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Date : 20000512

Dossier : T-2034-91

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE PELLETIER

ENTRE :

TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS DU CANADA,

défenderesse.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         La défenderesse, Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Travaux publics du Canada (la Couronne), formule une requête en jugement sommaire en vue d'obtenir le rejet de l'action intentée par la demanderesse, Trevor Nicholas Construction Co. Limited (Trevor Nicholas). Trevor Nicholas a engagé une action contre la Couronne après que celle-ci a refusé de lui attribuer un contrat de construction pour lequel elle avait présenté la soumission la plus basse. La présente requête nécessite d'examiner la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêtOntario c. Ron Engineering and Construction (Eastern) Ltd. [1981] 1 R.C.S. 111, (1981) 35 N.R. 40, à la lumière de la solution que cette même Cour a apporté plus récemment à la même question dans l'arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée [1999] 1 R.C.S. 619, [1999] A.C.S. no 17.

[2]         Trevor Nicholas est un entrepreneur relativement petit dont l'âme dirigeante est John Susin. M. Susin a obtenu une autorisation spéciale de la Cour pour pouvoir représenter Trevor Nicholas. Trevor Nicholas a présenté une soumission pour le dragage et la construction d'un bassin de service maritime à Meaford, en Ontario. Ce projet a fait l'objet d'un appel d'offres fondé sur des modalités et conditions normalisées, qui seront énoncées aux présentes. Le concours se terminait le 18 octobre 1990. Le 24 octobre 1990, un agent de la Couronne s'est entretenu par téléphone avec chacun des soumissionnaires afin de discuter des méthodes de construction que chacun envisageait d'utiliser. Se fondant sur ces entretiens et sur d'autres renseignements en sa possession, la Couronne a décidé d'attribuer le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire. Trevor Nicholas a alors introduit la présente action, invoquant l'analyse faite dans l'arrêt Ron Engineering, précité, et sur les autres affaires qui l'ont suivi.

[3]         Le dossier d'appel d'offres se composait des éléments suivants : un appel d'offres, un avis d'appel d'offres, des instructions à l'intention des soumissionnaires, un formulaire de soumission comprenant quatre annexes, un exemplaire de la formule du marché à conclure avec l'entreprise retenue, les conditions générales du marché et les conditions particulières applicables, le cahier des charges ainsi que l'évaluation géophysique de l'emplacement. Il était mentionné dans l'appel d'offres que les soumissions pour le projet tel qu'il était décrit seraient reçues aux date, heure et lieu précisés dans l'appel d'offres. L'appel d'offres se terminait par la phrase suivante : [TRADUCTION] « La soumission la plus basse ne sera pas nécessairement acceptée, ni aucune autre soumission » .


[4]         Les instructions donnaient des directives détaillées aux soumissionnaires et soumissionnaires éventuels leur expliquant comment préparer leur soumission et leur indiquant ce que celle-ci devait contenir. Ces instructions précisaient, entre autres, ce qui suit :

-            La soumission doit être présentée sur le formulaire fourni; aucun autre formulaire ne sera accepté.

-            La soumission doit parvenir au bureau désigné pour la réception des soumissions au plus tard à la date et à l'heure limites de réception. Les soumissions soumises après ce délai seront retournées.

-            Il est possible d'apporter des modifications à la soumission à la condition que ces modifications soient reçues avant la date et l'heure limites prévues pour l'appel d'offres.

-            Lorsque les matériaux reconnus comme acceptables pour le projet sont désignés par une appellation commerciale ou par le nom d'un fabricant, la soumission doit se fonder sur ces matériaux, sauf si des matériaux de remplacement sont approuvés et que les renseignements les concernant sont communiqués à tous les soumissionnaires par addenda.

-            Les dragues et tout autre outillage flottant doivent être immatriculés au Canada ou être homologués par Industrie, Sciences et Technologie Canada. Le certificat doit être joint à la soumission.

-            La soumission la plus basse ne sera pas nécessairement acceptée, ni aucune autre soumission ( « clause de réserve » ).


[5]         Le reste des documents contractuels étaient relativement typiques. Il ne se soulève aucune question sur leurs clauses particulières.

