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     Date : 19990611

     Dossier : T-111-98

     ACTION RÉELLE CONTRE LE NAVIRE DÉFENDEUR " ATLANTIS TWO "

ENTRE

     FRASER SHIPYARD AND INDUSTRIAL CENTRE LTD.,

     demanderesse,

     et

     EXPEDIENT MARITIME COMPANY LIMITED,

     EXPEDIENT MARITIME CO. (CYPRESS) LTD,

     INTERNATIONAL COFFEE AND FERTILIZER

     TRADING CO. LTD. (INCOFE), MERMAID SHIPPING CO. LTD. et les propriétaires      et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire " ATLANTIS TWO ",

     défendeurs,

     et

     LES OFFICIERS ET L'ÉQUIPAGE DU NAVIRE

     " ATLANTIS TWO ",

     intervenants,

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), les 24 et 25 novembre 1998.

Ordonnance rendue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juin 1999.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

     TABLE DES MATIÈRES

     Paragraphe no :

HISTORIQUE      2 - 7   
ORDRE DE PRIORITÉ DES RÉCLAMATIONS IN REM ET PRINCIPES APPLICABLES   
     Ordre de priorité des réclamations in rem au Canada      8 - 9   
     Ordre de priorité de certaines réclamations in rem aux États-Unis      10 - 12   
     Dépôt tardif des réclamations américaines relatives aux approvisionnements nécessaires      13   
     L'Ioannis Daskalelis      14 - 20   
COMBUSTIBLE DE SOUTE FOURNI SUR ORDONNANCE DE LA COUR      21 - 24   
CRÉANCE DE L'ÉQUIPAGE, DES OFFICIERS ET DU CAPITAINE      25 - 26   
     Débours du capitaine      27   
     Salaires de l'équipage      28   
     Les dépens      29   
RAPATRIEMENT   
     Frais de rapatriement de l'équipage      30 - 31   
     Cession des frais de rapatriement      32 - 35   
RÉCLAMATION RELATIVE AU COMBUSTIBLE DE SOUTE DÉPOSÉE PAR MERMAID SHIPPING CO. LTD.      36   
     Réclamation de Mermaid en sa qualité de propriétaire du combustible      37 - 40   
     Combustible de Mermaid qui a été utilisé à Vancouver      41 - 52   
     Droit du créancier hypothécaire sur le combustible qui était à bord du navire      53 - 58   
     Frais de vente du combustible      59 - 60   
     Montant accordé à Mermaid      61   
FOURNITURE D'APPROVISIONNEMENTS NÉCESSAIRES AUX ÉTATS-UNIS      62   
     Réclamation de Strachan      63 - 64   
     Réclamation d'Hellenic      65 - 68   
     Réclamation d'Atlantic DE      69 - 71   
     Réclamation d'Atlantic NLN      72 - 74   
RÉCLAMATION DE NAUTILUS AUSTRALIA LIMITED      75 - 77   
RÉCLAMATION DE MEGA MARINE SERVICES LTD.      78 - 82   

RÉCLAMATION D'UNITOR ASA      83 - 86   
     Fournisseur étranger d'approvisionnements nécessaires qui a recours à un agent américain      87 - 88   
     Réclamations fondées sur la procédure relative aux navires frères      89 - 94   
RÉCLAMATION DE MERMAID      95 - 100   
RÉCLAMATION D'INCOFE      101 - 120   
     Dommages-intérêts réclamés par INCOFE      121 - 127   
     Intérêts relatifs à la cargaison retenue à bord de l'Atlantis Two      128 - 132   
     Extension de la couverture      133 - 134   
     Frais de visite      135   
     Paiement à ABOPAC de la différence entre le coût initial et le coût de remplacement de la potasse      136 - 148   
     Quantité manquante et transport; écart de prix sur le marché      149 - 150   
     Profits perdus en 1997      151 - 154   
     Profit perdu en 1998      155 - 159   
     Résumé      160   
RÉCLAMATION D'ABN-AMRO BANK N.V.      161 - 163   
     L'hypothèque de premier rang      164 - 183   
RÉCLAMATION DE FRASER SHIPYARD      184 - 185   
     Modification de l'ordre de priorité habituel      186 - 192   
     Modification de l'ordre de priorité : le cas de Fraser Shipyard      193 - 208   
CONCLUSION      209 - 212   

     Date : 19990611

     Dossier : T-111-98

     ACTION RÉELLE CONTRE LE NAVIRE DÉFENDEUR " ATLANTIS TWO "

ENTRE

     FRASER SHIPYARD AND INDUSTRIAL CENTRE LTD.,

     demanderesse,

     et

     EXPEDIENT MARITIME COMPANY LIMITED,

     EXPEDIENT MARITIME CO. (CYPRESS) LTD.,

     INTERNATIONAL COFFEE AND FERTILIZER

     TRADING CO. LTD. (INCOFE), MERMAID SHIPPING CO. LTD. et les propriétaires      et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire " ATLANTIS TWO ",

     défendeurs,

     et

     LES OFFICIERS ET L'ÉQUIPAGE DU NAVIRE

     " ATLANTIS TWO ",

     intervenants,

     et

     LE REGISTRE DE LA LLOYD,

     intervenant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Ces motifs portent sur l'ordre de priorité des créanciers dans une action réelle relative au produit de la vente de l'Atlantis Two ainsi que sur la cession à Sa Majesté de la créance

de l'équipage en ce qui concerne les frais de rapatriement. Certaines questions ayant trait à l'ordre de priorité sont passablement typiques. D'autres questions, telles que la modification de l'ordre de priorité habituel, la nature de diverses revendications américaines de privilèges, notamment en ce qui concerne la violation de la charte-partie et du sous-affrètement ainsi que l'exercice, au moyen de la procédure canadienne concernant les navires frères, d'un privilège maritime américain fondamental, ont fait l'objet d'un examen moins approfondi ou sont nouvelles.

HISTORIQUE

[2]      En ce qui concerne les faits, cette action a été intentée en janvier 1998; elle était fondée sur une créance relative aux approvisionnements nécessaires fournis par un réparateur de navires, soit du travail exécuté à Vancouver en décembre 1997 et en janvier 1998 en vue de satisfaire aux exigences relatives au contrôle portuaire appliquées par la Garde côtière, pendant que le navire était immobilisé. L'Atlantis Two a été saisi le 5 janvier 1998 dans le cadre d'une autre action relative à des approvisionnements nécessaires et le 30 janvier 1998 dans le cadre de la présente action, pendant qu'il mouillait dans le port de Vancouver. Par la suite, les propriétaires ayant abandonné l'Atlantis Two, les officiers et l'équipage du navire sont intervenus; le 27 mai 1998, ils ont obtenu une ordonnance de vente pendant le litige, le navire étant alors chargé de potasse à destination du Guatemala et du Costa Rica.

[3]      Au fur et à mesure que diverses entités intéressées ont pris connaissance de l'instance, elles y ont activement participé. En particulier, International Coffee & Fertilizer Trading Co. (INCOFE), qui était propriétaire de la cargaison, et Mermaid Shipping Co. Ltd. (Mermaid), un fournisseur de combustible de soute, se sont jointes à titre de défenderesses. Par conséquent, le navire a été vendu sous réserve de l'obligation de livrer la cargaison. Le combustible diesel et le combustible de soute, qui restaient à bord du navire, ont été évalués et le produit a été conservé dans un fonds théoriquement distinct, aux fins des créances de Mermaid en sa qualité de propriétaire du combustible.

[4]      La vente du navire, au prix de 1 100 000 $, a eu lieu le 11 août 1998 à la suite d'une ordonnance judiciaire. Le combustible de soute a en même temps été vendu avec le navire, au prix de 58 393,49 $. Tous les chiffres mentionnés dans ces motifs sont exprimés en dollars américains, sauf stipulation contraire. Le prix était inférieur à la valeur de 1 450 000 $, établie lors de l'évaluation, mais cela n'était pas surprenant étant donné l'état du navire et le fait que la cargaison était à son bord, ce qui empêchait l'inspection des cales et des plafonds de ballast, ainsi que le fait que le marché était à la baisse.

[5]      Dans l'intervalle, avant que l'ordonnance de vente eût été rendue, les officiers et l'équipage, qui n'avaient pas d'argent, ont obtenu une ordonnance de rapatriement portant que les frais de rapatriement payés par le gouvernement du Canada feraient partie des privilèges maritimes se rapportant aux salaires. L'ordonnance autorisait la cession du privilège au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui a pris en charge le coût du retour en Inde des membres de l'équipage.

[6]      Un grand nombre de personnes revendiquant un privilège ont comparu. Celles qui ont poursuivi l'affaire sont désignées ci-dessous :

1.      James Peebles

Fourniture de combustible diesel, à Vancouver, occupant le même rang que la créance relative aux débours du prévôt, selon l'ordonnance rendue par Monsieur le juge Pinard le 13 mai 1998, d'un montant de 13 250 $.

2.      Capitaine, officiers et équipage, y compris les frais de rapatriement cédés à Citoyenneté et Immigration Canada

Salaires de l'équipage, d'un montant de 354 357,37 $, et frais de rapatriement, d'un montant de 31 356,41 $ CAN

3.      Mermaid Shipping Co. Ltd.

En sa qualité de propriétaire du fuel-oil et du mazout marin intermédiaires, d'une valeur de 114 752,38 $, et de titulaire d'une créance opposable au propriétaire du navire fondée sur la violation de la charte-partie, y compris le combustible de soute consommé, le prix de location payé en trop et la perte de revenu, d'un montant de 635 699,01 $.

4.      Strachan Shipping Co.

Approvisionnements nécessaires fournis par une société américaine à Savannah, en Georgie, le 13 avril 1997, d'un montant de 3 429,37 $.

5.      Hellenic Ship Supply Inc.

Fournisseur américain présentant une réclamation à l'égard d'approvisionnements nécessaires livrés à l'Atlantis Two, à Tampa, en Floride, en février 1997, le solde dû étant de 6 425,75 $.

6.      Atlantic Steamers Supply Co. (DE) Inc.

Fournisseur américain qui a fourni des approvisionnements nécessaires en 1996 et en 1997 à Philadelphie, à Tampa, en Floride, et à Baltimore, au Maryland, d'un montant de 25 456,08 $.

7.      Atlantic Steamers Supply Co. (NLN) Inc.

Fournisseur américain qui a fourni des approvisionnements nécessaires en 1993 et en 1996 à la Nouvelle-Orléans, le solde dû étant de 23 421,54 $.

8.      Nautilus Australia Limited

Approvisionnements nécessaires fournis en octobre 1997 en Australie, le solde du compte étant de 13 928,65 $ A.

9.      Mega Marine Services Ltd.

Fournisseur américain qui a expédié des approvisionnements nécessaires FAB Houston à l'Atlantis Two, qui était alors en Australie et à Vancouver, d'un montant de 41 577 $.

10.      Unitor ASA

Approvisionnements nécessaires fournis en 1997 et en 1998 par une société norvégienne par l'entremise d'un agent américain à l'Atlantis Two à Vancouver et à des navires frères dans des ports situés aux États-Unis, au Mexique, en Chine et en Norvège, d'un montant total de 27 636,58 $.

11.      International Coffee and Fertilizer Trading Co.

En sa qualité d'affréteur, par suite de la violation de la charte-partie, ce qui constituerait censément un privilège maritime américain, d'un montant de 435 851,10 $.

12.      ABN-AMRO Bank N.V.

Découvert garanti par hypothèque s'élevant à 2 090 895,28 $ au 30 juin 1998 et portant intérêt au taux de 8,5 p. 100 et hypothèque s'élevant à 9 283 973,97 $ au 30 juin 1998 et intérêts quotidiens de 1 940,24 $, les hypothèques ayant été enregistrées à titre de première et deuxième charge le 31 décembre 1995 et le 24 janvier 1996.

13.      Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd.

Réparations effectuées à Vancouver en décembre 1997 et en janvier 1998, d'un montant de 460 839,37 $ CAN, lesquelles étaient en bonne partie nécessaires par suite de l'immobilisation du navire par la Garde côtière.

[7]      Un certain nombre de personnes qui avaient initialement déposé des réclamations ont décidé de ne pas les poursuivre et n'ont pas comparu à l'audience qui a été tenue aux fins de la détermination de l'ordre de priorité. Ces créanciers, qui étaient des fournisseurs d'approvisionnements nécessaires, avaient uniquement, simplement pour des raisons d'emplacement, des droits réels par opposition aux privilèges maritimes revendiqués par les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires qui avaient la chance d'exploiter leur entreprise aux États-Unis1. J'examinerai maintenant l'ordre de priorité normal des réclamations in rem et certains principes applicables.

ORDRE DE PRIORITÉ DES RÉCLAMATIONS IN REM ET PRINCIPES APPLICABLES

Ordre de priorité des réclamations in rem au Canada

[8]      L'ordre de priorité accordé aux créances maritimes au Canada est d'une façon générale le même que celui qui est accordé à pareilles créances au Royaume-Uni, mais étant donné qu'il existe de légères différences, il est préférable de suivre les arrêts canadiens à moins de connaître ces différences. Les principaux arrêts canadiens sont Comeau's Seafoods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556, L'Ioannis Daskalelis, [1974] 1 Lloyd's 174 (C.S.C.), Osborne Refrigeration Sales & Service Inc. c. L'Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 et Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339. La décision Monica S., [1967] 2 Lloyd's 113, rendue par Monsieur le juge Brandon, qui traite à fond de la question du rang du fournisseur d'approvisionnements nécessaires, est également pertinente aux fins d'un examen général.

[9]      Au Canada, l'ordre de priorité habituel des réclamations in rem est le suivant :

         1.      Les débours du prévôt d'amirauté;                 
         2.      Les frais de vente, y compris ceux du demandeur dans une action relative à la saisie, à l'évaluation et à la vente, ou subsidiairement, la réclamation d'une partie autre que la demanderesse qui a entraîné la vente du navire;                 
         3.      Les privilèges possessoires antérieurs, quant à la date, aux autres privilèges;                 
         4.      Les privilèges maritimes;                 
         5.      Les privilèges possessoires qui sont créés après un privilège maritime;                 
         6.      La créance d'un créancier hypothécaire;                 
         7.      Les droits réels légaux, y compris ceux qui se rapportent à la fourniture d'approvisionnements nécessaires, qui sont colloqués pari passu entre eux.                 

Ordre de priorité de certaines réclamations in rem aux États-Unis

[10]      Étant donné qu'un certain nombre de personnes revendiquent des privilèges maritimes américains, je devrais également parler du rang qu'occupent entre elles certaines créances maritimes américaines. Le rang des privilèges maritimes américains relatifs aux approvisionnement nécessaires est régi, au Canada, par le système canadien de priorités, mais le rang des créances américaines est peut-être néanmoins pertinent.

[11]      Selon le système américain de priorités, le privilège maritime prioritaire qui existe à l'égard des marchandises fournies avant l'enregistrement d'une hypothèque privilégiée a priorité sur l'hypothèque. Il faut également tenir compte d'une catégorie accessoire de privilèges maritimes américains, soit ceux qui découlent de la violation de la charte-partie. Si pareil privilège remonte à une date antérieure à celle de l'hypothèque grevant le navire, il s'agit, en vertu du 46 U.S.C. par. 31301(5)(A), d'un privilège prioritaire qui vient avant l'hypothèque. S'il remonte à une date postérieure à celle de l'hypothèque américaine, ce n'est pas, par définition, un privilège maritime prioritaire. Bien sûr, comme je l'ai déjà dit, et je parle encore du système américain de priorités, il ne s'agit pas d'un cas isolé de perte de priorité : le créancier qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire après l'enregistrement d'une hypothèque privilégiée américaine n'a pas de privilège maritime prioritaire, mais uniquement un privilège maritime contractuel, qui vient après une créance hypothécaire privilégiée. Certains de ces concepts sont pertinents, aux fins de l'examen de la réclamation qu'INCOFE a présentée, en sa qualité de sous-affréteur, par suite de la violation de la charte-partie.

[12]      Quant au rang qu'occupent entre eux les privilèges maritimes américains relatifs aux approvisionnements nécessaires, la règle selon laquelle ils occupent un rang en ordre inverse de leur création est de nature procédurale. Toutefois, étant donné que les parties valides des privilèges maritimes américains et la partie d'une créance canadienne relative aux approvisionnements nécessaires que j'ai jugée équivalente à un privilège maritime américain n'épuisent pas les fonds disponibles, je n'ai pas à tenir compte du rang qu'occupent entre elles ces créances en droit canadien.

Dépôt tardif des réclamations américaines relatives aux approvisionnements nécessaires

[13]      Les réclamations américaines relatives aux approvisionnements nécessaires ne sont pas toutes nouvelles. J'ai donc soulevé la question du retard indu comme fin de non-recevoir possible. Aucun des avocats n'était prêt à présenter des observations. Toutefois, la diligence raisonnable constitue un élément important lorsqu'il s'agit de faire valoir avec succès une réclamation américaine relative aux approvisionnements nécessaires; je reviendrai plus tard sur ce point.

L'Ioannis Daskalelis

[14]      Étant donné qu'un certain nombre de réclamations américaines relatives aux approvisionnements nécessaires donnent lieu à des privilèges maritimes légaux fondamentaux, l'arrêt Ioannis Daskalelis (supra) est pertinent. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a statué que le titulaire américain d'un privilège maritime fondamental pourrait revendiquer son privilège au Canada et utiliser notre législation procédurale, à savoir la Loi sur la Cour fédérale et les Règles y afférentes, pour le faire valoir. En fait, il s'agit d'un droit américain à l'égard duquel il existe un recours canadien. Le droit que la Cour suprême du Canada a examiné dans l'arrêt Ioannis Daskalelis était reconnu en vertu de l'article 971 du United States Code, qui prévoyait notamment qu'une personne qui fournit des approvisionnements nécessaires [TRADUCTION] " [...] acquiert un privilège maritime sur le navire, lequel privilège peut être exercé par voie d'action réelle, et il n'est pas nécessaire d'alléguer ou de prouver qu'on a fait crédit au navire ". La disposition actuelle, soit l'article 31342, concernant la création de privilèges maritimes, prévoit notamment ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         [...] une personne qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire, sur les instructions du propriétaire ou d'une personne mandatée par le propriétaire :                 
         1.      acquiert un privilège maritime sur le navire;                 
         2.      peut intenter une action réelle au civil en vue de faire valoir son privilège;                 
         3.      n'est pas tenue d'alléguer ou de prouver dans le cadre de l'action qu'on a fait crédit au navire.                 

L'article 971 et l'article 31342 actuel sont similaires.

[15]      Monsieur le juge Ritchie, qui a rendu jugement dans l'affaire Ioannis Daskalelis, a mentionné l'arrêt Strandhill, [1926] S.C.R. 680, et a cité en particulier une remarque que Monsieur le juge Newcombe avait faite au sujet de la nature du privilège maritime américain qui avait été exercé dans cette affaire-là. Monsieur le juge Newcombe avait souligné que la Cour de l'Échiquier était autorisée à donner effet à un privilège maritime relatif aux approvisionnements nécessaires même si le droit avait été acquis sous le régime du droit d'un pays étranger et, en particulier, et je cite ici la remarque que Monsieur le juge Ritchie a faite à la page 177 :

         M. le Juge Newcombe, toutefois, a pris soin de signaler que [TRADUCTION] " Il ne faut pas ... oublier que c'est le droit, et non le recours, qui est régi par la lex loci . "                 

Monsieur le juge Ritchie a ensuite ajouté ce qui suit :

         Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se fonder sur autre chose que l'arrêt Strandhill pour être en mesure de décider que les réparations nécessaires effectuées par Todd Shipyards Corporation à New York ont donné lieu, contre le navire défendeur, à un privilège maritime qu'elle peut exercer en notre pays, mais la question suivante à régler en l'espèce est de savoir si ce privilège-là prend rang avant la réclamation présentée par l'intimée en vertu de son hypothèque, et à mon sens il faut trancher cette question d'après la loi du Canada (c.-à-d. la lex fori).                 

Monsieur le juge Ritchie a examiné ce point brièvement mais à fond et a conclu que le privilège maritime du réparateur de navires, lequel est en droit américain un privilège relatif aux approvisionnements nécessaires, avait priorité sur l'hypothèque dont le navire était grevé. Ce qui est pertinent, c'est le fait que non seulement l'ordre de priorité, mais aussi le rang, entre le privilège et l'hypothèque, doivent être déterminés en vertu du droit canadien.

[16]      L'arrêt Ioannis Daskalelis renferme également une autre remarque pertinente. L'Ioannis Daskalelis était un navire grec. Le litige opposait le créancier hypothécaire inscrit et un fournisseur américain d'approvisionnements nécessaires qui avait réparé le navire. L'hypothèque qui grevait l'Ioannis Daskalelis avait été enregistrée en décembre 1961. Le travail avait été exécuté en mars 1963.

[17]      Voici ce que Monsieur le juge Ritchie dit, à la page 176 :

         Il n'est pas contesté qu'en vertu du 46 United States Code, par. 971 et 972, la réclamation de l'appelante relative aux réparations nécessaires a donné naissance à un privilège maritime aux États-Unis d'Amérique, privilège qui en ce pays-là aurait priorité sur la créance hypothécaire; [...]                 

À première vue, on pourrait remettre en question cette remarque, car l'hypothèque remonte à une date antérieure à celle de la créance relative aux approvisionnements nécessaires et l'on pourrait donc croire qu'elle est visée par la règle générale selon laquelle une hypothèque privilégiée a priorité sur toutes les créances relatives aux approvisionnements nécessaires subséquentes, y compris les réparations.

[18]      Or, ce n'est pas le cas; en effet, lorsque le 46 U.S.C. a été modifié en 1954, de façon à accorder un statut privilégié aux hypothèques étrangères validement enregistrées, les fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires ont réussi à obtenir une disposition restrictive portant que les hypothèques étrangères viennent après les privilèges maritimes relatifs aux approvisionnements nécessaires : cette disposition figure maintenant au 46 U.S.C. par. 31326(b)(2)2. L'effet de cette disposition, combiné à la partie pertinente de la définition de " privilège maritime prioritaire ", exigeant qu'une créance relative aux approvisionnements nécessaires ait pris naissance avant l'enregistrement de l'hypothèque dont le navire est grevé, est que pareille créance n'est pas privilégiée, mais qu'elle passe néanmoins avant une hypothèque étrangère qui, selon le système américain, est une hypothèque privilégiée.

[19]      Il faut donc conclure que la Cour suprême du Canada savait qu'elle faisait droit à un privilège maritime ordinaire, un privilège qui n'aurait pas priorité, en appliquant le système canadien de priorités sous la rubrique générale des privilèges maritimes. Ce concept est utile dans l'analyse de la réclamation d'INCOFE, sur laquelle je reviendrai en temps et lieu.

[20]      L'ordre de priorité énoncé ci-dessus et les remarques qui ont été faites n'ont pas un caractère exhaustif; il s'agit plutôt d'un cadre montrant les rangs relatifs de divers types de réclamations in rem pertinentes ainsi que certaines considérations spéciales qui s'appliquent en l'espèce. J'examinerai maintenant les diverses réclamations.

COMBUSTIBLE DE SOUTE FOURNI SUR ORDONNANCE DE LA COUR

[21]      En mai 1998, le capitaine de l'Atlantis Two, qui mouillait alors dans le port de Vancouver, a informé le maître du port que, malgré les efforts qui avaient été faits en vue de réduire la consommation de combustible, le navire manquerait vers le 15 mai de combustible diesel pour faire fonctionner les générateurs et pour manoeuvrer le navire à l'aide du moteur principal. À ce moment-là, le navire, qui ne serait pas en mesure de maintenir ses systèmes, et notamment les systèmes extincteurs d'incendie, et qui ne pourrait pas se déplacer sans délai, violerait non seulement les règlements du port, mais présenterait aussi un danger pour l'équipage et le port.

