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Date : 20020305

Dossier : T-453-00

Référence neutre : 2002 CFPI 248

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

demandeur

- et -

Jacob Fast

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]    Le 25 octobre 2001, le juge en chef adjoint Lutfy a rendu une ordonnance à la suite d'une requête demandant que le défendeur, Jacob Fast, soit appelé à comparaître à un interrogatoire préalable, tel que le prévoit l'article 97 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. À l'époque où l'ordonnance a été rendue, un tuteur à l'audience avait été désigné pour M. Fast. Le juge en chef adjoint a accordé au demandeur la réparation qu'il recherchait avec des conditions. La condition faisant maintenant l'objet d'un débat est celle qui apparaît au paragraphe 10 de l'ordonnance et qui prévoit ce qui suit :

[traduction]

Dans le cas où la demanderesse voudrait se prévaloir de son droit de présenter au procès quelque partie que ce soit de l'interrogatoire préalable du défendeur, en vertu de l'article 288 des Règles de la Cour fédérale (1998), elle ne peut le faire qu'avec l'autorisation du juge qui préside l'audience (voir le paragraphe 31.11(5) des Règles de procédure civile de l'Ontario).

Les règles auxquelles il est fait référence dans l'ordonnance prévoient ce qui suit :

288. Une partie peut, à l'instruction, présenter en preuve tout extrait des dépositions recueillies à l'interrogatoire préalable d'une partie adverse ou d'une personne interrogée pour le compte de celle-ci, que la partie adverse ou cette personne ait déjà témoigné ou non.

288. A party may introduce as its own evidence at trial any part of its examination for discovery of an adverse party or of a person examined on behalf of an adverse party, whether or not the adverse party or person has already testified.

31.11(5) La déposition d'une partie incapable recueillie à l'interrogatoire préalable ne peut être consignée ou utilisée en preuve qu'avec l'autorisation du juge qui préside.

[2]    Le demandeur affirme que l'ordonnance du juge en chef adjoint a pour effet de lui imposer le fardeau de démontrer que M. Fast était apte à témoigner personnellement. Une fois que l'on a établi son habilité, l'ordonnance n'a plus d'effet et la déposition de M. Fast peut être consignée sans autre autorisation, sous réserve seulement du droit du défendeur de demander que soient consignées des questions et des réponses explicatives, le cas échéant, dans le but de clarifier le sens de certaines questions et réponses.


[3]                 Le défendeur prétend que l'ordonnance permet de contester la déposition de deux manières, l'une concernant la question d'habilité et l'autre portant sur toute question particulière que le demandeur propose de consigner. En plus, le défendeur cherche à exclure la déposition faite au moment de l'interrogatoire préalable en raison du fait que, puisque M. Fast est incapable, il incombe à la partie qui l'interroge d'établir qu'il est au courant de ses obligations résultant de son affirmation solennelle. En dernier lieu, le défendeur affirme qu'il y avait un nombre suffisant de passages dans lesquels il y avait des échanges non traduits entre M. Fast et l'interprète pour que l'on ne puisse être certain à quelle question M. Fast répondait.

[4]                 Le juge en chef adjoint a également ordonné que l'interrogatoire préalable soit enregistré sur vidéo. Avec le consentement des deux parties, j'ai examiné des parties importantes de la bande vidéo et de la transcription de la procédure dans le but de trancher la question de l'autorisation. Ledit examen n'était effectué que dans un but limité et il ne sera utilisé qu'aux fins de traiter la présente demande.


[5]                 La règle habituelle pour ce qui est de consigner la déposition provenant des interrogatoires préalables consiste en ce que la partie interrogatrice a pleine discrétion pour consigner les parties de l'interrogatoire dans le cadre de son dossier. La seule restriction consiste dans le droit de la partie adverse de demander que soient ajoutées des questions et réponses qui clarifieront le sens des questions et réponses consignées. Les Règles de la Cour fédérale (1998) n'ont pas d'équivalent au paragraphe 31.11(5) des Règles de procédure civile de l'Ontario traitant de la consignation de la déposition d'une personne incapable effectuée au moment de l'interrogatoire préalable.

