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Date : 20010403

Dossier : IMM-1916-00

Référence neutre : 2001 CFPI 287

Ottawa (Ontario), le mardi 3 avril 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                       CAMILJ HALJITI

                                                                                                  demandeur

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]    Camilj Haljiti demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 13 mars 2000 dans laquelle Kate Eede, agente d'immigration désignée au Consulat du Canada à Bonn, en République fédérale d'Allemagne (l'agente des visas), a refusé la demande de résidence permanente au Canada de M. Haljiti à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller (CR4).


LES FAITS

[2]    Les faits pertinents sont les suivants :

(i)          lorsqu'elle a examiné l'exposé que M. Haljiti a déposé au soutien de sa demande, l'agente des visas l'a jugé incomplet;

(ii)         le 11 janvier 2000, M. Haljiti et son mandataire ont reçu une lettre indiquant les documents et renseignements qu'ils devaient fournir pour permettre une évaluation en bonne et due forme de la demande;

(iii)        voici les extraits pertinents de la lettre en date du 11 janvier 2000 :

[TRADUCTION]LES DOCUMENTS INDIQUÉS CI-APRÈS SONT NÉCESSAIRES AUX FINS DU TRAITEMENT DE VOTRE DOSSIER :

REMARQUE : les documents qui ne s'appliquent pas à vous devraient porter la mention « S/O » . Pour chaque document qui s'applique à vous, mais que vous n'êtes vraiment pas en mesure de fournir, une déclaration solennelle (en français ou en anglais) expliquant les raisons pour lesquelles vous êtes incapable de remettre le document demandé doit être fournie.

[...]

(X)           Preuve de fonds. Ce document, fait à votre nom, devrait provenir d'une institution financière et indiquer clairement le numéro de votre compte, la date à laquelle le compte a été ouvert et le solde du compte (il peut s'agir de relevés bancaires). Veuillez fournir le relevé correspondant au dernier mois précédant celui au cours duquel vous avez rempli votre demande et quelques relevés antérieurs afin d'indiquer l'évolution de votre situation financière. Veuillez noter que ces documents sont absolument nécessaires pour que votre demande soit évaluée dans la catégorie des réfugiés indépendants.

                                                                                                               [Souligné dans l'original.]


(iv)        En réponse, le 10 février 2000, certains renseignements et documents ont été fournis au nom de M. Haljiti, y compris un document intitulé [TRADUCTION] « Déclaration solennelle » et signé par M. Haljiti. Dans ce dernier document, le demandeur déclarait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] Preuve de fonds. Je possède une somme d'environ 40 000 DM au comptant qui n'a jamais été déposée auprès d'une banque allemande, étant donné que ma situation est très incertaine en Allemagne et que je touche des prestations « d'assurance-chômage » assujetties à certaines restrictions. J'ai cru comprendre que mes prestations seraient coupées si les autorités allemandes étaient au courant de mes économies. Afin de me conformer à votre demande et de prouver que je ne demanderai aucune aide financière au Canada, je suis disposé à ouvrir un compte bancaire au Canada et à transférer nos fonds avant la délivrance de nos visas d'immigrant, mais une fois que toutes les autres formalités relatives à notre demande auront été remplies. Mon consultant en matière d'immigration, M. Artem Djukic, m'a expliqué que la preuve de fonds est absolument nécessaire pour l'évaluation des demandes d'immigration dans la catégorie des immigrants indépendants et je fournirai cette preuve avant la délivrance de nos visas d'immigrant.

(v)         Le 13 mars 2000, la demande de M. Haljiti a été rejetée. Voici les extraits importants de la lettre de refus :

[TRADUCTION] Je confirme avoir reçu votre exposé le 10 février 2000; toutefois, ce document est incomplet. Malgré notre demande, il ne comporte aucune preuve provenant d'une institution financière quant à l'existence de fonds à votre nom. Comme nous vous l'avons expliqué dans notre lettre initiale du 14 septembre 1999, les documents concernant vos fonds sont absolument nécessaires pour que votre demande soit évaluée dans la catégorie des réfugiés indépendants (CR4).

Après une description de la catégorie « CR4 » énoncée dans le Guide de l'immigration : sélection et contrôle, la lettre de refus comportait les commentaires suivants :


[TRADUCTION] Une déclaration solennelle quant à la possession de sommes d'argent au comptant ne constitue pas une preuve suffisante de fonds pouvant être transférés au Canada. Par conséquent, comme vous le savez déjà, il est impossible d'évaluer votre capacité de vous établir par vos propres moyens sans l'aide du gouvernement canadien. Étant donné que vous n'avez pas respecté les dispositions du paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration de 1976, vous appartenez à la catégorie non admissible décrite à l'alinéa 19(2)d) de la Loi, parce que vous ne vous êtes pas conformé aux dispositions de la Loi et du Règlement, et j'ai donc refusé votre demande.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                 M. Haljiti a soulevé cinq questions en l'espèce :

1)          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d'examiner l'admissibilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention conformément aux exigences énoncées dans le Guide de l'immigration du ministre?