[22]      Des dispositions ont été prises, lesquelles avaient au préalable été autorisées par la Cour, pour que James Peebles fournisse au navire du combustible diesel d'une valeur de 16 250 $, la réclamation y afférente devant occuper le même rang que les débours du prévôt d'amirauté.

[23]      Le coût du combustible diesel et les frais de livraison s'élevaient à 13 250 $. M. Peebles aura droit à un montant de 13 250 $ pour le combustible et la livraison, à des frais bancaires de 7,50 $ et à des intérêts simples au taux de 7 p. 100, commençant à courir le 14 mai 1998, soit la date du virement bancaire, ces montants devant être prélevés sur le produit de la vente et occuper le même rang que les débours du prévôt. Étant donné que le compte du shérif a été acquitté, M. Peebles possède maintenant une charge de premier rang sur le produit de la vente.

[24]      Je ferais ici remarquer que lorsque les intérêts qu'il convient d'accorder à l'égard des réclamations ne sont pas régis par les conditions de la facture ou par une autre entente, j'ai accordé les intérêts au taux de 7 p. 100. Il ne s'agit pas d'un chiffre arbitraire; ce chiffre découle plutôt d'une estimation fondée sur l'examen des taux de la Banque de Montréal s'appliquant aux prêts commerciaux pour la période pertinente.

CRÉANCE DE L'ÉQUIPAGE, DES OFFICIERS ET DU CAPITAINE

[25]      J'ai déjà parlé des frais de rapatriement de l'équipage. En vertu des ordonnances de rapatriement, ces frais faisaient partie des privilèges maritimes relatifs aux salaires et le produit du privilège pouvait être cédé au gouvernement fédéral. Je parlerai brièvement des motifs pour lesquels cette ordonnance a été rendue.

[26]      Je désignerai collectivement l'équipage, les officiers et le capitaine comme étant l'" équipage ", car il n'existe plus aucune distinction en ce qui concerne la qualité du privilège de chaque titulaire entre les droits des capitaines, des officiers et des marins3. L'équipage a présenté une requête distincte en vue d'établir son rang prioritaire à l'égard du paiement des salaires, et notamment des frais de rapatriement qui sont cédés à Sa Majesté. Lorsqu'il a été mis au courant de la requête initiale que l'équipage avait présentée aux fins du paiement, au moins un avocat a soutenu que l'équipage pourrait bien occuper un rang inférieur en vertu de certaines lois étrangères applicables. J'ai donc ordonné que les rangs des différents créanciers soient déterminés en même temps.

Débours du capitaine

[27]      La réclamation du capitaine se rapporte en partie aux sommes qu'il a payées de sa poche, principalement à l'égard de vivres destinés à l'équipage. Il était essentiel de débourser ces sommes parce que le navire avait été abandonné par les propriétaires, qui refusaient de payer ou ne pouvaient pas payer les vivres et les approvisionnements essentiels. Cela étant, les dépenses engagées par le capitaine sont clairement visées par la définition et satisfont aux critères relatifs au privilège accordé au capitaine à l'égard des débours, de sorte que sa créance est garantie au moyen d'un privilège maritime : voir par exemple Doris c. Le Ferdinand, maintenant publié à (1999), 155 F.T.R. 236 (1re inst.), à la page 239. Les débours du capitaine sont non seulement garantis par un privilège maritime, mais aussi, conformément au paragraphe 212(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, ils occupent le même rang que la créance du capitaine en ce qui concerne les salaires :

         (2) Le capitaine d'un navire, ainsi que toute personne faisant légalement fonction de capitaine d'un navire en raison du décès ou de l'incapacité provenant de la maladie du capitaine, possède, dans la mesure du possible, pour le recouvrement des déboursés ou des dettes engagés ou faits pour le compte du navire, les mêmes droits, privilèges et recours qu'un capitaine pour le recouvrement de ses gages.                 

Compte tenu de la Loi sur la marine marchande du Canada, je n'ai pas à examiner séparément les débours du capitaine. En l'absence d'une véritable contestation, je retiens les chiffres qui ont été soumis à l'égard des débours du capitaine.

Salaires de l'équipage

[28]      La question de la priorité dont bénéficie l'équipage à l'égard des salaires et des frais de rapatriement n'a pas vraiment été contestée. La priorité est donc accordée à l'équipage à l'égard du reliquat du produit de la vente, une fois payés les frais de vente du shérif et le combustible diesel fourni par M. Peebles. La somme accordée à l'égard des salaires (y compris les débours du capitaine) est de 354 357,37 $. Cette priorité s'applique aux frais de rapatriement, d'un montant de 31 356,41 $ CAN. L'équipage aura droit à des intérêts au taux de 7 p. 100 pour les salaires et les débours du capitaine, et je décide ici arbitrairement que les intérêts doivent courir à compter de la date de la saisie, car aucun membre de l'équipage n'a été payé après cette date et, de fait, les salaires gagnés après le 30 décembre 1997 n'ont peut-être pas été payés. Des intérêts au taux de 7 p. 100 sont accordés à l'égard des frais de rapatriement à compter de la date de la vente, le 11 août 1998.

Les dépens

[29]      L'équipage demande également les dépens taxés. En l'espèce, je n'ai pas adjugé les dépens aux autres parties ou aux créanciers qui ont eu gain de cause, si ce n'est que les frais de la saisie ont été accordés à la demanderesse et qu'une somme forfaitaire a été accordée à l'équipage qui a organisé la vente, et ce, même si de nombreux créanciers et de nombreuses parties ont collaboré à la vente du navire. S'il y avait suffisamment de fonds pour payer toutes les créances et toutes les hypothèques, cela pourrait bien constituer un facteur additionnel régissant l'adjudication des dépens. Étant donné que les hypothèques enregistrées grevant le navire ne seront pas complètement remboursées, je ne vois pas pourquoi il serait justifié d'adjuger les dépens à toutes les parties et à tous les créanciers, et ce, peu importe le montant. Je ne vois pas non plus pourquoi les parties et les créanciers à qui des dépens sont adjugés devraient être contraints à les faire taxer. Il est préférable d'accorder une somme forfaitaire. L'équipage aura droit à une somme forfaitaire à l'égard des dépens et des débours, d'un montant de 6 000 $. En l'espèce, la somme forfaitaire n'est probablement pas une indemnité et n'est pas destinée à en être une. Il s'agit plutôt de reconnaître les efforts qui ont été faits en vue d'assurer le succès de la vente du navire.

RAPATRIEMENT

Frais de rapatriement de l'équipage

[30]      À deux reprises, à la suite de la saisie du navire, j'ai examiné des requêtes présentées par des membres de l'équipage qui agissaient à titre d'intervenants et qui voulaient être rapatriés. Normalement, pareils frais seraient supportés par les propriétaires, mais ceux-ci avaient abandonné tant le navire que l'équipage. En premier lieu, l'équipage, dont la ration était limitée et qui n'avait pas été rémunéré, voulait qu'un certain nombre de membres excédentaires de l'équipage dont le navire à quai n'avait pas besoin soient rapatriés à des conditions qui permettraient à Citoyenneté et Immigration de payer les frais et de recouvrer ensuite les sommes dépensées au moyen de la cession des frais de rapatriement, ces frais devant faire partie de la réclamation de l'équipage concernant les salaires et occuper le même rang que celle-ci. Voici ce que prévoyait l'ordonnance :

         [TRADUCTION]                 
         Les frais de rapatriement des dix-sept officiers et membres d'équipage désignés ci-dessus feront partie de tout privilège maritime existant à l'égard de leurs salaires. Les officiers et les membres d'équipage peuvent céder à Citoyenneté et Immigration, un ministère du gouvernement fédéral du Canada, un montant correspondant aux frais de rapatriement, prélevé sur le produit de ce privilège. Des motifs seront prononcés plus tard. [Ordonnance du 13 juillet 1998]                 

[31]      J'ai par la suite rendu une seconde ordonnance similaire à l'égard du rapatriement du reste de l'équipage au moment de la vente du navire. Comme je l'ai dit, les frais de rapatriement sont habituellement à la charge du propriétaire. Toutefois, les frais de rapatriement supportés par les marins eux-mêmes peuvent occuper le même rang que les réclamations relatives aux salaires. Je citerai ici la décision Tergeste, [1903] P. 26, à la page 34, rendue par Monsieur le juge Phillimore, dont l'essence ressort d'une partie du sommaire :

         [TRADUCTION]                 
         Jugement (juge Phillimore) : l'indemnité relative aux victuailles était assimilable aux salaires et faisait l'objet d'un privilège maritime; par conséquent, la créance du capitaine et de l'équipage concernant les salaires et débours jusqu'à la date à laquelle le navire a été mis en cale sèche, ainsi que les frais de subsistance entre le moment où le capitaine et l'équipage ont quitté le navire et le moment où ils ont quitté le pays et les frais de rapatriement avaient priorité, avec les dépens, y compris toute somme que le registraire devrait accorder à titre d'allocation de subsistance à compter de la date du bref jusqu'à la date où le capitaine et l'équipage ont quitté le navire;                 
                                         [Je souligne.]                 

Le jugement Immacolata Concezione, (1883) 9 P.D. 34, mentionné dans la décision Tergeste, est également pertinent. Dans cette affaire-là, les frais de rapatriement occupaient le même rang prioritaire que les salaires des marins.

Cession des frais de rapatriement

[32]      Il s'agit ensuite de savoir si un privilège maritime relatif aux frais de rapatriement peut être cédé lorsque, comme c'est ici le cas, ces frais sont payés par quelqu'un d'autre. Cette cour a ordonné une cession telle que celle qui est mentionnée dans le jugement Lowell Thomas Explorer (supra). Il a été soutenu que dans l'affaire Lowell Thomas Explorer la requête à la suite de laquelle la cession avait été autorisée avait donné lieu à une décision erronée. Je ne le crois pas. Comme je l'ai dit dans la décision Edmonton Queen (répertoriée sous l'intitulé Scott Steel Ltd. c. L'Alarissa), [1996] 2 C.F. 883, à la page 925 : " À moins d'obtenir l'autorisation de la Cour, toute personne qui règle le privilège que des marins détiennent au titre de leurs salaires n'acquiert aucun privilège sur le navire. "

[33]      La thèse proposée dans la décision Edmonton Queen est en l'espèce particulièrement pertinente, car autrement les membres de l'équipage seraient restés à bord du navire sans travailler et sans être nourris et auraient en outre accumulé des salaires excédant probablement les frais de rapatriement, lesquels donneraient lieu à un privilège maritime devant être satisfait à l'aide du produit de vente. En outre, au moment de la vente, tout membre de l'équipage qui décidait de retourner chez lui aurait droit à des frais de rapatriement ainsi qu'à son salaire.

[34]      L'idée selon laquelle les salaires et autres créances similaires peuvent être cédés avec l'autorisation de la Cour est conforme aux arrêts anglais, par exemple The Vasilia, [1972] 1 Lloyd's 51, The Berostar, [1970] 2 Lloyd's 403 et The James W. Elwell, [1921] P. 351, à la page 357, ainsi qu'à un certain nombre d'arrêts antérieurs mentionnés dans Tetley on Maritime Liens and Claims, deuxième édition (1998), Blais International Shipping Publications, Montréal, à la page 1231. De fait, M. Tetley traite fort brièvement de la question de la cession des privilèges maritimes avec l'autorisation de la Cour :

         [TRADUCTION]                 
         Il semblerait clair qu'en " droit maritime canadien ", ce droit étant entre autres choses une expression du droit maritime anglais tel qu'il existait en 1934, un privilège peut être cédé par ordonnance judiciaire. Telle est la pratique britannique et tel est l'avis que la Cour a exprimé, quoique dans le cadre d'une remarque incidente, dans le jugement Ross v. The Aragon , [1943] Ex. C.R. 41, à la page 43.                 
                                         [pages 1230-1231]                 

[35]      J'ai également examiné les arguments selon lesquels les Douanes et l'Immigration étaient tenus de ne pas laisser qui que ce soit prolonger son séjour au Canada, de sorte qu'il fallait financer le rapatriement. En rejetant cet argument, je fais remarquer que les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration sont de nature facultative, et je mentionnerai ici par exemple le paragraphe 87(2) et l'article 120 concernant l'aide apportée à une personne qui quitte le Canada. Indépendamment de la nature facultative des dispositions de ce genre figurant dans la Loi sur l'immigration, il y a une différence entre l'expulsion forcée d'un indésirable, aux frais de l'État, et le rapatriement d'un marin qui se trouve légitimement sur le territoire canadien. Rien ne permet de faire supporter aux contribuables les frais de rapatriement des membres d'équipage lorsque des fonds sont disponibles pour satisfaire aux réclamations in rem, y compris celles des membres d'équipage, contre l'Atlantis Two.

RÉCLAMATION RELATIVE AU COMBUSTIBLE DE SOUTE DÉPOSÉE PAR MERMAID SHIPPING CO. LTD.

[36]      Avant de parler de la question distincte du rang occupé par chacun des créanciers, j'examinerai une partie de la réclamation de Mermaid Shipping Co. Ltd. (Mermaid), qui était le principal affréteur en vertu de la charte-partie du 11 juillet 1997, en sa qualité de propriétaire du combustible de soute qui était à bord du navire. Le 18 novembre 1997, Mermaid a sous-affrété l'Atlantis Tow à International Coffee and Fertilizer Trading Co., (INCOFE) Ltd. (INCOFE) en vertu d'un affrètement au voyage.

Réclamation de Mermaid en sa qualité de propriétaire du combustible

[37]      Mermaid réclame notamment un montant de 114 752,38 $, soit la valeur du combustible de soute qui était à bord du navire au moment où celui-ci est arrivé à Vancouver et du combustible de soute qu'elle a par la suite fourni au navire. Cette réclamation est fondée sur diverses dispositions de l'affrètement à temps principal, mais deux dispositions seulement sont ici pertinentes :

         [TRADUCTION]                 
         2.      Pendant la durée de la location, les affréteurs fourniront et paieront tout le combustible sauf stipulation contraire, les droits de port, les droits de pilotage habituels : les commissions des agences, les droits consulaires (sauf ceux qui concernent l'équipage) et toutes les autres dépenses habituelles sauf celles qui sont ci-dessus mentionnées, mais lorsque le navire est à quai pour des raisons dont il est responsable, tous les frais engagés seront payés par les propriétaires.                 
         3.      Les affréteurs, sur livraison, et les propriétaires, sur nouvelle livraison, prendront et paieront tout le combustible qui reste à bord du navire, conformément à la clause 40.                 

La clause 40, mentionnée dans la clause 3 de l'affrètement à temps, parle de la quantité de combustible de soute et de combustible diesel qui est à bord du navire au moment de la livraison par les propriétaires. Rien ne me permet de douter de la preuve par affidavit selon laquelle Mermaid était propriétaire de tout le combustible de soute et de tout le combustible diesel qui étaient à bord de l'Atlantis Two au moment où le navire est arrivé à Vancouver et que Mermaid a fourni à Vancouver du combustible additionnel qu'elle a elle-même payé.

[38]      Lorsque l'Atlantis Two a été vendu, le shérif a attesté que le combustible de soute et le combustible diesel qui étaient à bord du navire avaient été vendus pour la somme de 58 393,49 $, montant qui comprend les frais de livraison.

[39]      Comme je l'ai dit, la réclamation de Mermaid se rapporte à tout le combustible qui était à bord de l'Atlantis Two lorsque le navire est arrivé à Vancouver ainsi qu'au combustible que Mermaid a subséquemment fourni à ses frais à l'Atlantis Two. Mermaid estime qu'à un moment donné, elle était propriétaire d'environ 680 tonnes de combustible de soute et d'environ 160 tonnes de combustible diesel. Toutefois, pendant que l'Atlantis Two était immobilisé au port de Vancouver, ce combustible diesel a en bonne partie été utilisé pour faire fonctionner les générateurs du navire.

[40]      Lorsque l'Atlantis Two a été vendu, il avait en tout à son bord 729,32 tonnes métriques de combustible de soute, évalué à 52 875,70 $, et une quantité minime de combustible diesel, soit 16,27 tonnes métriques, d'une valeur de 2 684,55 $. Toutefois, la réclamation de Mermaid ne se rapporte pas uniquement au combustible qui était encore à bord du navire au moment de la vente, mais aussi au combustible diesel consommé pendant que l'Atlantis Two était à Vancouver. En outre, ces réclamations sont fondées sur des prix antérieurs plus élevés.

Combustible de Mermaid qui a été utilisé à Vancouver

[41]      Mermaid soutient qu'on devrait lui payer le combustible diesel consommé à Vancouver, puisqu'il était nécessaire à l'exploitation du navire, comme l'était le combustible fourni par M. James Peebles dont la réclamation, par ordonnance de la Cour, occupait le même rang que les débours du prévôt. À coup sûr, Mermaid, en plus d'être propriétaire du combustible qui était à bord du navire lorsque celui-ci est arrivé à Vancouver, a aussi fourni du combustible diesel à Vancouver.

[42]      En l'absence d'une ordonnance judiciaire et à quelques exceptions près, je ne retiens pas l'argument selon lequel le combustible fourni par les affréteurs et appartenant à ces derniers, mais utilisé par les propriétaires pendant que le navire était immobilisé et qu'il faisait l'objet d'une saisie à Vancouver devrait occuper un rang prioritaire. En fait, la valeur du combustible utilisé n'est aucunement garantie au moyen d'un privilège. Ce combustible appartenait plutôt à Mermaid; il a été utilisé par les propriétaires et, par conséquent, cette partie de la réclamation contre les propriétaires est purement de nature personnelle.

[43]      Même s'il est considéré que Mermaid n'a pas fourni du combustible diesel pour son propre usage en sa qualité d'affréteur, mais à titre de fournisseur, cela ne constitue pas en droit canadien plus qu'un simple droit réel opposable au navire, occupant un rang inférieur et peu utile.

[44]      Dans des circonstances exceptionnelles, le fait que l'on s'écarte du système canadien de priorités en accordant à une créance un rang supérieur ou un rang inférieur à celui qu'elle occupe habituellement peut se justifier. J'ai examiné la question à fond dans la décision Edmonton Queen (supra), à la page 896 et aux pages suivantes. Cette décision a été confirmée en appel (1997), 125 F.T.R. 284; Monsieur le juge Richard (tel était alors son titre), a paraphrasé ma conclusion à la page 288 :Selon le protonotaire, toute modification du classement habituel des priorités en matière maritime devait être fondée sur des principes d'equity . Après analyse de l'espèce "Autlatean I" [sic ] [1979] 2 C.F. 661, à la page 668 (1re inst.) et de l'espèce "Galaxias" [1989] 1 C.F. 368; 19 F.T.R. 108, à la page 423 [C.F. 1re inst.), il est arrivé à la conclusion que l'on ne devrait pas s'écarter de l'ordre habituel des priorités si ce n'est en raison de circonstances particulières, et que le pouvoir en equity de modifier la collocation établie de longue date ne devrait être exercé que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice évidente. Il a aussi examiné le jugement rendu par M. le juge Brandon dans l'affaire du "Lyrana" (no 2) [1978] 2 Lloyd's Rep. 30 (B.R. Cour d'amirauté), où le critère employé était celui du résultat manifestement injuste. Il a exprimé l'avis que, selon ce critère, c'était aux Treasury Branches que revenait la tâche difficile de démontrer l'à-propos d'une modification de l'ordre traditionnel des priorités.                 

[45]      Dans ce cas-ci, il serait possible de soutenir qu'une injustice a été commise en ce sens que des fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires ont réussi à faire valoir des réclamations fondées sur leur privilège maritime, dans un cas au moins pour des articles non essentiels, quoique utiles, destinés à être utilisés à bord du navire. Par contre, le combustible de Mermaid a été utilisé pour assurer l'exploitation du navire pendant que celui-ci était à Vancouver, comme d'ailleurs le combustible diesel fourni par M. Peebles, à l'égard duquel la Cour a convenu d'avance d'accorder la priorité.

[46]      En examinant la réclamation que Mermaid a déposée à l'égard du combustible consommé, du moins en partie, pendant que l'Atlantis Two faisait l'objet d'une saisie, j'ai de nouveau examiné l'arrêt Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661, tant d'une façon générale que d'une façon particulière, à la page 668 et aux pages suivantes. Dans cette affaire-là, le prévôt était en possession du navire. Les créanciers avaient engagé diverses dépenses pour le compte du prévôt, dont certaines étaient autorisées et d'autres ne l'étaient pas, afin d'assurer la sécurité et la protection du navire. Les dépenses se rapportaient notamment au combustible et à l'huile de graissage, d'une valeur de 2 250 $, qui avaient été fournis par la GRC et par la Garde côtière canadienne après que l'Atlantean I eut essayé d'éviter la saisie, mais qu'il eut été ramené par les autorités. Monsieur le juge Walsh était d'avis que les dépenses étaient d'un genre que le prévôt, dans d'autres circonstances, aurait engagées ou qu'il aurait autorisées. Voilà la différence. Dans l'affaire Atlantean I, le prévôt était en mesure d'exercer un contrôle sur les approvisionnements du navire; il pouvait réclamer ses débours et c'est de fait ce qu'il a fait. Dans ce cas-ci, Mermaid a fourni un service de valeur à l'Atlantis Two, alors que le prévôt n'assurait aucune supervision et qu'aucune ordonnance judiciaire n'avait été rendue.

[47]      J'ai tenu compte sur ce point de divers autres arrêts auxquels Me Buchan m'a référé, y compris la décision Dora [1977] 2 C.F. 513, rendue par Monsieur le juge Collier. Dans l'affaire Dora, un fournisseur de combustible avait fait valoir avec succès sa réclamation à l'égard du combustible fourni au navire, mais uniquement compte tenu du fait que le prévôt avait la charge du Dora, qu'il aurait sans doute autorisé l'utilisation du combustible consommé pendant qu'il était responsable du navire et qu'il l'aurait payé. Monsieur le juge Collier ne s'est pas préoccupé du fait que le combustible consommé avant l'intervention du prévôt au profit de toutes les personnes intéressées n'avait pas été payé à titre de dépense du prévôt, ou de fait qu'il n'avait aucunement été payé; le juge est allé jusqu'à s'écarter de l'ordre de priorité habituel.

[48]      Tout cela, comme Me Buchan l'a savamment affirmé pour le compte de Mermaid, montre l'existence d'un dilemme au Canada : les fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires, même ceux qui ont fourni pareils approvisionnements à Vancouver, peuvent en général en l'espèce rentrer dans leurs frais, alors que les fournisseurs canadiens d'approvisionnements nécessaires ne le peuvent pas.

[49]      Les Britanniques ont résolu le dilemme dans l'arrêt Halcyon Isle, [1980] 2 Lloyd's 325 (C.P.) en rejetant essentiellement l'idée de la nature fondamentale du privilège maritime américain; la Cour a uniformisé les règles de jeu en statuant que tous les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires avaient un droit identique, c'est-à-dire le droit qu'un fournisseur local de pareils approvisionnements aurait en vertu du droit anglais.

[50]      En l'espèce comme dans d'autres cas, il y a de nombreux exemples d'iniquités qui ont malheureusement été causées du fait que dans l'arrêt Ioannis Daskalelis (supra), la Cour suprême du Canada a reconnu la nature fondamentale du privilège maritime américain. Toutefois, je ne crois pas qu'en ce qui concerne Mermaid, les circonstances soient très exceptionnelles ou qu'il y ait une injustice flagrante, ou encore que le résultat soit manifestement injuste. En outre, si l'on accueillait la réclamation de Mermaid, indépendamment de ces critères, alors que ni le shérif ni le prévôt n'exerçaient un contrôle sur le navire et qu'aucune ordonnance judiciaire telle que celle que M. Peebles a obtenue n'a été rendue, on ne ferait aucun cas du système canadien de priorités. Cela ne veut pas pour autant dire que le système ne devrait pas être modifié. Cependant, il se peut bien que les fournisseurs canadiens d'approvisionnements nécessaires, au sens général du terme, y compris les chantiers navals, doivent exercer des pressions en vue de faire modifier la loi comme cela est arrivé et comme cela arrive dans d'autres ressorts.

