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Date : 19990430


Dossier : T-1898-93

ENTRE :


HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,


requérantes,


et


LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.,


intimés.


ORDONNANCE

Sur requête déposée au nom de l'intimée, Apotex Inc., en vue d'obtenir :

     1. Une ordonnance annulant l'ordonnance rendue par Madame le juge Reed le 20 mars 1996;
     2. Une ordonnance rejetant la demande introductive de la présente instance;
     3. Toute autre ordonnance que cette Cour jugera équitable.

ET pour les motifs de l'ordonnance rendus ce jour;

LA COUR ORDONNE :

Les ordonnances demandées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus sont accordées.

                             ___________________________

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


Date : 19990430


Dossier : T-1898-93

ENTRE :


HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,


requérantes,


- et -


LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.,


intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      L'intimée Apotex présente une requête en vue de faire annuler une ordonnance rendue le 20 mars 1996 dans la présente action et dont voici le texte :

             [traduction] Il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex à l'égard de sa présentation de drogue nouvelle relative aux comprimés de 750 mg et de 1000 mg du médicament Naproxen à libération prolongée auquel se rapporte l'avis d'allégation en date du 15 juin 1993, jusqu'à l'expiration du brevet canadien 1,204,671.

Cette ordonnance a été rendue relativement à un avis d'allégation en date du 15 juin 1993, qu'Apotex avait déposé auprès du ministre dans le cadre de sa présentation de drogue nouvelle, à savoir un comprimé de naproxen à libération prolongée. L'avis d'allégation d'absence de contrefaçon était nécessaire parce que Syntex avait soumis au ministre une liste comportant le brevet canadien no 1,204,671 (brevet '671), conformément à l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.

[2]      Toutefois, cette Cour a récemment déclaré que le brevet '671 était invalide et jugé que la préparation d'Apotex visée par l'avis d'allégation ne contrefaisait pas ce brevet (procédure T-2870-96; décision rendue le 19 avril 1999). Apotex cherche donc à obtenir une ordonnance annulant l'ordonnance de mars 1996, soit en vertu de la Règle 399(2) des Règles de la Cour fédérale, au motif que " des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue ", ou conformément à la compétence inhérente de la Cour pour modifier une injonction quand les circonstances changent. Apotex demande aussi une ordonnance rejetant la demande d'ordonnance d'interdiction présentée par les requérantes le 3 août 1993, qui a donné lieu à la présente instance (T-1898-93).

[3]      Après l'octroi de l'ordonnance du 20 mars 1996, laquelle interdisait au ministre de délivrer un avis de conformité, Apotex a déposé un deuxième avis d'allégation, en date du 22 mars 1996, concernant le même comprimé de naproxen à libération prolongée. En réponse, Hoffmann-La Roche et Syntex Pharmaceuticals ont demandé à nouveau une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité sur la base de ce deuxième avis d'allégation (procédure T-998-96). Cette demande a été suspendue au motif qu'elle portait sur la même question que celle que la Cour avait été appelée à trancher dans l'action précédente. La suspension a été accordée pour la raison que l'ordonnance rendue en mars 1996 dans la procédure en cours empêcherait toujours la délivrance d'un avis de conformité à Apotex.

[4]      En novembre 1998, le ministre a délivré par erreur un avis de conformité à Apotex. Lorsque le texte des motifs de la décision T-998-96 a été porté à son attention, il a convenu que l'avis de conformité qu'il avait délivré était nul et qu'il n'était pas compétent pour le délivrer.

[5]      Quelques jours avant que le ministre ne se prononce à cet égard, Hoffmann-La Roche et Syntex avaient déposé une demande en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que l'avis de conformité de novembre 1998 était nul, ainsi qu'une déclaration selon laquelle le ministre n'était pas compétent pour le délivrer (procédure T-2309-98). Le juge Evans a accordé cette ordonnance le 7 avril 1999. Une requête déposée en vue de la suspension de cette ordonnance en attendant l'issue de l'appel a été rejetée le 21 avril 1999.

