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Date : 20040108

Dossier : T-2091-00

Référence : 2004 CF 13

ENTRE :

                     L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                 À la suite des interrogatoires préalables, la défenderesse, Sa Majesté la Reine, sollicite maintenant un jugement sommaire rejetant une action intentée par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'AFPC) au moyen du dépôt d'une déclaration, le 10 novembre 2000.

[2]                 L'action intentée par l'AFPC concerne un employé municipal embauché par chacune des villes de Humboldt (Saskatchewan) et d'Antigonish (Nouvelle-Écosse), lequel avait été détaché par son employeur pour fournir des services de soutien à la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), qui fournit un service municipal de police à ces villes conformément à des ententes portant sur les services municipaux de police (les ententes).

[3]                 L'action intentée par l'AFPC est destinée à servir de cause type étant donné qu'il existe, au Canada, 200 ententes de ce genre.

[4]                 La question cruciale qui se pose en l'espèce se rapporte à la portée de l'article 10 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi).

[5]                 Il s'agit de savoir si cette disposition exige, en droit, que le personnel de soutien nécessaire à l'exercice des attributions de la GRC, y compris la prestation par la Gendarmerie de services municipaux de police conformément aux ententes, soit nommé ou employé en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, c'est-à-dire si ces employés doivent être des fonctionnaires fédéraux.

[6]                 L'article 10 de la Loi est intitulé « Personnel civil » ; il est libellé comme suit :



10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la nomination et l'emploi du personnel civil nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

10. (1) Subject to subsection (2), the civilian employees that are necessary for carrying out the functions and duties of the Force shall be appointed or employed under the Public Service Employment Act.10(2) Personnel temporaire

(2) Le commissaire peut employer du personnel civil temporaire, dans les limites et les conditions de rémunération ou autres fixées par le Conseil du Trésor. Il a, à son égard, tout pouvoir de congédiement ou de renvoi.

[Non souligné dans l'original.]

10(2) Temporary civil staff

(2) The Commissioner may employ such number of temporary civilian employees at such remuneration and on such other terms and conditions as are prescribed by the Treasury Board, and may at any time dismiss or discharge any such employee.

[emphasis mine]


[7]                 L'article 20 de la Loi autorise le solliciteur général, avec l'agrément du gouverneur en conseil, à conclure des ententes sur les services de police avec les provinces et avec les municipalités. Cette disposition est ainsi libellée :


Arrangements avec les provinces

20. (1) Avec l'agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d'une province, des arrangements pour l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la province et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur.

20. (1) The Minister may, with the approval of the Governor in Council, enter into an arrangement with the government of any province for the use or employment of the Force, or any portion thereof, in aiding the administration of justice in the province and in carrying into effect the laws in force therein.

20(2) Arrangements avec les municipalités

(2) Avec l'agrément du gouverneur en conseil et du lieutenant-gouverneur en conseil d'une province, le ministre peut conclure, avec toute municipalité de cette province, des arrangements pour l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la municipalité et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur.

20(2) Arrangements with municipalities

(2) The Minister may, with the approval of the Governor in Council and the lieutenant governor in council of any province, enter into an arrangement with any municipality in the province for the use or employment of the Force, or any portion thereof, in aiding the administration of justice in the municipality and in carrying into effect the laws in force therein.

20(3) Paiement des services

(3) Avec l'agrément du Conseil du Trésor, le ministre peut, dans le cadre des arrangements visés aux paragraphes (1) ou (2), convenir avec la province ou la municipalité du montant à payer pour les services de la Gendarmerie.

20(3) Payment for services

(3) The Minister may, with the approval of the Treasury Board, in any arrangement made under subsection (1) or (2), agree on and determine the amount of money to be paid by the province or municipality for the services of the Force.


20(4) Subordination à la Gendarmerie

(4) Les arrangements conclus aux termes des paragraphes (1) ou (2) peuvent prévoir le passage sous l'autorité de la Gendarmerie des officiers et autres membres des forces de police provinciales ou municipales.

20(4) Taking over other police forces

(4) There may be included in any arrangement made under subsection (1) or (2) provision for the taking over by the Force of officers and other members of any provincial or municipal police force.20(5) Rapport au Parlement

(5) Dans les quinze jours de la conclusion de l'un des arrangements visés aux paragraphes (1) ou (2), le ministre en fait déposer une copie devant le Parlement ou, s'il ne siège pas, dans les quinze jours de séance ultérieurs de l'une ou l'autre chambre.

[Non souligné dans l'original.]

20(5) Report to Parliament

(5) The Minister shall cause to be laid before Parliament a copy of every arrangement made under subsection (1) or (2) within fifteen days after it is made or, if Parliament is not then sitting, on any of the first fifteen days next thereafter that either House of Parliament is sitting.

[emphasis mine]


LES FAITS IMPORTANTS

[8]                 Les faits importants ne sont pas contestés; la défenderesse a admis les faits suivants :

[TRADUCTION]

1.             À Humboldt (Saskatchewan), les employés municipaux fournissent les services de soutien nécessaires à l'exercice des attributions de la GRC, conformément aux ententes sur les services municipaux de police conclues entre le solliciteur général et la municipalité de Humboldt.