[51]      Bref, la réclamation de Mermaid à l'égard du combustible de soute consommé est au mieux fondée sur un droit légal réel; cela est malheureux, mais pas tout à fait injuste. Malheureusement, il n'y a pas suffisamment de fonds pour payer la créance de Mermaid à cet égard.

[52]      Sous réserve de l'examen de la question de savoir si le créancier hypothécaire a un droit sur le combustible de soute et sur le combustible diesel et indépendamment de tout argument relatif au fait que le combustible diesel de Mermaid a été mêlé à celui de M. Peebles, ce qui représente une somme fort peu importante, Mermaid a droit à la valeur du combustible de soute et du combustible diesel qui étaient à bord du navire, moins une partie des frais de vente, point sur lequel je reviendrai en temps et lieu, ainsi qu'aux intérêts qui conviennent.

Droit du créancier hypothécaire sur le combustible qui était à bord du navire

[53]      Les créanciers hypothécaires ne réclament pas maintenant un droit sur le combustible qui était à bord de l'Atlantis Two. C'est ce qu'il convient de faire. Toutefois, cet aspect de la réclamation a été soulevé dans les plaidoiries. Il est donc opportun d'examiner brièvement la question. En outre, la jurisprudence nous amène à une question pertinente, à savoir la question relative aux frais de vente du combustible de soute.

[54]      Au départ, les conditions de l'hypothèque ne s'appliquent pas au combustible, et je citerai ici à cet égard l'arrêt Eurostar [1993] 1 Lloyd's 106, dans lequel Monsieur le juge Sheen a examiné la position des affréteurs, qui affirmaient que le combustible de soute leur appartenait et qui étaient donc intervenus dans le litige opposant le créancier hypothécaire et le débiteur hypothécaire. Monsieur le juge Sheen a statué qu'à supposer même que le combustible de soute eût appartenu au propriétaire du navire, le mot " accessoire " figurant dans l'acte hypothécaire ne s'appliquait pas au combustible et le combustible n'appartenait donc pas au créancier hypothécaire.

[55]      En second lieu, selon les dispositions de la charte-partie, le droit de propriété afférent au combustible n'était de toute façon pas transmis aux propriétaires, mais Mermaid continuait à en être titulaire, en sa qualité d'affréteur. À cet égard, je citerai également les arrêts Saint Anna [1980] 1 Lloyd's 180 (B.R.) et Span Terza [1984] 1 Lloyd's 119 (C.L.), en plus de l'arrêt Eurostar (supra).

[56]      Dans l'affaire Saint Anna, les dispositions de la charte-partie étaient analogues à celles qui existent dans ce cas-ci. Il a été statué que le combustible de soute appartenait à l'affréteur plutôt qu'au propriétaire. L'affréteur avait payé et acquis tout le combustible qui était à bord du navire lorsqu'il avait loué le navire et avait subséquemment acheté le combustible destiné au navire. À la fin de la période d'affrètement, il incombait au propriétaire d'acheter le combustible qui était à bord du navire. Monsieur le juge Sheen a statué que le combustible appartenait clairement à l'affréteur.

[57]      Dans l'affaire Span Terza (supra), les dispositions de la charte-partie étaient semblables à celles qui nous intéressent ici. La Chambre des lords a statué qu'au début de la période d'affrètement, le combustible appartenait à l'affréteur étant donné que ce dernier l'avait payé et acquis. Le propriétaire était tout au plus un baillaire. En tirant cette conclusion, la Chambre des lords a expressément approuvé la décision rendue dans l'affaire Saint Anna. Même lorsque la charte-partie a pris fin, le combustible de soute a continué à appartenir à l'affréteur et le propriétaire a continué à être baillaire, à condition bien sûr d'acheter le combustible de l'affréteur.

[58]      Enfin, dans l'arrêt Eurostar (supra), Monsieur le juge Sheen a conclu qu'en vertu d'une charte-partie dont le libellé était similaire, le combustible de soute qui était à bord du navire appartenait à l'affréteur. Le navire était désarmé, à peu près comme c'est ici le cas, et les propriétaires n'étaient pas en mesure de payer les réparations. L'Eurostar a alors été vendu. Monsieur le juge Sheen a conclu que le propriétaire du navire n'avait pas le droit d'utiliser le combustible de soute après la période d'affrètement, mais que ce combustible de soute continuait plutôt à appartenir aux affréteurs tant que le prévôt d'amirauté ne l'avait pas vendu; le produit net de la vente du combustible de soute a donc été remis aux affréteurs.

Frais de vente du combustible

[59]      La mention du produit net, dans l'arrêt Eurostar, à la page 111, soulève un dernier point, à savoir s'il convient que Mermaid touche le produit brut de la vente du combustible qui était à bord de l'Atlantis Two, étant donné qu'il y avait des frais de vente, qui auraient pour effet de réduire le montant mis à la disposition des personnes réclamant une partie du produit de la vente du navire. Il n'est que juste qu'une fraction au pro rata des frais de vente du navire et du combustible qui était à bord du navire soit prise en charge par Mermaid.

[60]      Les frais de vente du shérif s'élevaient, en chiffres ronds, à 102 000 $ CAN, ou à environ 65 000 $ US. La valeur du combustible qui était à bord du navire au moment de la vente, laquelle était de 58 393,49 $, représente environ 5,3 p. 100 du prix de vente. Or, 5,3 p. 100 des frais de vente correspond, ici encore en chiffres ronds, à 3 450 $. La somme recouvrée par Mermaid, compte tenu du fait qu'au moment de la vente le combustible valait 58 393,49 $ déduction faite des frais de vente, qui s'élevaient à 3 450 $, est de 54 943,49 $.

Montant accordé à Mermaid

[61]      En résumé, Mermaid a droit à la valeur nette du combustible, soit le montant du prix de vente du combustible, conservé dans un fonds théoriquement distinct, moins une fraction équitable des frais de vente. Quant aux intérêts, Mermaid aura droit aux intérêts courus sur la valeur du combustible vendu pendant que le montant y afférent était détenu en fiducie et en dépôt.

FOURNITURE D'APPROVISIONNEMENTS NÉCESSAIRES AUX ÉTATS-UNIS

[62]      Quatre réclamations fondées sur un privilège maritime ont été déposées par des fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires qui ont fourni des marchandises au navire aux États-Unis. Les créanciers en cause sont Strachan Shipping Company (Strachan), Hellenic Ship Supply Inc. (Hellenic), Atlantic Steamers Supply Co. (DE) Inc. (Atlantic DE) et Atlantic Steamers Supply Co. (NLN) Inc. (Atlantic NLN). À l'exception d'une partie de la créance d'Atlantic DE, qui a fourni des marchandises en 1993 avant que l'Atlantis Two soit grevé d'hypothèques, ces créances ne sont pas garanties par des privilèges maritimes prioritaires. Il s'agit plutôt de privilèges maritimes qui, en raison de la disposition restrictive ajoutée en 1954 au 46 U.S.C. par. 31326 dont il a déjà été fait mention, auraient préséance aux États-Unis sur les hypothèques grevant l'Atlantis Two. Bien sûr, selon le système canadien et si l'on applique l'arrêt Ioannis Daskalelis, ces créances ont préséance sur celle d'ABN-Amro, en sa qualité de créancier hypothécaire. Étant donné que personne n'a invoqué la question du retard indu ou une autre règle spéciale, les réclamations relatives aux privilèges maritimes, telles qu'il y est fait droit et compte tenu des fonds disponibles, sont colloquées pari passu.

Réclamation de Strachan

[63]      Strachan est une société de Savannah (Georgie), qui s'occupe d'arrimage et d'approvisionnement général de navires. Elle a fourni des approvisionnements nécessaires à l'Atlantis Two à Savannah entre le 6 avril et le 13 avril 1997 ainsi que des avances en espèces au capitaine. Le solde dû à Strachan est de 3 429,37 $. Strachan réclame des intérêts au taux de la Banque du Canada applicable aux prêts commerciaux, majoré de 2 p. 100, à compter du 13 avril 1997 ainsi que les dépens.

[64]      Strachan aura droit au montant réclamé, soit 3 429,37 $, ainsi qu'à des intérêts au taux de 7 p. 100, du 13 avril 1997 jusqu'à ce jour. Strachan a eu gain de cause en sa qualité de personne revendiquant un privilège, mais elle n'a pas participé à la vente du navire d'une façon plus active que de nombreux autres créanciers, qui ont tous collaboré avec les membres de l'équipage intervenants, ces derniers ayant eu le principal rôle, lorsqu'il s'est agi de vendre le navire. Strachan n'a pas droit à des dépens.

Réclamation d'Hellenic

[65]      La réclamation d'Hellenic se rapporte à divers approvisionnements nécessaires, allant du savon de blanchissage aux pièces, outils et appareils, fournis en février 1997 à Tampa, en Floride. Le solde impayé est de 6 425,75 $.

[66]      Les conditions de la facture d'Hellenic prévoient le paiement d'intérêts au taux mensuel de 1,5 p. 100 ainsi que des frais de recouvrement [TRADUCTION] " [...] y compris des honoraires raisonnables d'avocat, s'il s'avère nécessaire d'avoir recours à un avocat pour effectuer le recouvrement ".

[67]      Premièrement, en ce qui concerne la réclamation relative aux honoraires d'avocat, si je comprends bien, il n'existe pas aux États-Unis de privilège maritime à l'égard des honoraires d'avocat. La question est traitée dans Parks on the Law of Tug and Tow, troisième édition (1994), Cornell Maritime Press, à la page 792. De plus, Tetley on Maritime Liens and Claims (supra) déclare ceci : [TRADUCTION] " Fondamentalement, on refuse d'accorder un privilège à l'égard des honoraires d'avocat parce qu'habituellement, aucun service n'a été rendu au navire ou qu'aucun service n'a été rendu au profit de tous les créanciers " (page 241). M. Tetley cite ensuite l'arrêt Wahcondah [1964] A.M.C. 2425, à la page 2427 :

         [TRADUCTION]                 
         La nature des privilèges maritimes, même ceux qui sont créés par la loi ou qui se sont fermement établis avec le temps, exigeait qu'un service soit fourni au navire si la chose était fondée sur un contrat [...] Cette cour ne peut constater l'existence d'aucune hypothèse raisonnable permettant de conclure que ces honoraires d'avocat ont été payés dans le cadre d'un service fourni au navire. En outre, la réclamation n'est pas fondée sur un privilège établi qui permettrait de couvrir cette situation inhabituelle. Il n'y a tout simplement rien qui permette en droit ou en equity de reconnaître le paiement privilégié de cette réclamation.                 

[68]      Hellenic aura droit au montant de 6 425,75 $ à l'égard de sa réclamation ainsi qu'à des intérêts au taux mensuel de 1,5 p. 100 à compter du 13 février 1997. Les dépens ne sont pas adjugés.

Réclamation d'Atlantic DE

[69]      Le montant total de la réclamation d'Atlantic DE est de 25 426,08 $ plus des intérêts au taux mensuel de 2 p. 100 à l'égard des approvisionnements nécessaires fournis à Philadelphie, à Tampa et à Baltimore.

[70]      Les approvisionnements nécessaires livrés à Tampa et à Baltimore ont été fournis en juillet 1997. Le montant dû à l'égard de ces trois factures est de 5 114,84 $. La facture la plus élevée sur laquelle les réclamations d'Atlantic DE sont fondées est d'un montant de 20 341,24 $, en date du 19 décembre 1996; elle se rapportait à des approvisionnements nécessaires livrés à Philadelphie le 13 novembre 1996. Il est fait droit à ces réclamations au complet. Les dépens ne sont pas adjugés.

[71]      Les factures disent clairement que les intérêts s'élèvent à 2 p. 100 par mois, ce qui est dans une certaine mesure excessif, même si cela n'a rien d'extraordinaire dans ce secteur. Des intérêts sont accordés à l'égard de la partie de la réclamation relative à l'année 1997, du 10 août 1997 jusqu'à ce jour, et à l'égard de la partie de la réclamation relative à l'année 1996, à compter du 1er janvier 1997.

Réclamation d'Atlantic NLN

[72]      La réclamation d'Atlantic NLN, de 23 421,54 $, se rapporte aux approvisionnements nécessaires fournis à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane.

[73]      Deux des factures sur lesquelles les réclamations d'Atlantic NLN sont fondées se rapportent à des marchandises livrées en novembre 1993. Comme je l'ai dit, ni la question du retard indu ni la question de la prescription n'ont été débattues. Le montant total qui est dû à l'égard de ces deux factures est de 5 756,75 $. Étant donné que la date inscrite sur ces factures est antérieure à celle de l'enregistrement des hypothèques grevant l'Atlantis Two, le droit fondamental qu'Atlantic NLN invoque au Canada se rapporte à un privilège maritime prioritaire.

[74]      Le solde de la réclamation d'Atlantic NLN se rapporte aux marchandises fournies en décembre et en juin 1996, d'un montant de 17 664,79 $. Atlantic NLN aura droit aux montants réclamés ainsi qu'à des intérêts mensuels au taux de 2 p. 100 à compter du 1er décembre 1993 dans le cas des deux premières réclamations. Quant aux autres réclamations, des intérêts sont accordés sur le montant de 3 018,73 $ à compter du 15 décembre 1996 et sur le montant de 14 646,06 $ à compter du 22 juin 1996. Les dépens ne sont pas adjugés.

RÉCLAMATION DE NAUTILUS AUSTRALIA LIMITED

[75]      La réclamation de Nautilus Australia Limited (Nautilus), qui a un établissement à Port Adélaïde, en Australie, se rapporte à des biens et services fournis en 1997 à Port Lincoln, en Australie, d'un montant de 13 938,65 $ A, soit un peu plus de 13 000 $.

[76]      Les biens et services qui ont été fournis sont clairement des approvisionnements nécessaires, mais aucun privilège maritime n'est accordé, en Australie, au fournisseur d'approvisionnements nécessaires car d'une façon générale, l'Admiralty Act australienne de 1988 n'a ajouté aucun nouveau privilège à part ceux qui étaient reconnus en vertu de l'ancienne législation coloniale.

[77]      Malheureusement, Nautilus est dans la même situation que le fournisseur habituel d'approvisionnements nécessaires au Canada, c'est-à-dire qu'elle possède un droit réel quelconque, qui vient après les privilèges maritimes et les hypothèques.

RÉCLAMATION DE MEGA MARINE SERVICES LTD.

[78]      Mega Marine Services Ltd. (Mega Marine) réclame le prix de deux culasses de moteur, les factures y afférentes ayant été fournies à l'Atlantis Two, FAB Houston (Texas), en septembre et en décembre 1997. Les factures, dont les montants sont à peu près identiques, s'élèvent en tout à 41 577 $. Dans chacune, un montant élevé est demandé pour le transport. Il semble qu'une culasse ait été livrée en Australie et l'autre à Vancouver. Étant donné qu'il est fait mention du transport dans la facture et compte tenu des directives d'expédition qui y sont énoncées, à savoir FAB Houston, il est clair que ni l'une ni l'autre des culasses n'a été directement fournie à un navire.

[79]      L'avocat de Mega Marine affirme que l'opération se rapporte à des biens livrés aux États-Unis, FAB Houston. Le problème découle du fait qu'il est difficile de déterminer si un privilège maritime américain existe. Dans ce cas-ci, les factures sont adressées comme suit : [TRADUCTION] " Capitaine ou propriétaires de l'Atlantis Two , a/s Off-Shore Oil Services (UK) Ltd. ", Londres, Angleterre. Rien dans la documentation ne montre que les culasses aient de fait été livrées à l'Atlantis Two ; il y est plutôt simplement fait mention qu'elles doivent être livrées FAB Houston : or, l'Atlantis Two n'était pas à Houston.

[80]      En droit américain, les approvisionnements nécessaires doivent être fournis à un navire. Cette exigence ne veut pas dire par exemple que le fait de mettre du combustible de soute à bord du chaland d'un tiers, puis de le livrer à un navire dans un port américain, protège le navire contre un privilège maritime du simple fait qu'un intermédiaire est en cause. Cette règle américaine, selon laquelle il faut en fait fournir les approvisionnements nécessaires au navire, est plutôt fondée sur le libellé de l'article 971 du United States Code, qui exige que les approvisionnements nécessaires soient fournis à un navire; le libellé de cette disposition, dans sa version actuelle, est à peu près le même que le libellé antérieur. La question est résumée dans Tetley on Maritime Liens and Claims (supra), à la page 595 :

         [TRADUCTION]                 
         À l'article 971, l'expression " fournit [...] à un navire " était employée, ce qui veut dire que les biens ou services devaient réellement être fournis à un navire, sinon à un navire précis. Dans l'arrêt de principe Piedmont Coal v. Seaboard Fisheries , (1920), 254 U.S. 1, à la page 8, la Cour suprême des États-Unis a statué que le charbon qui avait été mis dans des soutes appartenant au propriétaire de plusieurs navires, sur la terre ferme, n'était pas un " approvisionnement nécessaire ". Le charbon devait être distribué à ces navires et, de fait, il a en fin de compte été en totalité ou en partie chargé à leur bord. Pourtant, cela ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle le bien devait être fourni à un navire, parce le charbon était fourni au propriétaire des navires plutôt qu'aux navires eux-mêmes.                 

L'arrêt Piedmont Coal mentionné par M. Tetley est encore valable en droit : voir par exemple Foss Launch & Tug v. Char Ching Shipping USA, [1987] A.M.C. 913.

[81]      En l'espèce, rien ne montre que les culasses aient été fournies à l'Atlantis Two. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel il y avait un intermédiaire, comme l'exploitant d'un chaland qui aurait livré le combustible de soute du fournisseur, auquel cas ce dernier possède en fait un privilège maritime contre le navire qui a reçu le combustible. La situation en l'espèce se rapproche davantage de celle qui a été décrite dans l'arrêt Piedmont Coal. En vendant la marchandise FAB Houston, Mega Marine n'a pas directement fourni les culasses elle-même, ou par l'entremise d'un agent, à l'Atlantis Two. Mega Marine possède peut-être un droit personnel quelconque, mais elle n'a pas établi l'existence d'un privilège maritime contre l'Atlantis Two. Mega Marine n'a pas droit à une partie du produit de la vente.

[82]      Puisque j'ai conclu à l'inexistence d'un privilège maritime, je n'ai pas à me demander, en ce qui concerne Mega Marine, si les approvisionnements nécessaires qu'un fournisseur américain livre à un navire dans un port étranger donnent lieu à un privilège maritime, mais il s'agit néanmoins d'une des questions qui se posent à l'égard de la réclamation d'Unitor ASA, que j'examinerai maintenant.

RÉCLAMATION D'UNITOR ASA

[83]      Unitor ASA (Unitor), d'Oslo, en Norvège, a livré à l'Atlantis Two des fournitures maritimes par l'entremise d'un agent, Unitor Ships Service Inc., de Jersey City (New Jersey), États-Unis, au Mexique en novembre 1997 et à Vancouver en décembre 1997 ainsi qu'en janvier 1998. Unitor revendique à cet égard un privilège maritime d'un montant de 7 413,64 $.

[84]      Cependant, ce n'est pas tout, car Unitor réclame également le prix des biens livrés à l'Epta et à l'Atlas, qui seraient apparemment des navires frères de l'Atlantis Two. Aux fins du présent examen, je suis prêt à supposer que l'Epta et l'Atlas sont de fait des navires frères.

[85]      Dans le cas de l'Epta, les réclamations s'élèvent en tout à 15 729,14 $. Les approvisionnements nécessaires ont été livrés dans des ports situés en Chine, en Norvège et aux États-Unis. Certains approvisionnements ont été livrés au moins quatre mois après la saisie de l'Atlantis Two à Vancouver. Dans le cas de l'Atlas, tous les approvisionnements nécessaires en cause, qui étaient évalués à 4 493,80 $ et qui ont été livrés dans des ports américains, ont été fournis en mars et en avril 1998, soit plusieurs mois après la saisie de l'Atlantis Two.

[86]      Je suis tenté de faire des observations au sujet de la question de savoir s'il est légitime de présenter, à l'égard d'approvisionnements nécessaires, une réclamation contre un navire qui a déjà été saisi, car l'une des exigences, lorsqu'il s'agit de faire valoir avec succès un privilège maritime relatif à pareils approvisionnements, est qu'il faut faire preuve de diligence et, dans ce cas-ci, je parle des approvisionnement nécessaires fournis à l'Atlas. La communauté maritime est peu étendue. Toute personne diligente aurait été au courant ou aurait dû être au courant de la saisie de l'Atlantis Two et, par conséquent, du fait que ses propriétaires faisaient face à certaines difficultés. Cela étant, le fournisseur d'approvisionnements nécessaires qui n'a pas été diligent ne devrait peut-être pas être capable de faire valoir des privilèges maritimes à l'égard de marchandises fournies bien après la saisie. Toutefois, ce point n'a pas été débattu. Il est donc possible de régler les réclamations d'Unitor en déterminant deux questions : en premier lieu, si les biens fournis à l'Atlantis Two par un fournisseur norvégien agissant par l'entremise d'un agent américain peuvent faire l'objet d'un privilège maritime lorsqu'ils sont livrés à un navire qui n'est pas dans un port américain; en second lieu, s'il est possible de faire valoir, au moyen de la procédure canadienne relative aux navires frères, un privilège maritime américain qui ne vise pas l'Atlantis Two contre des navires appartenant au même propriétaire.

