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Date : 19990129


Dossier : T-2643-93



ENTRE :


     LOUISE MARTIN, ANDRE MARTIN ET MICHEL MARTIN

     Mineurs par l'intermédiaire de leur tutrice à l'instance, Louise Martin,

                                     demandeurs,

     et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

PAR L'INTERMÉDIARE DE SON MINISTRE

DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

                                     demanderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Déposée en partie en application de l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale)

LE JUGE GIBSON :


LE CONTEXTE


[1]      Par ordonnance en date du 2 juin 1998 rendue sur demande conjointe des avocats des parties, il a été prévu trois semaines pour l'instruction de cette affaire à London (Ontario), à partir du 18 janvier 1999, 10 h.

[2]      Le vendredi, 18 décembre 1998, une conférence de gestion de l'instruction était convoquée par téléconférence1. C'est moi qui, ayant été désigné comme juge du procès, présidais la conférence. Plusieurs questions furent examinées en rapport avec la gestion de l'instance dans les délais prévus. Aucun signe ne fut donné que l'une ou l'autre des parties ne serait pas prête ou pas capable de procéder le jour prévu.

[3]      Par lettre en date du 4 janvier 1999, la Cour fut avisée que l'avocate principale des demandeurs devait, le même jour, plaider devant la Cour de l'Ontario (division générale) à London. Le procès dans le cadre duquel devait plaider l'avocate devait durer trois semaines, et donc empiéter d'une semaine entière sur le temps prévu pour l'instruction de la présente affaire. L'avocate n'avait été informée que le jeudi 31 décembre que le procès qui faisait interférence commencerait le 4 janvier. Une autre conférence de gestion de l'instruction eut lieu par téléconférence le vendredi 8 janvier. À l'issue de cette conférence, je fis savoir aux avocats que l'instruction de la présente affaire procéderait comme prévu et que, si nécessaire, les témoins cités par les demandeurs pourraient, à quelques réserves près, être interrogés sans suivre l'ordre usuel.

[4]      Par lettre en date du 14 janvier, l'avocate des demandeurs fit savoir à la Cour et à l'avocat de la défenderesse qu'elle entendait présenter à l'ouverture de l'instruction le 18 janvier une requête en ajournement ou report d'instance. La requête, à l'appui de laquelle furent produits deux affidavits, fut remise le 15 janvier. L'affidavit de Louise Martin, la demanderesse principale, rappelait le caractère délicat du témoignage qu'elle serait tenue de rendre à l'audience et insistait sur le fait qu'elle comptait beaucoup sur son avocate principale avec qui elle avait [traduction] " ...établi une relation de confiance qui lui permettait d'évoquer ces sujets délicats ". Mme Martin a affirmé ne pas entretenir ce type de rapport avec l'avocat en second. Selon son affidavit :

[traduction] Je ne me sens pas confortable à l'idée de voir l'avocat en second assumer cette tâche à l'instance.

[5]      L'affidavit de l'avocate principal évoquait lui aussi le rapport qui s'était créé entre elle et Mme Martin et les efforts qu'elle avait faits, sans toutefois parvenir à modifier son emploi du temps, afin d'être là pour le début de l'instruction de la présente affaire.

[6]      À l'ouverture de l'audience le lundi 18 janvier, l'avocat en second des demandeurs présenta une requête en ajournement de l'instruction ou un report de l'instance. Après avoir entendu les avocats des deux parties, je rejetais la requête. Une copie de l'ordonnance que j'ai rendue ce jour là est jointe à titre d'annexe A.

[7]      Suite au rejet de la requête présentée au nom des demandeurs, l'instruction se déroula conformément à l'ordonnance que j'avais rendue le même jour. Tard dans l'après-midi de la deuxième journée de l'instruction, l'avocat des demandeurs sollicita une réunion dans mon cabinet. Lors de cette réunion, il me fit savoir que certains renseignements avaient été portés à son attention le jour même, renseignements qui nuiraient aux efforts des demandeurs en vue de plaider correctement leur cause si l'instruction se poursuivait conformément à mon ordonnance en date du 18 janvier. Deux solutions possibles furent offertes à l'avocat des demandeurs mais ni l'une ni l'autre n'était, semble-t-il, acceptable.

