     Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [1989] 2 R.C.S. 879 (ci-après l'arrêt S.E.P.Q.A.), le juge Sopinka a décrit le processus de traitement des plaintes par la Commission. À la page 899, le juge Sopinka déclare ceci :

L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale. À cet égard, je fais miens les propos, reproduits ci-dessous, que tient le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.) La Race Relations Board exerçait des fonctions analogues à celles de la Commission canadienne des droits de la personne. En décidant qu'il s'agissait d'un organisme d'enquête ayant l'obligation d'agir équitablement, lord Denning dit, à la p. 19 :

Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [. . .] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

[35]      Le juge Lamer (alors juge puîné) déclare ceci dans l'arrêt Radulesco c. La Commission canadienne des droits de la personne (1984) 2 R.C.S. 407, à la p. 410 :

La Commission intimée reconnaît qu'elle remplit une fonction quasi judiciaire lorsqu'elle décide de rejeter en vertu de l'al. 36(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne une plainte qui n'est pas fondée. Elle reconnaît en outre que l'équité dans la procédure exige qu'un plaignant ait la possibilité de présenter des arguments, du moins par écrit, avant qu'on donne suite au rapport; toutefois, la tenue d'une audience n'est pas obligatoire. En dernier lieu, la Commission reconnaît que, pour s'assurer que ces arguments sont produits en connaissance de cause, elle doit, avant de rendre sa décision, révéler à l'intéressé les éléments essentiels de la preuve produite contre lui.

Vu la nature et la portée des renseignements communiqués à l'appelante par l'enquêteur, la Commission intimée reconnaît que les éléments essentiels de la preuve contre l'appelante ne lui ont pas été communiqués avant la décision. La Commission convient également que ce pourvoi doit par conséquent être accueilli et que l'appelante a droit à ses dépens comme entre avocat et client. Sans me prononcer sur tous les aspects de la norme de conduite à laquelle la Commission doit se conformer, j'estime qu'elle doit dans tous les cas satisfaire à celle énoncée par l'intimée. Puisqu'elle ne l'a pas fait en l'espèce, le pourvoi doit être accueilli.


[36]      En l'instance, la demanderesse déclare qu'une lettre du 22 octobre 1997, adressée à l'enquêteur par la défenderesse, ne lui a pas été communiquée et que, par conséquent, elle n'a pas eu l'occasion de répondre aux éléments soulevés dans la lettre. Mon examen de la lettre fait ressortir qu'une bonne partie des renseignements qu'on y trouve n'a pas été reprise dans le rapport de l'inspecteur soumis à la demanderesse pour qu'elle y réponde par écrit. Ceci n'est pas conforme au droit tel qu'énoncé par le juge Lamer (alors juge puîné) dans l'arrêt Radulesco, précité, non plus qu'aux remarques du juge Sopinka dans l'arrêt S.E.P.Q.A., précité. L'enquêteur devait agir avec équité envers la demanderesse. Or, pour agir avec équité envers Mme Hutchinson, l'inspecteur aurait dû lui faire connaître les déclarations qui se trouvent dans la lettre du 22 octobre 1997, pour qu'elle puisse y répondre. Après tout, Mme Hutchinson avait un grand intérêt en l'instance puisque les renseignements en cause auraient un effet sur la résolution de sa plainte. Selon moi, le fait de ne pas lui transmettre les renseignements contenus dans la lettre du 22 octobre 1997 constitue un manquement à l'équité procédurale.

[37]      La demanderesse déclare aussi qu'en janvier 1998, après que le rapport de l'enquêteur ait été terminé mais avant que la Commission rende sa décision et que Françoise Girard, qui s'occupait alors du dossier, envoie son mémoire à la directrice de la mise en oeuvre, Mme Morin-Girouard, celle-ci a envoyé copie d'une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique à Mme Girard. Cet envoi à Mme Girard, qui était alors « Directrice, Plaintes et enquêtes, Commission canadienne des droits de la personne » , a été fait après que le délai pour l'envoi par les parties de présentations à l'enquêteur eut été expiré. Cette décision, qui exprimait un avis critique au sujet de Mme Hutchinson, n'a pas été expédiée à Mme Hutchinson ou à la Commission. Toutefois, l'enquêteur fait partie de la Commission et il appert que Mme Girard a complété le dossier de l'enquête après que Mme Ommanney (l'enquêteur) eut quitté son emploi. En conséquence, si l'on applique la déclaration du juge Sopinka dans l'arrêt S.E.P.Q.A., précité, la Commission est présumée avoir obtenu la décision que Mme Morin-Girouard a envoyée à Mme Girard. Dans l'arrêt S.E.P.Q.A. précité, le juge Sopinka déclare ceci, à la page 898 :

