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Date : 20001220

Dossier : T-550-99

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                       VIACOM HA! HOLDING COMPANY et

TIME WARNER ENTERTAINMENT COMPANY, L.P.

exploitant leur entreprise en société sous la raison sociale COMEDY PARTNERS

demanderesses

- et -

M. UNTEL et Mme UNETELLE et LES AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS NE SONT PAS CONNUS, QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT DES MARCHANDISES SOUTH PARK NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES OU QUI EN FONT LE COMMERCE, ET LES PERSONNES DÉSIGNÉES À L'ANNEXE « A » JOINTE AUX PRÉSENTES

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT


[1]                 Je suis ici saisi d'une demande visant à l'obtention d'un jugement par défaut contre 9024-7081 Quebec Inc. exploitant son entreprise sous le nom de Dollar Encore, Kit Ping Cheung et Chi Kin (Kevin) Leung. Le montant réclamé au moyen de dommages-intérêts s'élève à 6 000 $ par défendeur, ce qui donne à entendre que, de l'avis des demanderesses, les défendeurs violaient individuellement leurs droits de propriété intellectuelle dans le cadre de l'exploitation d'un commerce de détail.

[2]                 L'affidavit de signification établit que les trois défendeurs ont reçu signification au même endroit le même jour, à savoir au 6530, avenue Somerled, Montréal (Québec), le 6 juillet 1999. L'un des défendeurs individuels a allégué être propriétaire pour la moitié de la société défenderesse. L'affidavit de documents ne dit rien au sujet du statut de l'autre défendeur individuel. La délivrance de l'ordonnance de révision établit prima facie que les marchandises contrefaites ont été mises en vente depuis les locaux en question. Les défendeurs ne se sont pas défendus, de sorte qu'il peut être considéré qu'ils ont admis participer à la contrefaçon.


[3]                 Le montant des dommages-intérêts symboliques qui est habituellement accordé par suite de la vente de marchandises contrefaites du genre ici en cause, à partir de locaux fixes, est de 6 000 $. Il s'agit de savoir si les défendeurs sont tenus de payer ce montant individuellement ou conjointement et solidairement. Dans un cas, les demanderesses obtiendront trois jugements, chacun d'un montant de 6 000 $, ce qui correspond à 18 000 $ en tout. Dans l'autre cas, les demanderesses obtiendront un seul jugement de 6 000 $ que les trois défendeurs devront payer individuellement ou ensemble, le montant recouvré par les demanderesses ne devant en aucun cas excéder 6 000 $. Cette cour semble par le passé avoir délivré des jugements individuels.

[4]                 Si on adopte comme point de départ la thèse selon laquelle c'est la vente de marchandises contrefaites qui donne naissance à l'obligation de payer des dommages-intérêts et qu'en omettant de comparaître à l'audition de la requête en révision et de se défendre contre la réclamation, les défendeurs sont réputés avoir admis vendre des marchandises contrefaites, des dommages-intérêts devraient être payés par ceux-ci. Toutefois, pareil aveu ne permet pas de déterminer si les défendeurs se livraient à cette activité à titre de dirigeants (tirant profit de l'entreprise) ou à titre de simples employés (tirant uniquement profit de l'activité grâce au salaire touché). Le montant recouvré par les demanderesses devrait-il être fonction du nombre de personnes concernées qui étaient sur les lieux au moment de la saisie?


[5]                 À mon avis, la fixation de dommages-intérêts symboliques d'un montant de 6 000 $, par opposition aux 3 000 $ fixés dans le cas des vendeurs ambulants, visait à indiquer les conséquences financières plus graves qu'un commerce fixe de détail pourrait avoir pour les demandeurs. Un grand nombre d'entreprises familiales pourraient sans doute être considérées comme des commerces fixes de détail, mais il est également vrai qu'il est beaucoup plus probable que pareils commerces fassent appel à des employés rémunérés qu'un vendeur ambulant. Les dommages-intérêts symboliques qui étaient fixés, dans des cas où des commerces fixes de détail étaient en cause, ne visaient pas à faire varier le montant accordé selon le nombre d'employés. Ce qui importe, c'est qu'un commerce fixe de détail est en cause, plutôt que le nombre de personnes se trouvant sur les lieux au moment de la saisie. Il n'y a qu'une entreprise et, par conséquent, il ne devrait y avoir qu'un seul jugement accordant des dommages-intérêts symboliques.

[6]                 Selon l'argument contraire, le nombre d'employés peut indiquer le degré d'activité économique. En effet, plus il y a d'employés, plus il est probable que le chiffre d'affaires soit élevé et que cela nuise aux intérêts des demanderesses. Cependant, cet argument pose un problème : aucune distinction n'est faite entre ceux qui tirent profit de l'entreprise et ceux qui s'en occupent simplement. Toutefois, d'une façon plus fondamentale, pareil argument remet en question le fondement permettant l'exécution d'une ordonnance Anton Piller renouvelable contre les locaux en cause. Si les défendeurs se livrent à leurs activités depuis des locaux fixes et génèrent un chiffre d'affaires élevé, qu'est-ce qui justifie l'exécution d'une ordonnance Anton Piller renouvelable plutôt que d'une ordonnance visant expressément le lieu en cause? Plus l'entreprise est apparemment viable, moins il est justifié d'avoir recours à une ordonnance Anton Piller renouvelable, qui est fondée sur le fait que les défendeurs se déplacent et ne sont donc pas assujettis aux ordonnances réparatrices habituellement rendues par la Cour.


