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     Date : 19971205

     Dossier : T-2327-97

ENTRE :

     ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS,

     TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS,

     et PATRICK PRINCE en leurs qualités respectives de

     chef et de conseillers de la bande indienne de McLeod Lake,

     requérants,

     - et -

     HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE, GILBERT CHINGEE,

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présents motifs, qui exposent plus en détail la décision du 1er décembre 1997 d'instruire la présente instance en contrôle judiciaire comme s'il s'agissait d'une action, découlent d'un litige opposant des groupes de la bande indienne de McLeod Lake au sujet de la régularité d'une élection tenue au sein de la bande le 8 octobre 1997. Dans le cadre de la présente instance, les requérants sollicitent, notamment, une déclaration quant à la validité de leur élection à titre de chef et de conseillers le 8 octobre 1997, un bref de certiorari annulant la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord de ne pas reconnaître les requérants comme chef et conseillers de la bande, de même qu'un bref de mandamus enjoignant au ministre de les reconnaître comme tels et, enfin, une injonction enjoignant aux intimés Harry, Victor et Gilbert Chingee (que la Cour appellera aussi les " membres de la bande intimés ") de cesser de se présenter comme les chef et conseillers de la bande.

[2]      Les requérants soutiennent qu'à la suite de la dernière élection, ils représentent la bande en qualité de chef et de conseillers. Les trois membres de la bande intimés disent que l'élection est invalide. Une des principales questions qui opposent les deux groupes consiste à savoir si le système électoral de la bande est fondé sur la coutume et découle de la pratique et du pouvoir inhérents de la bande, comme le font valoir les membres de la bande intimés, ou si les élections de la bande sont régies par la Loi sur les Indiens, comme semblent le prétendre les requérants. Toutefois, de nombreuses autres questions litigieuses sont soulevées dans les affidavits, de sorte qu'il serait extrêmement difficile pour un juge de rendre justice aux parties s'il devait s'en tenir à ces pièces, dont la formulation paraît emprunter la langue des avocats, par opposition à la preuve que présentent les témoins à leur propre façon et que le procès permet de mettre à l'épreuve.

[3]      L'avocat des intimés Harry Chingee, Victor Chingee et Gilbert Chingee, qui demandent que la présente affaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action, a présenté des arguments très convaincants, compte tenu des circonstances particulières, pour établir que l'administration de la preuve par affidavits ne suffirait pas. Avant d'exposer les motifs de ma conclusion, j'examinerai maintenant quelques règles de droit applicables.

QUELQUES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[4]      Le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, une disposition facultative, dispose :

         La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.                 

Il s'agit là d'une disposition relativement nouvelle de la Loi sur la Cour fédérale, qui est entrée en vigueur le 1er février 1992. Il n'existe qu'un nombre restreint d'affaires traitant de cette disposition, mais elles offrent toutefois de nombreuses indications.

[5]      La première affaire publiée traitant de cette disposition, autant que je sache, est Vancouver Island Peace Society c. Canada (1992), 53 F.T.R. 300, une décision du juge Strayer (tel était alors son titre) datée du 14 avril 1992. Toutefois, le véritable point de départ de tout examen du paragraphe 18.4(2) est Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard c. Ministre de l'Agriculture du Canada (1993), 56 F.T.R. 150, une décision du juge Muldoon datée du 9 juillet 1992.