[6]         À l'ouverture des soumissions, on a constaté que Trevor Nicholas présentait la soumission la plus basse, s'élevant à 322 018 $, suivie d'une autre soumission se montant à 326 395 $. Le fonctionnaire du ministère chargé de l'évaluation des soumissions a recommandé que le contrat soit attribué au deuxième plus bas soumissionnaire, une recommandation qui a finalement été acceptée.

[7]         Pour recommander que le contrat soit attribué au deuxième plus bas soumissionnaire, la Couronne s'est fondée sur son évaluation de la soumission de Trevor Nicholas, laquelle était négative sur certains points :

-            On considérait que la barge que Trevor Nicholas se proposait d'utiliser était en mauvais état et on pouvait se demander si elle serait propre à l'usage auquel on la destinait.

-            Les méthodes proposées par Trevor Nicholas ne correspondaient pas à celles qu'envisageait la Couronne. Celle-ci s'attendait à ce que le port soit dragué et les matières retirées. Trevor Nicholas proposait de construire une digue à l'embouchure du bassin, d'assécher le bassin par pompage et de creuser dans le sec. La Couronne n'était pas convaincue que la digue prévue par Trevor Nicholas serait suffisante pour permettre de pomper l'eau et de maintenir le bassin sec.

-            John Susin, l'âme dirigeante de Trevor Nicholas, apparaissait peu expérimenté en matière de dragage et il avait perdu un autre contrat au cours de cette même saison de construction.


[8]         Trevor Nicholas soutient que l'évaluation de sa soumission est gravement viciée, et ce, pour les raisons suivantes :

-            Dans sa proposition, elle envisageait la construction d'une digue étanche et non du brise-lames en pierre décrit par la Couronne. La digue aurait été adéquate pour permettre l'assèchement efficace du bassin.

-            Sa proposition ne dépendait pas de l'utilisation de la barge indiquée dans sa soumission, puisqu'il était prévu d'avoir recours à une pelle à benne traînante et de retenir les services d'un conducteur pour construire la digue.

-            De toute façon, la barge avait été réparée et, selon un expert maritime, elle était propre à l'usage auquel on la destinait.

-            La Couronne aurait dû discuter des méthodes proposées de Trevor Nicholas avec John Susin si elle n'était pas convaincue que celles-ci étaient faisables.

[9]         Le 6 août 1991, Trevor Nicholas a fait délivrer une déclaration contre la Couronne, alléguant qu'elle avait agi de façon inéquitable à son endroit, que la présentation d'une soumission remplissant toutes les conditions avait entraîné la formation d'un contrat entre la demanderesse et la défenderesse et que la Couronne avait omis de respecter une condition implicite de ce contrat selon laquelle le contrat serait attribué au moins-disant qui remplissait les conditions. Dans sa défense, la Couronne invoque la clause de réserve et remet en question les méthodes et l'équipement proposés par Trevor Nicholas, de même que sa compétence pour effectuer les travaux.


[10]       Les deux parties invoquent la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, précité, pour étayer leurs positions respectives. Le juge Iacobucci, rédigeant les motifs de la Cour, résume la question que soulève cet arrêt de la manière suivante dans le premier paragraphe :

La question centrale soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si l'insertion d'une « clause de réserve » dans le dossier d'appel d'offres permet à la personne qui lance l'appel d'offres (le « propriétaire » ) d'écarter la soumission la plus basse pour en retenir une autre, y compris une soumission non conforme. L'arrêt faisant autorité au Canada en matière d'appels d'offres est R. du chef de l'Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111, qui porte sur les obligations de l'entrepreneur qui présente une soumission en réponse à un appel d'offres. Notre Cour a conclu que, dès la présentation de la soumission dans cette affaire, il y avait eu formation entre l'entrepreneur et le propriétaire d'un contrat aux termes duquel l'entrepreneur était assujetti à certaines obligations. Le contrat, appelé « contrat A » , se distinguait du contrat d'entreprise, appelé « contrat B » , qui devait être conclu si la soumission était acceptée. Le contrat A imposait certaines obligations à l'entrepreneur. Le présent pourvoi pose plutôt la question de savoir s'il y a eu formation du contrat A en l'espèce et quelles obligations, s'il en est, il impose au propriétaire. M.J.B. Enterprises Ltd. ( « l'appelante » ) prétend que dans les circonstances de la présente espèce, Construction de Défense (1951) Limitée ( « l'intimée » ) était tenue d'accepter la soumission valide la plus basse. L'intimée soutient que la clause de réserve empêche de conclure à l'existence d'une telle obligation.

