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Date : 20020717

Dossier : T-1482-91

Référence neutre : 2002 CFPI 792

ENTRE :

                                            MINNIE NORMA MACNEIL et

                          ROBERT GARRY MILLER, représentant les héritiers

de feue Minnie Norma MacNeil

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le

          MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

         CHARLOTTE MILDRED MARTIN, RANDOLF LAWRENCE MARTIN,

                      JOYCE PATRICIA MARTIN, CHAD EVERITT MARTIN,

                        DAVID ALLAN MARTIN et BRADLY KENNITH HILL

                                                                                                                              défendeurs

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                         (Rendus à l'audience à Toronto (Ontario)

                                                    le vendredi 12 juillet 2002)

LE JUGE HUGESSEN

[1]                David General, un Indien, est décédé le 6 janvier 1952. Dans son testament en date du 31 août 1948, il a désigné Charlotte Martin à titre d'exécutrice testamentaire.

[2]                Dans son testament, David General faisait le legs suivant :


[TRADUCTION] Charlotte (Martin) sera également titulaire d'un bail à vie à l'égard du homestead et des immeubles situés sur le lot 18, concession 3, composé de 25 acres, tant que sa situation ne changera pas. Si elle retourne habiter avec son mari, elle devra quitter les lieux, sur le lot 18, et l'immeuble devra être vendu et le produit de la vente divisé à parts égales entre Minnie Miller, Charlotte Martin, Morgan General et Theodore General. Si Charlotte décède sans être retournée habiter avec son mari, le partage susmentionné s'appliquera à cette parcelle.

[3]                Dans la présente action, la demanderesse désignée, Minnie Norma MacNeil, est la personne désignée, dans le legs, sous le nom de Minnie Miller. Elle était la petite-fille de David General. Elle est décédée en 1999 et son fils poursuit l'action pour son compte. La défenderesse, Charlotte Martin, est également décédée en 1999. Elle était la fille adoptive de David General. Ses intérêts sont maintenant défendus dans cette action par ses héritiers, qui ont été constitués comme défendeurs. Ni l'une ni l'autre des parties initiales n'ont été assujetties à un interrogatoire préalable avant leur décès et la preuve qu'elles auraient présentée n'est donc pas disponible.

[4]                En 1968, Charlotte Martin a obtenu un certificat de possession en vertu de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, à l'égard du homestead. En 1972, elle a loti la propriété et en a cédé une partie à son fils et une partie à elle-même. Dans la présente action, les demandeurs sollicitent des déclarations et des dommages-intérêts contre Charlotte Martin et contre la Couronne. Ils ne cherchent pas à reprendre possession du bien-fonds, mais veulent uniquement le produit de sa vente ou, subsidiairement, des dommages-intérêts.


[5]                La requête ici en cause visant l'obtention d'un jugement sommaire a été présentée par la Couronne défenderesse seulement. Elle vise au rejet de l'action intentée contre la Couronne; en effet, il est soutenu qu'il y a prescription en vertu des dispositions applicables de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. 214. Pour les motifs ci-après énoncés, j'ai conclu que la requête doit être accueillie.

[6]                Premièrement, je rejette l'argument des demandeurs selon lequel la Couronne ne peut pas présenter la requête ici en cause compte tenu du retard indu. Bien sûr, il est vrai que l'action est en instance depuis plus de onze ans, mais la chose n'est pas uniquement attribuable à la Couronne. Toutefois, fait plus important, le paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit expressément qu'une requête en jugement sommaire peut être présentée avant que la date de l'instruction soit fixée; or, je ne crois pas que la doctrine du retard indu qui existe en equity puisse s'appliquer de façon à faire échec à une disposition législative expresse telle que celle-ci :

213.(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.


[7]                Deuxièmement, je suis d'avis qu'il s'agit d'un cas dans lequel il convient de rendre un jugement sommaire. Je sais bien que cela va à l'encontre d'au moins deux décisions de la Cour d'appel de l'Ontario (Aguoinie c. Galion Solid Waste Material Inc., [1998] 38 O.R. (3d) 161, C.A. Ont., et Smyth c. Waterfall et al. (2000), 50 O.R. (3d) 481)), où il a été statué que, dans un jugement sommaire, la Cour ne devrait pas tirer des conclusions de fait, en particulier lorsque, comme c'est ici le cas, le point litigieux porte sur la prescription et sur la « possibilité de découverte » . À mon avis, le libellé du paragraphe 216(3) des Règles prévoit expressément que la Cour peut tirer des conclusions de fait si elle est en mesure de le faire d'une façon équitable et juste compte tenu des éléments dont elle dispose. La règle qui s'applique en Ontario semble différente et la jurisprudence de l'Ontario ne devrait pas être suivie par la Cour :

216.(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.