Fournisseur étranger d'approvisionnements nécessaires qui a recours à un agent américain

[87]      En ce qui concerne en premier lieu la question de savoir si un fournisseur étranger d'approvisionnements nécessaires qui a recours à un agent américain peut revendiquer un privilège maritime à l'égard de biens fournis dans un port américain ou dans un autre port étranger, j'ai examiné et retenu le témoignage d'expert de Charles S. Donovan, de Walsh Donovan, à San Francisco. M. Donovan est bien connu dans les milieux maritimes internationaux. Ses titres de compétences sont solides. À son avis [TRADUCTION] " [...] en vertu des lois américaines, Unitor, du fait qu'elle avait vendu et livré des biens et services à ces trois navires4, a obtenu contre les navires des privilèges maritimes d'un montant égal au montant réclamé ". Le raisonnement par lequel M. Donovan tire cette conclusion est intéressant et concis et montre que M. Donovan comprend bien le sujet. Il vaut la peine de citer une partie de l'affidavit qu'il a signé le 30 octobre 1998 :

         [TRADUCTION]                 
             5. En vertu du droit américain, un privilège maritime peut être créé au moyen d'une loi. Avant 1989, le passage pertinent de la loi applicable, intitulée The Federal Maritime Lien Act (la FMLA), 46 U.C.S. par. 971-974, prévoyait ceci :                 
             Toute personne qui fournit : réparations, approvisionnements, touage, utilisation de cale sèche ou slip de carénage, ou autres choses nécessaires, à un navire, étranger ou national, sur les instructions du propriétaire de semblable navire, ou d'une personne mandatée par le propriétaire, acquiert un privilège maritime sur le navire, lequel privilège peut être exercé par voie d'action in rem, et il n'est pas nécessaire d'alléguer ou de prouver qu'on a fait crédit au navire.                         
             46 U.S.C. par. 971.                         
         Parmi les autres approvisionnements nécessaires, il y a des choses comme le matériel et les provisions du navire, du genre fourni par Unitor. Findley v. Robert C. Herd & Co., 250 F. 2d 77, 80 (5th Cir. 1957); Gounares Bros. & Co. v. United States, 292 F. 2d 79, 84 n. 12 (5th Cir. 1961).                 
             6. L'historique législatif de la FMLA montre clairement que la loi vise à protéger les exploitants de terminaux, les fournisseurs et les réparateurs de navires, les arrimeurs et les autres personnes qui fournissent des approvisionnements nécessaires aux navires. Voir par exemple H.R. Rep. No. 340, 92 Cong. 1st Sess. (1971) réimprimé en 1971 U.S.C.C.A.N. 1363, 1971 W.L. 11348 (Leg. Hist.).                 
             7. La jurisprudence dans laquelle la FMLA est interprétée montre également clairement qu'un privilège maritime est créé en faveur d'un fournisseur même si les biens et services sont fournis dans un port étranger. Voir par exemple Exxon Corp. v. Central Gulf Lines, Inc., 780 F. Supp. 191 (S.D.N.Y. 1991) (il a été statué qu'Exxon possédait des privilèges maritimes à l'égard du combustible de soute fourni à New York et en Arabie saoudite); Mobil Sales and Supply Corporation v. M/V PANAMAX VENUS, 1986 A.M.C. 420 (C.D. Cal. 1985), conf. 804 F. 2d 541 (9th Cir. 1986) (il a été statué que Mobil possédait des privilèges maritimes à l'égard de l'huile de graissage fournie en Chine et au Japon); Gulf Trading & Transportation Co. v. M/V TENTO, 694 F. 2d 1191 (9th Cir. 1982) (il a été statué que Gulf possédait des privilèges maritimes à l'égard du combustible de soute fourni en Italie ainsi qu'à l'égard des droits de canal payés au Panama). Voir également W. Tetley, Maritime Liens and Claims 249 (1985) ([TRADUCTION] : " En vertu du 46 U.S.C. par. 971, il est maintenant clair que le privilège relatif aux fournitures et services vise tant les navires américains que les navires étrangers, indépendamment de la question de savoir si ces fournitures et services ont été fournis dans les eaux américaines ou dans des eaux étrangères. ").                 
             8. Lorsque, comme en l'espèce, l'agent du propriétaire, C Ventures, de New York, passe une commande auprès de l'agent d'un fournisseur, Unitor Ships Services, Inc., au New Jersey, un privilège est créé en droit américain, et ce, même si la livraison elle-même est effectuée en dehors des États-Unis. Voir M/V TENTO, 694 F. 2d aux pages 1192 et 1195 (lorsque l'opération était conclue aux États-Unis, un privilège était créé même si le combustible était livré au navire en Italie). Le fait qu'Unitor A.S.A. a été constituée en dehors des États-Unis ne fait pas échouer la réclamation fondée sur le privilège. A/S Dan-Bunkering, Ltd. v. M/V ZAMET, 945 F. Supp. 1576 (S.D. Ga. 1996) (privilège reconnu en faveur du fournisseur danois de combustible de soute), Conti-Lines, S.A. v. M/V BARONESS V., 1992 A.M.C. 681 (M.D. Fla. 1991) (privilège reconnu à une société belge qui avait avancé de l'argent aux États-Unis aux fins de réparations).                 
             9. En 1988, la FMLA a été modifiée et, dans le cadre d'une nouvelle codification, elle a été incorporée dans la Commercial Instruments and Maritime Liens Act, 46 U.S.C. par. 31301-31343 (la CIMLA). Le passage pertinent de la CIMLA prévoit ce qui suit :                 
             Personnes réputées être autorisées à fournir des approvisionnements nécessaires                         
             a) Les personnes suivantes sont réputées être autorisées à fournir à un navire des approvisionnements nécessaires :                         
                 (1) le propriétaire;                         
                 (2) le capitaine;                         
                 (3) une personne qui est chargée de l'administration du navire au port où les approvisionnements sont fournis; ou                         
                 (4) un officier ou un agent désigné par :                         
                     (A) le propriétaire;                         
                     (B) un affréteur;                         
                     (C) un propriétaire dans cette affaire;                         
                     (D) un acheteur convenu en possession du navire.                         
             46 U.S.C. par. 31341                         
             Preuve de l'existence d'un privilège maritime                         
             a) Sauf ce qui est prévu à l'alinéa b), toute personne qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire, sur les instructions du propriétaire ou d'une personne mandatée par le propriétaire :                         
                 (1) acquiert un privilège maritime sur le navire;                         
                 (2) peut intenter une action réelle au civil en vue de faire valoir son privilège;                         
                 (3) n'est pas tenue d'alléguer ou de prouver, dans le cadre de l'action, qu'on a fait crédit au navire;                         
             b) Les dispositions qui précèdent ne s'appliquent pas à un navire de l'État.                         
             46 U.S.C. par. 31342                         
         L'historique législatif de la CIMLA montre clairement qu'en modifiant la FMLA et en la codifiant de nouveau, le Congrès américain n'avait pas l'intention d'apporter une modification de fond à la loi, en ce qui concerne la création d'un privilège maritime en faveur d'une personne qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire. Voir H.R. Rep. No. 918, 100th Cong., 2nd Sess. (1988), réimprimé en 1988 U.S.C.C.A.N. 6104, 1988 W. L. 169925 (Leg. Hist.).                 
             9. Par conséquent, compte tenu des dispositions législatives précitées, de l'historique législatif et des décisions judiciaires, et en me fondant sur mon expérience personnelle, je suis fermement convaincu qu'en droit américain, les réclamations d'Unitor se rapportent à des privilèges maritimes, en ce qui concerne les biens qui ont été vendus et les services qui ont été fournis à chacun des trois navires susmentionnés, et ce, indépendamment de la question de savoir si les biens et les services ont été fournis au navire dans un port américain ou dans un port étranger.                 

[88]      Bref, sur ce point je suis convaincu qu'Unitor, qui est une société norvégienne agissant par l'entremise d'Unitor Ships Services Inc., un agent américain, possède des privilèges maritimes contre l'Atlantis Two, contre l'Epta et contre l'Atlas, et ce, indépendamment de la question de savoir si les approvisionnements nécessaires ont été fournis dans un port américain. J'examinerai maintenant la question de l'exercice, au moyen de la procédure canadienne relative aux navires frères, des privilèges maritimes fondamentaux contre l'Epta et contre l'Atlas.

Réclamations fondées sur la procédure relative aux navires frères

[89]      On ne m'a référé à aucun arrêt portant sur l'exercice au Canada de privilèges maritimes américains fondamentaux contre un navire frère au moyen de la procédure de la Cour fédérale. Je ne connais aucun arrêt déterminant sur ce point5. Aux États-Unis, il n'y aurait pas non plus de loi qui puisse être utile, car il n'existe aucune disposition législative concernant les navires frères. Je dois au départ faire une analyse de base.

[90]      Si je comprends bien, les privilèges maritimes américains sont un droit fondamental de propriété, un droit opposable à un navire donné, qui est rattaché au navire d'une façon inconditionnelle, et ce, tant qu'il n'est pas éteint; tel est le fondement de l'action réelle aux États-Unis. Selon la théorie américaine relative aux privilèges maritimes, le privilège est distinct de l'action personnelle. Les concepts pertinents sont examinés à fond, ainsi que la théorie sous-jacente relative aux privilèges maritimes américains, laquelle est fondée sur la personnification du navire par opposition à la théorie procédurale anglaise ou canadienne, dans Price on the Law of Maritime Liens, (1940), Sweet and Maxwell Limited, Londres, à la page 115 et aux pages suivantes, et dans Parks on Tug and Tow (supra), à la page 784 et aux pages suivantes. C'est ce droit fondamental, un droit opposable à un navire donné, que le titulaire américain d'un privilège maritime fait valoir au Canada, en se fondant sur la procédure prévue par la législation canadienne, contre le navire auquel ce privilège se rattache. Le privilège n'est pas un droit fondamental opposable à un autre navire ou se rattachant à un autre navire.

[91]      La disposition relative au navire frère figure au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi) :

         43(8) Saisie de navire - La compétence de la Cour peut, aux termes de l'article 22, être exercée en matière réelle à l'égard de tout navire qui, au moment où l'action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l'action.                 

L'article 22, mentionné au paragraphe 43(8) précité de la Loi, confère à la Cour une compétence en matière maritime, notamment sur les questions suivantes :

         22(2) m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;                 

Cette compétence expresse, découlant de la fourniture de marchandises, matériels ou services à un navire, peut être invoquée dans le cadre de l'exercice d'un droit légal réel, tel qu'il est prévu au paragraphe 43(2) de la Loi. Ce droit légal réel prend la forme d'une créance relative aux approvisionnements nécessaires prenant rang après les privilèges maritimes et les hypothèques.

[92]      Dans ce contexte, le privilège maritime américain fondamental n'est pas visé par la disposition relative aux navires frères, à savoir le paragraphe 43(8) de la Loi, qui se rapporte simplement à la compétence conférée à la Cour par l'article 22 de la Loi, soit une compétence en matière personnelle qui peut être invoquée contre un navire frère plutôt qu'un droit ou privilège existant sur un navire, qui est exercé contre un autre navire. Si les titulaires de privilèges maritimes américains voulaient utiliser ici au Canada la procédure relative aux navires frères, il devrait exister aux États-Unis des dispositions législatives sur les navires frères permettant à ces titulaires d'invoquer au Canada un privilège maritime complet contre le navire frère.

[93]      Bien sûr, le titulaire d'un privilège, à supposer qu'il puisse également faire valoir un droit personnel contre le propriétaire du navire et à supposer que ce dernier soit, au moment pertinent, non seulement propriétaire du navire débiteur fautif, mais aussi du navire frère ou des navires frères, pourrait invoquer ce droit personnel au Canada et l'exercer, sur le plan de la procédure, contre tout navire frère. Toutefois, pareille créance occuperait uniquement le même rang qu'un droit légal réel, ce qui est peu utile en l'espèce, étant donné que le produit de la vente est restreint.

[94]      En résumé, dans la mesure où la réclamation d'Unitor vise des navires frères, elle n'a pas d'effet. La créance d'Unitor est limitée à un montant de 7 413,64 $ à l'égard des privilèges maritimes invoqués contre l'Atlantis Two et porte intérêt au taux de 2 p. 100 par mois, les intérêts commençant à courir 30 jours après la date des factures. Les dépens ne sont pas adjugés.

RÉCLAMATION DE MERMAID

[95]      J'ai déjà parlé, en y faisant droit, de la partie de la réclamation de Mermaid qui est fondée sur le fait que le combustible qui était à bord de l'Atlantis Two lui appartenait. La seconde partie de la réclamation se rapporte à la violation de la charte-partie par le propriétaire du navire et notamment au prix de location payé en trop, à la perte de revenu et aux réclamations que pouvait présenter le sous-affréteur de Mermaid, INCOFE.

[96]      Mermaid a affrété l'Atlantis Two d'Expedient Maritime Company Limited, une société cypriote, au moyen d'un affrètement à temps dit " New York Produce Exchange ". Mermaid est une société bahamienne ayant un établissement en Norvège.

[97]      La réclamation de Mermaid est composée premièrement des réclamations que le sous-affréteur, INCOFE, pourrait présenter à l'égard des frais additionnels de livraison de la cargaison (160 000 $), des intérêts sur la valeur de la cargaison, fondés sur le retard (75 000 $), des honoraires d'avocat et de la perte de marché (95 000 $). Deuxièmement, Mermaid allègue avoir subi une perte directe parce qu'elle a payé en trop le prix de location aux propriétaires (72 884 $) et parce qu'elle a perdu un revenu (132 825 $). Troisièmement, Mermaid prévoit engager des dépenses continues, notamment en ce qui concerne les réclamations présentées contre l'Atlantis Two et les honoraires d'avocat à Londres, New York et Vancouver (100 000 $). Ces réclamations s'élèvent en tout à 635 699,01 $. Dans l'affidavit de demande qui a été déposé pour le compte de Mermaid, on demande également un autre montant, se rapportant aux frais que Mermaid aurait peut-être eu à payer si l'Atlantis Two n'avait pas en fin de compte livré la cargaison. En outre, il se peut bien, ici encore en raison du voyage que l'Atlantis Two a finalement effectué afin de livrer la cargaison qui était à son bord, que certaines des créances envisagées n'aient pas pris naissance.

[98]      Selon le droit américain, un affréteur peut revendiquer un privilège maritime contre le propriétaire en cas de la violation de la charte-partie. En l'espèce, je ne puis constater l'existence d'aucun lien avec les États-Unis. La violation a eu lieu au Canada. En outre, la clause 48 de la charte-partie prévoit clairement que c'est le droit anglais qui s'applique. Or, en vertu du droit anglais ainsi qu'en vertu du droit canadien, il n'existe en général qu'un droit légal réel en cas de violation de la charte-partie, sous réserve de l'existence d'un privilège contractuel quelconque. Dans ce cas-ci, il n'y a pas de privilège maritime.

[99]      La clause 18 de la charte-partie dite " New York Produce Exchange " prévoit notamment ceci : [TRADUCTION] " Les affréteurs bénéficient d'un privilège sur le navire à l'égard de toute somme payée d'avance qui n'a pas été gagnée, [...]. " L'arrêt Lancaster [1980] 2 Lloyd's 497 s'applique en l'espèce. Dans cette affaire-là, Monsieur le juge Goff (tel était alors son titre) a reconnu que le privilège conféré à l'affréteur par la clause 18 pourrait bien être un privilège en equity quelconque, prenant rang après les créances cédées à la banque. En outre, il a été statué que le privilège prévu à l'article 18 du formulaire dit " New York Produce Exchange " n'était pas un privilège possessoire, car dans ce cas-là, la charte-partie était comme dans ce cas-ci un affrètement à temps par opposition à un affrètement coque nue : ibid. , pages 501 à 503.

[100]      Au Canada, Mermaid a tout au plus, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, un droit légal réel fondé sur la violation d'un contrat. En l'espèce, étant donné l'insuffisance des fonds disponibles, ce droit n'a malheureusement aucune valeur.

RÉCLAMATION D'INCOFE

[101]      Le sous-affréteur INCOFE réclame la somme de 435 851,10 $, garantie par un privilège maritime américain, en se fondant principalement sur la violation de la charte-partie existant entre Mermaid, en sa qualité d'armateur disposant et d'affréteur à temps d'une part, et INCOFE, en sa qualité d'affréteur au voyage d'autre part. Cette réclamation est peut-être en partie de nature conjecturale, mais il s'agit initialement de savoir si la réclamation fondée sur la violation d'une charte-partie donne lieu à un privilège maritime américain qui peut être exercé avant l'hypothèque grevant l'Atlantis Two, détenue par ABN-Amro Bank N.V. (ABN-Amro). INCOFE parle également d'une perte minime subie à l'égard de la cargaison, qui serait censément établie au moment de la livraison de la cargaison en vrac de potasse. Selon moi, cela n'a rien à voir avec l'Atlantis Two, que ce soit avant ou après la vente. Cette perte ne transforme pas non plus un privilège maritime contractuel américain en un privilège maritime américain prioritaire, car la perte de la cargaison, le cas échéant, ne pourrait pas être survenue pendant que le navire était à Vancouver, et ce, que ce soit avant ou après la saisie.

[102]      L'argument d'INCOFE est en gros que la charte-partie prévoit l'arbitrage à New York et que c'est donc le droit américain qu'il convient d'appliquer au contrat. La violation sur laquelle se fonde INCOFE à l'appui de sa réclamation se rapporte à la garantie relative à l'état de navigabilité figurant dans la clause 2 de la charte-partie. De fait, l'Atlantis Two n'est devenu un navire en état de navigabilité, au sens habituel ou financier du terme, c'est-à-dire apte à prendre la mer, qu'au moment où il a été vendu aux nouveaux propriétaires. Il est soutenu que tout cela donne lieu à un privilège maritime américain fondamental qui peut être exercé en tant que tel au moyen de la procédure canadienne, tel qu'il est prévu dans l'arrêt Ioannis Daskalelis. Toutefois, le raisonnement par lequel l'expert en droit américain d'INCOFE, Peter Gutowski, arrive à cette conclusion est un peu plus complexe.

[103]      M. Gutowski, de Freehill, Hogan et Mahar, à New York, se fonde au départ sur l'idée générale selon laquelle, aux États-Unis, une violation de contrat donne lieu à un privilège maritime. M. Gutowski et l'expert en droit américain de la partie adverse, ABN-Amro, Robert G. Shaw, de Healy et Bailie, à New York, s'entendent pour dire que le droit américain s'applique à la présente violation du sous-affrètement, mais ils ont par ailleurs une divergence d'opinions. S'il m'est impossible de trancher la question en me fondant sur l'avis des experts, je peux examiner la jurisprudence moi-même et tirer ma propre conclusion, mais je crois qu'il est tout à fait possible de concilier les deux opinions sans faire violence à l'une ou l'autre et d'en arriver à une conclusion.

[104]      En ce qui concerne les avis qui ont été exprimés, M. Gutowski étaye son opinion d'une façon minutieuse, en soulignant qu'il y a non seulement eu violation de la garantie relative à l'état de navigabilité physique figurant dans la charte-partie, mais aussi de la garantie relative à l'état de navigabilité sur le plan financier, en ce sens que le navire était financièrement incapable d'effectuer le voyage : il mentionne les arrêts Morrisey v. The A & J Faith (1965) 252 F. Supp. 54, à la page 58, et Assoc. Metals and Minerals Co-op v. The Alexander's Unity (1995), 41 F. 3d 1007, à la page 1016. Dans l'affaire A & J Faith, le voyage avait été interrompu par un litige et le navire avait été jugé innavigable. Dans l'affaire Alexander's Unity, la violation du contrat et le privilège maritime en résultant étaient attribuables à l'état d'innavigabilité, tant sur le plan physique que financier. En l'espèce, le navire était innavigable au point de vue physique et il l'était également au point de vue financier, au sens attribué à ce terme dans les arrêts américains.

[105]      M. Gutowski affirme ensuite qu'il existe un privilège maritime au profit d'INCOFE. Il est ici fait mention de l'arrêt Rainbow Line Inc. v. The Tequilla (1973), 480 F. 2d 1024, aux pages 1027 et 1028, et en particulier du passage suivant :

         [TRADUCTION]                 
         En droit américain, il est clairement établi qu'il existe un privilège maritime en cas de violation de la charte-partie, et puisque les dommages-intérêts demandés par Rainbow sont tous de nature maritime et sont directement attribuables à la violation de la charte-partie, il existe un privilège maritime.                 

On invoque ensuite certaines thèses habituelles selon lesquelles le privilège découlant du contrat d'affrètement est un moyen permettant de rendre le navire responsable de l'inexécution. M. Gutowski définit ensuite le privilège maritime comme étant une créance privilégiée se rattachant simultanément à la cause d'action et à un bien maritime et continuant à exister même s'il survient un changement de propriétaire, et ce, tant qu'il n'est pas éteint. M. Gutowski souligne que le privilège est créé lorsque les marchandises sont livrées à un navire (ou du moins lorsque le navire est prêt à recevoir la cargaison) et fait remarquer que dans ce cas-ci la cargaison d'INCOFE était à bord du navire.

[106]      Le troisième et dernier point que M. Gutowski a soulevé dans son avis initial se rapporte au fait que le privilège créé par la violation du contrat conclu entre INCOFE et l'Atlantis Two est un privilège résultant d'une violation de contrat, reconnu en droit américain comme étant un véritable privilège maritime, et M. Gutowski mentionne ici l'arrêt Tramp Oil & Marine Ltd. v. The Mermaid One (1986), 630 F. Supp. 630, à la page 632, confirmé dans 805 F. 2d 42.

[107]      La réponse initiale que M. Shaw a donnée pour le compte d'ABN-Amro à l'égard de tous ces arguments est qu'en sa qualité de sous-affréteur, INCOFE se voit refuser un privilège sur un navire, fondé sur la violation d'un sous-affrètement, parce qu'elle n'a pas démontré que même si elle avait fait preuve d'une diligence raisonnable, elle n'aurait pas pu s'assurer de l'existence de la clause interdisant la création d'un privilège figurant dans la charte-partie, et M. Shaw mentionne ici les arrêts Cardinal Shipping Corp. v. The Seisho Maru (1984), 744 F. 2d 461 à la page 469, United States v. The Lucie Schulte (1965), 343 F. 2d. 897 aux pages 900 et 901 et Acme Operating Corporation v. United States (1922), 283 F. 449. En appliquant cette thèse, M. Shaw soutient que le formulaire type dit " New York Produce Exchange " s'appliquant aux affrètements à temps a été utilisé aux fins de la charte-partie et que, dans ce formulaire, il y a une clause interdisant la création d'un privilège, la clause 18, et ce, depuis que le formulaire a commencé à être utilisé au début du siècle. La charte-partie existant entre INCOFE et Mermaid montre clairement que Mermaid est le propriétaire disposant; par conséquent, de l'avis de M. Shaw, un avis de l'existence tant de la charte-partie que de la clause interdisant la création d'un privilège a été donné.

[108]      Dans son avis supplémentaire, M. Gutowski soutient qu'une clause interdisant la création d'un privilège ne s'applique pas de façon à protéger le propriétaire contre une violation qu'il a lui-même commise. M. Gutowski souligne que la clause 18 figurant dans le formulaire " New York Produce Exchange ", si on lui attribue son sens ordinaire, montre qu'elle ne protège aucunement le propriétaire contre les privilèges résultant des actes qu'il a lui-même commis. La partie pertinente de la clause 18 se lit comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Les affréteurs n'admettront pas et ne permettront pas que soit établi un privilège [...] créé par l'affréteur ou leur agent [...]                 

Cette clause, si on lui attribue son sens ordinaire, n'est pas pertinente aux fins qui nous occupent. La règle du sens ordinaire est étayée par l'arrêt Cardinal Shipping Corporation v. The Seisho Maru, mentionnée par M. Shaw et citée ci-dessus, à la page 473 : pareilles clauses prévoient expressément que [TRADUCTION] " seuls les privilèges créés par l'affréteur (ou par son agent) sont interdits ". M. Gutowski mentionne ensuite l'arrêt International Marine Towing Inc. v. Southern Leasing Partners Ltd. (1983), 722 F. 2d 126 à l'appui ainsi que l'arrêt Roberts v. C.T. Echternach (1962) 302 F. (2d) 370, à l'appui de la thèse ci-après énoncée :

         [TRADUCTION]                 
         La clause interdisant la création de privilèges [...] ne traite pas du pouvoir que possède le propriétaire lui-même de grever son navire de privilèges maritimes. De fait, les circonstances dans lesquelles le propriétaire pourrait limiter son propre pouvoir sont fort restreintes et l'on peut dire en toute sécurité qu'elles ne permettent jamais au propriétaire en tant que tel de bénéficier d'un avantage. La clause (interdisant la création de privilèges) [...] se rapporte au pouvoir que possèdent d'autres personnes - le capitaine, l'agent, l'affréteur, etc. - d'assujettir le navire à des privilèges pour le travail exécuté par des tiers à la demande des personnes qui sont réputées représenter le navire (pages 372-373).                 

[109]      La clause interdisant la création de privilèges a un but et, ici, M. Gutowski se reporte de nouveau à l'arrêt Cardinal Shipping (supra), à la page 471 :

         [TRADUCTION]                 
         La clause interdisant la création de privilèges a un but valable. Elle encourage le libre-échange en ce qui concerne l'affrètement et le sous-affrètement de navires. Les propriétaires seront davantage portés à permettre aux affréteurs de conclure en toute liberté des contrats d'affrètement s'ils savent qu'aucun " privilège secret " ne sera créé par suite de dispositions obscures des sous-contrats.                 