[11]      Le juge Iacobucci a commencé son analyse en examinant l'arrêt Ron Engineering, précité, et a conclu que, dans bien des cas, les tribunaux lui avaient prêté une interprétation trop large :

Les prétentions des parties dans le présent pourvoi semblent laisser entendre que l'arrêt Ron Engineering permet d'affirmer que la présentation d'une soumission entraîne toujours la formation d'un contrat A et qu'une des conditions de ce contrat est l'irrévocabilité de la soumission. En effet, la plupart des tribunaux de juridiction inférieure ont interprété l'arrêt Ron Engineering dans ce sens. [...] Par conséquent, il est toujours possible que le contrat A ne soit pas formé dès la présentation d'une soumission, ou qu'il y ait formation du contrat A mais que l'irrévocabilité de la soumission n'en soit pas une condition; cela dépend des conditions de l'appel d'offres. Dans la mesure où l'arrêt Ron Engineering donne à penser le contraire, je m'abstiens de le suivre.

[12]      Le résultat de l'analyse du juge Iacobucci, et le principe d'application générale qui se dégage de l'arrêt M.J.B., précité, est le suivant :

L'important, donc, c'est que la présentation d'une soumission en réponse à un appel d'offres peut donner naissance à des obligations contractuelles tout à fait distinctes des obligations découlant du contrat d'entreprise qui doit être conclu dès l'acceptation de la soumission, selon que les parties auront voulu établir des rapports contractuels par la présentation d'une soumission. Advenant la formation d'un tel contrat, ses modalités sont régies par les conditions de l'appel d'offres.


[13]      Ainsi, pour savoir si la présentation d'une soumission fait naître des obligations et des droits légaux entre les parties, il faut examiner « les conditions de l'appel d'offres » . En droit, de telles obligations ne se forment que si « les conditions de l'appel d'offres » le prévoient, et la nature de ces obligations, le cas échéant, ressort uniquement de ces conditions.

[14]      D'après les faits qui lui étaient soumis, le juge Iacobucci a conclu que la présentation d'une soumission en réponse à un appel d'offres avait effectivement donné naissance à des obligations contractuelles :

En l'espèce, je suis convaincu que c'était bien l'intention des parties. En sollicitant des soumissions au moyen d'un processus officiel d'appel d'offres comportant de la documentation et des conditions complexes, l'intimée a, à tout le moins, offert d'examiner des soumissions en vue de la conclusion du contrat B. En présentant sa soumission, l'appelante a accepté cette offre. La présentation de la soumission est une contrepartie valable de la promesse de l'intimée, puisque la soumission, préparée à grands frais par l'appelante et accompagnée de la garantie de soumission, représentait un avantage pour l'intimée.

[15]      D'après moi, cette analyse a pour effet d'en arriver au même point que le juge Estey dans l'arrêt Ron Engineering, précité, à savoir que la présentation d'une soumission entraîne la formation d'un contrat. Tous les cas d'appel d'offres commercial supposent l'existence d'un dossier d'appel d'offres complexe et normalisé qui amène le soumissionnaire à engager des frais pour la préparation de la soumission. C'est une question de faits et non une implication juridique nécessaire, mais ces faits sont tellement courants que le résultat en est le même[1]. Ce résultat est peut-être dicté par le désir de maintenir l'irrévocabilité des soumissions, un résultat qui peut plus facilement être atteint dans le cadre d'une analyse du « contrat A » . Il est possible que l'irrévocabilité ne puisse être obtenue qu'au moyen d'un échange de contreparties, une promesse contre une promesse. La promesse du soumissionnaire de ne pas retirer sa soumission doit entraîner l'examen de celle-ci par le propriétaire; d'où la promesse d'examiner les soumissions dont fait état le juge Iacobucci dans son analyse.