2)          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en se fondant sur le paragraphe 9(3) et sur l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, (1985) L.R.C., ch. I-2 (la Loi), pour refuser la demande du demandeur?

3)          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en concluant que le demandeur n'avait pas suffisamment de fonds pour être admissible à titre de réfugié au sens de la Convention dans la catégorie des indépendants?

4)          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en omettant d'interroger le demandeur?


5)          La lettre de refus de l'agente des visas renferme-t-elle des incohérences au vu du dossier, qui constituent un motif de révision?

[4]                 En ce qui a trait à la quatrième question, M. Haljiti soutient implicitement qu'il n'a pas été interrogé et n'a pas été mis au courant des préoccupations de l'agente des visas ni n'a eu la possibilité d'y répondre, ce qui constitue un manquement aux principes d'équité procédurale.

ANALYSE

[5]                 J'ai jugé nécessaire d'examiner uniquement l'argument de M. Haljiti selon lequel l'agente des visas a commis une erreur en se fondant sur le paragraphe 9(3) et sur l'alinéa 19(2)d) de la Loi. M. Haljiti a invoqué la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Kang c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 2 C.F. 807 (C.A.F.). Il a fait valoir qu'étant donné que le refus était fondé sur l'absence de preuve de fonds d'une institution financière malgré la demande formulée en ce sens par l'agente des visas, alors que la Loi et les règlements connexes n'exigent pas une preuve de la façon ainsi demandée, l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'application du paragraphe 9(3) de la Loi donnait lieu à un refus automatique conformément à l'alinéa 19(2)d) de la Loi.


[6]                 Cet argument nécessite un examen du cadre législatif applicable. Voici les extraits pertinents des alinéas 7(1)a), b) et c) du Règlement sur l'immigration de 1978 , DORS/78-172 (le Règlement) :


7. (1) Les exigences relatives à l'admission de la personne qui demande à être admise au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, ainsi que des personnes à sa charge qui l'accompagnent, le cas échéant, sont les suivantes :

7(1) Where a person seeks admission to Canada as a Convention refugee seeking resettlement, the person and their accompanying dependants, if any, are subject to the following admission requirements:

a) l'agent des visas est convaincu que la personne est un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller;

(a) a visa officer is satisfied that the person is a Convention refugee seeking resettlement;

b) l'agent des visas détermine :

(b) a visa officer determines that

[...]

[...]

(iii) soit que la personne possède les ressources financières nécessaires pour assurer leur logement, subvenir à leurs besoins et les installer au Canada;

(iii) the person has sufficient financial resources to provide for lodging, care and maintenance, and for the resettlement in Canada, of the person and the accompanying dependants;

c) dans le cas où la personne et les personnes à sa charge qui l'accompagnent entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, l'agent des visas détermine qu'elles pourront réussir leur installation au Canada, en tenant compte des facteurs suivants :

(c) where the person and the accompanying dependants intend to reside in a place in Canada other than the Province of Quebec, a visa officer determines that the person and the accompanying dependants will be able to become successfully established in Canada, taking into consideration

(i) leur aptitude à communiquer dans l'une des langues officielles du Canada,

(i) the ability of the person and the accompanying dependants to communicate in one of the official languages of Canada,

(ii) l'âge de la personne,

(ii) the age of the person,


(iii) leur niveau de scolarité, leurs antécédents de travail et leurs compétences,

(iii) the level of education, the work experience and the skills of the person and the accompanying dependants,(iv) le nombre de personnes à sa charge qui l'accompagnent et leur âge,

(iv) the number and ages of the accompanying dependants, and

(v) leurs qualités personnelles, notamment leur faculté d'adaptation, leur motivation, leur esprit d'initiative, leur ingéniosité et autres qualités semblables;

(v) the personal suitability of the person and their accompanying dependants, including their adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities; and


[7]              Le paragraphe 9(3) de la Loi est ainsi libellé :


9(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

9(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[8]                  Voici le texte de l'alinéa 19(2)d) de la Loi :


19(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

[...]

d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

19(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

[...]

(d) persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations.



[9]         Dans l'arrêt Kang, précité, la Cour d'appel a examiné le cas d'un demandeur qui avait menti à un agent des visas au sujet de son âge. Bien qu'elle n'ait pas jugé nécessaire de décider si le demandeur avait contrevenu au paragraphe 9(3) en mentant, la Cour a conclu qu'un manquement de cette nature de la part d'un demandeur ne rendait pas cette personne inadmissible au sens de l'alinéa 19(2)d). Au paragraphe 6 de la décision, la majorité de la Cour d'appel en est arrivée à la conclusion suivante :

... une personne ne tombe pas dans la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) du seul fait qu'elle a contrevenu à une disposition de la Loi ou du Règlement. Cet alinéa a pour seul objet de rendre inadmissibles tous ceux qui ne remplissent pas les conditions d'admissibilité prescrites par la Loi ou par un Règlement d'application.