[6]      Dans Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard, le ministre de l'Agriculture voulait convertir l'instance en une action en raison de la complexité des questions scientifiques qui allaient devoir faire l'objet d'explications par voie de témoignages d'experts éventuellement contradictoires. Il s'agissait de savoir si la Cour serait en mesure d'arriver à une conclusion éclairée si l'affaire était instruite par voie de contrôle judiciaire et de preuve par affidavit. Le juge Muldoon croyait qu'il fallait faire en sorte que les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale relatives au contrôle judiciaire puissent s'appliquer de la manière voulue, c'est-à-dire qu'il fallait permettre que les questions qui conviennent au contrôle judiciaire soient entendues rapidement et sommairement. Ayant cet objectif à l'esprit, il a estimé qu'en ce qui concerne les procédures de contrôle judiciaire prévues par la Loi sur la Cour fédérale " ...il ne faut pas déroger à ce principe en l'absence de motifs très clairs " :

         [2]      L'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale dispose clairement qu'en règle générale, une demande de contrôle judiciaire ou un renvoi présenté à la Section de première instance est instruit comme s'il s'agissait d'une requête. En vertu de cet article, ces matières doivent être entendues et jugées " à bref délai et selon une procédure sommaire ". Exceptionnellement, le paragraphe 18.4(2) prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Cependant, c'est dorénavant par voie de requête qu'il est préférable de procéder et il ne faut pas déroger à ce principe en l'absence de motifs très clairs. (page 152)                 

[7]      Le critère des " motifs très clairs " a été examiné et approuvé par la Cour d'appel fédérale dans MacInnis c. Canada (1994), 166 N.R. 57. Dans cette affaire, la Cour d'appel a confirmé le raisonnement suivi par le juge Muldoon dans Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard en soulignant que l'intention du législateur fédéral était de faire du contrôle judiciaire un recours expéditif et de n'appliquer le paragraphe 18.4(2) que si les faits n'étaient pas établis ou évalués avec satisfaction au moyen de la preuve par affidavit :

         [9]      En général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des " motifs très clairs " d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requière tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme (voir Canadien Pacifique Limitée c. La Bande indienne de Matsqui (1993), 153 N.R. 307, à la p. 311 (C.A.F.); Edwards c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1992), 53 F.T.R. 265 (C.F. 1re inst.), à la p. 267, le juge Pinard). L'arrêt rendu par la présente Cour dans l'affaire Bayer AG et al. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 163 N.R. 183 (C.A.F.) où le juge Mahoney s'est montré jusqu'à un certain point en désaccord avec la décision rendue par le juge Rouleau dans la même affaire (1993), 66 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.)), est une exemple récent de l'hésitation de la Cour à instruire une affaire par voie d'action plutôt qu'au moyen d'une demande. (page 60)                 

Dans ce passage, ce qui importe c'est la notion selon laquelle le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale peut être utilisé lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix afin de permettre à la Cour d'évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou de saisir l'ensemble de la preuve au moyen de tout l'appareillage d'un procès. Mais ce qui est plus important encore, c'est que dans MacInnis, la Cour d'appel a énoncé ce qui est dorénavant le critère établi : il ne s'agit pas de savoir si le témoignage de vive voix au procès pourrait être supérieur, mais plutôt si, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la preuve par affidavit suffirait :

          ...le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure. (page 6)                 

Bien que le critère tiré de MacInnis ait été énoncé dans le contexte de la conciliation d'affidavits d'experts contradictoires, un parallèle peut être établi avec la présente espèce. Au moins une partie des affidavits traitent de la coutume de la bande indienne de McLeod Lake. Dans un certain sens, les membres de la bande qui connaissent la coutume de celle-ci sont des experts : il sera important pour un juge d'évaluer leur attitude et leur crédibilité. Toutefois, le même critère, selon lequel la preuve par affidavit doit être manifestement insuffisante, s'applique aussi aux affidavits de témoins qui ne sont pas des experts. Toujours dans MacInnis, la Cour d'appel a souligné qu'" ...il est important de se rappeler la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d'utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions " (loc. cit. ). En faisant ce dernier commentaire, la Cour d'appel a cité Vancouver Island Peace Society, auquel je reviens maintenant.