2.             Les services de soutien fournis par les employés de la municipalité de Humboldt dont il est fait mention au premier paragraphe comprennent les services de soutien nécessaires aux fins de l'application des lois fédérales et provinciales ainsi que des règlements municipaux.

3.             À Antigonish (Nouvelle-Écosse), les employés municipaux fournissent les services de soutien nécessaires à l'exercice des attributions de la GRC, conformément aux ententes sur les services municipaux de police conclues entre le solliciteur général et la municipalité d'Antigonish.

4.             Les services de soutien fournis par les employés de la municipalité d'Antigonish dont il est fait mention au paragraphe 3 comprennent les services de soutien nécessaires aux fins de l'application des lois fédérales et provinciales ainsi que des règlements municipaux.

a)         Entente sur les services municipaux de police

[9]                 L'entente sur les services municipaux de police conclue entre le gouvernement du Canada et la municipalité de Humboldt est datée du 1er avril 1992.


[10]            Dans le préambule de l'entente, il est fait mention de l'article 20 de la Loi et de l'article 23 de la Police Act (Saskatchewan), selon lequel le conseil d'une municipalité peut conclure une entente avec le gouvernement du Canada pour l'utilisation de la GRC en vue de la prestation de services de police dans la municipalité.

[11]            Selon le préambule de l'entente, par le décret C.P. 1992-4/369 daté du 27 février 1992, le gouverneur en conseil a autorisé le solliciteur général à conclure l'entente au nom du gouvernement du Canada. Par le décret numéro 246-92 daté du 18 mars 1992, le lieutenant-gouverneur en conseil a autorisé la municipalité à conclure l'entente.

[12]            L'entente prévoit, à l'article 2, que sous réserve des modalités de l'entente et conformément à ces modalités, « le Canada fournira un Service de police municipal dans la municipalité » . Le « Service de police municipal » est défini; cette expression s'entend de :

[...] L'ensemble des ressources et des membres que le Canada affecte à la prestation de services de police dans la municipalité visée par la présente entente; sont exclus les ressources et les membres qui sont principalement affectés : i) aux services de police de nature nationale ou internationale, comme les laboratoires judiciaires, le système de données du Centre d'information de la police canadienne, le Service de l'identité judiciaire et le Collège canadien de police; ii) aux services d'enquêtes relatives à la sécurité nationale; iii) à la sécurité préventive, comme la sécurité dans les ambassades et les aéroports, et à la sécurité des personnes jouissant d'une protection internationale; iv) aux services fournis aux ministères du gouvernement fédéral ou en leur nom; v) aux services de police fournis selon les termes de l'Entente sur les services de police provinciaux.

[13]            Parmi les autres expressions qui sont définies dans l'entente sur les services municipaux de police, il y a :


(1)         « employés de soutien » Toutes les personnes qui sont employées par la municipalité pour assurer le fonctionnement efficace d'un Service de police municipal, y compris les commis, les sténographes, les opérateurs de traitement de données et d'appareils de télécommunication, les gardiens, les matrones et les concierges de prisons; [non souligné dans l'original]

(2)         « membre » Tout membre de la Gendarmerie nommé en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou de tout règlement d'application de cette loi, y compris entre autres les membres réguliers, les gendarmes spéciaux, les gendarmes spéciaux devenus membres et les civils ainsi nommés;

(3)        « ministre » Le ministre provincial responsable des services de police de la province;

(4)        « maire » Le maire, le préfet ou autre chef d'une municipalité, quel que soit le nom qu'on lui donne;

(5)        « commandant divisionnaire » L'officier de la Gendarmerie, résidant dans la province, nommé par le commissaire pour commander la Division.

[14]            Je mentionnerai certaines clauses importantes de l'entente sur les services municipaux de police.

[15]            Premièrement, l'alinéa 2.1b) prévoit que le Canada est autorisé à fournir un Service de police municipal conformément aux termes de l'entente.


[16]            Deuxièmement, la clause 2.2 prévoit que les membres qui font partie du Service de police municipal doivent : a) remplir les fonctions d'agents de la paix; b) rendre les services nécessaires au maintien de la paix, à la protection de la vie et de la propriété, à la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et aux lois de la province, à l'arrestation des criminels, des contrevenants et autres personnes pouvant être légalement mises sous garde; c) exécuter tous les mandats; et d) exécuter les obligations et services s'y rattachant - qui peuvent, aux termes des lois fédérales, provinciales ou des règlements municipaux, légalement être exécutés par des agents de la paix.

[17]            Troisièmement, le litige opposant les parties met principalement en cause les dispositions ci-après énoncées de l'entente Humboldt :

2.4           La municipalité devra fournir le personnel de soutien nécessaire, sans que le Canada n'ait à en assumer le coût; le personnel de soutien devra répondre aux exigences de l'emploi et aux autres exigences connexes établies par le commissaire.

2.5           Si la municipalité fournit du personnel de soutien au Canada pour les services de police provinciaux ou fédéraux, le Canada devra payer à la municipalité les traitements des employés de soutien qui sont engagés à cette fin.

2.6           Si la municipalité ne fournit pas le personnel de soutien visé au paragraphe 2.4, le Canada pourra fournir le personnel de soutien et la municipalité devra payer la totalité de tous les coûts associés à ce personnel. [Non souligné dans l'original.]

