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Date : 20020429

Dossier : T-33-02

Référence neutre : 2002 CFPI 483

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2002

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

JAMES GABRIEL

demandeur

et

LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KANESATAKE

et STEVEN BONSPILLE

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         La Cour est saisie d'une demande visant l'obtention d'une ordonnance interlocutoire, laquelle a été présentée conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7; le demandeur sollicite l'annulation de la résolution par laquelle le Conseil des Mohawks de Kanesatake (les défendeurs) avait destitué James Gabriel (le demandeur) de ses fonctions de grand chef du Conseil. Le demandeur désire également être réintégré dans ses fonctions de grand chef tant qu'une ordonnance définitive ne sera pas rendue dans cette affaire.

Les faits

[2]         La procédure de contrôle judiciaire que le demandeur a engagée touche une question délicate, à savoir la procédure par laquelle les conseillers peuvent être élus ou destitués de leurs fonctions pour des motifs fondés sur la non-confiance. Cette question et les événements qui se sont déroulés lors de la destitution du demandeur ont divisé la communauté mohawk de Kanesatake. Pour mieux comprendre les circonstances dans lesquelles la requête ici en cause a été présentée, il peut être utile de donner un bref aperçu des événements qui se sont produits au cours des dix dernières années.

[3]         La communauté mohawk de Kanesatake est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. À l'heure actuelle, la bande est régie par un Conseil composé de six chefs et d'un grand chef. Avant 1991, la sélection et la nomination du grand chef et des autres chefs étaient effectuées par les Six Nations Traditional Hereditary Clan Mothers selon les coutumes de la bande. Selon ce système, le chef qui était réprimandé plus de trois fois était destitué de ses fonctions.


[4]         En 1992, la bande a adopté en principe un projet de code électoral (le Code). Le Code prévoyait l'élection démocratique des conseillers pour une période de trois ans, conformément à des règles strictes visant à assurer la tenue d'élections équitables au moyen d'un scrutin secret. Le Code a depuis lors été utilisé lorsque des élections partielles et des élections générales ont été tenues au sein de la communauté. Il a également été utilisé aux fins de la ratification de l'entente de gouvernance territoriale conclue avec le gouvernement fédéral en l'an 2000.

[5]         Le demandeur est d'abord devenu grand chef en 1996 à la suite d'une élection partielle que l'on avait tenue pour remplacer le grand chef de l'époque, Jerry Peltier, qui avait fait l'objet d'un vote de non-confiance. Le grand chef a par la suite été réélu en 1998 et en 2001. Pendant qu'il occupait sa charge, le grand chef appuyait fortement les initiatives que la police avait prises pour réprimer les activités criminelles dans le territoire, en particulier le commerce illégal de drogue.

[6]         Lors des élections de l'an 2001, quatre nouveaux conseillers ont été élus. Or, les nouveaux conseillers ne partageaient pas le point de vue du demandeur. Ils mettaient l'accent sur la responsabilité publique plutôt que sur des questions de police et de sécurité.


[7]         La situation est devenue plus tendue à la suite d'une descente effectuée par la police le 26 septembre 2001 chez Robert Gabriel, qui était soupçonné de cultiver et de vendre de la marijuana. La police n'a pas trouvé de drogue pendant la descente, mais elle a conclu à l'existence de fortes indications d'activités illégales. Un gros abri souterrain qui était organisé de façon à permettre la culture hydroponique a notamment été découvert. Au cours des semaines qui ont suivi, des coups de feu ont été tirés au poste de police. Le demandeur affirme également avoir été agressé par Robert Gabriel.

[8]         Une assemblée publique à laquelle tous les membres inscrits de la bande de Kanesatake étaient invités a été organisée; elle devait avoir lieu le 22 novembre 2001. Dans l'ordre du jour, il n'était pas fait mention de la question de la destitution du demandeur. Lors de l'assemblée, qui a eu lieu tel qu'il était prévu, Robert Gabriel a demandé la tenue d'une assemblée aux fins d'un vote de non-confiance à l'encontre du demandeur. Cette proposition a été adoptée et l'on a décidé d'organiser, le 6 décembre 2001, une assemblée publique spéciale à laquelle on voterait sur le statut du demandeur à titre de grand chef. Seuls les membres qui résidaient à Kanesatake où à Oka devaient avoir le droit de voter sur la question.

[9]         Trois jours avant l'assemblée publique spéciale, le demandeur a envoyé à tous les membres résidants et non résidants de la communauté un avis les encourageant à empêcher le vote. L'assemblée publique spéciale a néanmoins eu lieu tel qu'il était prévu. Le demandeur a perdu par 207 voix contre 130.