[8]                Ensuite, il est selon moi essentiel que la requête ici en cause soit présentée uniquement par la Couronne défenderesse et qu'elle vise uniquement le rejet de l'action contre cette défenderesse. Comme je l'ai dit, on ne cherche pas, dans cette action, à prendre possession du bien-fonds et les allégations qui sont faites contre la Couronne sont, comme l'avocate des demandeurs le concède, fondées sur la négligence. Si les autres défendeurs, qui n'ont pas demandé de jugement sommaire, ou leurs ayants droit, ont commis un acte illicite, la requête n'influera pas sur la demande qui a été présentée contre ces défendeurs. Comme j'en ai déjà fait mention, la requête de la Couronne soulève la question de la « possibilité de découverte » . Compte tenu de l'état actuel du dossier, cette question soulève par ailleurs la question de la charge de la preuve. Les deux avocats m'ont informé, ce qui m'a quelque peu surpris, qu'il n'existe aucune jurisprudence sur ce point, mais je ne doute aucunement, en me fondant simplement sur des principes, que le droit doit exiger que le demandeur qui maintient que le délai de prescription de la loi ne joue pas à son encontre démontre qu'il ne savait pas qu'il possédait un droit d'action et qu'il n'aurait pas pu le savoir même en faisant preuve d'une diligence raisonnable. Je fonde cet avis non seulement sur le principe voulant que la personne qui fait une allégation doit la prouver, mais aussi sur le fait que l'état d'esprit du demandeur est une question dont lui seul a connaissance et qu'il serait injuste de s'attendre à ce que le défendeur présente une preuve à cet égard.

[9]                En l'espèce, les demandeurs n'ont pas présenté de preuve montrant que Minnie Norma MacNeil ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement découvrir que Charlotte Martin avait traité la propriété d'une façon fort publique et d'une façon qui était incompatible avec sa demande, une vingtaine d'années avant l'introduction de l'action. On n'a pas satisfait à la charge de la preuve. En outre, les éléments de preuve qui existent, et il en existe de fait fort peu, et je ne suis aucunement convaincu qu'ils soient admissibles, indiquent que, dès 1968, on avait informé Mme MacNeil qu'un certificat de possession avait été délivré à Charlotte Martin et que Mme MacNeil avait bien fait savoir à Charlotte Martin qu'elle ne devait pas agir à l'encontre de ses intérêts. Cela indiquerait à tout le moins selon moi qu'elle a été informée de la situation. À mon avis, cela suffit pour trancher la question de la possibilité de découverte à l'égard de laquelle, comme je l'ai dit, le demandeur a la charge de la preuve.


[10]            Enfin, je rejette l'argument qui a savamment été avancé par l'avocate des demandeurs, à savoir que le délai de prescription n'a commencé à courir contre ses clients qu'au moment du décès de Charlotte Martin et qu'au moment où les droits afférents à la propriété ont été [TRADUCTION] « dévolus » à ceux-ci. Cela pourrait bien être le cas si une demande était présentée contre Charlotte Martin à l'égard de la possession de la propriété, mais comme je l'ai déjà dit, seule la demande présentée contre la Couronne est ici en cause et cette demande est fondée sur l'allégation selon laquelle les préposés de la Couronne ont pris des mesures illicites en 1968, que Mme MacNeil aurait dû être au courant de ces mesures et qu'il y avait possibilité de les découvrir bien des années avant l'introduction de l'action.

[11]            La requête sera donc accueillie et l'action intentée contre la Couronne sera rejetée. J'ai rejeté l'argument des demandeurs fondé sur le fait que l'on a indûment tardé à présenter la requête, mais je ne suis pas disposé à adjuger les dépens à la Couronne puisqu'elle a énormément tardé à présenter la requête ici en cause.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 17 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1482-91

INTITULÉ :                                                    MINNI NORMA MACNEIL ET AUTRES

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE VENDREDI 12 JUILLET 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 JUILLET 2002

COMPARUTIONS :

Mme CAROL GODBY                                                        POUR LES DEMANDEURS

M. SEAN GAUDET                                                           POUR LA DÉFENDERESSE (LA COURONNE)

PERSONNE N'A COMPARU                                          POUR LES DÉFENDEURS (LES MARTIN)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. HARRISON PENSA                                                   POUR LES DEMANDEURS

London (Ontario)

M. MORRIS ROSENBERG                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                                      (LA COURONNE)

LONNY C. BOMBERRY                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Ohsweken (Ontario)                                                            (LES MARTIN)

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