[16]      Ayant conclu que la présentation d'une soumission avait donné naissance à un contrat, le juge Iacobucci a examiné ensuite le dossier d'appel d'offres afin d'établir quelles étaient les obligations des deux parties aux termes de ce contrat. Selon lui, aucune condition explicite n'obligeait à attribuer le contrat au plus bas soumissionnaire conforme. Cependant, en se fondant sur l'intention présumée des parties, il a conclu à l'existence d'une condition implicite portant que le propriétaire n'examinerait que les soumissions conformes à toutes les exigences énoncées dans le dossier d'appel d'offres. Il en est arrivé à cette conclusion après avoir relevé, dans ce dossier, les clauses susceptibles d'entraîner l'invalidité d'une soumission pour non conformité :

-           les soumissions reçues après la date et l'heure de clôture;

-           les soumissions qui ne sont pas présentées sur le formulaire fourni;

-           les soumissions auxquelles sont jointes des documents autres que le formulaire de soumission et la garantie;

-           les soumissions dont le formulaire a été modifié ou qui n'est pas rempli complètement;

-           les soumissions fondées sur des matériaux autres que ceux qui sont précisés.

[17]      Le juge Iacobucci s'est également penché sur l'effet du certificat donné par le soumissionnaire qui atteste qu'il s'est informé des conditions relatives à l'emplacement et qu'il a examiné les plans et le devis descriptif, et qui reconnaît que l'omission d'agir ainsi ne le libérera pas de son obligation de conclure un contrat de construction si sa soumission est retenue.

[18]      Le juge Iacobucci a conclu, compte tenu des conditions mentionnées ci-dessus et d'autres qui ne sont pas repris dans les présents motifs, qu'il existait une intention claire de n'accepter que les soumissions conformes, c'est-à-dire celles qui satisfaisaient aux exigences énoncées dans le dossier d'appel d'offres, puisque les allusions répétées à l'invalidité n'auraient pas eu de sens si le propriétaire était tout de même libre de retenir des soumissions non conformes.


[19]      Enfin, le juge Iacobucci a examiné le lien entre la clause de réserve et la condition implicite selon laquelle le propriétaire ne prendrait en compte que les soumissions conformes. Il a conclu que cette clause n'écartait pas l'obligation de n'accepter que les soumissions conformes. Selon lui, il existait une compatibilité entre les objectifs de chacune de ces deux conditions, en ce qu'elles visaient toutes deux à normaliser les soumissions parmi lesquelles le propriétaire pourrait retenir la soumission conforme qui lui serait la plus avantageuse en tenant compte de facteurs autres que le simple prix. Même si la clause de réserve permettait au propriétaire de ne pas être tenu d'accepter la soumission conforme la plus basse, elle lui interdisait de retenir une soumission non conforme. Cette conclusion s'appuyait alors sur les éléments de preuve produits au cours de l'instruction de l'action.

[20]      Par conséquent, il est possible d'affirmer que, depuis l'arrêt M.J.B, précité, l'état du droit sur la question de savoir si la présentation d'une soumission en réponse à un appel d'offres donne naissance à des obligations contractuelles entre les parties est une question d'interprétation. Le cas échéant, la nature des obligations créées se trouve définie dans les conditions mêmes du dossier d'appel d'offres. Quant à l'effet de la clause de réserve, il doit être établi à l'aide de ces mêmes documents.

[21]      Avant d'appliquer ces principes aux faits de l'espèce, je tiens à signaler que je suis saisi d'une requête en jugement sommaire. Ces requêtes sont régies par les règles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998) :



213. (1) A plaintiff may, after the defendant has filed a defence, or earlier with leave of the Court, and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment on all or part of the claim set out in the statement of claim.

Where available to defendant

(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.

214. (1) A party may bring a motion for summary judgment in an action by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

(2) A party served with a motion for summary judgment shall serve and file a respondent's motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

215. A response to a motion for summary judgment shall not rest merely on allegations or denials of the pleadings of the moving party, but must set out specific facts showing that there is a genuine issue for trial.

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

(4) Where a motion for summary judgment is dismissed in whole or in part, the Court may order the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, to proceed to trial in the usual way or order that the action be conducted as a specially managed proceeding.