L'enquêteur qui mène l'enquête le fait en tant que prolongement de la Commission. Pour ma part, je ne considère pas l'enquêteur comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle. Ce qui arrive plutôt c'est que l'enquêteur établit un rapport à l'intention de la Commission. C'est là simplement une illustration du principe qui s'applique aux tribunaux administratifs, savoir qu'ils ne sont pas tenus de s'acquitter eux-mêmes de la totalité de leurs tâches, mais peuvent en déléguer une partie à d'autres.

Je conclus que le fait de ne pas avoir envoyé la décision à Mme Hutchinson pour obtenir ses commentaires constitue un manquement à l'équité procédurale.

[38]      Par suite de l'un ou de l'autre de ces manquements à l'équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[39]      Même si cela n'est pas nécessaire pour disposer de la demande, je veux ajouter un commentaire au sujet de la question no 3a)1).

Le rapport d'enquête était-il un rapport approfondi et neutre qui a examiné toute la preuve pertinente et n'a pas tenu compte de preuves non pertinentes?

     Selon moi, le rapport de l'enquêteur n'était pas neutre puisqu'on y trouve la mention suivante au paragraphe 26, sous l'intitulé [traduction] « La demanderesse dans son milieu de travail » :

[traduction]

La plaignante a présenté un grief portant sur son licenciement. Alors que le sous-ministre s'apprêtait à entendre le grief en octobre 1997, le syndicat de la demanderesse a sollicité un report de l'audience jusqu'à la résolution d'une plainte présentée à Travail Canada en vertu des dispositions du Code. De plus, il y a présentement 14 plaintes de sa part devant la Commission de la fonction publique, qui allèguent qu'elle a été harcelée personnellement par plusieurs fonctionnaires du Ministère. La médiation ayant échoué dans la recherche d'une solution « sans faute » , on mit fin au processus. La CFP a demandé à la plaignante d'indiquer par écrit quelles étaient ses allégations, afin de pouvoir décider s'il s'agissait bien de harcèlement en vertu des lignes directrices du Conseil du Trésor.

     Selon moi, le fait que la demanderesse avait présenté 14 plaintes à la Commission de la fonction publique n'aurait pas dû être placé dans ce rapport. Cela n'a rien à voir avec la question de savoir si la demanderesse a une plainte valable en matière de droits de la personne. Il n'est pas important de savoir combien de fois elle a présenté des plaintes à un autre organisme. Elle a le droit de présenter ces plaintes, qui peuvent être accueillies ou rejetées; elle a aussi le droit de présenter une plainte en matière de droits de la personne. À mon avis, le fait de parler de ces 14 plaintes dans le rapport est préjudiciable à la demanderesse. Comme je l'ai dit, cela n'a strictement rien à voir avec la plainte présentée à la Commission. De plus, cela tend à présenter à la Commission une image qui n'est pas vraiment neutre.

[40]      Pour ces motifs, j'accueille la demande de contrôle judiciaire et annule la décision de la Commission. Un nouvel enquêteur doit être nommé pour traiter de cette plainte.

[41]      Compte tenu de la réponse que j'ai apportée à la question no 4a), il n'est pas nécessaire que j'examine les autres questions.


ORDONNANCE

[42]      IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire est accueillie.





     John A. O'Keefe

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 26 octobre 2000




Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1072-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Charlotte Hutchinson c. L'honorable Christine Stewart

LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 11 mai 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE O'KEEFE


EN DATE DU :              26 octobre 1999



ONT COMPARU

Mme Cynthia Chewter                          pour la demanderesse

M. Martin Ward                          pour la défenderesse



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Beaton, Derrick & Ring

Halifax (Nouvelle-Écosse)                      pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          pour la défenderesse

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.