M. Gutowski conclut en disant ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Par conséquent, la politique américaine en ce qui concerne l'application de ces clauses vise à empêcher la création de " privilèges secrets ", à l'insu du propriétaire. Toutefois, cette question ne se pose pas ici puisque le privilège a pris naissance par suite des propres actions du propriétaire, et non pas suite des actions secrètes d'un tiers. Par conséquent, la clause interdisant la création de privilèges figurant dans la charte-partie n'a rien à voir avec le privilège que possède le sous-affréteur INCOFE sur le navire. Le privilège d'INCOFE découle des actes ou des omissions du propriétaire et pareilles actions ne sont tout simplement pas visées par le libellé de la clause 18 de la charte-partie.                 

[110]      M. Shaw invoque ici un argument subsidiaire et dit que même si, malgré la clause interdisant la création de privilèges figurant dans la charte-partie, la violation a donné lieu à un privilège maritime américain, ce ne sont pas tous les droits réels opposables aux navires en vertu du droit américain qui viennent avant l'hypothèque grevant un navire et que, de fait, [TRADUCTION] " un nombre restreint seulement de droits qui sont considérés comme des privilèges maritimes en vertu du droit américain viennent avant l'hypothèque grevant un navire " (paragraphe 11 de l'affidavit du 2 novembre 1998). Je dois ici tenir compte du fait qu'en ce qui concerne l'ordre de priorité des privilèges et des hypothèques, il faut non seulement examiner le droit canadien, comme l'a souligné Monsieur le juge Ritchie dans l'arrêt Ioannis Daskalelis (supra) à la page 177, mais aussi le droit fondamental qu'INCOFE fait valoir dans ce ressort. Quoi qu'il en soit, la remarque qui a été faite au sujet des différentes catégories de privilèges maritimes n'est pas unique en son genre car l'ordre de priorité habituel des privilèges maritimes américains est en partie le suivant : d'abord, les privilèges maritimes prioritaires qui ont pris naissance avant l'enregistrement d'une hypothèque privilégiée, puis les hypothèques privilégiées grevant le navire, et enfin les privilèges contractuels, et notamment les créances relatives aux approvisionnements nécessaires, qui prennent naissance après l'enregistrement d'une hypothèque privilégiée. Cela est toutefois assujetti à la disposition restrictive figurant au 46 U.S.C. par. 31326(b)(2), à savoir que les privilèges non prioritaires relatifs aux approvisionnements nécessaires viennent avant les hypothèques étrangères. M. Shaw aborde également la question du point de vue de la violation d'un contrat figurant dans les connaissements et soutient que même si cette violation est considérée dans le contexte du droit américain, le privilège en résultant vient après l'hypothèque grevant le navire.

[111]      Je reconnais ici qu'INCOFE possède un privilège maritime américain par suite de la violation de la charte-partie, mais ce privilège, qui a pris naissance après l'enregistrement des hypothèques d'ABN-Amro, n'est pas un privilège maritime prioritaire qui vient avant une hypothèque privilégiée selon le système américain de priorités. Ce privilège maritime américain résultant de la violation d'un contrat vient après, toujours selon le système américain, toutes les hypothèques privilégiées grevant le navire qui ont déjà été enregistrées, point sur lequel je reviendrai ci-dessous.

[112]      Selon l'argument invoqué par ABN-Amro, à part un privilège maritime possible découlant de la violation de la charte-partie existant entre Mermaid et INCOFE, INCOFE n'a pas d'autres privilèges sur le navire. L'expert d'ABN-Amro affirme ici, et son avis n'a pas été contesté, que toute réclamation qu'INCOFE peut directement faire valoir contre le propriétaire doit découler d'un délit ou de la violation d'un contrat d'affrètement conclu en vertu du connaissement auquel INCOFE est partie, en sa qualité d'expéditeur et de propriétaire du navire, par l'entremise de son capitaine, car il n'existe aucun autre contrat entre le propriétaire et INCOFE en sa qualité de sous-affréteur.

[113]      La réclamation en responsabilité civile délictuelle, en admettant qu'elle existe, est facilement réglée. De l'avis de M. Shaw, avis auquel je souscris, tout délit, dans ce cas-ci, serait fondé sur le droit canadien, car l'omission d'effectuer le voyage a eu lieu au Canada et mettait en cause un propriétaire cypriote, Expedient Maritime Company Ltd., et le propriétaire de la cargaison, INCOFE, ayant son siège social, aux soins de Lloyd's Bank International (Bahamas) Ltd., à Nassau, et un autre bureau, au Guatemala. De l'avis de M. Shaw, et cet avis n'a pas été contesté, un tribunal américain n'appliquerait pas le droit américain de la responsabilité civile délictuelle aux faits ici en cause, mais il appliquerait plutôt le droit canadien de la responsabilité civile délictuelle. Or, au Canada, une action fondée sur le délit qui consiste à avoir omis d'effectuer un voyage ne donnerait pas lieu à un privilège maritime. Il pourrait tout au plus y avoir un droit légal réel. Et, selon M. Shaw, ce droit serait celui que reconnaîtrait un tribunal américain. Je retiens cet avis, à savoir que sur le plan délictuel, la réclamation d'INCOFE contre le navire serait tout au plus fondée sur un droit légal réel.

[114]      Comme je l'ai déjà fait remarquer, il est également soutenu qu'il existe un privilège maritime contractuel en cas de violation du contrat de transport conclu en vertu du connaissement que le capitaine a émis en faveur d'INCOFE. Les parties aux connaissements ne sont pas des entités américaines et le voyage n'a pas commencé ou ne s'est pas terminé dans un port américain. Le navire n'est pas un navire américain. Selon le droit canadien, qui devrait s'appliquer dans ce genre d'affaire, où personne n'a un lien avec les États-Unis, il y aurait simplement un droit réel découlant de la violation du contrat de transport. Toutefois, M. Shaw affirme qu'il se peut bien que ce soit le droit américain qui s'applique, parce que les [TRADUCTION] " dispositions, conditions, exceptions et libertés ainsi que la clause d'arbitrage " figurant dans la charte-partie sont incorporées dans les connaissements. Il entend par là que le droit américain pourrait être incorporé dans les connaissements. Ici encore, M. Shaw conclut, sans avoir été contredit, que cette incorporation du droit américain créerait un privilège maritime, fondé sur la violation de la charte-partie [TRADUCTION] " [...] du moins dans le cas d'un expéditeur qui n'est pas également un sous-affréteur ". Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire cette distinction en l'espèce. Je souscris à la remarque que M. Shaw a faite, à savoir que le privilège en résultant, et il s'agit ici d'un avis nuancé par une réserve, ne serait pas un privilège maritime prioritaire, mais un privilège venant après l'hypothèque privilégiée grevant un navire. Il faut donc définir ce qu'est une hypothèque privilégiée.

[115]      Selon le système américain, une hypothèque privilégiée comprend, aux fins de son paiement, une hypothèque grevant un navire étranger qui a été consentie et enregistrée d'une façon régulière en vertu du droit du pays où le navire est immatriculé : voir U.S.C. par. 31301(6). En l'espèce, les deux hypothèques détenues par ABN-Amro ont été enregistrées contre l'Atlantis Two dans le registre de la navigation pertinent le 31 décembre 1995 et le 24 janvier 1996. Ces hypothèques constituent des charges de premier et de deuxième rang dans le registre. Les deux hypothèques remontent à une date antérieure à celle de tout privilège détenu par INCOFE et par conséquent, selon le système américain, le privilège maritime d'INCOFE, qui est fondé sur la violation de la charte-partie ou sur la violation du contrat de transport, vient après les hypothèques d'ABN-Amro.

[116]      L'avocat d'ABN-Amro soutient que je devrais considérer un privilège maritime américain ordinaire, par opposition à un privilège maritime américain prioritaire, comme analogue au droit légal réel qui existe au Canada et que je devrais donc attribuer à la créance d'INCOFE le même rang que les autres droits légaux réels revendiqués dans cette instance, lesquels occupent un rang relativement peu important. Cette analyse est intenable, car le fondement des actions réelles est fort différent aux États-Unis et au Canada. Aux États-Unis, en plus d'un certain nombre de créances qui sont subordonnées aux privilèges maritimes, notamment les hypothèques non enregistrées, les privilèges non maritimes qui ont été parfaits, les privilèges étatiques et les hypothèques et privilèges se rapportant à la saisie-arrêt (voir Tetley (supra), à la page 876), il existe également des réclamations in personam de nature maritime. Aux États-Unis, les réclamations ou causes d'action de nature personnelle sont tout simplement cela : on ne peut pas les faire valoir dans le cadre d'une action réelle parce que la réclamation in personam n'est pas le fondement de la réclamation in rem. Aux États-Unis, un droit réel est plutôt le fondement d'une réclamation contre un navire par opposition à l'approche canadienne, qui exige l'existence d'une cause d'action de nature personnelle justifiant l'introduction d'une action légale réelle. Compte tenu de cette analyse, un privilège maritime américain ordinaire, par opposition à un privilège maritime américain prioritaire, n'est pas analogue à notre droit légal réel. L'approche que je devrais adopter a été énoncée par la Cour suprême du Canada tant dans l'arrêt Strandhill que dans l'arrêt Ioannis Daskalelis (supra).

[117]      En ce qui concerne les réclamations in rem américaines, les tribunaux canadiens déterminent le droit fondamental qui est invoqué au Canada et lui attribuent ensuite un rang dans le système canadien de priorités. Compte tenu des arrêts Ioannis Daskalelis et Strandhill, il s'agit généralement d'un processus mécanique passablement simple. Afin d'attribuer un rang au privilège maritime américain ordinaire d'INCOFE dans ce système, je dois examiner minutieusement le droit qu'INCOFE invoque au Canada.

[118]      Le privilège qu'INCOFE invoque au Canada aurait pu, si ce n'avait été du moment où il a été créé, constituer un privilège maritime prioritaire, conformément au 46 U.S.C. par. 31301(5)(A) : voir par exemple la décision Rainbow Line Inc. v. The Tequilla (supra), rendue par la Cour d'appel américaine, deuxième circuit, mentionnée par les parties, en particulier aux pages 1027 et 1028. Dans cette affaire-là, la Cour a statué que la violation d'une charte-partie donnait lieu à un privilège maritime et que pareil privilège aurait priorité sur une hypothèque, probablement à titre de privilège maritime prioritaire, si le privilège grevait le navire avant l'enregistrement de l'hypothèque (voir également Tetley (supra), à la page 875).

[119]      Dans ce cas-ci, le privilège d'INCOFE n'est pas un privilège maritime prioritaire, mais il aurait pu l'être si la suite des événements avait été différente, en ce qui concerne l'enregistrement de l'hypothèque et la création du privilège. Pourtant, telle était précisément la situation dans l'affaire Ioannis Daskalelis (supra). Dans cette affaire-là, l'Ioannis Daskalelis était grevé d'une hypothèque antérieure. Par conséquent, le privilège de Todd Shipyards Corporation n'était pas un privilège maritime prioritaire. La Cour suprême du Canada a certes reconnu, probablement à cause de la disposition restrictive que les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires avaient réussi à faire adopter en 1954 (et dont j'ai déjà fait mention), que le privilège maritime avait priorité sur une hypothèque aux États-Unis; pourtant, la question de l'ordre de priorité aux États-Unis ne faisait pas partie de la décision. La Cour a simplement reconnu le droit à titre de privilège maritime et lui a ensuite attribué un rang dans le système canadien de priorités.

[120]      De même, en l'espèce, je reconnais que le droit que possède INCOFE par suite de la violation du sous-affrètement est un privilège maritime se rattachant au navire. Dans le système canadien, même s'il ne s'agit pas d'un privilège maritime prioritaire, ce droit vient avant les hypothèques d'ABN-Amro. Je parlerai maintenant de la question des dommages-intérêts.

Dommages-intérêts réclamés par INCOFE

[121]      Les experts qui ont présenté une preuve par affidavit au sujet du droit américain pour le compte d'INCOFE et à son encontre examinent ensuite la façon dont il convient d'évaluer les dommages-intérêts réclamés par INCOFE. Il se peut bien que la théorie applicable soit similaire en droit américain et en droit canadien. Toutefois, les dommages-intérêts réclamés ne sont pas de la nature d'un droit fondamental américain, dont la nature doit être expliquée par des experts américains pour qu'il soit possible de déterminer les modalités d'exercice au Canada, mais un recours canadien qui doit être déterminé par cette cour, sans l'aide d'un expert.

[122]      En termes classiques, je dois évaluer les dommages-intérêts comme étant :

         [TRADUCTION]                 
         La somme d'argent qui aura pour effet de mettre la partie qui a été lésée ou qui a subi un préjudice dans la situation où elle aurait été si elle n'avait pas été victime du tort pour lequel elle demande maintenant une réparation ou une indemnité.                 
             [Livingston v. Rawyards Coal Company (1880), 5 App. Cas. 25 à la p. 39 (C.L.)]                 

D'une façon générale, puisque j'ai conclu que la réclamation d'INCOFE est fondée, je dois quantifier cette réclamation de façon que, dans la mesure où le produit de la vente est suffisant, INCOFE se voie accorder la somme qui la mettra autant que possible dans la situation où elle aurait été si la charte-partie n'avait pas été violée.

[123]      Tel est le concept que Monsieur le juge Stone a exprimé avec des notes de bas de page à l'appui dans les motifs qu'il a prononcés en dissidence dans la décision Northeast Marine Services Ltd. c. L'Administration de pilotage de l'Atlantique (1995), 179 N.R. 17, aux pages 43 et 44 :

         Le but de l'octroi de dommages-intérêts résultant d'un contrat est de mettre le demandeur (en l'espèce, l'intimée) dans la même situation que celle dans laquelle il aurait été en l'absence de rupture de contrat.                 

Et ici, Monsieur le juge Stone mentionne les arrêts Baud Corporation N.V. c. Brook, [1979] 1 R.C.S. 633 et Victoria Laundry (Windsor) Ltd. v. Newman Industries Ltd., [1949] 2 K.B. 528 (C.A.)

[124]      La détermination des dommages-intérêts en matière contractuelle pose un problème : les dommages-intérêts contractuels sont axés sur l'avenir, car ils sont fondés sur les attentes du demandeur, des attentes qui peuvent bien être différentes, selon le point de vue adopté, ou la façon dont les éléments de preuve contradictoires sont appréciés. Toutefois, comme Monsieur le juge Hugessen l'a signalé dans l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. le personnel des fonds non publics (1996), 199 N.R. 81, à la page 97 :

         À mon avis, il est bien établi que la Cour, sachant que la partie demanderesse a subi des dommages, ne peut refuser d'accorder réparation uniquement parce que le montant précis des dommages est difficile ou impossible à établir. Le juge doit faire de son mieux à l'aide des éléments dont il dispose.                 

Je reconnais que certains éléments sont contestés et que certains éléments sont contradictoires, mais je dois faire de mon mieux en me fondant sur les affidavits et les réponses aux interrogatoires qui m'ont été soumis.

[125]      En novembre 1997, INCOFE a acheté au total 16 524 tonnes métriques de différentes catégories de potasse, au coût de 1 786 368 $, tel qu'il en est fait mention dans une facture de Campotex du 28 novembre 1997, la marchandise ayant été chargée à bord de l'Atlantis Two pour être déchargée au Guatemala et au Costa Rica. INCOFE avait acheté et expédié cette marchandise en réponse aux besoins d'un client qui était prêt à payer 1 849 409,39 $, de sorte que le profit prévu était de 3,81 $ la tonne. INCOFE devait payer des frais de transport s'élevant à 16,50 $ la tonne métrique et les frais d'assurance, mais selon la documentation soumise, ces frais étaient essentiellement transmis aux clients, de sorte que je n'ai pas à me préoccuper des frais de transport et d'assurance. En fin de compte, en raison du retard, les clients d'INCOFE, ou du moins l'un d'entre eux, se sont vus obligés d'obtenir la potasse ailleurs à un prix plus élevé.

[126]      En ce qui concerne la marchandise qui avait été chargée à bord de l'Atlantis Two à Vancouver à la fin du mois de novembre 1997, INCOFE a pu vendre cette potasse pour la somme de 1 936 436,55 $, une fois que l'Atlantis Two s'est finalement mis en route, en septembre 1998. Une partie de la potasse a été vendue aux clients initiaux, et notamment à Abonos Del Pacifico S.A. (ABOPAC).

[127]      INCOFE réclame maintenant les montants suivants :

         1.      Des intérêts sur le montant correspondant à la valeur de la cargaison retenue à bord de l'Atlantis Two parce que le navire avait tardé à partir, au taux de 8,5 p. 100, représentant en tout un montant de 113 152,95 $;                 
         2.      Une extension de la couverture relative à l'assurance, en raison du retard, d'un montant de 12 992,37 $;                 
         3.      Une visite du navire à Vancouver (Colombie-Britannique), d'un montant de 2 310,72 $;                 
         4.      Le remboursement d'une somme réclamée par ABOPAC, qui s'était vue obligée d'obtenir de la potasse d'autres sources à un prix plus élevé et qui a donc engagé des dépenses additionnelles, et notamment des frais de transport, s'élevant en tout à 160 780,06 $;                 
         5.      Le profit perdu en 1997 sur la vente prévue de la cargaison de l'Atlantis Two, en novembre et en décembre 1997, de 3,50 $ la tonne, ce qui représente un montant total de 57 834 $;                 
         6.      Le profit perdu en 1998, de 3,50 $ la tonne, 15 366 tonnes métriques de marchandises n'ayant pas été expédiées, alors qu'INCOFE avait apparemment conclu un contrat en vue d'obtenir ces marchandises de Campotex à Vancouver, le montant total y afférent s'élevant à 53 781 $.                 

J'examinerai maintenant chacun de ces éléments à tour de rôle.

Intérêts relatifs à la cargaison retenue à bord de l'Atlantis Two

[128]      INCOFE réclame des intérêts au taux de 8,5 p. 100 sur la somme de 1 786 368 $ à laquelle correspond la valeur de la marchandise qui était à bord du navire entre le moment où elle avait été chargée, vers le 28 novembre 1997, et celui où elle a finalement été livrée, vers le 27 août 1998, soit pour une période de 272 jours en tout. INCOFE affirme que le taux d'intérêt correspond au taux moyen s'appliquant aux prêts commerciaux. Selon les calculs, les intérêts réclamés s'élèvent à 113 152,95 $.

[129]      J'ai plusieurs remarques à faire au sujet de cette partie de la réclamation d'INCOFE. Premièrement, INCOFE a payé la marchandise à Campotex le 18 mai 1998 seulement, soit environ six mois après que celle-ci eut été chargée à bord du navire.

[130]      Deuxièmement, la marchandise d'INCOFE aurait été à bord du navire pendant un mois peut-être avant d'être livrée à quelque 4 000 milles, au Guatemala et au Costa Rica, et compte tenu du fait qu'il fallait la décharger dans différents ports.

[131]      Troisièmement, les avocats de la partie adverse soulignent qu'en raison du retard et du fait que le marché était à la hausse, INCOFE a réalisé un montant additionnel de 87 030,16 $, soit environ 5,25 $ la tonne métrique, en sus du profit prévu de 3,81 $ la tonne métrique. Il faudrait donc tenir compte de ce profit additionnel, le cas échéant, en examinant la réclamation d'INCOFE relative au profit perdu.

[132]      Je fais droit à la réclamation relative aux intérêts qu'INCOFE a présentée, au taux de 8,5 p. 100, sur le prix d'achat de la marchandise, pour la période allant du 18 mai 1998, date à laquelle la marchandise a été payée, au 27 août 1998, date à laquelle la marchandise a été livrée, soit une période de 101 jours, moins les 30 jours pendant lesquels la marchandise aurait de toute façon été à bord du navire pour être livrée. Les intérêts au taux de 8,5 p. 100 pour une période de 71 jours s'élèvent donc à 29 536,25 $.

Extension de la couverture

[133]      Cette partie de la réclamation, qui se rapporterait censément à la prime additionnelle qui a été payée le 22 janvier 1998 en raison du retard, en vue d'une extension de la couverture s'élève à 12 992,37 $. Initialement, le montant de la prime qu'INCOFE aurait fait passer à ses clients éventuels, si l'Atlantis Two était parti à temps, aurait été d'environ 10 500 $. Ce montant ne comprenait pas la prime d'assurance additionnelle. Pourtant, le montant que les clients éventuels d'INCOFE ont payé à l'égard de la marchandise qui était à bord de l'Atlantis Two ne s'élevait qu'à environ 6 500 $. Le reçu relatif à la prime d'assurance fait mention d'une valeur assurée de beaucoup supérieure au prix d'achat payé par INCOFE. Il y est fait mention de la date à laquelle la marchandise a été chargée. Il n'y est pas fait mention du fait qu'il s'agit d'une prime qui vient s'ajouter à la prime déjà payée ou d'une extension de la couverture.

[134]      Une prime additionnelle a peut-être été payée. Dans l'affirmative, elle l'a probablement été après le 22 janvier 1998, soit la date indiquée sur le reçu. Toutefois, il n'existe aucun élément de preuve convaincant tendant à montrer qu'une prime additionnelle a été payée. Cette partie de la réclamation est rejetée.

Frais de visite

[135]      INCOFE a commandé une visite du navire à Vancouver, laquelle a coûté 3 474,25 $ CAN et à l'égard de laquelle elle réclame une somme de 2 310,72 $. Je retiens le témoignage de M. Moreno, tel qu'il figure dans la réponse qu'il a donnée aux interrogatoires, à savoir qu'INCOFE n'avait jamais jusqu'alors fait face à une situation telle que celle qui existait en ce qui concerne l'Atlantis Two et, par conséquent, qu'elle [TRADUCTION] " [...] jugeai[t] prudent de tenter de vérifier et de déterminer l'état du navire dans la mesure du possible ". Cette dépense était raisonnable; je l'admets en entier.

Paiement à ABOPAC de la différence entre le coût initial et le coût de remplacement de la potasse

[136]      ABOPAC semble être un client important et estimé d'INCOFE. Lorsque INCOFE n'a pas pu lui livrer la potasse, ABOPAC s'est de son côté vue obligée d'obtenir 1 968,45 tonnes métriques de potasse d'une autre source afin de satisfaire aux demandes de ses clients. La réclamation d'ABOPAC, qui se rapporte à la différence entre le coût de la potasse qu'INCOFE devait livrer et le coût de remplacement de la potasse, s'élève à 160 780,06 $. La réclamation pose un problème en ce sens qu'INCOFE n'a pas contesté les frais qu'ABOPAC avait engagés en vue de limiter le préjudice. INCOFE croyait que la réclamation d'ABOPAC était raisonnable et justifiée. En outre, ABOPAC n'était pas prête à discuter de la réclamation, mais simplement à la déduire des montants dûs à INCOFE.

[137]      Selon un argument invoqué à l'encontre de la réclamation d'ABOPAC, les dispositions initiales qui avaient été prises à l'égard de l'expédition exigeaient simplement que l'Atlantis Two effectue le voyage dans un délai acceptable, mais elles ne fixaient pas un délai ferme aux fins de la livraison et ne prévoyaient rien au sujet du coût des approvisionnements de rechange en cas de violation des conditions d'expédition. L'avocat qui contestait cette partie de la réclamation a ici mentionné la règle énoncée dans l'arrêt Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. Ch. 341, 156 E.R. 145. La règle, énoncée à la page 151 du recueil, est la suivante :

         [TRADUCTION]                 
         Lorsque deux parties ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme celle qui découle naturellement, c'est-à-dire selon le cours normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle que les deux parties pouvaient raisonnablement et probablement envisager, lors de la passation du contrat, comme conséquence probable de sa rupture.                 