[6]      Hoffmann-La Roche et Syntex font valoir que la Cour n'est pas compétente, aux termes de la Règle 399(2), pour annuler l'ordonnance d'interdiction rendue en mars 1996 en l'espèce, parce que l'ordonnance qu'elle a rendue par la suite, le 19 avril 1999, dans l'affaire T-2870-96, n'est pas un [traduction] " fait nouveau survenu ou découvert après que l'ordonnance de mars 1996 eut été rendue ", que la compétence accordée à la Cour par le Règlement est très limitée et ne prévoit pas le recours invoqué et que, de toute façon, l'ordonnance rendue par le juge Evans le 7 avril 1999 empêche le ministre de délivrer un avis de conformité. Les requérantes prétendent que l'ordonnance demandée, en l'espèce, est une contestation indirecte des décisions rendues par le juge Evans les 7 et 21 avril 1999.

[7]      L'argument de l'avocat des requérantes, selon lequel la Règle 399(2) ne s'applique pas en l'espèce, n'est pas dépourvu de fondement, mais je n'ai pas besoin de trancher cette question, puisque l'on m'a convaincue que la compétence de la Cour se prolonge dans le temps en ce qui concerne l'ordonnance d'interdiction en cause, ce qui lui permet de modifier celle-ci en fonction des nouvelles circonstances. La compétence inhérente de la Cour à cet égard est claire dans le cas d'une injonction. L'état du droit sur ce point est exposé dans l'ouvrage d'I.C.F. Spry, The Principles of Equitable Remedies, 5e éd. (Sydney : The Law Book Company, 1997), à la page 382 :

         [traduction] Tant les injonctions permanentes que les injonctions interlocutoires et provisoires peuvent être annulées par le tribunal qui les a rendues, si ce dernier estime qu'il convient de le faire.

L'avocat d'Apotex a invoqué la jurisprudence suivante qui, selon lui, illustre ce point : Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization v. Perry (1988), 92 F.L.R. 182 (S.C. S.Aust.), aux pages 185 à 188; State of Pennsylvania v. Wheeling and Belmont Bridge Co. (1855), 59 U.S. 421, aux pages 431 et 432; United States v. Swift & Co. (1932), 286 U.S. 106, aux pages 114 et 115; System Federation v. Wright (1960), 364 U.S. 642, aux pages 646 à 650; R.B. Harbottle (Mercantile) Ltd. v. National Westminister Bank Ltd., [1978] 1 Q.B. 146. Nombre de ces affaires sont américaines, mais j'estime que le principe ici invoqué est assez bien établi.

[8]      Je conviens que l'ordonnance d'interdiction n'a pas les mêmes antécédents historiques que l'injonction : l'une est un recours en equity, l'autre est un recours en common law. Elles sont régies par des règles différentes. Par exemple, les tribunaux jouissent, pour faire droit à un recours en equity ou le rejeter, d'un pouvoir discrétionnaire plus large que celui qui leur est conféré en matière de brefs de prérogative. Toutefois, ces deux types d'ordonnances sont réunis à l'article 18 de la Loi sur la cour fédérale et, ce qui est plus important, ils ont tous deux le même effet : dans les deux cas, le tribunal interdit à une personne d'accomplir l'acte visé par l'ordonnance. Si l'effet de chacun était différent, il en résulterait une situation factice. De plus, selon la jurisprudence, l'action intentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne peut donner lieu à une décision définitive sur la nature des droits du breveté, et il est clair qu'une décision rendue dans une action en revendication de brevet peut annuler une décision sur la justification, ou l'absence de justification, d'un avis d'allégation (voir Eli Lilly & Co. c. Novopham Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, à la page 184). Si la Cour n'est pas compétente pour accorder le redressement demandé, le succès de l'intimé dans l'action en revendication de brevet est une bien piètre victoire, et une injustice en résulte. À mon avis, la Cour a une compétence inhérente qui se prolonge dans le temps, dans le cas d'une ordonnance d'interdiction rendue dans le cadre d'une action intentée en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pour modifier ou annuler cette ordonnance en fonction des nouvelles circonstances, comme c'est le cas pour une injonction.