217. A plaintiff who obtains summary judgment under these Rules may proceed against the same defendant for any other relief and against any other defendant for the same or any other relief.

218. Where summary judgment is refused or is granted only in part, the Court may make an order specifying which material facts are not in dispute and defining the issues to be tried, including an order

(a) for payment into court of all or part of the claim;

(b) for security for costs; or

(c) limiting the nature and scope of the examination for discovery to matters not covered by the affidavits filed on the motion for summary judgment or by any cross-examination on them and providing for their use at trial in the same manner as an examination for discovery.

219. In making an order for summary judgment, the Court may order that enforcement of the summary judgment be stayed pending the determination of any other issue in the action or in a counterclaim or third party claim.

213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur -- ou avant si la Cour l'autorise -- et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

214. (1) Toute partie peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une action en signifiant et en déposant un avis de requête et un dossier de requête au moins 20 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis.

(2) La partie qui reçoit signification d'une requête en jugement sommaire signifie et dépose un dossier de réponse au moins 10 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis de requête.

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l'instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l'action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d'une instance à gestion spéciale.

217. Le demandeur qui obtient un jugement sommaire aux termes des présentes règles peut poursuivre le même défendeur pour une autre réparation ou poursuivre tout autre défendeur pour la même ou une autre réparation.

218. Lorsqu'un jugement sommaire est refusé ou n'est accordé qu'en partie, la Cour peut, par ordonnance, préciser les faits substantiels qui ne sont pas en litige et déterminer les questions qui doivent être instruites, ainsi que :

a) ordonner la consignation à la Cour d'une somme d'argent représentant la totalité ou une partie de la réclamation;

b) ordonner la remise d'un cautionnement pour dépens;

c) limiter la nature et l'étendue de l'interrogatoire préalable aux questions non visées par les affidavits déposés à l'appui de la requête en jugement sommaire, ou limiter la nature et l'étendue de tout contre-interrogatoire s'y rapportant, et permettre l'utilisation de ces affidavits lors de l'interrogatoire à l'instruction de la même manière qu'à l'interrogatoire préalable.

219. Lorsqu'elle rend un jugement sommaire, la Cour peut surseoir à l'exécution forcée de ce jugement jusqu'à la détermination d'une autre question soulevée dans l'action ou dans une demande reconventionnelle ou une mise en cause


[22]      Les règles sur les jugements sommaires visent à fournir un outil permettant à la Cour de statuer sur les demandes qui n'ont aucune chance raisonnable d'être accueillies, sans la nécessité de tenir un procès avec tout ce que cela comporte de frais et de délais. Les Règles de la Cour fédérale (1998) vont plus loin que bien des règles de procédure des cours supérieures des provinces en ce qu'elles permettent à la Cour de prononcer un tel jugement même lorsque les faits peuvent être contestés, à la condition qu'elle ait devant elle suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir tirer des conclusions de fait.


[23]      Les principes applicables à une requête de ce genre ont été énoncés par le juge Evans (tel était son titre) dans l'arrêt F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology Inc., [1999] A.C.F. no 526. Au sujet du fondement factuel de ce type de requête, le juge Evans écrit ce qui suit :

Il me semble que la tendance générale dans la jurisprudence de notre Cour est d'interpréter littéralement les principes régissant les jugements sommaires de manière à forcer le juge saisi de la requête à « examiner de près » la preuve pour décider s'il existe des questions de fait qui justifient bel et bien le type d'évaluation et d'appréciation de la preuve qui reviennent légitimement à l'arbitre des faits.

[24]      Il ne suffit pas de simplement soulever une éventuelle question litigieuse quant aux faits pour entraîner le rejet d'une requête en jugement sommaire; le juge est fondé à examiner la preuve de près pour décider s'il existe une véritable question litigieuse quant aux faits qui nécessite de faire appel aux moyens d'appréciation des faits qu'offre une instruction.

[25]      En l'espèce, les faits requis pour se prononcer sur l'effet contractuel du dossier d'appel d'offres et sur la clause de réserve ne sont pas litigieux et se composent principalement du dossier lui-même.