[18]            Quatrièmement, l'article 3 traite de la gestion du Service de police municipal. Cette disposition comporte les éléments suivants :

a)         la gestion interne du Service de police municipal demeure sous le contrôle du Canada;


b)         les normes minimales en matière de services de police doivent correspondre aux normes établies par le commissaire de la GRC, en consultation avec le maire;

c)         le niveau des services de police fournis par le Service de police municipal doit correspondre au niveau établi par le maire, en consultation avec le commissaire;

d)         la clause 3.2 prévoit ce qui suit :

La présente entente ne limite d'aucune façon la compétence de la province quant à l'administration de la justice et à l'application de la loi dans la province.

e)         la clause 3.3 stipule que le maire peut fixer les objectifs, les priorités et les buts du Service de police municipal qui doivent être conformes à ceux qu'aura fixé le ministre pour les services de police dans la province.

[19]            Cinquièmement, l'article 4 de l'entente sur les services municipaux de police traite de la direction et des rapports. Il prévoit ce qui suit :

4.1           Le membre qui est responsable d'un Service de police municipal agira sous la direction légitime du maire ou de toute autre personne que le maire aura désignée par écrit pour l'application des règlements de la municipalité.

4.2           Le membre qui est responsable d'un Service de police municipal devra, selon les conditions stipulées, rendre compte au maire ou à la personne désignée par ce dernier sur la question de l'application de la loi dans la municipalité et sur les objectifs, priorités et buts fixés par le maire.

[20]            Sixièmement, l'article 8 traite des locaux et prévoit que la municipalité fournit certains locaux au Service de police municipal et assure leur entretien, et ce, sans aucuns frais pour le Canada, notamment des cellules.

[21]            Septièmement, l'article 9 traite du partage des coûts. Ainsi, une municipalité qui compte moins de 15 000 habitants paie 70 p. 100 des coûts, alors que le Canada en paie 30 p. 100. Si je comprends bien, la part de 30 p. 100 incombant au Canada représente ce qu'il en coûte au Canada pour les membres de la GRC qui s'occupent des services fédéraux de police à Humboldt.

[22]            Huitièmement, l'article 15 traite des litiges et prévoit que toute nouvelle question, toute question d'intérêt général ou tout litige découlant de l'entente fait l'objet d'une consultation entre le solliciteur général et le maire et est réglé de la façon jugée appropriée par les deux parties.

[23]            Neuvièmement, l'article 18 prévoit que l'entente entre en vigueur le 1er avril 1992 et s'applique pour une durée de vingt ans, mais qu'elle peut être résiliée le 31 mars de n'importe quelle année si l'une partie en avise l'autre vingt-quatre mois avant la date prévue de la résiliation.

[24]            Comme il en a été fait mention, le Canada a conclu une entente avec la municipalité d'Antigonish (Nouvelle-Écosse).

[25]            Je n'ai pas à faire mention des dispositions de cette entente étant donné qu'elle est libellée à peu près de la même façon que l'entente qui s'applique à la ville de Humboldt. Je ferai remarquer que dans le préambule de l'entente conclue avec la ville d'Antigonish, il est fait mention de l'article 20 de la Loi ainsi que de l'article 17 de la Police Act (Nouvelle-Écosse), qui prévoit que, sous réserve de l'approbation de la Police Commission of Nova Scotia, une municipalité peut conclure une entente avec le Canada en vue de la prestation de services de police. Il est fait mention du décret autorisant le solliciteur général à conclure l'entente au nom du gouvernement du Canada et du décret pris par le lieutenant-gouverneur en conseil de la Nouvelle-Écosse autorisant la municipalité d'Antigonish à conclure l'entente.

b)          Ententes sur les services provinciaux de police


[26]            Conformément aux ententes autorisées en vertu de l'article 20 de la Loi et en vertu de la Police Act de plusieurs provinces, la GRC est constituée à titre de police provinciale pour toutes les provinces et pour tous les territoires du Canada sauf l'Ontario et le Québec, ces deux provinces ayant constitué séparément la Police provinciale de l'Ontario (la PPO) et la Sûreté du Québec (la SQ). À Terre-Neuve, on a recours à la police de Terre-Neuve dans une partie de la province.

[27]            Toutes les ententes sur les services provinciaux de police que le Canada a conclues renferment des dispositions à peu près similaires.

[28]            Les dispositions des ententes sur les services provinciaux de police peuvent être mises en contraste avec les ententes municipales. Ainsi, dans l'entente conclue avec la Nouvelle-Écosse, le service provincial de police est défini comme suit :

[TRADUCTION] « Service de police provincial » ou « Service » L'ensemble des ressources, membres et employés de soutien que le Canada affecte à la prestation de services de police dans la province; sont exclus les ressources, membres et employés de soutien affectés :

(i) aux services de police de nature nationale ou internationale, comme les laboratoires judiciaires, le système de données du Centre d'information de la police canadienne, le Service de l'identité judiciaire et le Collège canadien de police;

(ii) aux services d'enquêtes relatives à la sécurité nationale;

(iii) à la sécurité préventive, comme la sécurité dans les ambassades et les aéroports, et à la sécurité des personnes jouissant d'une protection internationale;

(iv) aux services fournis aux ministères du gouvernement fédéral ou en leur nom; et

(v) aux services municipaux de police fournis selon les termes d'une entente distincte.                                                                             [Non souligné dans l'original.]