[10]       La décision de destituer officiellement le demandeur de ses fonctions a été prise le lendemain lorsque le Conseil défendeur a adopté une résolution par laquelle il reconnaissait le vote qui avait eu lieu lors de l'assemblée publique spéciale. Le Conseil a également décidé que Steven Bonspille agirait comme grand chef provisoire tant qu'un nouveau grand chef n'était pas élu au moyen d'une élection partielle ou aux élections régulières suivantes, qui devaient avoir lieu au mois de juillet 2004.

[11]       Un mois plus tard, le 7 janvier 2002, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire. Le 21 février 2002, il a déposé une requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire et de demander une ordonnance portant qu'il devait être réintégré dans ses fonctions de grand chef tant que le contrôle judiciaire ne serait pas définitivement réglé.

[12]       Il est bien reconnu que le critère à appliquer lorsqu'il s'agit de déterminer si une injonction doit être accordée est le critère à trois volets que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Afin d'avoir gain de cause, le demandeur doit établir que la contestation de la décision du Conseil de le destituer de ses fonctions de grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake soulève une question sérieuse, qu'un préjudice irréparable serait subi s'il n'occupait pas sa charge tant qu'une décision n'était pas rendue au sujet de la légalité de la décision du Conseil et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la réintégration.


L'existence d'une question sérieuse

[13]       Le demandeur soutient qu'il existe une forte preuve prima facie montrant que la résolution par laquelle il a été destitué de ses fonctions, laquelle était fondée sur un vote excluant les non-résidents, est illégale parce qu'elle fait une distinction illicite à l'égard des non-résidents. Je suis d'accord.

[14]       Dans l'arrêt Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour suprême du Canada a statué que le fait de priver les membres d'une bande indienne vivant à l'extérieur de la réserve du droit de voter aux élections de la bande, conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, constituait de la discrimination. Ce principe a été réitéré dans une décision que la Cour fédérale a récemment rendue dans l'affaire Medeiros c. Première nation Ginoogaming, [2001] A.C.F. no 1812. En l'espèce, l'exclusion des membres de la bande qui habitaient à l'extérieur du territoire a privé un secteur important de la population de son droit d'élire les conseillers. Pareille pratique semble porter atteinte au droit de voter aux élections que la Cour suprême du Canada a reconnu aux non-résidents dans l'arrêt Corbière, précité. Il s'agit d'une question sérieuse.

[15]       Le demandeur affirme en outre qu'il existe une forte preuve prima facie montrant qu'aucune coutume ne prévoit la destitution d'un conseiller au moyen d'un vote de non-confiance. Je suis encore une fois d'accord.


[16]       La coutume pertinente lorsqu'il s'agit de choisir le conseil de la bande dans les cas qui ne sont pas régis par l'article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, doit « inclure, des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus » : Bigstone c. Big Eagle (1992), 52 F.T.R. 109; Bone c. Bande indienne no 290 de Sioux Valley (1996), 107 F.T.R. 133.

[17]       La bande a adopté le Code à la suite d'un plébiscite qui a eu lieu le 31 mai 1991 et d'une assemblée publique qui a été tenue le 20 mai 1992. À ce stade, je suis convaincue qu'il existe une preuve forte montrant que le Code représente la coutume lorsqu'il s'agit de choisir les conseillers, coutume qui fait l'objet d'un large consensus.

[18]       Toutefois, il semble que la résolution 035/0102/00069 n'ait pas été adoptée conformément au Code. En fait, dans une lettre en date du 31 janvier 2002, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a exprimé son inquiétude au sujet de la validité de la décision que le défendeur avait prise le 7 décembre 2001 :

[TRADUCTION] Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) ne peut pas prendre de mesures par suite de la résolution 035/0102/00069 que le Conseil des Mohawks de Kanesatake a adoptée le 7 décembre 2001, par laquelle le résultat du vote du 6 décembre 2001 était reconnu, James Gabriel étant destitué de ses fonctions de grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake (le CMK) et Steven L. Bonspille étant nommé à ce poste. Cette résolution influe sur le choix des conseillers de la bande et ne semble pas être adoptée conformément au code électoral coutumier [...]

Les remarques qui précèdent soulèvent la question de la certitude et du pouvoir que possède le Conseil des Mohawks de Kanesatake lorsqu'il s'agit de gérer les affaires de la bande.