[9]      En ce qui concerne le lien entre la présente procédure et les affaires T-998-96 et T-2309-98, je ne suis pas convaincue que le fait d'accorder l'ordonnance demandée constitue une contestation indirecte des décisions du juge Evans. L'ordonnance rendue par celui-ci, déclarant que l'avis de conformité de novembre 1998 était nul et que le ministre n'était pas compétent, est fondée sur la décision du juge MacKay qui a suspendu l'audition de la demande déposée par Syntex et Roche en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction dans l'affaire T-998-96. Cette décision était quant à elle fondée sur la conclusion selon laquelle l'avis de conformité en cause dans cette affaire était le même que celui dont la Cour est saisie en l'espèce. Vu cette conclusion, la Cour, dans l'affaire T-998-96, s'est appuyée sur l'ordonnance d'interdiction rendue en l'espèce pour continuer à empêcher la délivrance d'un avis de conformité à Apotex. Dans ces circonstances, j'accueille la thèse selon laquelle Apotex n'a besoin de se préoccuper que de l'ordonnance du 20 mars 1996.

[10]      J'en arrive à la position du ministre selon laquelle, à l'origine, la demande déposée dans l'affaire T-2309-98 et visant à faire déclarer nul l'avis de conformité délivré en novembre 1998 n'avait pas de raison d'être puisqu'il avait été convenu avec les requérantes que cet avis était nul. Pendant l'instruction, les fonctionnaires du ministère ont toutefois découvert qu'Apotex avait vendu du naproxen, malgré le retrait de l'avis de conformité par le ministre. En conséquence, quand on a débattu la question de savoir si le juge Evans devait surseoir à statuer dans l'affaire T-2309-98 en attendant l'issue de l'appel, le ministre a affirmé que l'intérêt public commandait de faire respecter la loi et de ne pas retarder la décision.

[11]      Après l'ordonnance du 19 avril 1999 déclarant le brevet '671 invalide et statuant que la préparation d'Apotex n'était pas une contrefaçon, l'avocat d'Apotex a tenté de convaincre le juge Evans que ces éléments constituaient autant de raisons supplémentaires de surseoir à statuer dans l'affaire T-2309-98 en attendant l'issue de l'appel. L'avocat du ministre a estimé que la décision rendue dans l'affaire T-2870-96 n'était pas pertinente quant à la question dont le juge Evans était saisi. Il a déclaré que le ministre consentirait à une ordonnance annulant l'ordonnance du 20 mars 1996 si la demande en était faite. La position du ministre est énoncée dans une lettre à la Cour en date du 20 avril 1999 dont voici un extrait :

         [traduction] Le ministre affirme respectueusement que le jugement n'a aucun rapport avec les motifs de contestation du sursis qui ont été avancés en son nom devant la Cour. En outre, le ministre estime que, malgré le jugement du 19 avril 1999, l'ordonnance d'interdiction rendue par la juge Reed le 20 mars 1996 dans l'affaire portant le numéro du greffe T-1898-93 (telle qu'interprétée dans l'ordonnance rendue par le juge McKay le 8 janvier 1997 dans l'affaire portant le numéro du greffe T-998-96) est toujours en vigueur et interdit au ministre de délivrer un avis de conformité.
         En conséquence, le ministre soutient respectueusement que le recours dont Apotex Inc. peut se prévaloir ne consiste pas à faire exécuter le jugement du 19 avril dans la requête en sursis, mais plutôt à demander l'annulation de l'ordonnance d'interdiction du 20 mars 1996 et la modification de l'ordonnance du 8 janvier 1997, conformément à la Règle 399. Si cette requête était accueillie, le jugement visé par la requête en sursis n'aurait plus de raison d'être. Étant donné l'effet du jugement du 19 avril 1999, le ministre consentirait à une requête en annulation de l'ordonnance d'interdiction. [ Non souligné dans l'original.]