[8]      Le matin du troisième jour d'instruction, le mercredi 20 janvier, l'avocat des demandeurs présenta une requête verbale demandant soit que je retire mon ordonnance du 18 janvier soit que je la modifie. Encore une fois, après avoir écouté les conclusions des avocats, je rendais une ordonnance rejetant la requête. Une copie de cette ordonnance est jointe à titre d'annexe B aux présents motifs. J'en ai exposé les motifs à l'audience. Ce qui suit est une transcription des motifs exposés à l'audience, avec de légères corrections et l'ajout de références.

MOTIFS, EXPOSÉS À L'AUDIENCE, D'UNE ORDONNANCE RENDUE EN CETTE AFFAIRE LE 20 JANVIER 1999

         MOTIFS DE LA DÉCISION

[9]      LA COUR : Je vais maintenant rendre ma décision à l'égard de ce que j'interprète comme une requête verbale présentée ce matin, sans préavis, au nom des demandeurs.

[10]      J'entends rejeter la requête en ajournement ou en report jusqu'à lundi prochain, et ce pour deux motifs. D'abord, l'avocat des demandeurs me demande de revenir sur ma décision en date du lundi 18 janvier, décision qui a fait l'objet d'une ordonnance de la Cour datée du même jour. L'avocat me demande en fait de me déjuger, ou de modifier ma décision, mais j'estime en fait qu'il me demande de me déjuger. J'estime ne pas avoir la compétence nécessaire pour connaître d'une requête qui constitue en fait un appel interjeté de ma propre décision.

[11]      Si l'avocat des demandeurs me demande de faire ce qui pourrait être interprété comme une modification de mon ordonnance en date du 18 janvier, ma compétence en la matière, comme l'indique à la Cour M. Morris, est prévue à la règle 399 (2) des Règles de la Cour fédérale et, en particulier, à l'alinéa a) qui me permet d'annuler ou de modifier une ordonnance en raison de faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue.

[12]      L'argumentation développée par l'avocat des demandeurs fait effectivement valoir que des faits nouveaux sont survenus après que j'ai rendu mon ordonnance précédente, mais j'estime que ces faits ne relèvent pas de la règle 399 (2)a), et n'expliquent pas entièrement pourquoi l'argument est invoqué au point où nous en sommes.

[13]      En ce qui concerne les faits qui ont été découverts après mon ordonnance, dans le temps très court dont j'ai disposé pour étudier la question, je renvoie à l'affaire Saywack c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration)2, arrêt rendu en 1986 par la Cour fédérale et résumé à la page 703 du Federal Court Practice de 1999, communément appelé le " Sgayias ". Selon le résumé de cette affaire, la Cour d'appel fédérale a estimé, d'abord, que [traduction ] " pour obtenir de la Cour la mesure qu'il sollicite, le demandeur doit d'abord démontrer que les faits nouveaux ont été découverts après que le jugement contesté a été rendu ".

     [14]      Deuxièmement, le demandeur doit établir que les nouveaux faits " n'auraient pas pu, par une diligence raisonnable, être découverts plus tôt " et, troisièmement, que ces nouveaux faits " ...à supposer qu'on en ait fait état au cours de l'action, auraient été susceptibles de porter la Cour à juger différemment ". Sans aborder le troisième volet du critère, je ne suis pas convaincu que, par une diligence raisonnable, il n'aurait pas été possible de découvrir plus tôt les nouveaux faits invoqués. Cela étant, j'estime que la règle 399 ne me permet pas de rendre l'ordonnance sollicitée par l'avocat.

[15]      L'avocat des demandeurs fait valoir que mon ordonnance du 18 janvier, compte tenu des circonstances dont on a eu connaissance depuis, portera préjudice à la demanderesse. Si c'est effectivement le cas, je le regrette vivement.