[138]      La règle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale prévoit deux cas dans lesquels des dommages-intérêts peuvent être recouvrés par suite de la rupture d'un contrat, à savoir en premier lieu, lorsque les dommages-intérêts découlent naturellement de la rupture selon le cours normal des choses et, en second lieu, lorsque les dommages-intérêts étaient raisonnablement envisagés par les parties, lors de la passation du contrat, comme conséquence probable de sa rupture. Cette dichotomie apparente a été modifiée et des explications ont dans une certaine mesure été données au fil des ans à ce sujet.

[139]      Dans la décision Victoria Laundry (Windsor) Ltd. v. Newman Industries Ltd., [1949] 2 K.B. 528, rendue par la Cour d'appel, le principe général qui a été énoncé par lord Asquith est qu'en cas de violation du contrat, la partie qui est lésée recouvre uniquement la partie de la perte qui était raisonnablement prévisible au moment de la conclusion du contrat. La prévisibilité dépend de la connaissance, du moins de la part de la partie qui commet la violation, mais il peut s'agir d'une connaissance réelle ou imputée, en ce sens qu'il faut considérer qu'une personne raisonnable ou une personne d'affaires sait, dans le cours ordinaire de ses activités, quelle perte risque d'être subie dans le cours ordinaire des affaires en cas de violation du contrat. Par conséquent, le critère énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale en vertu des deux volets de la règle, telle qu'elle est expliquée dans l'arrêt Victoria Laundry, est que le recouvrement dépend de la prévisibilité, appréciée objectivement selon le premier volet et subjectivement selon le second volet, en ce sens qu'il est question de la connaissance réelle.

[140]      Il y a quelque temps, dans l'arrêt Heron II (Czarnikow v. Koufos), [1967] 2 Lloyd's 457 (C.L.), il a été soutenu que les dommages-intérêts de nature contractuelle devraient être régis par des considérations autres que le caractère lointain du dommage, apprécié en fonction de la question de savoir s'il était raisonnablement prévisible, de sorte qu'une distinction était faite entre l'appréciation de la responsabilité délictuelle et celle de la responsabilité contractuelle. Les problèmes évidents que pose cette approche ont été réglés, du moins au Canada, la Cour suprême du Canada ayant statué ce qui suit, dans l'arrêt Asamera Oil Corp. Ltd. c. Sea Oil & General Corporation, [1979] 1 R.C.S. 633 :

         [...] les principes relatifs au caractère prévisible s'appliquent également que la réclamation soit fondée sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle, sous réserve cependant des connaissances, ententes ou relations particulières entre les parties contractantes ou de toute disposition expresse ou implicite dans le contrat au sujet des dommages recouvrables en cas d'inexécution; [...] (page 673)                 

Si j'applique cette remarque à la présente instance, je dois considérer la question comme se rapportant au caractère prévisible, sous réserve des connaissances, ententes ou relations particulières entre INCOFE et le transporteur et de toute disposition contractuelle expresse ou implicite relative aux dommages-intérêts recouvrables en cas de violation. La condition selon laquelle le navire devait effectuer le voyage [TRADUCTION] " dans un délai acceptable " figurant dans la charte-partie du 18 novembre 1997 qui a été incorporée dans le contrat conclu avec le propriétaire de l'Atlantis Two au moyen des connaissements ne traite pas expressément des dommages-intérêts attribuables à un retard et découlant du coût plus élevé de la potasse obtenue d'une autre source. Par conséquent, dans ce cas-ci, je puis omettre de tenir compte du second ensemble de considérations, à savoir les dispositions contractuelles relatives aux dommages-intérêts recouvrables en cas de violation, car les dispositions du contrat ne traitent pas de sa violation; cela n'est pas inhabituel car les gens d'affaires envisagent habituellement une exécution mutuellement avantageuse de l'entente, et non sa violation.

[141]      En ce qui concerne la question des connaissances, ententes ou relations, j'ajouterais un autre principe dont je devrais tenir compte en cas de retard dans le transport. Le transporteur de marchandises n'est pas réputé avoir la même connaissance des pratiques et exigences du commerce que les gens d'affaires exerçant leurs activités dans ce secteur; ce concept a été énoncé dans l'arrêt Heron II (supra), à la page 485 :

         [TRADUCTION]                 
         [...] Dans une affaire de transport de marchandises par terre, par mer ou par air, il faut se rappeler que le transporteur n'exerce pas les mêmes activités que le consignateur et que sa connaissance de la pratique et des exigences du commerce de l'autre partie peut être restreinte et moins étendue que celle qui existe dans le cas de l'acheteur et du vendeur de marchandises, qui ont probablement une connaissance beaucoup plus étendue de leurs activités mutuelles.                 

Toutefois, malgré la réserve qui a été apportée en faveur du transporteur, la Chambre des lords a ensuite conclu, dans l'arrêt Heron II, que le transporteur était responsable du retard et de la perte de marché.

[142]      INCOFE était clairement au courant des activités d'ABOPAC et elle n'a donc pas contesté les frais que cette dernière avait engagés en vue de limiter le préjudice, par suite de la nécessité de trouver une autre source de potasse pour satisfaire aux engagements qui avaient été pris, mais on ne peut pas attribuer une connaissance aussi étendue au propriétaire de l'Atlantis Two avec qui INCOFE a contracté à titre de transporteur conformément aux connaissements.

[143]      En ce qui concerne la question de savoir si l'on pouvait prévoir qu'il serait nécessaire de remplacer la cargaison, dans le contexte d'un retard exceptionnel de plusieurs mois et compte tenu du sens commun, je devrais imputer à un transporteur maritime établi certaines connaissances au sujet de la désorganisation et des frais que pourrait causer un retard excessif, en examinant la question d'une façon objective. Il n'existe aucun élément de preuve, d'une façon ou d'une autre, permettant de déterminer si le propriétaire du navire s'y connaissait dans le domaine du commerce d'engrais en Amérique centrale. Toutefois, comme je l'ai dit, certaines connaissances doivent être imputées au transporteur. Premièrement, les gens d'affaires ne spéculent normalement pas sur le prix de l'engrais en achetant des cargaisons en vrac. Il est plus facile et plus efficace de se livrer à la spéculation sur le marché à terme de marchandises. Il devait être ici considéré objectivement que le transporteur savait qu'INCOFE s'était certainement engagée à fournir une grosse quantité de potasse dans un délai raisonnable. Deuxièmement, encore une fois d'un point de vue objectif et compte tenu du sens commun, étant donné la quantité de potasse en cause, il faut considérer que le transporteur savait que s'il manquait 16 524 tonnes métriques de potasse sur un marché quelque peu restreint, cela aurait un effet appréciable sur l'offre et désorganiserait probablement le marché, de sorte qu'il faudrait trouver sans délai d'autre potasse ailleurs.

[144]      Étant donné que la prévisibilité a été établie dans ce cas-ci, je citerai l'arrêt Asamera Oil (supra), à l'appui de la thèse selon laquelle " [l]orsqu'une conséquence prévisible ou prévue se produit, en l'espèce de la perte d'une possibilité de vendre les actions, tout préjudice subi est inclus dans le montant global des dommages-intérêts calculé selon les principes appropriés " (p. 655). Ce principe n'est pas simplement limité à la vente d'actions, comme dans l'affaire Asamera , mais il s'applique plutôt d'une façon générale.

[145]      En ce qui concerne la réclamation d'ABOPAC elle-même, je dois maintenant mettre INCOFE dans la situation où elle aurait été si le contrat de transport n'avait pas été violé et si ABOPAC n'avait pas eu à acheter de la potasse pour remplacer la cargaison manquante. Toutefois, cela laisse supposer qu'INCOFE aurait dû examiner plus à fond la demande en dommages-intérêts d'ABOPAC; en effet, INCOFE ne peut pas demander le remboursement de dommages-intérêts qu'elle n'aurait pas dû verser à ABOPAC.

[146]      ABOPAC a produit un sommaire de sa réclamation, selon lequel il en aurait coûté 141,46 $ la tonne métrique pour que l'Atlantis Two livre 16 524 tonnes métriques à ses installations. Par contre, 1 968,45 tonnes métriques de potasse ont été achetées en Amérique centrale à des prix allant de 177,47 $ à 229,11 $ la tonne métrique, ce qui donne une différence de prix de 148 813,66 $ pour cette quantité minime ainsi que des intérêts de 11 966,40 $ pour une période de " deux mois ", le montant total de la réclamation étant donc de 160 780,06 $.

[147]      On n'a invoqué aucun élément convaincant en vue de contester les frais engagés, représentant la différence entre la valeur de la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two et le coût de la marchandise de rechange, du transport entre le Guatemala et le Nicaragua et le Costa Rica et d'une certaine quantité de phosphate en sacs qui avait été transportée par mer. Il est fait droit à cette partie de la réclamation.

[148]      L'un des avocats qui a contesté cette partie de la réclamation s'est opposé à ce qu'INCOFE paie deux mois d'intérêts, d'un montant de 11 966,40 $, au taux de 45 p. 100, alors qu'un taux de 8,5 p. 100, soit le propre taux d'intérêt d'INCOFE et le taux commercial moyen, pourrait être plus approprié. Toutefois, si la réclamation d'ABOPAC est considérée telle quelle, les intérêts ne sont aucunement, à mon avis, appropriés ou justifiés. Un montant de 148 813,66 $ est accordé à l'égard de cette partie de la réclamation d'ABOPAC.

Quantité manquante et transport; écart de prix sur le marché

[149]      INCOFE a initialement réclamé 35 000 $ à l'égard de la marchandise manquante au débarquement; l'Atlantis Two s'appelait alors le " World Amber " depuis qu'un nouveau propriétaire l'avait acquis. INCOFE ne réclame plus rien à cet égard.

[150]      INCOFE a pris des dispositions pour que de la potasse additionnelle soit transmise aux autres réceptionnaires, au Costa Rica et au Guatemala, auxquels la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two aurait été fournie, probablement au début de l'année 1998. Cette partie de la réclamation, d'un montant très élevé, a également été abandonnée, mais elle est néanmoins pertinente aux fins de la réclamation relative aux profits perdus en 1997.

Profits perdus en 1997

[151]      INCOFE réclame, à titre de perte pure de profit, un montant correspondant à 3,50 $ la tonne métrique sur les 16 524 tonnes métriques de potasse qui étaient à bord de l'Atlantis Two en novembre et en décembre 1997, soit 57 834 $ en tout.

[152]      INCOFE soutient que la perte de cette vente a occasionné une perte complète de possibilité, car on avait trouvé d'autres fournisseurs pour satisfaire à la demande sur le marché auquel la potasse était destinée.

[153]      Le problème que pose cet argument selon moi se rapporte à la partie de la réclamation relative au transport et à l'écart de prix sur le marché, qu'INCOFE a avec raison abandonnée. Cette réclamation est énoncée dans l'affidavit du 30 juillet 1998 de Roberto Dalton, avec l'explication suivante :

         [TRADUCTION]                 
         INCOFE a acheté et transporté des marchandises additionnelles à l'intention des réceptionnaires, au Costa Rica et au Guatemala, à qui la potasse qui était à bord de l'Atlantis Two aurait dû être livrée.                 

Il ressort clairement de cette déclaration que la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two n'a pas entièrement donné lieu à une perte de possibilité. Les 16 000 tonnes de marchandises qu'INCOFE a apportées à bord de l'Anemone au début du printemps 1997 n'étaient pas destinées à un nouveau compte, mais elles devaient remplacer la cargaison initiale qui était à bord de l'Atlantis Two. Par conséquent, INCOFE n'a perdu la possibilité de faire un profit qu'à l'égard de 624 tonnes, calculées initialement à 3,50 $ la tonne. INCOFE a effectué de nouveaux calculs pour montrer que le profit perdu, en ce qui concerne le voyage qui aurait dû avoir lieu en décembre 1997, était de 3,81 $ la tonne, plutôt que de 3,50 $ la tonne.

[154]      La réclamation, en ce qui concerne le profit perdu en 1997, serait donc de 2 377,44 $. Toutefois, par suite du retard, la potasse qui était à bord de l'Atlantis Two en 1997 a été vendue pendant que le marché était à la hausse en 1998 de sorte qu'INCOFE n'a perdu aucun profit, quel qu'il soit, en 1997, à l'égard de la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two. La réclamation est rejetée, en ce qui concerne le profit perdu en 1997.

Profit perdu en 1998

[155]      INCOFE a conclu un contrat avec Campotex en vue de l'expédition, en 1998, de 95 000 tonnes métriques de potasse, à 10 p. 100 près. INCOFE déclare que 15 366 tonnes métriques n'ont pas été expédiées parce qu'on a tardé à mettre de nouveau l'Atlantis Two en état d'exploitation et en outre parce qu'elle s'était fondée sur les déclarations qui avaient été faites de temps en temps, pour le compte de l'Atlantis Two, au sujet de l'achèvement de travaux, de l'extinction des privilèges et de la mise en route du navire. INCOFE réclame donc 3,50 $ la tonne métrique à l'égard du profit perdu, sur une quantité de 15 336 tonnes métriques de potasse, soit un montant de 53 781 $.

[156]      Si je comprends bien, INCOFE ne voulait pas avoir à s'occuper d'une quantité supplémentaire de potasse non vendue, ce qui aurait peut-être été le cas si l'Atlantis Two s'était mis en route conformément à diverses garanties qui avaient été données et si, en même temps, INCOFE avait pris des dispositions pour aller ramasser le reste de la potasse chez Campotex de façon à compléter les 95 000 tonnes à l'égard desquelles elle avait conclu le contrat. En fin de compte, la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two, en novembre 1997, n'a été vendue qu'au mois de septembre 1998. La vente de la cargaison qui était à bord de l'Atlantis Two moyennant un bénéfice inattendu pourrait entrer en ligne de compte, mais INCOFE souligne que les années 1997 et 1998 doivent être considérées séparément.

[157]      En ce qui concerne le profit perdu en 1998 et le fait qu'INCOFE n'est pas allée chercher les 15 336 tonnes chez Campotex, il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'arrêt Liesbosch, [1933] A.C. 449 (C.L.) et le principe du demandeur mal nanti s'appliquent. INCOFE ne dit pas qu'elle n'avait pas suffisamment d'argent pour acheter le reste de la cargaison de Campotex en 1998 : en fait, elle ne voulait pas s'embarrasser d'une quantité supplémentaire de potasse non vendue. Je retiens ce point de vue comme étant non seulement une décision raisonnable sur le plan commercial, étant donné les déclarations qui avaient de temps en temps été faites au sujet des réparations effectuées sur l'Atlantis Two et de la disponibilité du navire, mais aussi comme représentant le témoignage présenté par M. Moreno, pour le compte d'INCOFE, notamment pendant les interrogatoires.

[158]      Le fait que le contrat conclu avec Campotex se rapportait à 95 000 tonnes métriques, à 10 p. 100 près, ne permet pas en soi de déduire la quantité de potasse qui n'a pas été prise. Pourtant, il y a lieu d'en tenir compte aux fins de l'octroi de certains dommages-intérêts à l'égard de la possibilité qui a été perdue.

[159]      Il existe une série d'arrêts selon lesquels, à moins que la chose ne soit établie selon la norme de la prépondérance des probabilités, il ne convient pas d'évaluer les dommages-intérêts découlant d'une possibilité perdue comme si le résultat souhaité était certain : voir par exemple Mallett v. McMonagle, [1970] A.C. 166, à la page 176 (C.L.) et Houweling Nurseries v. Fisons Western Corp. (1988), 49 D.L.R. (4th) 205, à la page 211 (C.A.C.-B.). Dans ce cas-ci, INCOFE n'a pas établi que, si ce n'avait été de la débâcle à laquelle l'Atlantis Two a fait face, elle aurait selon la prépondérance des probabilités vendu toute la cargaison qui lui était destinée. Si je croyais qu'INCOFE avait établi selon la prépondérance des probabilités qu'elle était capable de vendre toute la potasse, je pourrais à juste titre accorder toute la somme réclamée à l'égard de la possibilité perdue, comme l'a fait Madame le juge McLaughlin à l'égard d'une réclamation qui avait été présentée dans l'affaire Houweling Nurseries, à la page 217. À la même page, le juge a ajouté que puisque la perte [TRADUCTION] " [...] ne peut être considérée que comme une simple possibilité, qui se serait probablement matérialisée dans une large mesure " et puisque [TRADUCTION] " [...] les réclamations se rapportent à la perte d'une possibilité qui allait probablement se réaliser, mais qui doit être contrebalancée par le fait qu'elle pourrait bien ne pas se matérialiser complètement ", elle faisait droit à la réclamation dans une proportion de 75 p. 100. En l'espèce, il est raisonnable et sensé de faire droit à la réclamation dans une proportion de 75 p. 100. Par conséquent, en ce qui concerne cette partie de la réclamation, à l'égard de laquelle le montant demandé est de 53 781 $, un montant de 40 335,75 $ est accordé.

Résumé

[160]      INCOFE a initialement réclamé provisoirement un montant de 570 916,13 $. Après avoir effectué de nouveaux calculs, elle a renoncé à un montant élevé à l'égard du transport et de l'écart de prix sur le marché et elle s'est contentée de réclamer un montant de 435 851,10 $, comme en fait foi l'affidavit de M. Moreno du 26 octobre 1998. Par la suite, une réclamation de 35 000 $ se rapportant à la marchandise manquante a été retirée. J'ai fait droit au reste de la réclamation dont le montant était de 400 851,10 $, en accordant un montant de 220 996,38 $, portant intérêt au taux de 7 p. 100 à partir du moment où les dépenses ont été engagées ou les pertes subies.

RÉCLAMATION D'ABN-AMRO BANK N.V.

[161]      ABN-Amro, une banque hollandaise, présente une réclamation en sa qualité de créancier détenant deux hypothèques, l'une ayant été enregistrée le 31 janvier 1995 et l'autre le 24 janvier 1996, lesquelles étaient, au moment de la vente, des hypothèques de premier et de deuxième rang. Les hypothèques avaient été consenties par Expedient Maritime Company Ltd. (Expedient), qui était propriétaire au cours de la période pertinente.

[162]      Les réclamations d'ABN-Amro, au 30 juin 1998, s'élèvent à un montant de 2 090 895,38 $ en ce qui concerne l'hypothèque de premier rang, et de 9 283 973,97 $ en ce qui concerne l'hypothèque de deuxième rang, soit en tout à 11 374 869,35 $, avec intérêts. L'avocat d'ABN-Amro souligne qu'étant donné que le montant réclamé en vertu de l'hypothèque de premier rang est supérieur au produit de la vente du navire, la question des intérêts courus importe peu. Cela étant, si je conclus que l'hypothèque de premier rang est valide, je n'ai pas à me demander à toutes fins utiles si l'hypothèque de deuxième rang l'est également.

[163]      Initialement, on s'est demandé si ABN-Amro détenait une sûreté additionnelle et pourrait être tenue de recourir à d'autres fonds que ceux provenant du produit de la vente de l'Atlantis Two. Par la suite, les avocats ont convenu que la question de la collocation ne se posait pas. Cela est évident pour un certain nombre de raisons et notamment parce que les réclamations qui auraient pu entraîner l'application de la doctrine de collocation ne visent pas les mêmes débiteurs. J'examinerai maintenant certains faits pertinents se rapportant à l'hypothèque de premier rang.

L'hypothèque de premier rang

[164]      L'hypothèque de premier rang a été consentie sous une forme passablement typique, en vue de garantir un compte courant inscrit contre l'Atlantis Two dans le registre de Limassol. Aucun montant n'est précisé, ce qui est approprié dans le cas d'une hypothèque relative à un compte courant. L'enregistrement de l'hypothèque dans le registre est attesté par un certificat et par la copie du registre, à Limassol, à Chypre.

[165]      L'hypothèque de premier rang du 31 janvier 1995 se rapporte à une entente relative à une facilité de caisse et à un acte d'engagement daté du même jour. L'acte d'engagement est également rédigé sous une forme passablement typique. Il y est également question de la facilité de caisse.

[166]      Le débiteur hypothécaire de l'Atlantis Two, Expedient, s'est également porté garant de la facilité de caisse, cette facilité étant au profit de Kassos Maritime Enterprises Ltd., et limitée à un montant de 1 000 000 $. La facilité de caisse a subséquemment été portée à 2 000 000 $ comme en fait foi une lettre datée du 10 août 1995 qu'ABN-Amro a envoyée à tous les intéressés et notamment à Expedient, cette dernière ayant accusé réception de la lettre le même jour.

[167]      Le service de la facilité de caisse n'a pas été assuré par les emprunteurs ou par les garants, et l'on a fait défaut le 30 septembre 1997. Le 24 octobre 1997, ABN-Amro a présenté une demande d'un montant de 2 000 000 $ au titre du principal et de 44 833,64 $ au titre des intérêts. Au 30 juin 1998, lorsque les affidavits de demande ont été déposés, les intérêts étaient passés à 90 895,38 $ et continuaient à augmenter de 519,09 $ par jour. Je reconnais qu'au 30 juin 1998, on devait à ABN-Amro une somme de 2 090 895,38 $ à l'égard de la facilité de caisse et que le montant était garanti par une hypothèque de premier rang grevant l'Atlantis Two.

[168]      S'il y avait suffisamment de fonds pour que la question soit pertinente, je tiendrais compte d'une façon similaire de l'existence d'un solde impayé dû à ABN-Amro, garanti par une hypothèque de deuxième rang, d'un montant de 8 606 345 $ au titre du principal et de 677 628,97 $ au titre des intérêts, que je pourrais bien accepter.

[169]      Selon le système habituel de priorités, la garantie hypothécaire d'ABN-Amro prend rang avant les droit légaux réels, mais après les privilèges maritimes. Toutefois, la question de la priorité de la garantie hypothécaire de la banque n'en finit pas là. Divers créanciers soutiennent qu'ABN-Amro aurait dû s'en prendre plus tôt à l'Atlantis Two et que si elle l'avait fait, les fournisseurs de biens et de services auraient ainsi pu prendre connaissance de la situation et n'auraient pas consenti un crédit. Ce point est principalement soulevé par la demanderesse Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. (Fraser Shipyard), qui soutient que c'est la raison pour laquelle ABN-Amro devrait perdre son rang prioritaire, de sorte qu'elle (Fraser Shipyard) puisse avoir priorité sur ABN-Amro, et ce, même si elle ne possède qu'un droit réel. Il importe d'exposer la suite chronologique des événements à cet égard.

[170]      Comme je l'ai dit, on a fait défaut le 30 septembre 1997 seulement à l'égard des sûretés détenues par ABN-Amro. ABN-Amro a présenté une demande le 24 octobre 1997.

[171]      Le navire est arrivé à Vancouver le 25 novembre 1997 et son immobilisation a été ordonnée le 27 novembre par suite de l'inobservation des exigences de l'autorité portuaire. Le contrat relatif aux réparations, entre Fraser Shipyard et le propriétaire de l'Atlantis Two, lequel était en partie un contrat oral et en partie un contrat écrit, a été conclu le 10 décembre 1997 et les réparations elles-mêmes ont commencé le 17 décembre 1997, avec les interruptions normales pour les congés.

[172]      ABN-Amro n'a été mise au courant des réparations qu'à la fin du mois de décembre : cette date est un peu vague, mais je suppose que c'était après que les travaux eurent commencé. ABN-Amro croyait comprendre qu'il s'agissait de réparations mineures, c'est-à-dire de moins de 100 000 $, et que le principal problème découlait d'une saisie effectuée à la suite d'un différend qui opposait le navire à l'équipage. De plus, à peu près à ce moment-là, ABN-Amro a appris que le groupe auquel l'Atlantis Two appartenait était en train de négocier avec d'autres banquiers pour refinancer la dette. Les propriétaires ont dit à ABN-Amro que l'Atlantis Two partirait, une fois les réparations achevées, à la fin du mois de janvier 1998. Or, les réparations ont été achevées le 22 janvier 1998.