[29]            L'avocat de la Couronne fédérale désigne les services exclus aux sous-alinéas (i) à (v) comme étant des services fédéraux de police essentiels et signale que les services fournis aux ministères fédéraux comprennent l'application des lois fédérales administrées par ces ministères.


[30]            Dans l'entente sur le service provincial de police, l'expression « employés de soutien » est définie comme suit :

[TRADUCTION] Toutes les personnes qui sont employées par le Canada dans la province à titre de fonctionnaires ou d'employés occasionnels servant de soutien au service provincial de police et qui ne sont pas des membres.

[Non souligné dans l'original.]

[31]            Le contraste est évident. Dans l'entente sur les services provinciaux de police, le Canada emploie tout le personnel civil de soutien. Or, les membres du personnel civil de soutien sont tous des fonctionnaires fédéraux nommés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et l'AFPC est leur agent négociateur. L'avocat de l'AFPC maintient que cette entente est conforme à l'article 10 de la Loi.

[32]            Je n'ai pas à examiner en détail les autres clauses de l'entente sur les services provinciaux de police étant donné que ses dispositions ressemblent à celles qui ont déjà été examinées dans le contexte de l'entente sur les services de police municipaux.

[33]            Le Canada fournit un service provincial de police dans la province pour une durée de vingt ans et la province autorise le Canada à exercer les attributions de la force provinciale de police afin de fournir le service provincial de police conformément à l'entente.


[34]            L'entente conclue avec la Nouvelle-Écosse énumérait, à l'annexe A, les membres et le personnel de soutien qui étaient employés, au 1er avril 1992, au sein du service provincial de police. Selon cette annexe, 799 membres de la GRC et 139 employés de soutien étaient affectés à ce service.

[35]            Les membres qui font partie du service provincial de police remplissent les fonctions d'agents de la paix et rendent les services nécessaires au maintien de la paix, à la protection de la vie et de la propriété, à la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et aux lois de la province, à l'arrestation des criminels, des contrevenants et autres personnes pouvant être légalement mises sous garde et exécutent tous les mandats ainsi que les obligations et services s'y rattachant qui peuvent, aux termes des lois fédérales et provinciales, légalement être exécutés par des agents de la paix.

[36]            Les dispositions relatives à la gestion du service provincial de police, à la direction et aux rapports, au partage des coûts, au règlement des litiges et à la durée de l'entente ressemblent énormément à celles qui ont été examinées dans le contexte des services municipaux de police.

(c)         Les activités de police à Antigonish et à Humboldt

[37]            Je décrirai maintenant les activités de police auxquelles se livre le détachement de la GRC à Antigonish (Nouvelle-Écosse). Les membres de la Gendarmerie qui sont affectés à cet endroit exercent trois types d'attributions :


(1)        les attributions liées à leur qualité de membres de la force nationale de police du Canada responsables de l'application de nombreuses lois fédérales telles que la Loi de l'impôt sur le revenu, la législation relative aux infractions liées à la drogue, la législation relative aux pêches et océans, les questions touchant le crime organisé et les questions de sécurité nationale;

(2)        les attributions liées au service provincial de police chargé de l'application des lois provinciales telles que la Highway Traffic Act ainsi que des enquêtes sur les crimes graves;

(3)        les attributions découlant de la prestation de services municipaux de police lorsque l'application locale du Code criminel et des règlements municipaux ainsi que les questions liées à la sécurité publique et à la protection des résidents locaux et de leurs biens impose un lourd fardeau.

[38]            La preuve démontre que le détachement de la GRC, à Antigonish, relève d'un commandant divisionnaire qui est sergent d'état-major au sein de la GRC. Le commandant du détachement est notamment responsable :

(1)        des activités liées aux services municipaux de police dirigées par un caporal de la GRC responsable de sept gendarmes dont les principales activités se rapportent à ce secteur;

(2)        des enquêteurs principaux;


(3)        des services provinciaux de police composés de quatre gendarmes sous la direction d'un enquêteur principal s'occupant des services dans les régions rurales, à l'extérieur d'Antigonish, ainsi que des affaires liées au Highway Traffic Act.

[39]            Le personnel de soutien affecté au détachement de la GRC à Antigonish est composé de trois commis, dont deux sont nommés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et sont donc des fonctionnaires fédéraux, l'autre étant l'employé municipal au service de la ville, lequel est détaché principalement pour aider les membres de la force qui s'occupent des services municipaux de police, mais il est concédé que cet employé de soutien fournit au besoin, sur demande, des services à tout le détachement.

[40]            Le détachement à Humboldt (Saskatchewan) est organisé de la même façon pour s'occuper de deux types principaux d'activités, à savoir les services municipaux de police et les services assurés dans la région rurale située à proximité de la ville, ce qui est une responsabilité découlant de l'entente sur les services provinciaux de police. Du côté municipal, un superviseur de la GRC dirige quatre enquêteurs-gendarmes.


[41]            Le personnel de soutien affecté à ces deux types d'activités est composé de deux commis du détachement, dont l'un est employé en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et l'autre est un employé municipal, dont les heures de travail représentent quatre jours de travail par semaine; leurs fonctions peuvent également être partagées.