[8]      Dans Vancouver Island Peace Society, précité, le juge Strayer souligne un point qui est pertinent quant à la présente demande. Dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision, la Cour ne siège pas en tant que tribunal d'appel; elle exerce un contrôle pour déterminer si le fonctionnaire ou l'organisme qui rend la décision a bien interprété la loi et si la décision est fondée sur des faits et des motifs pertinents :

         [7]      En déterminant si un fonctionnaire ou un organisme a agi conformément à la loi en prenant la décision en question, la Cour peut se demander si celui-ci a bien interprété la loi et s'il a pris sa décision en se fondant sur des faits et des raisons liés au but dans lequel le pouvoir de décision a été conféré. Cependant, dans cette limite permise, le décideur initial a le droit de prendre une décision que la Cour ne peut pas annuler même si, par hasard, elle ne souscrit pas à son avis. (pages 303 et 304)                 

Voilà une remarque pertinente en l'espèce car une partie importante des affidavits déposés renferment des faits contradictoires dont certains sont pertinents, et d'autres pas du tout.

[9]      La nécessité d'un fondement factuel solide a été soulignée par le juge Pinard dans Edwards c. Canada (1992), 53 F.T.R. 265. Dans cette affaire, la requérante contestait le programme de pulvérisation de la spongieuse asiatique mis en oeuvre par le ministre de l'Agriculture, contestation qui devait soulever de nombreuses questions variées de fait et de droit, allait exiger un contre-interrogatoire approfondi sur de nombreux affidavits et faisait en sorte que la Cour serait mieux à même d'évaluer le comportement et la crédibilité des témoins à l'aide de témoignages de vive voix, étant donné que le fondement factuel constituait une question essentielle. Le juge Pinard a résumé ces questions en disant ceci :

         [9] À mon avis, la plupart de ces questions ne peuvent être tranchées à partir de simples preuves par affidavit sans qu'on puisse bénéficier d'une enquête préalable et d'un contre-interrogatoire. Je répète qu'il s'agit de toute évidence d'un cas dans lequel notre Cour devrait avoir l'avantage d'évaluer le comportement et la crédibilité des témoins " et surtout des nombreux experts " dans le cadre d'un contre-interrogatoire. (page 269)                 

[10]      Naturellement, pour décider si une demande devrait être convertie en action, avec la possibilité bien réelle que les parties soient engagées dans l'appareillage intégral d'un procès, je dois examiner si un procès, et les délais inévitables qui l'accompagnent, est requis parce que la preuve par affidavits, dans le cadre plus expéditif d'une instance de contrôle judiciaire, serait insuffisante.

[11]      Le dernier point que je dois garder à l'esprit est que le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale ne restreint pas mon pouvoir discrétionnaire quant aux motifs à examiner pour décider s'il convient de permettre la conversion d'une demande en action :

         ...l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'espèce MacInnis c. Canada (Procureur général) et al., [1994] 2 C.F. 464; 166 N.R. 57, porte sur des circonstances différentes et ne devrait pas être interprété comme une limite au pouvoir discrétionnaire d'un juge des requêtes dans les cas où la conversion est demandée pour des motifs autres que de prétendues contraintes de preuve. De l'avis de la Cour, le paragraphe 18.4(2) n'établit aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu'il s'agit de savoir s'il convient ou non de permettre qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Parmi ces facteurs, figurent certainement les commodités de l'accès à la justice et la prévention des coûts et délais inutiles. [Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1995), 179 N.R. 398, à la page 399 (C.A.F.)].                 

ANALYSE

[12]      En l'espèce, il est demandé au juge qui préside l'instance de se prononcer, notamment, sur la validité du processus électoral et la régularité, eu égard à l'ensemble des circonstances, de la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord de refuser de reconnaître les résultats de l'élection. Il ne s'agit pas de substituer la décision de la Cour à celle de l'agent électoral de la bande, M. Peter Prince, ni à celle du ministre, non plus qu'à celle des deux groupes de chefs et de conseillers. Il s'agit plutôt pour le juge de déterminer, vu l'ensemble des circonstances, si ces personnes, en exerçant leur pouvoir discrétionnaire et en rendant leurs décisions, ont agi de bonne foi et d'une manière raisonnable et régulière, en s'appuyant sur des éléments de preuve pertinents, sans commettre d'erreur quant au droit applicable.