[19]       Les défendeurs affirment que selon une coutume, un conseiller pouvait être destitué de ses fonctions au moyen d'un vote de non-confiance. Toutefois, la preuve donne à entendre qu'avant l'adoption du Code, c'étaient les Six Nations Traditional Hereditary Clan Mothers qui procédaient à la sélection et à la nomination du grand chef et des autres chefs conformément aux coutumes de la bande. Selon ce système, le chef qui était réprimandé plus de trois fois était destitué de ses fonctions. Or, aucun élément de preuve ne montre que ce système comportait un vote de non-confiance.

[20]       Les deux seuls cas qui ont été mentionnés à l'appui de pareille coutume se rapportaient à des démissions et ne privaient pas du droit de vote les membres de la bande qui habitaient à l'extérieur du territoire.

[21]       Quoi qu'il en soit, comme il en a ci-dessus été fait mention, une coutume doit inclure des pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font l'objet d'un large consensus. Tel est précisément le fondement du Code qui a été adopté. Le Code était destiné à établir les motifs pour lesquels un membre devenait inhabile à agir comme conseiller. Une procédure électorale qui ne respecte pas le Code ne semble pas représenter la pratique généralement reconnue et ne devrait pas être considérée comme représentant la coutume de la bande. Cela soulève une question sérieuse.


[22]       Les défendeurs affirment que le demandeur a consenti à la procédure de destitution et que, dans le contexte d'une élection contestée de la bande, il ne devrait pas être en mesure de solliciter un bref de quo warranto.

[23]       Premièrement, la preuve de l'acquiescement doit être claire. À ce stade, je ne suis pas convaincue que ce soit le cas. La correspondance donne à entendre que le demandeur a fait des efforts pour empêcher le vote illégal.

[24]       Deuxièmement, le premier moyen invoqué en l'espèce à l'appui de la demande de contrôle judiciaire est fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale et vise à faire annuler la décision du 7 décembre 2001 pour le motif qu'elle est discriminatoire et qu'elle va à l'encontre des coutumes de la bande. L'acquiescement du demandeur dans ce contexte ne serait donc pas pris en considération.

[25]       Les défendeurs reconnaissent qu'à ce stade, un examen prolongé du bien-fondé de la cause n'est pas souhaitable, étant donné que les questions factuelles en cause sont complexes. À ce stade, la preuve dont je dispose me convainc que le demandeur a démontré l'existence d'une forte preuve prima facie.


L'existence d'un préjudice irréparable

[26]       Le demandeur affirme qu'il subirait un préjudice irréparable qui ne peut pas être quantifié sur le plan financier si je refusais d'accorder une injonction interlocutoire le réintégrant dans ses fonctions de grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake en attendant qu'une décision définitive soit rendue. La jurisprudence montre clairement que la charge de chef est une charge politique et que le droit concernant le congédiement injuste ne prévoit pas de recours lorsqu'une personne est privée de la charge à laquelle elle a été élue. Mon collègue, le juge MacKay, a reconnu la chose dans la décision Frank c. Bottle et autres (1993), 65 F.T.R. 89, paragraphes 27 et 28; voici les remarques qu'il a faites :

[traduction]

À mon avis, le droit concernant le congédiement injuste et l'octroi de dommages-intérêts y afférents vise les relations employeur-employé et ne prévoit pas de recours lorsqu'une personne est privée de la charge à laquelle elle a été élue. Le chef n'est pas l'employé du conseil et, à mon avis, il ne peut pas non plus être considéré comme un employé de la tribu. La charge de chef est une charge politique, comblée au moyen d'élections valides, comportant des responsabilités qui l'emportent sur toute idée que la personne en cause est l'employé de la tribu, comme c'est le cas pour la charge de conseiller.

[...] Sans trancher les questions dont la Cour n'est pas saisie, le demandeur ne pourrait pas, à mon avis, réclamer de dommages-intérêts pour congédiement injuste et, en réalité il ne pourrait probablement pas présenter de demande pécuniaire fondée sur la perte de sa réputation.

Voir aussi Jock c. Canada, [1991] 2 C.F. 355, par. 51 (1re inst.) où le juge Teitelbaum a expliqué qu'en leur qualité d'élus, le grand chef et les chefs ne sont pas des adjoints ou des préposés et qu'ils ne sont donc pas nommés à titre amovible.


[27]       Par conséquent, si je n'accordais pas d'injonction et si la demande de contrôle judiciaire était subséquemment accueillie, le demandeur n'aurait pas droit à la réparation dont peut normalement se prévaloir l'employé qui a été congédié. À mon avis, cela constitue un préjudice irréparable.