[42]            On m'a informé que l'employé municipal à Humboldt est membre du SCFP, qui est l'agent négociateur des employés municipaux dans cette ville. Il en va de même en Colombie-Britannique, où un grand nombre d'employés municipaux syndiqués servent de personnel de soutien pour les agents de la GRC qui s'occupent des services municipaux de police, à l'exception de la ville de Vancouver. Cela veut dire qu'en Colombie-Britannique, le détachement de la GRC, dans certaines villes, est composé d'un grand nombre de membres de la Gendarmerie et d'un grand nombre d'employés de soutien.

[43]            J'énoncerai ci-dessous les tâches accomplies par le fonctionnaire fédéral qui assure le soutien pour les activités de police à Humboldt.

[44]            Les principales activités sont ci-après énoncées :

(1)        rédiger des comptes rendus d'événements et répondre aux demandes de renseignements, ce qui peut se rapporter à des tâches fédérales, provinciales ou municipales;

(2)        s'occuper de l'enregistrement des armes à feu, ce qui comporte la vérification des requérants et des armes;

(3)        s'occuper du matériel radio et assurer les fonctions de répartition;


(4)        tenir les journaux à l'égard des communications radio;

(5)        maintenir les systèmes d'archivage tels que les dossiers relatifs aux vols et au matériel volé et s'occuper du paiement des amendes et notamment tenir les dossiers de la cour et préparer les dossiers à l'intention des agents qui comparaissent devant la cour;

(6)        assurer les communications avec les membres du public qui se portent volontaires, par exemple lorsqu'il s'agit de chercher des personnes disparues;

(7)        s'occuper de la tenue des dossiers administratifs en ce qui concerne les dépenses et le temps supplémentaire;

(8)        vérifier les antécédents de certaines personnes.

[45]            Il a été convenu que l'employé municipal qui assure le soutien du détachement de Humboldt accomplit des tâches semblables à celles du fonctionnaire fédéral.

[46]            Pour ce qui est de la ville d'Antigonish, je n'ai pas ici non plus à fournir de détails étant donné que les tâches qui sont accomplies sont semblables à celles qui figurent dans les descriptions de travail à Humboldt.


ANALYSE

[47]            Avant de procéder à l'analyse, je mentionnerai certaines dispositions de la Loi sur la GRC.

[48]            L'article 3 de cette loi prévoit qu' « [e]st maintenue pour le Canada une force de police composée d'officiers et autres membres et appelée Gendarmerie royale du Canada » .

[49]            L'article 4 prévoit que « [l]a Gendarmerie peut être employée partout, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Canada, où le décide le gouverneur en conseil » .

[50]            Le gouverneur en conseil nomme un officier, appelé commissaire de la GRC, qui, sous la direction du ministre (le solliciteur général du Canada) a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s'y rapporte (article 5).

[51]            C'est également le gouverneur en conseil qui désigne les autres officiers de la Gendarmerie, à savoir les sous-commissaires, les commissaires adjoints, les surintendants principaux, les surintendants, les inspecteurs. C'est le commissaire qui désigne les membres de la Gendarmerie qui ne sont pas officiers. C'est également le commissaire qui désigne tout membre comme agent de la paix (article 7).

[52]            L'article 18 traite des fonctions des membres. Cette disposition est ainsi libellée :


18. Sous réserve des ordres du commissaire, les membres qui ont qualité d'agent de la paix sont tenus :

18. It is the duty of members who are peace officers, subject to the orders de la Commissioner,

a) de remplir toutes les fonctions des agents de la paix en ce qui concerne le maintien de la paix, la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et à celles en vigueur dans la province où ils peuvent être employés, ainsi que l'arrestation des criminels, des contrevenants et des autres personnes pouvant être légalement mises sous garde;

(a) to perform all duties that are assigned to peace officers in relation to the preservation of the peace, the prevention of crime and of offences against the laws of Canada and the laws in force in any province in which they may be employed, and the apprehension of criminals and offenders and others who may be lawfully taken into custody;

b) d'exécuter tous les mandats - ainsi que les obligations et services s'y rattachant - qui peuvent, aux termes de la présente loi, des autres lois fédérales ou de celles en vigueur dans une province, légalement l'être par des agents de la paix;

(b) to execute all warrants, and perform all duties and services in relation thereto, that may, under this Act or the laws of Canada or the laws in force in any province, be lawfully executed and performed by peace officers;

c) de remplir toutes les fonctions qui peuvent être légalement exercées par des agents de la paix en matière d'escorte ou de transfèrement de condamnés, ou d'autres personnes sous garde, à destination ou à partir de quelque lieu que ce soit    : tribunal, asile, lieu de punition ou de détention, ou autre;

(c) to perform all duties that may be lawfully performed by peace officers in relation to the escort and conveyance of convicts and other persons in custody to or from any courts, places of punishment or confinement, asylums or other places; and

d) d'exercer les autres attributions déterminées par le gouverneur en conseil ou le commissaire.

d) to perform such other duties and functions as are prescribed by the Governor in Council or the Commissioner.


[53]            Je tiens à ajouter que l'article 17 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988) prévoit qu'il incombe aux membres qui sont agents de la paix de faire respecter la loi et régner l'ordre dans les provinces et les municipalités avec lesquelles le ministre a conclu des arrangements en vertu de l'article 20 de la Loi et d'exercer les autres fonctions qui y sont prévues.