[173]      Le 5 janvier 1998, un fournisseur local, Ward Smith Mechanical Inc., a saisi l'Atlantis Two. Fraser Shipyard a ensuite saisi le navire le 23 janvier 1998.

[174]      Le 3 février 1998, ABN-Amro s'est rendu compte de l'étendue des réparations qui étaient effectuées à Vancouver : selon une note que son client lui avait envoyée ce jour-là, les réparations devaient coûter environ 350 000 $; de plus, les propriétaires avaient contracté une dette commerciale d'environ 2 300 000 $ à l'égard de l'Atlantis Two et de navires frères, l'Epta et l'Atlas.

[175]      Le 4 mars 1998, ABN-Amro avait discuté des problèmes de la flotte avec les propriétaires et avait proposé de consentir un nouveau prêt, ce à quoi les propriétaires avaient consenti, croyait-elle; cette facilité, d'un montant de 2 500 000 $, était destinée à permettre le remboursement des dettes commerciales. Le taux d'intérêt y afférent était raisonnable. Les propriétaires ont convenu de vendre les trois navires en cause d'une façon ordonnée et de payer immédiatement tous les intérêts impayés. Je suppose que cela veut dire qu'ABN-Amro estimait que l'on avait la situation en main. Toutefois, en juin 1998, les propriétaires n'ont pas tenu compte de leurs engagements et ils ont abandonné les navires : ABN-Amro concède qu'à ce moment-là, elle est devenu convaincue que ses clients étaient insolvables, mais que jusqu'alors, il n'y avait pas eu lieu [TRADUCTION] " [...] de prendre des mesures immédiates (c'est-à-dire des procédures de forclusion) " : voir l'affidavit que Stephanos Kardamakis, d'ABN-Amro, a fait le 16 novembre.

[176]      Cela étant, l'avocat de Fraser Shipyard soutient que des considérations d'équité, en ce qui concerne le rang occupé par la réclamation fondée sur l'hypothèque et l'enrichissement sans cause, devraient s'appliquer à l'encontre d'ABN-Amro.

[177]      Il s'agit ici de savoir si ABN-Amro, qui avait clairement été induite en erreur par ses clients, devait faire preuve d'une plus grande vigilance en prenant des mesures à une date antérieure en vue de faire valoir sa garantie, ou si de fait elle devait prendre des mesures qui auraient peut-être alerté les fournisseurs. C'est en particulier le cas de Fraser Shipyard, à l'égard des réparations effectuées en vertu du contrat initial du 10 décembre 1997 et des réparations additionnelles effectuées au début du mois de janvier 1998, lesquelles se sont poursuivies jusque vers le 22 ou le 23 janvier 1998. Fraser Shipyard, en sa qualité de demanderesse dans la présente action, a obtenu un mandat de saisie contre l'Atlantis Two le 23 janvier 1998.

[178]      En ce qui concerne la question de savoir si le rang habituellement attribué au créancier hypothécaire doit être modifié dans le cas d'ABN-Amro, l'avocat de Fraser Shipyard soutient que des considérations d'équité devraient entrer en ligne de compte. Monsieur le juge Rouleau a abordé la question dans la décision Galaxias [1989] 1 C.F. 386, aux pages 422 et 423 :

             Je suis persuadé que les considérations d'équité peuvent jouer un rôle important dans l'établissement de l'ordre de priorité des créances, ainsi qu'il ressort à l'évidence de l'arrêt Montreal Dry Docks (précité). Cette jurisprudence semble reposer sur la théorie de l'enrichissement sans cause (Montreal Dry Docks) ou sur celle de l'inertie et de l'acquiescement (Can. Steamship Lines v. The " Rival ", [1937] 3 D.L.R. 148 (C. de. l'É.)).                 
             Comme le juge Walsh l'a déclaré dans le jugement Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. Le Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 (1re inst.), à la page 686 :                 
             On ne peut certes pas écarter les règles fondamentales relatives à l'ordre de préférence, mais il existe des précédents où, dans des cas d'espèce, il a fallu tenir compte des considérations d'équité.                         
             Sur le même sujet, l'avocat des membres de l'équipage a également cité un ouvrage de doctrine britannique, à savoir, British Shipping Laws, (1980), D.R. Thomas, vol. 14, à la page 281 :                 
             [TRADUCTION] La Cour d'amirauté, en accord avec les tribunaux de common law et d'equity, reconnaît depuis longtemps les risques que comportent les " réclamations périmées " et insiste donc pour que ces réclamations soient présentées avec une célérité raisonnable. Le titulaire de privilège qui ne s'occupe pas de sa créance risque fort de se retrouver devant un tribunal peu sympathique à sa cause et peu disposé à lui offrir un recours, surtout si le retard s'accompagne d'un manque de diligence ou s'il est établi qu'il a causé un préjudice à des tiers. Compte tenu de la nature du privilège maritime, il est évident que l'inactivité dont fait preuve un titulaire de privilège est susceptible de causer un préjudice important à l'innocent et à l'imprévoyant. Ce risque était déjà reconnu dans l'arrêt The Bold Buccleugh , dans lequel le Conseil privé a allié les prudentes restrictions de la théorie de l'inertie à son énoncé du privilège maritime nouvellement inventé. Sir John Jervis a fait observer :                         
                 " Il n'est pas nécessaire de dire que le privilège est indélébile et qu'il ne peut pas se perdre par négligence ou par retard, lorsque le droit des tiers risque d'être compromis; mais lorsqu'on fait preuve d'une diligence raisonnable et que la poursuite est intentée de bonne foi, le privilège peut être exercé à l'encontre de toute personne qui se trouve en possession de la chose. "                                 

En fait, le titulaire d'un privilège maritime qui tarde à exercer son privilège peut perdre tant la sympathie de la Cour que le rang qui lui est attribué à l'égard du privilège maritime. (Ce passage traite également de l'enrichissement sans cause, question sur laquelle je reviendrai bientôt en examinant l'ordre de priorité du point de vue de Fraser Shipyard). Je ne vois pas pourquoi cette idée ne devrait pas s'appliquer au créancier hypothécaire le cas échéant, si ce dernier n'a rien fait, tout en sachant parfaitement que l'on était en train de réparer le navire et que le propriétaire ne pourrait pas payer ces réparations dont la valeur serait empochée par le créancier hypothécaire au moment de la vente forcée du navire. Telle était la situation dans l'affaire Pickaninny [1960] 1 Lloyd's 533, où Monsieur le juge Hewson a rendu une décision.

[179]      Dans l'affaire Pickaninny, il s'agissait de savoir si le créancier hypothécaire avait priorité sur le fournisseur d'approvisionnements nécessaires qui avait réparé le navire à la suite d'une collision, le navire ayant ensuite été vendu sur ordonnance judiciaire. Monsieur le juge Hewson a imposé à l'avocat du réparateur de navire l'obligation de démontrer que le créancier hypothécaire était parfaitement au courant du rôle que le réparateur de navire avait eu. Selon la preuve, l'agent des propriétaires, à Londres, avait informé l'agent des propriétaires, à Douvres, qu'il avait toujours tenu le propriétaire et le créancier hypothécaire au courant de tout ce qu'il avait fait pour le propriétaire en sa qualité d'agent. Monsieur le juge Hewson se demandait si cette preuve était opposable au créancier hypothécaire, mais même dans l'affirmative, il n'était pas convaincu que le créancier hypothécaire ait en fait été au courant de tous les faits. En fin de compte, le juge ne s'est pas écarté de l'ordre de priorité habituel, plaçant le créancier hypothécaire avant le réparateur, mais il a résumé le droit qui pourrait s'appliquer :

         [TRADUCTION]                 
         Il me semble qu'il faudrait qu'on lui présente des éléments de preuve solides et fiables avant qu'un tribunal puisse modifier l'ordre de priorité habituel qui a été établi sur un grand nombre d'années par la Cour d'amirauté. On m'a cité plusieurs décisions, à savoir The Scio, (1867) L.R. 1 A. & E. 353, ainsi qu'un extrait du jugement The Zigurds, [1932] P. 113; (1932) 43 L.I.L. Rep. 387, et la décision Bristow v. Whitmore, (1861) 9 H.L.C. 391. Il ressort de ces décisions - dans la mesure où elles me sont utiles pour trancher la requête dont je suis saisi - que le tribunal doit hésiter à s'écarter de l'ordre de priorité habituel. Comme je l'ai déjà dit, M. Barry Sheen m'a signalé que la personne qui se prévaut d'un avantage doit également assumer l'obligation y afférente. Eh bien, cet énoncé de la règle de justice naturelle est bien sûr exact. M. Sheen affirme qu'il serait tout à fait inéquitable d'attribuer un rang inférieur au réclamant qui a dépensé son argent directement au profit des créanciers hypothécaires si, à ce moment-là, ces derniers savaient que le débiteur hypothécaire était insolvable et s'ils savaient en outre que le réclamant avait dépensé certaines sommes. J'ai déjà examiné cette dernière partie de l'argument en disant que la preuve qui avait été mise à ma disposition ne me convainquait pas que les titulaires de l'hypothèque de premier rang étaient au courant des activités de George Hammond & Co., et qu'à coup sûr, je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de conclure qu'à tout moment pertinent, avant que se produisent les événements sur lesquels est fondée la présente requête, les débiteurs hypothécaires étaient insolvables.                 

                                         [page 537]

En l'espèce, les éléments nécessaires pour attribuer un rang inférieur au créancier hypothécaire sont qu'il existe une preuve solide et fiable du fait que celui-ci savait que de l'argent avait été dépensé à l'égard du navire et qu'il en tirerait directement parti et qu'il savait également que le débiteur hypothécaire était insolvable. Cependant, je ne crois pas que le droit aille jusqu'à exiger que le créancier hypothécaire soit mêlé de si près aux affaires du débiteur hypothécaire qu'il est au courant des activités d'exploitation quotidiennes de ce dernier, ou des problèmes financiers que le débiteur hypothécaire ne divulgue pas à court terme, ou encore jusqu'à exiger que le créancier hypothécaire soit tenu d'une façon indépendante d'informer le fournisseur d'approvisionnements nécessaires d'autres circonstances.

[180]      La décision rendue dans l'affaire Pickaninny a été approuvée par Monsieur le juge MacKay dans la décision Orion Expeditor (1991), 43 F.T.R. 284, à la page 287. Selon le critère énoncé dans le jugement Orion Expeditor, le représentant d'une banque devait clairement savoir que le navire était remis en état afin de [TRADUCTION] " maintenir son statut " et il devait connaître la nature du travail effectué, puisque le navire était en bon état. Monsieur le juge MacKay a conclu que la banque n'était pas parfaitement au courant des dispositions qui avaient été prises à l'égard des réparations et que le réparateur ne pouvait donc pas faire modifier l'ordre de priorité habituel.

[181]      Dans ce cas-ci, ABN-Amro, qui avait présenté une demande en vertu de son hypothèque, a appris, à un moment où les réparations étaient à peu près à moitié achevées, que certaines réparations étaient effectuées, sans connaître toutefois la nature de ces réparations qui, croyait-elle, étaient relativement mineures, soit d'une valeur de moins de 100 000 $.

[182]      En ce qui concerne le fait qu'ABN-Amro était au courant de l'insolvabilité des propriétaires, aucun élément de preuve ne montre qu'il est possible de lui attribuer pareille connaissance avant le mois de juin. Jusqu'à ce moment-là, ABN-Amro, croyant qu'elle était au courant de la situation financière de ses clients, avait convenu de monter un financement qui permettrait de rembourser les fournisseurs, et notamment Fraser Shipyard; or, un banquier dont le client est insolvable n'agirait certainement pas ainsi.

[183]      En résumé, la preuve relative à la connaissance que possédait ABN-Amro au sujet du travail exécuté par Fraser Shipyard n'est pas forte. Il faudrait faire un grand pas, à l'encontre de la preuve, pour conclure qu'ABN-Amro était au courant de la véritable situation financière de ses clients, les propriétaires de l'Atlantis Two, de l'Epta et de l'Atlas, au début du mois de juin 1998. De fait, la connaissance qu'avait ABN-Amro était moindre que celle qu'avait la banque dans l'affaire Orion Expeditor. Cela étant, je ne suis pas prêt à modifier le rang d'ABN-Amro en sa qualité de créancier hypothécaire de premier rang. Toutefois, il existe encore un argument en equity, fondé sur l'enrichissement sans cause, que j'examinerai maintenant dans le contexte de la réclamation présentée par Fraser Shipyard.

RÉCLAMATION DE FRASER SHIPYARD

[184]      La demanderesse Fraser Shipyard demande un montant de 460 839,37 $ CAN pour le travail effectué à peu près entre le 17 décembre 1997 et le 22 janvier 1998, ce qui représente environ 313 600 $ US au taux de conversion courant. Fraser Shipyard soutient que la Cour devrait exercer la compétence qu'elle possède en equity et qu'eu égard aux circonstances exceptionnelles de l'espèce, elle devrait lui attribuer un rang prioritaire. Fraser Shipyard voudrait que sa réclamation passe du rang qu'occupe le fournisseur canadien d'approvisionnements nécessaires à un rang supérieur à celui du créancier hypothécaire et peut-être même qu'elle vienne avant celle des créanciers qui ont des privilèges maritimes américains. Voici les circonstances pertinentes et certaines remarques qui ont été faites :

         1.      Les réparations étaient effectuées parce que le navire avait été immobilisé conformément à la Loi sur la marine marchande du Canada et au protocole d'entente sur le contrôle portuaire, le navire étant à maints égards dans un état inacceptable sur le plan de la sécurité;                 
         2.      Les réparations avaient pour effet de rectifier un grand nombre des principales déficiences qui avaient entraîné l'immobilisation du navire;                 
         3.      Par suite du travail effectué sur le navire par Fraser Shipyard, le prix de vente du navire a monté, mais on ne sait pas trop de combien. Fraser Shipyard soutient que si ce n'avait été des réparations, le prix de vente aurait été fondé sur la valeur de rebut;                 
         4.      Si aucun rang prioritaire n'est attribué, les créanciers qui viennent avant Fraser Shipyard bénéficieront du travail effectué ainsi que de l'équipement et du matériel fournis par Fraser Shipyard;                 
         5.      Fraser Shipyard ne savait pas que le propriétaire du navire faisait face à des difficultés financières, contrairement aux autres créanciers venant avant elle, qui étaient au courant ou auraient dû être au courant des difficultés que connaissait le propriétaire, certains d'entre eux n'ayant rien fait pendant que la demanderesse ajoutait de la valeur au navire sur lequel ces créanciers avaient un privilège maritime ou détenaient une garantie. Dans ce cas-ci, Fraser Shipyard peut tout au plus signaler que certains privilèges maritimes, montrant que le propriétaire du navire n'était pas capable de satisfaire à ses obligations, sont passablement anciens et qu'ABN-Amro avait une connaissance générale des réparations qui étaient effectuées;                 
         6.      En ce qui concerne les créanciers qui invoquent un privilège maritime, on dit que la valeur du navire au moment de la création du privilège était inférieure à sa valeur une fois les réparations achevées. Toutefois, cela donne lieu à bon nombre de conjectures, car la valeur antérieure du navire n'est pas connue, et en outre, lorsque la plupart de ces privilèges ont pris naissance, le navire était en exploitation;                 
         7.      Les créanciers américains qui invoquent un privilège maritime n'ont pas un véritable privilège maritime, mais plutôt une créance qui est reconnue comme un privilège maritime en droit américain, avantage qui, au Canada, n'est pas conféré aux créanciers canadiens qui fournissent des approvisionnements nécessaires similaires;                 
         8.      En ce qui concerne ABN-Amro, on dit que sa garantie était loin d'être suffisante; c'est peut-être vrai mais, dans ces motifs, je me suis uniquement préoccupé de l'hypothèque de premier rang grevant l'Atlantis Two, se rapportant au compte courant, et non de l'hypothèque de deuxième rang à l'égard de laquelle ABN-Amro ne semblait pas avoir une garantie suffisante, lors de l'instance. Fraser Shipyard fait également remarquer que les sommes prêtées ne semblent pas avoir été transmises au propriétaire de l'Atlantis Two, mais qu'il faut se rappeler qu'une hypothèque qui est détenue au moyen d'une garantie, comme dans ce cas-ci, est tout à fait valide.                 

L'avocat de Fraser Shipyard soulève un certain nombre d'autres points, dont un grand nombre concernent directement la banque, mais j'ai déjà traité de ces points, dans la mesure pertinente, en parlant de la possibilité qu'ABN-Amro perde son rang prioritaire. Or, il s'agit ici d'attribuer à Fraser Shipyard un rang prioritaire.

[185]      Tout ce qui est ici pertinent peut se réduire à une considération des circonstances dans lesquelles un tribunal s'écartera de l'ordre de priorité habituel ainsi qu'à la question de savoir si, en l'espèce, la Cour devrait attribuer un rang supérieur à la réclamation de Fraser Shipyard puisque les réparations ont eu pour effet de faire monter le prix de vente du navire.

Modification de l'ordre de priorité habituel

[186]      Si l'ordre de priorité habituel était suivi dans ce cas-ci, Fraser Shipyard viendrait après les titulaires de privilèges maritimes et après le créancier hypothécaire : il ne resterait rien pour Fraser Shipyard. Toutefois, l'avocat de Fraser Shipyard soutient qu'il a toujours été reconnu que des considérations d'équité et d'ordre public peuvent entraîner la modification de l'ordre habituel. L'avocat traite à fond de l'analyse qui a été faite dans la décision Edmonton Queen (supra), confirmée (1997), 125 F.T.R. 284, où figure un examen approfondi du droit applicable, en ce qui concerne le recours aux principes d'equity aux fins de la modification de l'ordre de priorité habituel.

[187]      En examinant les circonstances exceptionnelles qui pourraient entraîner la modification de l'ordre de priorité, je me suis au départ fondé dans la décision Edmonton Queen sur la thèse énoncée dans Thomas on Maritime Liens, Stevens and Sons, 1980, à la page 234, à savoir que l'ordre de priorité des créances maritimes a été déterminé en fonction de considérations d'équité, d'ordre public et de commodité commerciale dans le but d'atteindre un résultat juste eu égard aux circonstances de chaque cas :

         [TRADUCTION]                 
             Jusqu'à maintenant, le législateur n'a pas essayé d'établir un ordre de priorité précis. Il s'est contenté de reconnaître par voie législative une priorité au privilège maritime que détient la personne qui sauve des vies. Les tribunaux ne se sont pas non plus attaqué à cette question. Au contraire, les cours d'amirauté et les cours d'appels ont retenu une conception discrétionnaire large selon laquelle les créances concurrentes sont colloquées en fonction de considérations se rapportant à l'équité, à l'ordre public et aux commodités commerciales avec l'objectif ultime d'en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances de chaque cas. Je ne veux cependant pas laisser entendre que le droit est capricieux, instable ou imprévisible. À partir du cadre relatif à la " valeur " dans lequel ils fonctionnent, les tribunaux en sont venus à dégager divers principes qui donnent des repères fiables en ce qui concerne l'attitude probable des tribunaux.                 
                                         [ The Edmonton Queen (supra) page 896]                 

J'ai donc conclu que toute modification apportée à l'ordre de priorité habituel des privilèges maritimes en vue d'en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances doit être effectuée par application de principes d'équité et j'ai alors fait remarquer que, même si la Cour d'amirauté anglaise et notre Cour ont récupéré leur pleine compétence en equity, peu de juges se sont aventurés à modifier l'ordre de priorité habituel prévu.

[188]      Dans la décision Edmonton Queen, en expliquant le fondement de la règle contemporaine relative à la modification de l'ordre de priorité habituel, j'ai parlé de l'arrêt Montreal Dry Docks Co. v. Halifax Shipyards (1920), 60 S.C.R. 359 :

         Le juge Anglin, qui a rédigé la décision des juges majoritaires dans l'arrêt Montreal Dry Docks Co. v. Halifax Shipyards (1920), 60 R.C.S. 359, a relevé le fait que la Cour de l'Échiquier ne possédait pas une pleine compétence en equity, mais il a poursuivi en soulignant que, comme la Cour d'amirauté était compétente à l'égard de diverses créances dirigées contre la chose, elle pouvait s'assurer qu'aucune injustice ne soit commise dans ce cadre. La Cour n'allait pas laisser d'autres créanciers s'enrichir injustement alors que le réparateur du navire, qui avait la possession du navire, avait effectué des travaux sur le navire après la saisie à la suite de laquelle le navire avait été vendu dans le cadre d'une action intentée par d'autres créanciers.                 

                                         [ L'Edmonton Queen (supra), à la page 898]

Dans l'arrêt Montreal Dry Docks, il était question de travail effectué avant et après la saisie. En l'espèce, étant donné que l'Atlantis Two a été immobilisé, je ne crois pas qu'il soit pertinent de diviser le travail exécuté par Fraser Shipyard selon qu'il a été fait avant ou après la saisie effectuée par Ward Smith Mechanical le 5 janvier 1998.

[189]      J'ai déjà mentionné l'arrêt Pickaninny, comme je l'avais fait dans la décision Edmonton Queen; à la page 537, le juge s'était dit d'avis que le tribunal devait hésiter à s'écarter de l'ordre de priorité habituel et qu'il ne devrait le faire que dans les cas où on lui présentait des éléments de preuve solides et fiables.

[190]      Dans la décision Edmonton Queen, je croyais également que la décision que Monsieur le juge Brandon avait rendue dans l'affaire Lyrma (No. 2), [1978] 2 Lloyd's 30, était pertinente, en ce qui concerne la thèse énoncée à la page 33, selon laquelle on ne doit pas s'écarter de l'ordre de priorité habituel [TRADUCTION] " [...] à moins peut-être qu'on puisse démontrer que, vu les faits particuliers d'une affaire déterminée, l'application de ce principe produirait un résultat manifestement injuste ".

[191]      Dans la décision Edmonton Queen, afin de faire état de la situation actuelle au Canada, j'ai examiné le jugement Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661, d'où j'ai tiré l'idée selon laquelle " [...] on ne devrait s'écarter de l'ordre de priorité que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles [...] " (Edmonton Queen , aux pages 899-900). Puis, j'ai parlé du concept énoncé dans le jugement Metaxas c. Le Galaxias [1989] 1 C.F. 386, à la page 423, à savoir que le pouvoir que possède la Cour de modifier l'ordre de priorité établi depuis longtemps ne devrait être exercé que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante. Je ferais ici remarquer que dans l'affaire Galaxias, il s'agissait d'un cas extrême dans lequel un syndicat de marins grec, avec l'appui des autorités grecques, se trouvait dans une situation où il pouvait exercer sur la Cour des pressions qui " équiva[laient] à du chantage " dans l'éventualité où la Cour ne reconnaîtrait pas ses réclamations (Galaxias , page 426); pourtant, le critère qui a été appliqué était simplement celui de l'injustice flagrante.