[13]      Pour contrôler la décision de l'agent électoral de la bande, M. Peter Prince, et celle de la Couronne, le juge qui entend l'affaire devra examiner la pratique de la bande en matière d'élections. Le fait qu'il y ait contradiction entre les affidavits déposés et les autres nombreuses pièces dont le dépôt est demandé ne constitue pas, en soi, un facteur dont il faille tenir compte pour décider si la présente requête doit être convertie en action. Il est de la nature de la preuve au moyen d'affidavits produits par des parties adverses d'être contradictoire. Dans la plupart des cas, l'ampleur des contradictions peut être ramenée à des proportions pratiques par un contre-interrogatoire sur affidavits. Mais je doute sérieusement que cette méthode habituelle -- preuve par affidavits et contre-interrogatoire -- puisse, en l'espèce, donner à un juge une connaissance suffisante de la pratique et des coutumes de la bande indienne de McLeod Lake au sujet du mode de sélection de son chef et de ses conseillers.

[14]      Les requérants font valoir que les élections du chef et des conseillers de la bande indienne de McLeod Lake sont tenues aux deux ans, ainsi que le prévoit la Loi sur les Indiens. Les membres de la bande intimés disent que, selon la coutume, le chef et les membres du conseil sont choisis parmi des familles représentatives au sein de la bande. Or, les coutumes d'une bande donnée ne relèvent certes pas de l'expertise de la Cour. Dans le cas d'un contrôle judiciaire, il faudrait qu'un juge évalue les affidavits sans l'avantage d'un interrogatoire préalable ou d'un contre-interrogatoire oral pour ramener l'instance à un tout pratique, cohérent et pertinent. À défaut de procès, il faudrait qu'il procède à une évaluation sans être en mesure d'examiner le comportement et la crédibilité des témoins non plus que la teneur de leur témoignage lorsqu'ils témoignent et subissent un contre-interrogatoire équitable et vigoureux. À mon avis, il y a en l'espèce un certain nombre de questions ne pourraient être adéquatement mises à l'épreuve que dans le cadre d'une instruction.

[15]      Je n'inclus pas dans ces questions tous les exemples qui, d'après l'avocat des membres de la bande indienne, doivent être examinés dans le cadre d'un procès. Certes, si elles étaient pertinentes, les allégations de corruption de la part du chef Harry Chingee, figurant dans l'affidavit du 10 novembre 1997 signé par la requérante Elizabeth Solonas et jointes à l'affidavit de M. Christopher Harvey déposé le 12 novembre 1997, sont suffisamment sérieuses pour justifier une mise à l'épreuve dans le cadre d'un procès. Dans le contexte de la présente instance en contrôle judiciaire, les allégations de corruption sont tout à fait hors de propos, et l'avocat des requérants a souscrit à ce point de vue lorsqu'il a plaidé sur la requête. Il est regrettable qu'elles aient été incluses dans les pièces qu'ont déposées les requérants déposées au soutien de la demande de contrôle judiciaire : il est malheureux qu'elles n'aient pas été retirées. D'autres allégations, faites par les requérants et en leur nom, et portant par exemple que le chef Harry Chingee a volé des biens appartenant à la bande, que l'auteur d'un affidavit déposé par les membres de la bande intimés est " désorienté " et que le chef Harry Chingee s'est rendu coupable de tenue de livres frauduleuse et de manigances à l'égard du fonds d'aide sociale de la bande, tombent de même dans la catégorie des accusations qui ne sont pas pertinentes dans le contexte des questions en litige. Toutefois, dans un autre contexte, ces allégations sont pertinentes car elles démontrent une animosité, principalement envers les membres de la bande intimés, qui pourrait bien entacher des témoignages pertinents. Dans cette mesure, une bonne partie de la preuve par affidavit pourrait fort bien être insuffisante et, par conséquent, elle devrait être mise à l'épreuve dans le cadre d'une instruction. Toutefois, à mon avis, il existe un certain nombre de questions qui ne pourraient être mises à l'épreuve que dans le cadre d'une instruction.