[26]      L'acte de procédure de Trevor Nicholas comprend trois paragraphes fondamentaux pour sa position :

11.        La défenderesse a traité la demanderesse de façon inéquitable.

12.       La présentation de la soumission la plus basse qui remplissait toutes les conditions constitue un contrat entre la défenderesse et la demanderesse.

13.       La défenderesse a manqué à une condition implicite de ce contrat, selon laquelle le marché serait attribué au moins-disant qui remplissait les conditions.


[27]      Je reviendrai sur la question de l'équité. L'allégation énoncée au paragraphe 12 soulève la question de l'existence du « contrat A » , tandis que l'allégation du paragraphe 13, porte sur le contenu d'un tel contrat. Si l'un de ces paragraphes est erroné en droit, l'argument fondé sur le « contrat A » échoue.

[28]      En l'espèce, la Couronne a présenté, aux entrepreneurs, un appel d'offres comportant de la documentation normalisée et relativement complexe. Même si Trevor Nicholas n'a présenté aucune preuve précisant quels efforts et quelle somme d'argent elle a consacrés à la préparation de sa soumission, on peut déduire qu'il a certainement fallu qu'elle investisse des efforts et de l'argent pour remplir la soumission. Les instructions à l'intention des soumissionnaires prévoyaient qu'il fallait joindre une garantie à la soumission. Encore une fois, aucune preuve n'a été produite quant aux frais entraînés par le dépôt de cette garantie, mais, encore une fois, on peut déduire qu'il en a coûté quelque chose. Les faits propres à la présentation de la soumission sont tout à fait identiques aux facteurs que le juge Iacobucci a relevé pour conclure à la formation d'un contrat par la présentation d'une soumission en réponse à un appel d'offres. Sur ce fondement, je crois devoir conclure que la présentation d'une soumission par Trevor Nicholas en réponse à un appel d'offres lancé par la Couronne a donné naissance à un contrat entre ces deux parties.


[29]      Passons maintenant au contenu du contrat. Trevor Nicholas affirme que le contrat comprend une condition selon laquelle le marché sera attribué au soumissionnaire le moins disant qui remplit les conditions. L'analyse des conditions de l'appel d'offres conduit à une conclusion différente. La seule clause qui porte expressément sur la question de l'attribution confère à la Couronne le droit de ne pas attribuer le marché suivant la soumission la plus basse. Il se pourrait que cette clause souffre d'une réserve concernant l'acceptation des soumissions non conformes, comme c'était le cas dans l'arrêt M.J.B Enterprises, précité, mais puisqu'il est évident que la soumission finalement retenue était conforme, cet aspect n'est pas déterminant en l'espèce. Il est de droit constant qu'une condition implicite ne peut contredire une disposition expresse d'un contrat. Voir l'arrêt B.P. Refinery (Westernport) Pty Ltd v. Shire of Hastings (1977), 16 A.L.R. 363 (C.P.), à la p. 376, cité dans l'arrêt London Drugs Ltd. v. Kuehne & Nagel International Ltd. (1990) 70 D.L.R. (4th) 51 (C.A.C.-B.) 45 B.C.L.R. (2d) 1 (1990). Comme il n'existe aucune distinction entre les deux soumissions en ce qui a trait à leur conformité avec les conditions de l'appel d'offres, la seule condition implicite susceptible d'aider Trevor Nicholas serait celle qui obligerait la Couronne à attribuer le marché au soumissionnaire le moins disant, une condition qui contredirait la disposition expresse du contrat qui prévoit que la Couronne n'est pas tenue d'agir ainsi. Par conséquent, la demanderesse ne peut avoir gain de cause sur ce motif.

[30]      À l'audition de la présente requête, Trevor Nicholas a demandé l'autorisation de modifier sa déclaration afin d'y ajouter une allégation selon laquelle la défenderesse aurait rompu le « contrat A » . J'ai refusé qu'elle apporte une telle modification parce qu'elle était hors délais. En fin de compte, cette modification n'aurait rien changé à l'issue du litige, puisque j'ai jugé que la défenderesse n'avait manqué à aucune condition du contrat.