[7]                 Ceci dit, même les employés profitent du commerce illicite. S'ils croyaient subir un préjudice par suite du prononcé possible d'un jugement contre eux, ils comparaîtraient probablement à l'audience relative à l'examen de la question de l'exécution de l'ordonnance et ils déposeraient une défense. Or, ils ne l'ont pas fait en l'espèce. Étant donné qu'il est difficile de déterminer qui est dirigeant et qui est un simple employé, il semble plus sage de fixer les dommages-intérêts sur une base conjointe et solidaire, et de laisser les défendeurs déterminer entre eux leurs obligations respectives. Lorsque les défendeurs ne participent pas à la procédure, on ne saurait s'attendre à ce que les demanderesses fassent des distinctions subtiles au sujet de la culpabilité.

[8]                 Selon le système législatif qui protège la propriété intellectuelle des demanderesses, la responsabilité est conjointe et solidaire. En effet, l'article 38.1 de la Loi sur le droit d'auteur prévoit ce qui suit :


38.1 (1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d'auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l'ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages-intérêts préétablis dont le montant, d'au moins 500_$ et d'au plus 20 000_$, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l'occurrence, pour toutes les violations -- relatives à une oeuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d'auteur -- reprochées en l'instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables. [Je souligne.]


38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for all infringements involved in the proceedings, with respect to any one work or other subject-matter, for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally, in a sum of not less than_$500 or more than_$20,000 as the court considers just. [Emphasis added].



[9]                 La Loi sur les marques de commerce ne parle pas de la responsabilité conjointe et solidaire, mais la déclaration qui a été déposée en l'espèce vise à l'obtention de dommages-intérêts fondés sur l'infraction dite de « passing off » ainsi que sur la contrefaçon d'une marque de commerce. Le « passing off » est un délit de common law et, partant, il serait assujetti aux règles qui s'appliquent aux personnes qui ont commis un délit conjointement. Le professeur Fleming résume ces règles comme suit dans l'ouvrage intitulé The Law of Torts (9e éd.), LBC Information Services, North Ryde NSW, 1998, aux pages 288 et 289 :

[TRADUCTION]

Un délit est imputé à plusieurs personnes en leur qualité d'auteurs conjoints dans trois cas : le mandat, la responsabilité du fait d'autrui et l'action concertée [...] Ce qui est crucial, dans le dernier cas, c'est que les personnes qui participent au délit ont agi dans un dessein commun. Il doit y avoir une « action concertée visant à une fin commune » plutôt qu'une simple activité parallèle ou qu' « un concours de circonstances distinctes qui, par leur effet combiné, causent un préjudice » . D'une façon générale, cela s'entend d'un complot dans lequel tous les participants agissent en vue de causer le tort, mais il n'est pas nécessaire que ceux-ci se rendent compte qu'ils commettent un délit. Toutes les personnes qui agissent dans un but commun, et qui sont donc connues les unes des autres, sont donc responsables de toutes les conséquences [...]

[10]            Au Québec, la loi est similaire. En effet, le Code civil du Québec prévoit ce qui suit :


1480. Where several persons have jointly taken part in a wrongful act which has resulted in injury or have committed separate faults each of which may have caused the injury, and where it is impossible to determine, in either case, which of them actually caused it, they are solidarily liable for reparation thereof.


1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.


...                                                                                                                      [...]


1523. An obligation is solidary between the debtors where they are obligated to the creditor for the same thing in such a way that each of them may be compelled separately to perform the whole obligation and where performance by a single debtor releases the others towards the creditor.


1523. L'obligation est solidaire entre les débiteurs lorsqu'ils sont obligés à une même chose envers le créancier, de manière que chacun puisse être séparément contraint pour la totalité de l'obligation, et que l'exécution par un seul libère les autres envers le créancier.



[11]            Dans des cas tels que celui-ci, où il est conclu qu'un certain nombre de personnes se livrent à une activité, soit la vente de marchandises contrefaites, et où il n'est pas possible de déterminer la mesure dans laquelle une personne particulière a contribué au tort causé, et en l'absence d'une plaidoirie disculpatoire de la part des personnes en cause, il ne semble pas inéquitable d'imputer la responsabilité sur une base conjointe et solidaire. Quoi qu'il en soit, cela semble plus équitable que de conclure que chaque défendeur individuellement est tenu de payer au complet le montant habituellement fixé au titre de dommages-intérêts symboliques, lorsqu'il semble n'y avoir qu'une seule entreprise ou un seul commerce qui cause le préjudice.

[12]            À ces motifs, un jugement est rendu contre les défendeurs conjointement et solidairement. Un jugement distinct est prononcé dans chaque cas.

                                                                                                                                          J.D. Denis Pelletier                                 

                                                                                                                                                                  Juge                                              

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                           T-550-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          VIACOM HA! HOLDING COMPANY ET AUTRE c. Mme UNETELLE ET AUTRES

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES.

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE PELLETIER EN DATE DU 20 DÉCEMBRE 2000.

ARGUMENTATION ÉCRITE :

Lorne M. Lipkus                                                                            POUR LES DEMANDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kestenberg Siegal Lipkus                                                             POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)

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