[16]      La première de ces questions est celle de savoir si l'agent électoral aurait dû procéder à l'élection déclenchée par un conseil de bande douteux de trois personnes, dont deux avaient censément été déclarées inhabiles pour avoir manqué les réunions précédentes de la bande. Ici se pose une question subsidiaire, car un conseiller de bande ne peut, sous réserve de certaines conditions, s'absenter de plus de trois réunions consécutives du conseil de bande (paragraphe 3(2) du Règlement sur la procédure des conseils de bande indienne) : cette règle est peut-être conforme à la procédure du conseil de bande indienne de McLeod Lake qui serait régie par la Loi sur les Indiens, mais il faut se demander si elle est conforme à la coutume de la bande. Il est important qu'un juge observe les témoins opposés sur un tel point : un simple contre-interrogatoire sur affidavits empêcherait le juge de tirer une juste conclusion.

[17]      Deuxièmement, pour ce qui est de la réunion même du conseil de bande, celui qui en était alors le chef de par la coutume, M. Harry Chingee, dit non seulement que la réunion du conseil a été convoquée par des conseillers inhabiles, mais aussi que lui-même, n'ayant pas reçu l'avis de convocation à la réunion, n'y a pas assisté, n'a pas autorisé que son nom soit inscrit sur le bulletin de vote et qu'en tout état de cause, il n'a signé aucune résolution découlant de cette réunion. Les requérants soumettent une preuve contraire, y compris des éléments de preuve sur la candidature du chef Harry Chingee à titre de chef à la prochaine élection et de son acceptation de cette candidature. Étant donné le fort degré d'animosité non pertinente qui s'en dégage par endroits, ces affidavits sont douteux et en tant que tels, insuffisants pour permettre que soient tranchées les véritables questions soulevées.

[18]      Troisièmement, les requérants font des assertions à l'encontre de la coutume de la bande indienne de McLeod Lake en tant que fondement des élections, notamment dans l'affidavit de la requérante Elizabeth Solonas. Et ce, malgré une résolution de la bande datée du 5 juin 1996 et signée par Mme Solonas à titre de conseillère, indiquant que la bande adopte officiellement, à titre de procédure électorale coutumière de la bande, sa position traditionnelle selon laquelle il y aura [TRADUCTION] " ...un dirigeant qui conservera le poste de chef jusqu'à sa démission... " et que les conseillers seront élus parmi les aînés de chaque branche familiale de la bande indienne de McLeod Lake. Ces pièces vont au-delà d'un litige susceptible être réglé au moyen d'une preuve par affidavits. Elles exigent une communication préalable, une preuve principale complète et un contre-interrogatoire régulier des témoins dans le cadre d'un procès.

[19]      Le dernier exemple de l'insuffisance de la preuve par affidavits que j'aborderai est le niveau de subtilité et d'alphabétisation des membres de la bande indienne de McLeod Lake. Certes, certains des membres de la bande démontrent, par leurs affidavits, un degré élevé de subtilité, d'accomplissement et de maîtrise de leurs opinions. Par contraste, le chef intimé Harry Chingee déclare que ses gens ne sont pas très instruits et qu'ainsi tous [TRADUCTION] " ...moi-même y compris, devraient pouvoir s'adresser au juge directement et témoigner en leurs propres mots " (paragraphe 6 de l'affidavit signé le 14 novembre 1997). C'est l'un des points les plus patents de l'insuffisance de la preuve par affidavits en l'espèce. Des affidavits soigneusement rédigés par des tiers ne peuvent servir de substitut aux témoignages de vive voix, y compris sur la coutume, lesquels témoignages devraient être présentés intégralement pour être ensuite soumis à un contre-interrogatoire régulier.