[12]      Le juge Evans en fait mention dans ses motifs (T-2309-98, 21 avril 1999), aux paragraphes 42 à 44 :

         [traduction] [42]      Compte tenu de mon point de vue sur la question, l'ordonnance du juge Reed ne tranche pas la requête en sursis parce qu'elle n'aborde pas le principal motif sur lequel j'ai fondé mon jugement, soit l'intérêt public de s'assurer que les personnes qui ne se conforment pas à la loi ne devraient pas en profiter. De plus, l'ordonnance du juge Reed peut très bien faire l'objet d'un appel et, ce qui est concevable, être infirmée.
         [43]      Toutefois, je reconnais aussi qu'il est dans l'intérêt public de s'assurer que l'on a rapidement accès à des médicaments de rechange moins coûteux que les médicaments d'origine. Dans des observations écrites, M. Woyiwada, l'avocat du ministre, a déclaré qu'au vu de l'ordonnance du juge Reed, le ministre consentirait à des ordonnances annulant l'interdiction accordée par le juge Reed en mars 1996, et modifiant en conséquence l'ordonnance du juge MacKay datée du 8 janvier 1997, ce qui permettrait de délivrer un avis de conformité à Apotex.
         [44]      Cette solution me semble intéressante parce qu'elle concilie, d'une façon à la fois fondée sur des principes et pratique, les motifs d'intérêt public pertinents en l'espèce : le respect de la loi et la concurrence.

[13]      L'avocat du ministre a récemment réaffirmé sa position dans une lettre à la Cour en date du 27 avril 1999 :

         [traduction] La présente confirme que, compte tenu de ce jugement, le ministre consent au prononcé de l'ordonnance demandée dans la présente requête.
         À noter que, vu l'ordonnance que l'on cherche à faire annuler par cette requête, l'ordonnance du juge McKay datée du 8 janvier 1997 a suspendu l'instance dans l'affaire portant le numéro du greffe T-998-96. Afin de clarifier cette situation pour le moins inédite, le ministre soutient respectueusement qu'il serait utile que la Cour indique, dans l'ordonnance qu'elle rendra si la requête est accueillie, que l'ordonnance du 8 janvier 1997 dans l'affaire portant le numéro du greffe T-998-96 a aussi été prise en considération et que le ministre est autorisé à délivrer un avis de conformité.

[14]      J'en viens à l'analyse. Je ne suis pas convaincue que l'ordonnance demandée soit nécessaire pour autoriser le ministre à délivrer un avis de conformité. L'ordonnance qui a été rendue dans l'affaire T-2870-96 a déclaré le brevet '671 [traduction] " invalide, nul et sans effet ". Selon moi, cette déclaration permet au ministre de traiter le brevet comme étant nul aux fins de l'article 4. Il peut également agir comme si le brevet n'avait jamais été inscrit sur la liste. De plus, l'ordonnance d'interdiction du 20 mars 1996 qui a été rendue en l'espèce indiquait qu'elle resterait en vigueur " jusqu'à l'expiration du brevet canadien 1,204,671 ". Comme le brevet a été déclaré invalide, il a, en fin de compte, expiré. J'estime donc que l'ordonnance a, d'après ses propres termes, perdu sa force exécutoire en raison du prononcé, dans l'affaire T-2870-96, d'une ordonnance déclarant le brevet invalide.

[15]      Je peux cependant comprendre pourquoi les conseillers juridiques du ministre sont si prudents : ils ne voudraient pas voir ce dernier se faire accuser de ne pas respecter une ordonnance judiciaire. En conséquence, je suis prête à accorder l'ordonnance demandée.

[16]      On m'a convaincue que la Cour est compétente pour annuler l'ordonnance du 20 mars 1996 dans un cas comme celui-ci, non pas parce qu'elle était nulle lors de son prononcé, mais en raison des nouvelles circonstances. En d'autres termes, je conviens que la Cour a une compétence qui se prolonge dans le temps, comme dans le cas d'une injonction, pour modifier l'ordonnance d'interdiction. Je ne suis pas persuadée que la présente requête soit une contestation indirecte des décisions du juge Evans. Comme le fondement juridique de l'ordonnance du 20 mars 1996 n'existe plus, les ordonnances demandées doivent être accordées.

                    

                                 Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1898-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Hoffmann-La Roche Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 28 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :      30 avril 1999.

ONT COMPARU :

Gunars Gaikis                  pour la requérante

Harry Radomsky et D. Scrimger                  pour l'intimée Apotex

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                  pour la requérante

Toronto (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineberg                  pour l'intimée Apotex

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                  pour l'intimé (ministre)

Sous-procureur général du Canada

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