[16]      L'avocat des demandeurs fait valoir que le préjudice en question résultera de la cette division dont a fait l'objet cette instance. Je ne saurais retenir cet argument. Si préjudice il y a, celui-ci résulte du fait que l'avocate choisie par les demandeurs n'était pas disponible et cette indisponibilité n'est le fait ni de la défenderesse ni de la Cour.

[17]      En fait, la demanderesse principale avait à faire un choix; diviser l'instance ou ne pas être interrogée par l'avocate qu'elle avait choisie. Je ne pense pas que d'autres solutions aient vraiment été proposées. La Cour a rendu l'ordonnance du 18 janvier car c'était, pour elle, la seule solution permettant à la fois de répondre aux souhaits de la demanderesse principale, qui était d'être interrogée par l'avocate qui avait sa préférence et, en même temps, de voir l'instruction procéder dans les délais prévus.

[18]      L'avocat des demandeurs m'a cité un certain nombre d'affaires dans lesquelles l'avocat chargé du dossier avait cessé d'occuper, entendant les appliquer en l'espèce par analogie. J'évoque ici l'affaire T1T2 Limited Partnership3 citée par l'avocat des demandeurs.

[19]      Avant cela, ce qui nous mènera à une autre question, voyons l'affaire Flynn4. Le sommaire de cette affaire, qui m'a été cité, dit en partie ceci : [traduction] " Le droit d'une défenderesse d'être représentée par l'avocat qui a sa préférence ne doit pas l'emporter sur la bonne administration de la justice, qui exige que les avocats évitent tout signe d'inconvenance ". Cela s'interprète, par analogie, comme volant dire que le droit d'une demanderesse à être représentée par l'avocat qui a sa préférence ne l'emporte pas sur l'intérêt général qui plaide pour une justice rapide et efficace, conformément à la tradition de la Cour qui veut que les instructions commencent le jour fixé par ordonnance de la Cour, d'ailleurs assez longtemps à l'avance.

[20]      Selon les motifs exposés dans le cadre de l'affaire T1T2 Limited Partnership, il faut, en pareille circonstance, que le préjudice que le retard est susceptible de causer au défendeur soit effectif pour que se justifie un refus d'ajournement. Dans cette affaire il s'agissait d'un ajournement de dix semaines. Or, si en l'espèce, il ne s'agissait que d'un ajournement de trois jours, il est tout à fait possible qu'en raison de ce retard l'instruction ne puisse pas être achevée dans les délais prévus, c'est-à-dire dans les trois semaines, ce délai ayant été fixé de concert avec les avocats. Si l'affaire n'était pas menée à terme dans les trois semaines prévues, étant donné l'emploi du temps des avocats et le calendrier de la Cour, il est tout à fait possible que le retard qui en découlerait dépasserait largement les dix semaines.

[21]      Cette affaire a été engagée devant la Cour en 1993. Il n'est pas dans l'intérêt de la justice que l'on prenne le risque de nouveaux retards considérables.

[22]      Pour l'ensemble de ces motifs, la requête présentée verbalement au nom des demandeurs est rejetée.


ÉVÉNEMENTS SUBSÉQUENTS

[23]      Appel a été interjeté des ordonnances en cause. Suite à une audience qui a eu lieu en urgence devant la Cour d'appel par téléconférence le lundi 22 janvier, le juge Strayer a rendu une ordonnance formulée en ces termes :

     [traduction]

La requête en suspension ou en ajournement d'instance est rejetée, les dépens suivant l'issue de la cause.


La requête par laquelle l'avocat demandait de vive voix à la Cour de donner des instructions afin que l'on entende d'autres témoins concernant le préjudice éventuel est également rejetée, la question relevant du juge du procès.