[54]            Comme il en a été fait mention, le règlement de la présente affaire dépend de l'interprétation de l'article 10 de la Loi sur la GRC que je reproduirai encore une fois, pour plus de commodité :


10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la nomination et l'emploi du personnel civil nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

10. (1) Subject to subsection (2), the civilian employees that are necessary for carrying out the functions and duties of the Force shall be appointed or employed under the Public Service Employment Act.

10(2) Personnel temporaire

(2) Le commissaire peut employer du personnel civil temporaire, dans les limites et les conditions de rémunération ou autres fixées par le Conseil du Trésor. Il a, à son égard, tout pouvoir de congédiement ou de renvoi.

10(2) Temporary personnel civil

(2) The Commissioner may employ such number of temporary civilian employees at such remuneration and on such other terms and conditions as are prescribed by the Treasury Board, and may at any time dismiss or discharge any such employee.


[55]            Il s'agit plus précisément de savoir quelle est la portée des mots « nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie » tels qu'ils figurent dans cette disposition.

[56]            En d'autres termes, les attributions de la Gendarmerie sont-elles limitées à celles que la GRC exerce en sa qualité de force de police pour le Canada (la force fédérale de police) ou ces attributions englobent-elles celles que la GRC exerce à titre de force provinciale de police ou de force municipale de police conformément aux ententes conclues en vertu de l'article 20 de la Loi.

[57]            Un aspect de l'interprétation législative que je retiens est tiré de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, où le juge Iacobucci a dit ce qui suit, aux paragraphes 21 à 23 :


21 Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes » ); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

22 Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables » .

23 Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur, le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.

[58]            L'autre aspect de l'interprétation législative que je retiens est la présomption selon laquelle il faut interpréter les lois conformément à l'intention du Parlement ou de la législature, de façon à respecter les limites juridictionnelles constitutionnelles. C'est sous cet angle que les tribunaux judiciaires interprètent un texte législatif, ils choisissent l'interprétation qui respecte les limites constitutionnelles plutôt qu'une interprétation législative qui va à l'encontre des normes constitutionnelles.


[59]            Compte tenu de ces principes, j'énoncerai certains principes constitutionnels sous-tendant la requête en jugement sommaire présentée par la Couronne fédérale. Ces principes sont tirés de l'ouvrage de Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 4e éd., Carswell 1997, et en particulier du chapitre 19, intitulé [TRADUCTION] « Justice criminelle » qui commence à la page 505, et de la description des services de police tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial (pages 512 à 518).


[60]            Premièrement, le pouvoir législatif provincial en matière d'administration de la justice s'étend à l'administration de la justice criminelle, ce qui inclut la prestation de services de police. Deuxièmement, il a été reconnu que chaque province a le pouvoir d'établir une force de police, ce qui comprend le pouvoir de nommer et surveiller les membres de cette force de police et de prendre contre eux des mesures disciplinaires. Troisièmement, la force provinciale de police a le pouvoir d'appliquer non seulement les lois pénales provinciales (article 92.15), mais aussi le Code criminel fédéral. Quatrièmement, les forces municipales de police sont constituées en vertu des lois provinciales. Cinquièmement, huit provinces n'ont pas établi des forces provinciales de police, mais [TRADUCTION] « louent » la force fédérale de police, la GRC, en vertu d'ententes selon lesquelles la GRC fournit des services de police à la province. Les services assurés se rapportent à l'application du Code criminel fédéral, des lois provinciales et des règlements municipaux. Sixièmement, certaines municipalités dans les huit provinces qui louent les services de police ont leurs propres forces de police établies en vertu des lois provinciales. La plupart des municipalités de ces provinces ont également eu recours à la GRC pour appliquer le Code criminel, les lois provinciales et les règlements municipaux. Septièmement, les ententes sur les services de police sont autorisées du côté fédéral par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et du côté provincial par une disposition de la Provincial Police Act. Voici ce que dit Peter Hogg à la page 514 :

[TRADUCTION] Cela veut dire que le droit législatif provincial et le droit législatif fédéral autorisent la GRC à assurer les services de police provinciaux et municipaux en vertu d'un contrat.

Huitièmement, la GRC, lorsqu'elle assure des services provinciaux de police et des services municipaux de police en vertu d'un contrat, est assujettie à la direction du procureur général provincial (ou d'un autre ministre provincial responsable des services de police). Toutefois, la GRC est également régie par la Loi et par son règlement d'application et elle relève du commissaire, qui est responsable devant le solliciteur général fédéral.