[31]      Si l'acte de procédure de Trevor Nicholas s'arrêtait là, il y aurait lieu de rejeter l'action. Mais la demanderesse a également allégué qu'elle avait été traitée de façon inéquitable. Dans l'arrêt Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l'Atlantique, [1993] 1 C.F. 371 (C.F.1re inst.), (1992) 57 F.T.R. 81, le juge McNair a conclu que le « contrat A » dont il était saisi dans cette affaire contenait une condition implicite voulant que le propriétaire devait traiter équitablement tous les soumissionnaires. La Cour d'appel fédérale en est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Martel Building Ltd. c. Canada (C.A.), [1998] 4 C.F. 300, (1998) 163 D.L.R. (4th) 504. Les clauses du « contrat A » en l'espèce étayent la conclusion de l'existence d'une condition implicite selon laquelle tous les soumissionnaires seront traités de la même façon. Une telle conclusion repose sur le fait que la Couronne a essayé le plus possible de normaliser les conditions de l'appel d'offres dans les instructions à l'intention des soumissionnaires :

-           Toutes les soumissions doivent être présentées sur le formulaire de soumission, sans que des modifications soient apportées au formulaire;

-           Toutes les soumissions doivent être présentées avant la date et l'heure de clôture;

-           Toutes les soumissions présentées ne doivent comporter que le formulaire de soumission et la garantie;

-           Toutes les soumissions doivent être fondées sur les matériaux précisés; les renseignements concernant des matériaux de remplacement approuvés devant être communiqués à tous les soumissionnaires par la publication d'addenda.

[32]      Les efforts de la Couronne pour obtenir des soumissions uniformes supposent qu'elle promettait de traiter chacune d'elles sur le même fondement. Il est possible que cette condition comprenne l'obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement.

[33]      Si tel est le cas, une telle conclusion met en cause l'allégation de traitement inéquitable formulée par Trevor Nicholas. Les éléments qui m'ont été soumis ne me permettent pas de trancher cette question, celle-ci n'ayant pas été complètement examinée dans l'argumentation. Par conséquent, même si la Couronne a largement eu gain de cause dans sa requête, l'action n'est pas réglée pour autant. Je suis donc disposé à prononcer un jugement sommaire sur la question de l'attribution du marché au soumissionnaire le moins disant et à renvoyer devant un tribunal la question à savoir s'il existe une condition implicite de traitement équitable, s'il y a eu manquement à celle-ci et, dans l'affirmative, quel doit être le montant des dommages-intérêts le cas échéant. Compte tenu du fait que la Couronne a largement eu gain de cause dans sa requête, elle a droit aux dépens indépendamment de l'issue de la cause.


[34]      Après les débats de la présente affaire, Trevor Nicholas a fourni des renseignements supplémentaires, notamment un affidavit portant sur le règlement d'une autre action. La Couronne s'est opposée à ce que la Cour tienne compte de cet affidavit. Elle avait raison. La Cour n'a pas renvoyé à ces renseignements additionnels.

ORDONNANCE

La Cour ordonne le rejet de l'allégation énoncée au paragraphe 13 de la déclaration de la demanderesse et renvoie l'affaire à procès pour qu'il soit statué sur les questions suivantes :

10         Le contrat entre la défenderesse et la demanderesse est-il assorti d'une condition implicite obligeant à traiter la demanderesse équitablement?

20         Dans l'affirmative, y a-t-il eu manquement à cette condition?

3-         Dans l'affirmative, à quel montant de dommages-intérêts ce manquement donne-t-il droit?

La défenderesse a droit aux dépens afférents à la requête en jugement sommaire quelle que soit l'issue du litige.

            « Denis Pelletier »       

   Juge                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                   T-2034-91

INTITULÉ DE LA CAUSE : Trevor Nicholas Construction Co. Limited c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PELLETIER, le 12 mai 2000

ONT COMPARU :

John Susin                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

P. Christopher Parke                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Représentant de Trevor Nicholas Construction Co. Ltd.           POUR LA DEMANDERESSE

Morris A. Rosenburg

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LA DÉFENDERESSE



     [1]Voir Fridman, The Law of Contracts (4th Edition, 1999), aux pages 38 à 44

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