[28]       En outre, le poste de grand chef est un poste prestigieux. Comme l'a dit le juge MacKay [traduction] « [l]a position de chef est un grand honneur au sein de la tribu [...] » (Frank c. Bottle et autres, précité, paragraphe 26).

[29]       Le grand chef agit comme porte-parole du Conseil et de la communauté. Il s'agit d'un rôle fort important, étant donné que le grand chef peut se prononcer sur diverses politiques et questions touchant la communauté et avoir une influence considérable sur l'opinion publique. Or, la perte de prestige ne peut pas être compensée par des dommages-intérêts.


[30]       Enfin, le demandeur a été destitué de ses fonctions moins de six mois après avoir été réélu au poste de grand chef pour un mandat de trois ans à la suite d'élections qui ont été tenues conformément au nouveau système électoral mis en oeuvre en 1992. Chaque jour où le demandeur n'occupe pas sa charge est un jour où le demandeur ne peut pas promouvoir les politiques pour lesquelles il a été élu et qui sont importantes pour la communauté, notamment pour ce qui est de la lutte qu'il mène contre les pratiques illégales auxquelles on se livre dans la communauté dans le domaine des drogues. En effet, si aucune injonction n'était accordée et si la demande de contrôle judiciaire était accueillie, le demandeur n'aurait pas été en fonction pendant presque toute la durée de son mandat. À mon avis, pareil résultat constitue un préjudice irréparable.

La prépondérance des inconvénients

[31]       Les défendeurs soutiennent que, lorsque la constitutionnalité ou la légalité des dispositions relatives aux élections sont contestées, la prépondérance milite en faveur du maintien du résultat des élections tant que la Cour n'a pas rendu un jugement déclaratoire définitif.


[32]       Les défendeurs font une analogie entre l'arrêt Canada (Procureur général) c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.), confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124 (l'arrêt Gould), et le cas ici en cause. Dans l'affaire Gould, un individu qui était détenu dans un pénitencier et qui n'avait pas le droit de vote en vertu de l'alinéa 14(4)e) de la Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1er supp.) ch. 14, avait intenté une action devant la Section de première instance afin d'obtenir un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 14(4)e) était nul parce qu'il contrevenait à l'article 3 de la Charte. Toutefois, les élections étaient sur le point d'être tenues, de sorte que le détenu avait demandé à la Section de première instance de rendre une injonction interlocutoire mandatoire l'autorisant à voter. Étant donné que les élections devaient avoir lieu avant que la demande de contrôle judiciaire puisse être entendue, la décision relative à la demande d'injonction se trouvait en fait à régler l'affaire. Le juge Mahoney, de la Cour d'appel fédérale, a statué que cela n'était pas possible puisque cela équivaut à rendre un jugement déclaratoire provisoire sur un droit. Il a ajouté que le but d'une injonction interlocutoire est de maintenir ou de rétablir le statu quo et non d'accorder son redressement au demandeur, jusqu'au moment de l'instruction (Gould, précité, page 1140).

[33]       Les défendeurs affirment que ces principes devraient s'appliquer en l'espèce, en ce sens que l'injonction sollicitée constitue un jugement déclaratoire provisoire de plein droit. Je ne suis pas d'accord. Il est facilement possible de faire une distinction à l'égard de l'arrêt Gould. En l'espèce, le demandeur ne cherche pas à faire invalider une coutume de la bande. Il sollicite plutôt l'examen d'une décision qui, selon lui, va à l'encontre des coutumes de la bande. Dans ce cas-ci, l'injonction n'aura pas pour effet de régler l'affaire d'une façon définitive. Elle rétablira simplement le statu quo en attendant qu'une ordonnance définitive soit rendue. En fin de compte, si la demande de contrôle judiciaire n'est pas accueillie, le demandeur devra cesser d'exercer ses fonctions de grand chef.

[34]       Étant donné ces distinctions, je conclus que l'arrêt Gould ne s'applique pas en l'espèce.

[35]       J'ai minutieusement examiné la preuve dont je dispose et les habiles arguments qui ont été invoqués par les deux parties, et je suis convaincue que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.


[36]       Je ne retiens pas l'argument du défendeur selon lequel la communauté considérerait les décisions subséquentes du Conseil comme étant discréditées d'une façon irrévocable.

[37]       La légalité et la validité de la résolution du Conseil constitue le noeud du litige; ces questions seront réglées compte tenu du bien-fondé de l'affaire. Toute décision que le Conseil prendrait en utilisant la même procédure soulèverait la même question, c'est-à-dire qu'elle pourrait être discriminatoire ou aller à l'encontre des coutumes électorales. L'octroi d'une injonction ou le refus d'accorder une injonction n'y changerait rien.