[61]            Dans son ouvrage, Peter Hogg mentionne un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur les limites du pouvoir législatif provincial relativement à la GRC; je me propose d'examiner certains de ces arrêts. Le premier est Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1979] 1 R.C.S. 218 (l'arrêt Keable). Cet arrêt se rapportait à la constitutionnalité d'une commission provinciale d'enquête concernant des activités criminelles impliquant des membres de la GRC. Dans cette décision, il a été statué que, entre autres choses, une commission d'enquête établie par une province pourrait enquêter sur les activités criminelles précises de membres de la GRC, soit une question relevant de l'administration de la justice. Le juge Pigeon, au nom de la majorité, a fait remarquer qu'étant donné que les membres de la GRC exerçaient leurs attributions sous l'autorité d'une loi fédérale, les conséquences étaient les suivantes :

On ne conteste pas que l'établissement et l'administration de cette police dans le cadre du gouvernement du Canada relèvent de l'autorité du Parlement. Il est donc évident qu'aucune autorité provinciale ne peut s'ingérer dans son administration. Le personnel de la Gendarmerie royale ne jouit d'aucune immunité contre le pouvoir des autorités provinciales appropriées de faire enquête et d'instituer des poursuites en cas d'actes criminels commis par l'un d'eux comme par toute autre personne, mais ces autorités provinciales ne peuvent en prendre prétexte pour faire enquête sur l'administration et la gestion de cette police.

[62]            La Cour suprême du Canada a donc radié l'aspect du mandat de la commission d'enquête qui autorisait une enquête sur les méthodes employées par la force fédérale parce qu'il s'agissait d'un aspect essentiel de son administration.

[63]            Le deuxième arrêt mentionné par Peter Hogg, précité, est Alberta (Procureur général) c. Putnam, [1981] 2 R.C.S. 267.

[64]            Cette affaire se rapportait à une plainte de harcèlement qu'un citoyen avait déposée à la suite d'une descente contre deux agents de la GRC qui étaient affectés à des fonctions de police à Wetaskiwin (Alberta) conformément à une entente sur les services municipaux de police. Le commandant divisionnaire de la GRC en Alberta avait enquêté sur la plainte et avait conclu qu'elle était sans fondement. Le plaignant en a appelé au Law Enforcement Appeal Board établi en vertu de l'article 33 de la Provincial Police Act.


[65]            La Cour a examiné la question de savoir si la province pouvait appliquer les dispositions de la Police Act portant sur les enquêtes pour examiner la conduite et les procédés des agents de la GRC de service qui exerçaient des fonctions de police dans la province.

[66]            Dans les motifs qu'il a rédigés au nom de la majorité, le juge en chef Laskin a statué qu'il fallait répondre par la négative à la question constitutionnelle parce que le mandat du Law Enforcement Appeal Board comprenait l'imposition d'une peine - une question se rapportant à la gestion interne de la Gendarmerie, ce qui allait donc à l'encontre de ce qui avait été statué dans l'arrêt Keable.

[67]            Plus précisément, le juge en chef a dit, à la page 277, qu'il importait peu que la plainte de harcèlement soit liée à une enquête menée en vertu de la Loi sur les stupéfiants fédérale, puisqu'il s'agissait d'une activité exclue de la définition des « services municipaux de police » . Le juge en chef a statué que la réponse ne serait pas différente si le détachement de la GRC s'occupait de l'application du droit criminel, de lois provinciales ou de règlements municipaux. Voici ce qu'il a dit :

Il me paraît ni possible ni utile de diviser les fonctions d'application de la loi du détachement de la GRC afin d'établir si à certains égards ses membres sont assujettis aux procédures de The Police Act, 1973 et si à d'autres égards ils ne le sont pas. Le code de discipline de la GRC s'applique aux agents de cette gendarmerie quelles que soient leurs fonctions, et l'autorisation de conclure des contrats sur les services de police avec une province ou une municipalité ne soustrait pas, comme le précise expressément la clause 2 du contrat en l'espèce, les agents de la GRC à l'autorité disciplinaire fédérale.

[68]            À la page 278, le juge en chef a dit ce qui suit :


       Je tiens à préciser, avant de trancher ce pourvoi, que je reconnais que les dispositions concernant des services de police prises en vertu d'un contrat, celui en l'espèce ou un autre, intervenu entre la province et la GRC revêtent un certain intérêt pour les provinces. La province, au moyen de ce contrat, a simplement conclu une entente globale aux termes de laquelle les services de police sont assurés par l'engagement de la gendarmerie fédérale plutôt que par l'établissement, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une institution municipale, de son propre corps de police. Les parties ont évidemment un intérêt constant à remplir leurs rôles respectifs conformément au contrat, ne serait-ce qu'en raison de la perspective toujours présente des négociations en vue d'un renouvellement. La province de l'Alberta, par exemple, a nécessairement un intérêt à ce que l'entente soit efficace, non seulement du point de vue économique ou du bon fonctionnement, mais aussi du point de vue du rapport entre le gouvernement de l'Alberta à travers ses ententes concernant les services de police et la collectivité qui bénéficie de ces ententes. On est cependant bien loin du droit d'une partie contractante de s'immiscer dans le mode de fonctionnement adopté par l'autre partie contractante pour assurer les services visés par l'entente. Cela tient en dépit d'un empêchement constitutionnel comme celui qui a été invoqué en l'espèce de façon tout aussi claire que dans l'affaire Keable, précitée. Je dis cela non pas pour diminuer l'effet des observations faites sur la question directement soulevée en l'espèce, mais pour mettre en contraste la position de la GRC, en tant qu'institution fédérale, et l'intérêt qu'a la province à ce que des services de police soient fournis partout sur son territoire. En l'espèce on ne peut prétendre que les divers paragraphes de l'art. 33 dont j'ai déjà fait mention ont leur racine dans cet intérêt provincial.                                    [Non souligné dans l'original.]