[6]                 En l'absence de l'ordonnance du juge en chef adjoint, la question du traitement de la déposition de M. Fast effectuée au moment de l'interrogatoire préalable serait régie par l'article 288 des Règles mentionné plus haut, lequel permet à une partie de consigner la déposition d'une partie adverse ou d'une personne interrogée pour le compte de celle-ci. En d'autres mots, une fois qu'une décision est prise selon laquelle une personne est apte à subir un interrogatoire, de sorte qu'une ordonnance soit rendue en vertu du paragraphe 237(6) des Règles, le droit de la partie d'utiliser la déposition ainsi obtenue est illimité. Le paragraphe 237(6) des Règles prévoit ce qui suit :

(6) La partie qui entend soumettre à un interrogatoire préalable la personne nommée, en application de la règle 121, pour agir au nom d'une personne qui n'a pas la capacité d'ester en justice peut aussi, avec l'autorisation de la Cour, soumettre cette dernière à un interrogatoire préalable.

(6) Where a party intends to examine for discovery a person appointed under rule 121 to act on behalf of a person under legal disability, with leave of the Court, the party may also examine the person under disability.


[7]                 En l'espèce, aucune demande n'a été faite en vertu du paragraphe 237(6) des Règles, puisque la procédure a été engagée par une demande en vertu de l'article 97 des Règles traitant du défaut d'une personne de comparaître aux interrogatoires préalables. Il appert des termes de l'ordonnance que le juge en chef adjoint renvoyait la question d'habilité pour qu'elle soit tranchée par le juge qui préside l'audience.

[8]                 Ayant examiné des parties importantes de la bande vidéo de l'interrogatoire préalable, je peux affirmer que M. Fast est, sous certaines conditions, en mesure de rendre compte de ses activités pendant la guerre. Il y a des échanges de questions et réponses au cours desquels il semble que M. Fast est conscient des questions qui lui sont posées et qu'il y répond. Cependant, il y a d'autres parties où il est clair que M. Fast est confus et que ses réponses ne répondent pas aux questions qui sont posées. Il y a plusieurs passages où il est évident que M. Fast et Me Vita se parlent à contre-courant. À différentes occasions, il donne des réponses contradictoires à la même question. Somme toute, l'impression qui domine est celle de quelqu'un qui est plus ou moins conscient des événements dans lesquels il est impliqué.

[9]                 L'avocat du ministre a fait remarquer que l'habilité constitue une question de capacité et non d'exercice de la capacité. Le fait que quelqu'un ne puisse pas se souvenir d'un point particulier ne signifie pas qu'il n'a pas la capacité de s'en souvenir. Cela signifie simplement qu'il ne peut se souvenir d'un événement particulier. L'avocat du ministre cite le passage suivant de l'arrêt R.v. Farley (1995) 99 C.C.C. (3d) 76 au soutien de cette assertion :


[traduction]

Les éléments cognitifs et communicatifs du critère d'habilité que l'on retrouve au paragraphe 16(3) réfèrent à la capacité et non à la perception, à la narration et au souvenir réels du témoin proposé des événements pertinents. Une personne peut avoir la capacité de percevoir, de se souvenir et de raconter et être pourtant incapable d'exécuter une ou plusieurs de ces fonctions dans une situation donnée. Par exemple, un témoin qui n'a réellement aucun souvenir des événements pertinents n'est pas, de ce fait, déclaré incapable, à moins que l'incapacité de se souvenir soit un reflet de l'absence de capacité de se souvenir. Il faut également souligner que les éléments cognitifs et communicatifs du paragraphe 16(3) ont établi un seuil relativement bas au sujet de l'habilité à témoigner. Une fois que la capacité de percevoir, de se rappeler et de raconter est établie, toute insuffisance au niveau de la perception, du souvenir ou de la narration d'un témoin en particulier affecte la valeur du témoignage de ce témoin et non l'habilité de ce témoin à témoigner : R. c. Marquard, précité, à la page 220.