[10] Le ministre a soutenu que la situation examinée dans l'arrêt Kang est différente de celle de la présente affaire car, contrairement à l'obligation pour un demandeur de dire la vérité, l'obligation de démontrer qu'il possède les ressources financières nécessaires constitue une exigence relative à l'admissibilité qui est prévue à l'alinéa 7(1)b) du Règlement.

[11] Je souscris à l'argument du ministre selon lequel, pour être admissible, tout demandeur doit prouver à l'agent des visas qu'il possède les ressources financières nécessaires, de sorte que l'omission de respecter cette exigence constituerait un manquement à une condition d'admissibilité par suite duquel le demandeur deviendrait probablement une personne appartenant à la catégorie non admissible décrite à l'alinéa 19(2)d) de la Loi.


[12] Toutefois, je ne suis pas convaincue que la demande de M. Haljiti a été refusée parce que celui-ci n'a pas prouvé qu'il possédait les ressources financières nécessaires. Je suis plutôt d'avis que la demande de M. Haljiti a été refusée parce qu'il a omis de présenter une preuve de fonds de la façon précisée par l'agente des visas. J'en arrive à cette conclusion en raison des commentaires suivants de la lettre de refus : [TRADUCTION] « ...ce document est incomplet ... étant donné que vous n'avez pas respecté les dispositions du paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration de 1976 , vous appartenez à la catégorie non admissible décrite à l'alinéa 19(2)d) de la Loi... » . Ces remarques sont compatibles avec les notes consignées dans le CAIPS : [TRADUCTION] « aucune preuve de fonds fournie - seulement une déclaration solennelle selon laquelle le demandeur possède une somme de 40 000 DM, mais qu'il n'a aucun compte en raison de sa situation précaire en Allemagne et du fait qu'il ne serait plus admissible aux prestations d'assurance-chômage si les autorités étaient au courant de ses économies. Par conséquent, aucune évaluation de la capacité du demandeur de s'établir au Canada sans l'aide du gouvernement canadien ne peut être faite » [notes reproduites intégralement, soulignement ajouté]. Je précise également que la lettre de refus ne renvoie nullement au sous-alinéa 7(1)b)(iii) du Règlement.

[13] À mon avis, tout comme une personne qui ment ne devient pas de ce fait membre de la catégorie non admissible, celle qui présente une preuve de ressources financières sous une forme différente de celle que demande l'agent des visas n'appartient pas non plus à cette catégorie simplement en raison de la forme de présentation de cette preuve.


[14] Il ne s'ensuit pas que l'omission de fournir une preuve selon la forme demandée n'entraîne aucune conséquence. Cette omission peut justifier un refus de la demande de visa. Toutefois, contrairement à la conclusion de l'agente des visas en l'espèce, elle n'a pas automatiquement pour effet de rendre la personne non admissible. En formulant une conclusion en ce sens, l'agente des visas a commis une erreur de droit.

[15] En raison de cette erreur, j'estime que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et que l'affaire devrait être renvoyée en vue d'une nouvelle décision par un agent des visas différent.

[16] Avant d'en arriver à cette conclusion, j'ai pris connaissance de la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Dardic c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 326, IMM-6081-99 (8 mars 2001) (C.F. 1re inst.). À mon avis, cette décision peut être distinguée au motif que, dans l'affaire Dardic, la déclaration solennelle demandée n'a pas été fournie et le juge n'a pas cru qu'il était nécessaire d'examiner les conséquences du paragraphe 9(3) et de l'alinéa 19(2)d) de la Loi. Je souligne également que mon collègue, le juge O'Keefe, en est arrivé à une conclusion similaire à la mienne dans l'affaire Tseng c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 746, IMM-2403-99 (31 mai 2000) (C.F. 1re inst.).

[17] Bien que le demandeur ait formulé des questions à certifier, j'estime que les questions posées n'ont pas la portée générale requise et qu'elles ne permettraient pas non plus de trancher un appel.

[18] En conséquence, aucune question n'est certifiée.


                                                                 JUGEMENT

[19] LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente des visas en date du 13 mars 2000 est infirmée et l'affaire doit être renvoyée à un agent des visas différent en vue d'une nouvelle décision.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                           IMM-1916-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Camilj Haljiti

c.

Le ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 21 mars 2001

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                                                 MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                                  le 3 avril 2001

ONT COMPARU :

Me Mary Lam                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Claire LeRiche                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mary Lam                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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