[69]            Les dispositions relatives aux jugements sommaires des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) se trouvent aux articles 213 à 218. L'article 216 prévoit ce qui suit :


216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est    :

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l'instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or


b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l'action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d'une instance à gestion spéciale.

(4) Where a motion for summary judgment is dismissed in whole or in part, the Court may order the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, to proceed to trial in the usual way or order that the action be conducted as a specially managed proceeding.


[70]            Selon moi, la requête en jugement sommaire que la Couronne fédérale a présentée ne soulève pas de questions de fait litigieuses importantes puisque la seule question à trancher est une question de droit qui a été pleinement débattue. Eu égard aux circonstances, je n'hésite pas à me prononcer sur la question.

[71]            Sur le plan constitutionnel, les autorités fédérales et les autorités provinciales ont le pouvoir législatif voulu pour établir une force de police dans leurs sphères distinctes de compétence législative, cette force étant essentiellement composée d'agents et de membres qui assurent des services de police en tant que tels.

[72]            Afin d'être en mesure d'exercer ses attributions, une force de police doit être appuyée par un personnel civil, plutôt que par les membres de la force eux-mêmes.

[73]            L'article 10 de la Loi fait une distinction entre les membres de la GRC et le personnel civil de soutien; il établit la façon dont leurs relations de travail seront régies. (Voir en général Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, pour ce qui est de l'exclusion prévue par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en ce qui concerne la représentation des membres de la GRC).

[74]            Je ne puis retenir l'argument avancé par l'avocat de l'AFPC selon lequel l'article 10 de la Loi impose des conditions globales aux provinces et municipalités qui veulent que la GRC fournisse des services de police dans leur territoire, ce qui exige un personnel civil de soutien composé de fonctionnaires fédéraux pour assurer le fonctionnement de la GRC.

[75]            Je suis d'accord avec l'avocat de la Couronne fédérale pour dire que l'obligation de la GRC d'être appuyée par des employés nommés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est limitée au soutien des officiers et membres de la Gendarmerie à l'égard des attributions qu'ils exercent en leur qualité de force fédérale de police pour le Canada.

[76]            Je souscris à cet avis parce qu'il s'agit, me semble-t-il, de l'avis qui est le plus conforme au texte de l'article 10, s'il est interprété dans le contexte de la Loi dans son ensemble et conformément aux principes constitutionnels sous-tendant la prestation de services de police au niveau fédéral, provincial et municipal.

[77]            En réalité, la GRC ne s'est vu conférer aucun mandat législatif sur le plan constitutionnel ou autrement en vue d'agir comme force provinciale de police dans une province particulière ou comme force municipale de police dans certaines municipalités.

[78]            La GRC peut uniquement fournir les services dans ces provinces et collectivités si une entente mutuellement acceptable autorisant leur présence à cet endroit est négociée et conclue.

[79]            La jurisprudence nous enseigne que certaines questions ne sont pas négociables sur le plan constitutionnel - la nomination, la discipline et la direction des officiers et membres de la GRC - mais je ne vois pas pourquoi il faudrait étendre cette restriction aux modalités de nomination et aux relations de travail du personnel de soutien lorsqu'il agit autrement qu'à titre de personnel de soutien de la force fédérale de police. Il s'agit d'une question qu'il est préférable de négocier plutôt que d'imposer.

[80]            En l'espèce, un employé municipal peut en fait parfois appuyer un membre de la GRC dans ses activités de police fédérales et vice-versa, un employé fédéral peut parfois aider un officier de la GRC qui agit à titre de membre de la force municipale de police.


[81]            Le dossier montre que la nature des services de soutien qui sont fournis est fondamentalement la même, peu importe que des services de police fédéraux, provinciaux ou municipaux soient en cause, et que dans les deux villes, un employé municipal aide fondamentalement les membres de la GRC dans leurs fonctions municipales, mais non d'une façon exclusive. Le personnel civil de soutien nommé par les autorités fédérales aide principalement la Gendarmerie à exercer ses fonctions provinciales de police à la suite de négociations et à exercer ses fonctions fédérales de police en application de la loi et peut accessoirement appuyer les membres de la Gendarmerie agissant en leurs qualités de membres de la force municipale de police.

[82]            En l'absence d'une allégation de mauvaise foi ou de détournement de pouvoir, et aucune allégation de ce genre n'a été faite en l'espèce, je ne puis rien voir de mal à ce type de partage accessoire des tâches avec le personnel civil de soutien qui aide la GRC. Notre constitution n'empêche pas de tels arrangements, dont le but est de remédier en collaboration aux difficultés découlant du partage constitutionnel des pouvoirs législatifs. (Voir d'une façon générale Renvoi relatif à la Loi sur l'organisation des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198 et Québec (Commission du salaire minimum) c. Construction Montcalm Inc., [1979] 1 R.C.S. 754.)

[83]            Pour ces motifs, un jugement sommaire sera rendu avec dépens en faveur de la défenderesse; l'action de l'AFPC sera rejetée avec dépens.

                                                                                              « François Lemieux »                 

                                                                                                                          Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-2091-00

INTITULÉ :                                                                     L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                           demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                            défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 16 juin 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                      le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                 le 8 janvier 2004

COMPARUTIONS :

David Yazbeck                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Alain Préfontaine                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron et Ballantyne                               POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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