[192]      En me fondant sur ces arrêts, j'arrive à la thèse selon laquelle la Cour ne devrait recourir à sa compétence en equity pour modifier l'ordre de priorité établi depuis longtemps que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante; bref, il est possible de se prévaloir de pareils pouvoirs en vue d'empêcher un résultat manifestement injuste :

             L'opinion du juge Rouleau et celle du juge Brandon ne sont pas particulièrement différentes. Dans l'affaire Le Galaxias, le juge Rouleau s'est dit d'avis que la Cour ne devait recourir à sa compétence en equity pour modifier l'ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante, tandis que, dans la décision The Lyrma (No. 2), le juge Brandon a statué qu'on ne devait pas s'écarter des principes régissant l'ordre de priorité établi [TRADUCTION] " à moins peut-être qu'on puisse démontrer que, vu les faits particuliers d'une affaire déterminée, l'application de ce principe produirait un résultat manifestement injuste ". Il ressort cependant de ces deux formulations du critère - en particulier celle qui découle des faits de l'affaire Le Galaxias - que la Direction du Trésor doit s'acquitter d'une lourde charge de preuve avant que l'ordre de priorité qui est établi depuis longtemps puisse être modifié.                 
                                         [ L'Edmonton Queen, pages 901-902]                 

Modification de l'ordre de priorité : le cas de Fraser Shipyard

[193]      Fraser Shipyard se fonde sur les critères de l'injustice flagrante et du résultat manifestement injuste. Elle soutient que par suite des réparations qu'elle a effectuées, l'ordonnance d'immobilisation rendue contre l'Atlantis Two a non seulement été annulée, mais aussi que le navire a peut-être rapporté 350 000 $ de plus à cause des réparations. Si Fraser Shipyard n'était pas payée pour le travail exécuté, il en découlerait un enrichissement sans cause en faveur d'autres créanciers, qui autrement auraient reçu une somme moins élevée ou qui n'auraient peut-être rien reçu.

[194]      À l'appui de cet argument, Fraser Shipyard se fonde largement sur le témoignage d'expert de Roger Ingoldby, un courtier de navires chevronné. M. Ingoldby est d'avis que l'Atlantis Two, s'il était vendu sans être réparé, pourrait rapporter environ 750 000 $; voici ce qu'il a conclu au paragraphe 3 de son affidavit :

         [TRADUCTION]                 
         Bref, j'estime que le travail exécuté par Fraser Shipyard a eu pour effet de faire monter le prix de vente du moins dans la mesure du coût des réparations, qui s'élevaient à 460 839,37 $, et peut-être d'au moins 350 000 $ US.                 

[195]      Aucune preuve d'expert n'a été présentée en contre-preuve au sujet de la valeur du navire non réparé, mais M. Inglodby a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. M. Ingoldby a reconnu comme il convenait de le faire que de nombreux facteurs influaient sur le montant auquel se vendait un navire, mais il a déclaré qu'il accordait beaucoup d'importance au fait qu'un navire appartenait à une classe et que, s'il n'appartenait pas à une classe, les acheteurs avaient tendance à ne tenir compte que de la valeur de rebut du navire, peut-être pas dans tous les cas, mais certainement dans le cas d'un navire de plus de 15 ans ayant des déficiences reconnues, soit un navire du genre de l'Atlantis Two, puisque celui-ci datait de l'année 1981.

[196]      M. Ingoldby a commencé son analyse en estimant du mieux qu'il le pouvait la valeur de rebut, de 850 000 $, avant de déduire les frais de livraison, ce qui donnait à Vancouver une valeur de rebut de base de 600 000 $, et ici M. Ingoldby pouvait se fonder, aux fins d'une comparaison, non seulement sur les autres ventes non liées, mais aussi sur le fait que l'Epta, le navire frère dont j'ai fait mention, s'était vendu à Houston pour une somme de 500 000 $, le voyage aux fins de la livraison étant plus long dans le cas des démolisseurs en Asie.

[197]      M. Ingoldby admet à juste titre que certains navires ont une valeur intrinsèque en sus de la valeur de rebut même si l'acheteur, en raison de la possibilité de problèmes inconnus liés à des réparations, peut bien prendre un engagement illimité à l'égard des réparations afin de permettre au navire d'être de nouveau rangé dans une classe et, par conséquent, d'être mis en exploitation.

[198]      M. Ingoldby a longuement été contre-interrogé au sujet de son affidavit. Il a répondu d'une façon raisonnable et a concédé des points appropriés. Pourtant, ce qui est clair et raisonnable, étant donné la connaissance d'office qui a été reconnue à cet égard, c'est que les navires immobilisés qui ne sont pas réparés ou qui ne détiennent pas de certificat de classification ne peuvent pas être vendus en tant que navires en exploitation, mais qu'ils ne rapportent plutôt que la valeur de rebut, à laquelle vient peut-être s'ajouter une valeur intrinsèque.

[199]      Je mentionnerai d'abord ici l'arrêt Parita [1964] 1 Lloyd's 199, dans lequel la Cour a reconnu qu'un petit bâtiment vétuste aurait uniquement une valeur de rebut à moins d'être de nouveau rangé dans une classe, auquel cas il vaudrait peut-être environ 20 p. 100 de plus que sa valeur de rebut. Deuxièmement, je mentionnerai la décision Honshu Gloria, [1986] 2 Lloyd's 63, rendue par Monsieur le juge Sheen, qui a fait des remarques au sujet de la pratique selon laquelle on accorde la préférence aux réclamations que présentent des sociétés de classification à l'égard de leurs droits, à condition qu'elles maintiennent la cote d'un navire et permettent la consultation de leurs documents, la société de classification, qui occuperait normalement un rang fort inférieur, pouvant demander que l'on accorde la préférence à sa réclamation si le navire est vendu à un prix supérieur à sa valeur de rebut. Monsieur le juge Sheen se préoccupait de ce que, si cet avantage n'était pas offert, les sociétés de classification ne seraient pas portées à produire leurs documents ou à maintenir la cote d'un navire, de sorte que le navire serait vendu pour sa valeur de rebut. Les tribunaux reconnaissent donc clairement que la valeur d'un navire, en l'absence d'un certificat attestant qu'il appartient à une classe, est fondée sur sa valeur de rebut. On peut en dire autant dans le cas d'un navire âgé en mauvais état comme l'Atlantis Two qui, à cause de déficiences majeures, était immobilisé conformément aux exigences en matière de contrôle portuaire.

[200]      Selon l'argument contraire, les réparateurs de navires et les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires au Canada ont toujours su qu'un rang inférieur leur est attribué, que les réparations effectuées ou les approvisionnements nécessaires fournis entraînent dans bien des cas une augmentation de la valeur du navire tant pour les créanciers hypothécaires que pour les titulaires de privilèges maritimes et que c'est la rançon des affaires, malgré le fait que le résultat créait peut-être une certaine injustice : ici, l'un des avocats qui contestait la position prise par Fraser Shipyard cite la décision Edmonton Queen, à la page 930 :

         De nos jours, les réparateurs de navires et les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires ont toujours eu à composer avec le fait que leurs créances occupaient les derniers rangs dans l'ordre de priorité et qu'elles venaient même après le créancier hypothécaire et ce, malgré le fait que les réparateurs de navires et les fournisseurs d'approvisionnements nécessaires améliorent, dans de nombreux cas, la valeur du navire au profit de ce créancier hypothécaire ou, dans le cas qui nous occupe, du titulaire du privilège possessoire. Qui plus est, siégeant en appel dans l'affaire L'Atlantean I publiée à (1982), 7 D.L.R. (4th) 395, le juge Pratte a nié que les approvisionnements nécessaires devaient, en tant que tels, bénéficier d'un rang supérieur. Il s'est dit prêt à permettre aux frais engagés pour le mazout - qui constituait un approvisionnement nécessaire - à obtenir un meilleur rang lorsque la fourniture du mazout était commandée par le prévôt maritime, mais il n'était pas disposé à appliquer l'ordre de priorité ainsi obtenu aux approvisionnements nécessaires ordinaires. En fin de compte, l'ordre de priorité établi par la Cour d'appel était l'ordre habituel, malgré le fait que cet ordre de priorité créait peut-être une certaine injustice.                 

[201]      Dans l'Atlantean I, dont il est question dans le passage précité, il y avait " peut-être une certaine injustice ". Afin d'avoir gain de cause, Fraser Shipyard doit démontrer qu'une injustice flagrante est commise ou que le résultat est manifestement injuste, par opposition à un résultat malencontreux découlant simplement d'une décision commerciale, résultat qui est dans une certaine mesure injuste.

[202]      Fraser Shipyard avait déjà effectué du travail sur des navires au long cours, quoique des travaux de moins grande envergure. Fraser Shipyard menait tout au plus une enquête restreinte sur la situation des propriétaires; pourtant, je me demande si en pratique il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une analyse de crédit approfondie soit menée sur les affaires des propriétaires de navires peu connus, étant donné qu'il ne serait pas commode de le faire, compte tenu des frais et du retard ainsi que de la possibilité que l'on n'apprenne rien de nouveau. Quoi qu'il en soit, afin d'obtenir le travail, Fraser Shipyard a dû abandonner sa position antérieure en ce qui concerne les avances ou les garanties fournies au moyen d'une lettre de crédit : comme la plupart des réparateurs, elle était tenue de faire crédit et de fait elle était prête à faire crédit en vue d'obtenir le travail, en risquant en fait de traiter avec des propriétaires qui n'étaient peut-être pas solvables. Pourtant, cela n'empêche pas nécessairement de conclure qu'une injustice flagrante a été commise ou que le résultat est manifestement injuste.

[203]      Dans l'ensemble, en déterminant si le résultat est juste, je devrais me fonder sur des [TRADUCTION] " [...] considérations se rapportant à l'équité, à l'ordre public et aux commodités commerciales avec l'objectif ultime d'en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances de chaque cas " (Thomas on Maritime Liens (supra), page 234). Cette mention de l'équité nous rappelle la remarque que Monsieur le juge Anglin a faite dans la décision majoritaire que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Montreal Dry Docks (supra), à la page 359, à savoir que la Cour n'était pas prête à ne rien faire et à laisser d'autres créanciers bénéficier d'un enrichissement sans cause lorsqu'un réparateur de navires avait travaillé sur le navire, dans ce cas-là après la saisie, et que le navire était ensuite vendu aux enchères. Ce principe s'applique clairement en l'espèce puisque, si l'ordre de priorité habituel était conservé, il y aurait enrichissement sans cause, soit le fondement du principe énoncé dans l'arrêt Montreal Dry Docks.

[204]      En l'espèce, le résultat est injuste en ce sens que si Fraser Shipyard n'avait pas exécuté le travail, le navire aurait probablement été vendu pour sa valeur de rebut, plus une certaine valeur intrinsèque. Cependant, il a été vendu à un prix plus élevé qui, si l'ordre de priorité n'était pas modifié, profiterait aux fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires, dont certains n'ont rien fait pendant des mois ou des années à l'égard de leurs réclamations, ainsi qu'à ABN-Amro qui, tout en ne manifestant pas une inertie blâmable, aurait bien pu se montrer plus diligente lorsqu'il s'agissait de se protéger en traitant d'une façon générale avec ses clients. Je me reporterai de nouveau ici au concept que Monsieur le juge Rouleau a cité en l'approuvant dans l'arrêt Galaxias (supra) aux pages 422 et 423, où il a été fait mention d'un passage de Thomas on Maritime Liens, à savoir que les réclamants qui ne font rien à l'égard de leurs réclamations peuvent bien découvrir que la Cour ne leur manifestera aucune sympathie; or, c'est ici ce qui se produit, non au point de ne plus reconnaître aux parties le rang qu'elles occupent, mais plutôt au point de colloquer une partie du moins de la réclamation de Fraser Shipyard pari passu avec les créances des fournisseurs américains d'approvisionnements nécessaires. Pourtant, il faut ici chercher à appliquer le principe qui rend justice à Fraser Shipyard tout en n'étant pas injuste pour les autres parties, même s'il entraîne peut-être une diminution du montant recouvré par ces dernières. Comme l'a souligné Monsieur le juge Anglin dans l'arrêt Montreal Dry Docks, aux pages 369 et 370 :

         [TRADUCTION]                 
         D'une part, on ne peut laisser le constructeur de navires l'emporter sur les demanderesses en ce qui concerne le droit réel qu'elles ont obtenu au moyen de la saisie. Leur droit consistait à ce que le navire soit saisi et vendu tel quel à leur profit et on ne saurait y porter atteinte, comme cela serait peut-être bien le cas si l'on retenait intégralement la prétention de M. Burchell, à savoir que parce que l'intimée avait un droit contractuel opposable au propriétaire, soit le droit de faire immobiliser le navire et d'achever les réparations qu'elle s'était engagée à effectuer, la garantie que les demanderesses ont obtenue au moyen de la saisie est assujettie à ce droit et que l'intimée peut donc avoir priorité sur les demanderesses à l'égard de toutes les dépenses qu'elle a engagées, et ce, peu importe que la chose ait entraîné une augmentation du prix de vente du navire.                 

[205]      Cette idée selon laquelle les créanciers légitimes ne devraient pas perdre de l'argent si un montant supérieur à la valeur attribuée aux réparations était accordé au réparateur sur le prix de vente final soulève une question épineuse en l'espèce. Je crois, et j'emprunte ici les remarques que Madame le juge McLaughlin a faites dans l'arrêt Houweling Nurseries à la page 217, que je dois faire droit en entier à la réclamation de Fraser Shipyard uniquement si je suis convaincu selon la prépondérance des probabilités que le travail effectué par Fraser Shipyard a rapporté un montant d'une valeur identique ou de fait d'une valeur supérieure à la valeur des réparations au moment de la vente du navire. Je puis uniquement considérer comme une simple possibilité le fait que le montant réclamé par Fraser Shipyard se répercute entièrement dans le prix de vente et cela constitue en soi un motif de diminuer le montant de la réclamation. Dans l'arrêt Houweling Nurseries, où il était question de possibilités, Madame le juge McLaughlin a effectué diverses déductions tout à fait arbitraires, en accordant à certains créanciers aussi peu que 25 p. 100 du montant réclamé.

[206]      Je reviens ici à l'avis exprimé par M. Ingoldby au sujet de la question de la valeur. L'évaluation de navires n'est pas une science, même si elle peut être fondée sur les prix courants mondiaux de mise à la ferraille et sur les frais de livraison qui peuvent être fixés par estimation. M. Ingoldby parle de valeurs intrinsèques inconnues qui viennent s'ajouter à la valeur de rebut d'un navire. En outre, M. Inglodby a eu de la difficulté, dans une estimation antérieure, à déterminer ce que l'Atlantis Two rapporterait dans le cadre d'une vente judiciaire.

[207]      Je ne suis pas prêt à accepter un prix de vente du navire tel quel, avant les réparations et pour la valeur de rebut de 600 000 $ que le navire avait à Vancouver : en fait, je me trouverais ainsi à reconnaître que des réparations d'un montant d'un peu plus de 300 000 $ ont eu pour effet de faire monter la valeur du navire de 500 000 $. Je dois attribuer plus de bon sens et de perspicacité à la personne qui fait une soumission dans le cadre de la vente judiciaire d'un navire. À coup sûr, une valeur intrinsèque entre en ligne de compte, ainsi que la possibilité d'un bénéfice d'environ un quart de million de dollars à l'égard du transport de la cargaison qui était à bord du navire, ce qui a pour effet de faire augmenter la valeur du navire tel quel au-dessus de la simple valeur de rebut de 600 000 $. Dans l'affaire Parita (supra), on estimait qu'une dépense modeste destinée à permettre de ranger le navire dans une classe pourrait entraîner une augmentation de 20 p. 100 de la valeur du navire tel quel. Toutefois, je ne suis pas nécessairement prêt à retenir comme règle empirique le chiffre de 20 p. 100 qui a été fixé dans cet arrêt-là. En faisant de mon mieux, compte tenu des documents et des arguments présentés, et notamment de la preuve présentée par M. Ingoldby et de son contre-interrogatoire, je suis prêt à estimer que la valeur de l'Atlantis Two aurait bien pu augmenter de 25 p. 100 par rapport à la valeur de rebut et à la valeur intrinsèque en raison des réparations effectuées, c'est-à-dire passer de 880 000 $ à 1 100 000 $, soit le montant que le navire a rapporté au moment de la vente. Selon ce calcul, j'accorde 220 000 $ US à Fraser Shipyard, sa réclamation étant colloquée pari passu avec celles des titulaires de privilèges américains, ainsi que des intérêts au taux de 7 p. 100 à compter de la fin des travaux.

[208]      Il convient également d'accorder à Fraser Shipyard un montant à l'égard des frais qu'elle a engagés en vue d'intenter la présente action, de faire saisir le navire et de le faire mettre en vente. Une somme forfaitaire de 3 000 $ CAN est accordée à cet égard.

CONCLUSION

[209]      La vente judiciaire de l'Atlantis Two et du combustible de soute a rapporté 1 158 393,49 $, ce qui à ce moment-là correspondait à 1 767 708,47 $ CAN. Dans l'intervalle, divers frais de vente et les sommes réclamées par les marins ont été payés. Il reste maintenant une somme de 1 112 624,15 $ CAN au titre du principal et des intérêts. Malheureusement, les montants réclamés sont beaucoup plus élevés.

[210]      Il a été difficile de déterminer qui devrait avoir droit à une partie des fonds. Les faits étaient souvent contestés. Le droit américain, tel que les experts en ont fait état, était contradictoire. Les avocats ont fait un excellent travail. Si l'on avait réussi à faire reconnaître les éléments factuels d'une façon légèrement différente, ou si l'on avait fait valoir avec succès un point de vue légèrement différent au sujet du droit applicable ou encore de l'equity, le sort d'un certain nombre de créanciers aurait bien pu être différent, pour le meilleur ou pour le pire.

[211]      Cette requête se rapportait à une question d'ordre de priorité complexe. Je remercie les avocats de leur patience et de leurs efforts, non seulement lorsqu'il s'est agi de fournir des volumes de documents concernant les faits, les expertises et le dossier et de présenter des observations au sujet du rapport existant entre les faits et le droit établi, mais aussi des aperçus qu'ils ont donnés au sujet de nouvelles questions de droit, et notamment de la nature des réclamations américaines relatives aux approvisionnements nécessaires et du rapport existant entre la législation canadienne concernant les navires frères et les privilèges maritimes légaux américains.

[212]      J'ai uniquement adjugé les dépens aux marins et à Fraser Shipyard. Ces sommes ne sont pas destinées à servir d'indemnités, mais représentent plutôt le travail supplémentaire effectué par les avocats lorsqu'il s'est agi d'assurer le succès de la vente de l'Atlantis Two. Il ne faut pas voir d'un mauvais oeil le fait que d'autres parties n'ont pas obtenu de dépens, car toutes les parties ainsi que les avocats, qui se sont montrés raisonnables sans toutefois faire de compromis, ont fait preuve d'un esprit de collaboration admirable.

     (Sgd.) " John A. Hargrave "

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 11 juin 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-111-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Fraser River Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. le navire " Atlantis Two " et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          les 24 et 25 novembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du protonotaire John A. Hargrave en date du 11 juin 1999

ONT COMPARU :

Christopher Giaschi                  pour la demanderesse
Tom Hawkins                  pour Expedient Maritime Company Limited, Expedient Maritime Co. (Cypress) Ltd. et M. James Peebles, défendeurs
Jack Buchan                      pour Mermaid Shipping Co. Ltd., défenderesse

Douglas Morrison                  pour INCOFE, défenderesse

James Baugh                      pour les intervenants

Greg Blue                      pour ABN-AMRO Bank N.V., réclamante

Shelley Chapelski                  pour Unitor ASA et en sa qualité d'agent de Strachan Shipping
Brad Caldwell                  pour Mega Marine, Atlantic Steamers NLN Inc., Atlantic Steamers DE Inc. et Hellenic Shipping, réclamantes


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Giaschi & Margolis

Vancouver (C.-B.)                  pour Fraser Shipyard, demanderesse

Campney & Murphy

Vancouver (C.-B.)                  pour Expedient Maritime Company Limited, Expedient Maritime Co. (Cypress) Ltd. et M. James Peebles, défendeurs

Cohen Buchan & Edwards

Avocats                      pour Mermaid Shipping Co. Ltd., défenderesse

McGrady Baugh Whyte

Vancouver (C.-B.)                  pour les intervenants

Bull, Housser & Tupper

Vancouver (C.-B.)                  pour INCOFE, défenderesse

McEwen, Schmitt & Co.

Vancouver (C.-B.)                  pour ABN-AMRO Bank N.V., réclamante

Bromley, Chapelski

Vancouver (C.-B.)                  pour Unitor ASA, réclamante

Brad Caldwell

Vancouver (C.-B.)                  pour Mega Marine, Atlantic Steamers NLN Inc., Atlantic Steamers DE Inc. et Hellenic Shipping, réclamantes

Russell & DuMoulin                  pour ICS Petroleum Ltd., réclamante

Michael Bird

Owen, Bird                      pour le Registre de navigation de la Lloyd, intervenant

Sproule Castonguay Pollack

Montréal (Québec)                  pour Strachan Shipping Co., réclamante

P. Daniel Le Dressay

Avocat

Vancouver (C.-B.)                  pour Ward Smith Mechanical Inc., réclamante

Stikeman, Elliott

Montréal (Québec)                  pour Man B & W Diesel AG

A.B. Oland Law Corp.

Vancouver (C.-B.)                  pour Monson Agencies Pty. Ltd.

Hara & Company

Vancouver (C.-B.)                  pour Governor Control Sales and Services Ltd.

Evans, Goldstein & Eadie

Vancouver (C.-B.)                  pour Elander Inspection Ltd.

J. W. Perrett

Avocat

Vancouver (C.-B.)                  pour Triton Holdings Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          pour le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

__________________

1      Les créanciers qui n'ont pas donné suite à leurs réclamations étaient ICS Petroleum Ltd., Governor Control Sales & Services Ltd., Ward Smith Mechanical Inc., Elander Inspection Ltd., le Registre de navigation de la Lloyd, Man B & W Diesel AG, Alatas Limited, Monson Agencies Pty. Ltd. et Triton Holdings Inc. Ces créances s'élevaient en tout à environ 295 000 $.

2      Pour un examen de cette disposition restrictive, voir Varian on Ranking and Priority of Liens , document préparé pour le Tulane Admiralty Law Institute, publié en avril 1973, Tulane Law Review, page 751, aux pages 758 et 759, et Tetley on Maritime Liens and Claims, deuxième édition (1998) Blais International Shipping Publications, Montréal, aux pages 496 à 499. Une modification additionnelle, effectuée en 1993, qui n'est pas ici pertinente, a peut-être modifié l'effet de cette disposition restrictive : voir Tetley, à la page 498, note de bas de page 158.

3      À un moment donné, la créance relative aux salaires de l'équipage était privilégiée par rapport à celle du capitaine. Ce n'est plus le cas, le capitaine étant maintenant sur un pied d'égalité avec les marins. L'historique de la question est énoncé dans la décision Royal Wells [1984] 2 Lloyd's 255, rendue par Monsieur le juge Sheen.

4      À un moment donné dans son affidavit, M. Donovan désigne le troisième navire, l'Atlas , sous le nom de Nel. L'affidavit est une nouvelle version de celui qui avait été déposé dans un litige antérieur. Il ressort de l'affidavit dans son ensemble que M. Donovan parle de l'Atlantis Two, de l'Epta et de l'Atlas.

5      Jackson on Enforcement of Maritime Claims, deuxième édition (1996), Lloyd's, Londres, fait remarquer ce qui suit, à la page 391 : [TRADUCTION] " Le privilège d'origine législative a plus de force que le privilège maritime en ce sens qu'il peut être exercé contre un " navire frère ". Le privilège maritime se limite au navire visé par la réclamation [...] ", et ici, Jackson cite The Leoborg (No. 2) , [1964] 1 Lloyd's 380. Dans la décision Leoborg, Monsieur le juge Hewson, qui parlait de la législation anglaise concernant les navires frères, aborde la question en relatant un argument qui avait été invoqué devant lui. En fin de compte, Monsieur le juge Hewson n'a rien accordé à l'égard de la réclamation qui avait été présentée contre le navire frère, mais il a clairement dit, aux pages 382 et 383, que la question devrait être réglée uniquement après avoir été complètement débattue étant donné que l'affaire [TRADUCTION] " [...] pourrait bien avoir de profondes conséquences ". Il a ajouté ce qui suit : [TRADUCTION] " Cela étant, il m'est impossible de trancher la question, celle-ci devant être laissée en suspens tant qu'elle ne sera pas réglée dans une autre affaire. "

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