[10]            Malgré que l'examen dans Farley soit en relation avec la question de savoir si un témoin a la capacité de comprendre un serment, ce qui fait l'objet du paragraphe 16(3) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, et dont il est question dans le passage précédent, le critère qui y est énoncé est applicable également pour savoir si une personne est apte à témoigner dans le sens de la capacité mentale. Cela représente un seuil relativement modeste à franchir. Tout compte fait, je conclus que M. Fast satisfait au critère.


[11]            Reste la question de savoir si l'ordonnance du juge en chef adjoint exige ou permet qu'une autorisation soit donnée par rapport à chaque question et réponse que l'on désire inclure. Les questions et réponses des interrogatoires préalables tendent toujours à se révéler incomplets, puisqu'elles sont, par définition, de simples sélections à partir d'un plus grand ensemble d'éléments de preuve. La possibilité d'injustice existe dans un litige civil ordinaire où les parties ne sont pas incapables. Le recours prévu est l'occasion de consigner des passages explicatifs. Bien que cela ait habituellement une portée assez limitée, on peut l'étendre afin de satisfaire aux besoins d'un cas particulier. En l'espèce, les passages explicatifs pouvaient être consignés afin de démontrer que la réponse que l'on vise à consigner n'exprimait pas de façon adéquate le témoignage de M. Fast.

[12]            Il y a également la circonstance additionnelle des échanges non traduits entre M. Fast et l'interprète dans lesquels l'interprète semblait faire plus que de simplement répéter la question. Il semble qu'à certains moments, on donnait à M. Fast certains conseils et, sans savoir ce qui s'est dit, il est difficile de savoir à quelle question répond M. Fast. Il s'agit d'une circonstance appropriée pour exclure une réponse, puisqu'il ne s'agit pas là de préciser la réponse à l'aide d'autres commentaires qui ont été faits. La question à laquelle une réponse est donnée n'est pas connue. Cela devra être décidé en fonction de chaque cas.


[13]            En ce qui concerne la question de l'absence de preuve d'une compréhension du serment ou de l'affirmation solennelle faite par M. Fast, le passage précité de Farley traitait précisément de cette question. Je suis convaincu que le fait d'exiger un tuteur à l'audience ne crée pas, en soi, de présomption selon laquelle M. Fast aurait une lacune au niveau de l'appréciation de la nécessité de dire la vérité. De plus, en examinant la bande vidéo de l'interrogatoire, je n'ai rien vu qui suggérait que M. Fast ne comprenait pas qu'il avait l'obligation de répondre sans mentir. De fait, rien, mise à part la nomination du tuteur à l'audience, ne suggère qu'il ne comprenait pas son obligation et je conclus que cela est insuffisant pour déclarer la preuve inadmissible par suite du défaut d'enquêter au sujet de la compréhension par M. Fast de la signification de son affirmation solennelle.

ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, le demandeur a l'autorisation de consigner des questions et des réponses à partir de l'interrogatoire préalable du défendeur, sous réserve du droit du défendeur de proposer que des passages additionnels soient consignés afin d'expliquer les passages qu'on vise à consigner ou pour démontrer qu'ils ne représentent pas de manière adéquate le témoignage du défendeur. Le défendeur a l'autorisation de s'opposer à ce que des questions et des réponses provenant de son interrogatoire préalable soient consignées, en ce qui a trait aux échanges non traduits entre lui-même et l'interprète qui soulèvent un doute quant à savoir si la question à laquelle on répondait est celle qui était posée.

        « J. D. Denis Pelletier »         

   Juge                       

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                 T-453-00

INTITULÉ :              Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c. Jacob Fast

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Les 27 et 28 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER EN DATE DU :                                     5 mars 2002

COMPARUTIONS:

Peter A. Vita, c.r.

Catherine C. Vasilaros                                                     POUR LE DEMANDEUR

Michael Davies

Harold A. Mattson                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DEMANDEUR

Bayne, Sellar, Boxall

Ottawa (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR

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