CONCLUSION

[20]      Après avoir examiné les arguments présentés à ce jour, les affidavits déposés et ceux dont le dépôt est sollicité, et ayant eu l'avantage d'entendre les observations des avocats des deux parties, j'ai conclu qu'un examen régulier des questions entourant l'élection et la non-acceptation, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, du chef censément élu de la bande indienne de McLeod Lake, le chef Alec Chingee et de son conseil, d'une part, ou l'échec du processus électoral pour ce qui est de remplacer le chef Harry Chingee et son conseil, d'autre part, ne peut être fait simplement à l'aide d'une preuve par affidavit complétée par un contre-interrogatoire sur affidavits. Les questions au coeur de la présente instance doivent être approfondies dans le cadre d'un interrogatoire préalable, procédure qui pourrait très bien faire économiser du temps à toutes les parties concernées. Les témoins devraient témoigner dans leurs propres mots. Ceux en particulier qui montrent une tendance à exprimer une animosité non pertinente devraient témoigner et être convenablement contre-interrogés dans le cadre d'un procès.

[21]      Pour ce qui est des délais, la présente instance a été engagée le 29 octobre 1997. Les affaires de la bande indienne de McLeod Lake sont, dans une certaine mesure, gérées par des vérificateurs externes, moyennant des frais. Un bloc de quatre jours à Vancouver ou un bloc de cinq jours à Prince George en mai 1998 ont été offerts aux parties. Entendue comme instance en contrôle judiciaire, l'affaire prendrait moins de temps qu'une action; toutefois, à moins d'annulations de procès déjà fixés, il est douteux que la présente affaire serait entendue beaucoup plus tôt sous forme de contrôle judiciaire. Les délais ne sont pas un facteur important.

[22]      En l'espèce, un contrôle adéquat exigera que la preuve soit administrée dans un cadre où le juge peut observer la teneur des témoignages et le comportement et la crédibilité des témoins, particulièrement de ceux qui témoignent au sujet de la coutume de la bande, évaluer la preuve et déterminer les faits de manière satisfaisante. J'ai donc conclu que, en l'espèce, la preuve par affidavit serait insuffisante.

[23]      Vu ce résultat, il convient de donner des instructions. L'intitulé de la cause désignera dorénavant les parties comme demandeurs et défendeurs. Les demandeurs disposent de 15 jours à compter de la date des présents motifs pour déposer et signifier une déclaration aux procureurs des défendeurs. Les défendeurs doivent déposer leurs défenses dans les 21 jours suivant la signification de la déclaration. Toute réponse aux défenses doit être déposée dans les sept jours suivant la signification desdites défenses. Les documents doivent être produits 30 jours au plus tard après le dépôt des défenses. Compte tenu de la nature expéditive de l'instance, d'autres instructions pourront être obtenues de la Cour. Les dépens suivront l'issue de la cause.

[24]      Je remercie les procureurs pour leurs exposés intéressants.

     (Signé) " John A. Hargrave "

                                     Protonotaire

5 décembre 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

                 C. Bélanger, LL.L.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :              1 er décembre 1997

NE DU GREFFE :                  T-2327-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ALEC CHINGEE et al.

                         c.

                         HARRY CHINGEE et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

                         en date du 5 décembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Chris Harvey              pour les requérants

     Me Stan Ashcroft              pour les intimés

                         Harry, Victor et Gilbert Chingee

     Me Gerald Donegan              pour l'intimé

                         Le ministre des Affaires indiennes

                         et du Nord

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Russell & DuMoulin              pour les requérants

     Ganapathi, Ashcroft

     & Company                  pour les intimés

                         Harry, Victor et Gilbert Chingee

     Me George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada                  pour l'intimé

                         Le ministre des Affaires indiennes

                         et du Nord

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