[38]       En ce qui concerne l'argument des défendeurs selon lequel l'octroi d'une injonction aggraverait une situation déjà explosive avant que le demandeur soit destitué de ses fonctions et présenterait un danger pour la paix et la sécurité de la communauté, cet argument ne me convainc pas. La preuve démontre que la majorité des citoyens respectent la loi. Le seul élément de preuve qui a été présenté au sujet des actes de violence se rapportait à l'exécution des mandats de perquisition qui avaient été délivrés par suite des activités illégales à laquelle on se livrait dans le domaine des drogues. Le fait que l'on craint que d'autres tactiques d'intimidation soient adoptées ne peut pas constituer un motif valable permettant à la Cour de refuser l'injonction.


[39]       En ce qui concerne l'argument selon lequel les résidents de la communauté ont fait savoir par consensus que M. Gabriel devrait être destitué de ses fonctions, il est difficile de conclure à l'existence d'un consensus si le vote est vicié parce qu'une distinction illicite est faite à l'égard des non-résidents.

[40]       En outre, le défendeur Steven Bonspille ne devrait pas être considéré comme tirant parti de ce poste privilégié puisque la procédure qui lui a permis d'y accéder est maintenant contestée. Étant donné que le demandeur a été destitué de ses fonctions et qu'il a été remplacé par le défendeur Steven Bonspille sans qu'une élection partielle soit déclenchée (une élection partielle aurait permis de constater que toute la communauté consentait à ce que le demandeur soit destitué de ses fonctions, par opposition aux seuls membres habitant dans le territoire), on devrait laisser sans délai le demandeur reprendre ses fonctions de grand chef tant qu'une décision définitive ne sera pas rendue dans cette affaire.

[41]       Enfin, les actions des défendeurs pourraient être considérées comme minant le nouveau système démocratique qui a été mis en oeuvre en 1992. Tout retard, lorsqu'il s'agit d'appuyer les nouvelles coutumes établies par le Code, qui a été adopté à la suite d'un plébiscite et d'une assemblée publique, peut uniquement affaiblir sa légitimité.


[42]       Le défendeur demande avec instance à la Cour de laisser l'affaire dans l'arène politique où il convient de la débattre et il affirme que si le demandeur n'avait pas présenté une demande de contrôle judiciaire, une élection partielle aurait eu lieu quelques mois plus tard et l'affaire aurait été réglée. Je rejette cet argument comme étant une pure conjecture. La preuve donne à entendre qu'entre le moment où la résolution relative à la destitution a été adoptée et le moment où l'avis de demande de contrôle judiciaire a été déposé, les défendeurs disposaient de plus d'un mois pour déclencher une élection partielle. Pourtant, ils n'ont rien fait.

[43]       Vers la fin de l'audience, l'avocat du demandeur, Me Peter Annis, a soutenu que son client était prêt à abandonner sa demande de contrôle judiciaire à condition que les défendeurs tiennent sans délai une élection générale afin d'élire un nouveau grand chef. Il n'incombe pas à la Cour de déterminer s'il s'agit de la marche à suivre. Je ne puis assez insister sur le fait qu'il est important pour les deux parties, afin de servir au mieux les intérêts de la communauté, d'envisager de collaborer au règlement du différend qui les oppose, soit une chose à laquelle ni l'injonction ici en cause ni la demande de contrôle judiciaire ne peuvent arriver.


ORDONNANCE

[1]         La requête visant l'obtention d'une injonction interlocutoire est accordée. Le statu quo qui existait avant la décision du 7 décembre 2001 est rétabli.

[2]         Le Conseil doit réintégrer le demandeur dans ses fonctions de grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake tant qu'une ordonnance définitive n'aura pas été rendue dans la présente affaire ou tant que les parties ne se seront pas entendues, le tout avec dépens.

           « Danièle Tremblay-Lamer »           

Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               T-33-02

INTITULÉ :                                                              JAMES GABRIEL

c.

LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KANESATAKE et STEVEN BONSPILLE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 23 AVRIL 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                        MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                        LE 29 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

M. PETER ANNIS                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. IAN HOULE                                                        POUR LE DEMANDEUR

M. RAYNOLD LANGLOIS, c.r.                           POUR LE DÉFENDEUR

M. RICHARD KESWICK                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VINCENT DAGENAIS GIBSON LLP                   POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA

LANGLOIS GAUDREAU                                       POUR LE DÉFENDEUR

MONTRÉAL

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