                             FREDERIC E. GIBSON

                                 Juge



Ottawa (Ontario)

Le 29 janvier 1999


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier

Annexe A

Date : 19990129


Dossier : T-2643-93


London (Ontario) le lundi 18 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE : M. le juge Gibson

ENTRE :


     LOUISE MARTIN, ANDRE MARTIN ET MICHEL MARTIN

     Mineurs par l'intermédiaire de leur tutrice à l'instance, Louise Martin,

                                     demandeurs,

     et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

PAR L'INTERMÉDIAIRE DE SON MINISTRE DE

L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

ET LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

                                     demanderesse.


     ORDONNANCE

     Sur demande présentée au nom de la demanderesse et déposée en début d'audition de la présente action en ce jour, en vue d'abréger le délai de signification, d'ajourner l'instruction ou, subsidiairement, de reporter l'instruction au 25 janvier 1999 ainsi que de toute autre mesure que la Cour jugera bon d'autoriser.

     Après avoir entendu les avocats des parties et examiné les documents déposés, et notamment les preuves concernant le souhait, exprimé par la demanderesse, d'être interrogée par l'avocate qu'elle a choisie et avec qui s'est établi un rapport de confiance, ladite avocate n'étant pas disponible avant le 25 janvier 1999 en raison d'engagements devant une autre Cour;

     La Cour ayant décidé que la cause peut procéder en examinant d'abord la question de la responsabilité et que ce n'est qu'après l'ensemble des témoignages et des plaidoiries sur cette question que l'on passera aux témoignages et plaidoiries concernant les dommages-intérêts, cette partie de l'instruction étant justement celle que concerne le témoignage de la demanderesse;

LA COUR ORDONNE QUE :

     Sous réserve que l'instruction se déroule comme prévu, et que soient abrégés les délais de signification, la demande déposée au nom de la demanderesse est intégralement rejetée.

                         FREDERIC E. GIBSON

                             Juge


JE CERTIFIE que le document ci-dessus est une copie conforme de l'original déposé au greffe de la Cour fédérale du Canada le 18 janvier 1999 (signature)
SUSAN J. FINDLAY
GESTIONNAIRE

Annexe B

Date : 19990129


Dossier : T-2643-93

London (Ontario) le mercredi 20 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE : M. le juge Gibson

ENTRE :

     LOUISE MARTIN, ANDRE MARTIN ET MICHEL MARTIN

     Mineurs par l'intermédiaire de leur tutrice à l'instance, Louise Martin,

                                     demandeurs,

     et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

PAR L'INTERMÉDIAIRE DE SON MINISTRE DE

L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

ET LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

                                     demanderesse.

     ORDONNANCE

     Sur demande présentée oralement au nom de la demanderesse sans préavis au début de la seconde journée de l'instruction de cette affaire en ce jour, tendant à l'ajournement ou report de l'instruction au lundi 25 janvier 1999;

     Après avoir examiné les arguments avancés par les avocats de la demanderesse et de la défenderesse;

LA COUR ORDONNE :

     Pour les motifs exposés à l'audience, la demande est rejetée.

                         FREDERIC E. GIBSON

                             Juge

JE CERTIFIE que le document ci-dessus est une copie conforme de l'original déposé au greffe de la Cour fédérale du Canada le 20 janvier 1999 (signature)
SUSAN J. FINDLAY
GESTIONNAIRE

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-2643-93


INTITULÉ DE LA CAUSE :      LOUISE MARTIN ET AUTRES C. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR SON MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      LONDON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 20 JANVIER 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

DATE :      LE 29 JANVIER 1999


ONT COMPARU :

Mme LOU-ANNE FARRELL      POUR LES DEMANDEURS

M. WAYNE MORRIS      POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LERNER & ASSOCIATES      POUR LES DEMANDEURS

LONDON (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG      POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

     1      Voir Règles de la Cour fédérale (1998), règle 270; DORS/98-106.

     2          [1986] 3 C.F. 189 (C.A.).

     3      T1T2 Partnership c. Canada (Procureur général), [1995] O.J. no 3049, 18 octobre 1995 (Q.L.).

     4      Flynn Development Ltd. et al. v. Central Trust Co. (1985), 51 O.R. (2d) 57.

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