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Date : 20000106

Dossier : T-906-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 JANVIER 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

INVERHURON & DISTRICT RATEPAYERS' ASSOCIATION

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LA COMMISSION DE CONTRÔLE DE L'ÉNERGIE ATOMIQUE et

LA ONTARIO POWER GENERATION INCORPORATED

défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La demanderesse Inverhuron & District Ratepayers' Association a présenté cette demande en vue d'obtenir l'autorisation de déposer un affidavit supplémentaire à l'égard d'une demande de contrôle judiciaire qui doit être entendue le 10 janvier 2000. Les défendeurs s'opposent avec véhémence à la demande.


[2]         La demande de contrôle judiciaire vise à faire annuler la procédure d'évaluation environnementale qui a abouti à l'approbation d'une installation de stockage de déchets radioactifs au Bruce Nuclear Power Development. L'un des motifs invoqué à l'appui de l'annulation est qu'il n'a pas été dûment tenu compte de l'incertitude qui existe au sujet des effets environnementaux du projet sur le plan de la santé humaine. En présentant sa preuve, la demanderesse a notamment déposé un avis d'expert dans lequel était incorporé un sommaire d'une étude effectuée pour la Commission de contrôle de l'énergie atomique défenderesse, lequel montrait que la leucémie infantile était plus fréquente que prévue dans un rayon de 25 milles de deux centrales nucléaires, dont l'une était le Bruce Nuclear Power Development. Les défendeurs ont déposé en réponse l'affidavit dans lequel Mme Suzana Fraser exprimait l'opinion selon laquelle l'incidence plus élevée de leucémie infantile n'était pas statistiquement significative. On a procédé aux contre-interrogatoires au sujet des affidavits en se fondant sur le fait que toute la preuve avait été soumise. On a préparé, signifié et déposé des observations écrites en se fondant sur le fait que toute la preuve avait été soumise. La demanderesse a ensuite informé les défendeurs qu'elle voulait déposer une preuve par affidavit supplémentaire en réponse à la preuve soumise par Mme Fraser. Les défendeurs s'y sont catégoriquement opposés. Finalement, un avis de requête a été signifié et déposé, la requête devant être présentée le 10 janvier 2000. Des dispositions ont été prises pour que la demande soit entendue le 5 janvier 2000.


[3]         L'affidavit que la demanderesse veut déposer est celui de M. David Hoel, un scientifique distingué qui estime que l'analyse statistique utilisée par Mme Fraser n'est pas appropriée et donne lieu à une conclusion erronée au sujet de la signification statistique de la fréquence observée de leucémie infantile. M. Hoel critique également l'analyse statistique employée par les auteurs initiaux du rapport et conclut qu'ils ont eux aussi tiré des conclusions erronées au sujet de la signification statistique des données.

[4]         La demanderesse cherche à présenter cette preuve en affirmant qu'elle est pertinente et admissible et qu'elle peut expliquer la raison pour laquelle elle a tardé à déposer le document. Les défendeurs s'opposent à la demande pour le motif qu'elle équivaut à diviser la cause de la demanderesse et que la chose leur causera un préjudice étant donné que l'audience doit avoir lieu d'ici quelques jours. La date d'audience est importante parce que cette affaire est assujettie au processus de gestion de l'instance depuis un certain temps, de sorte qu'un calendrier et une date d'audience ont été fixés. Toutes les parties se sont fondées sur ce calendrier. Étant donné que le rôle est chargé, s'il faut trouver une autre date d'audience, cela aura pour effet de causer un retard considérable.

[5]         Dans l'arrêt Munsingwear Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F. 541, à la page 546, la Cour d'appel fédérale a statué que la demanderesse qui sollicite une prorogation du délai de dépôt d'un affidavit doit convaincre la Cour de ce qui suit :


Une partie qui demande à la Cour la permission de produire un document hors délai en vertu de la Règle 704(8) doit satisfaire ce test que le juge Strayer, dans Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd. (1990), 32 C.P.R. (3d) 240 (C.F. 1re inst.), à la page 242, a défini comme suit :

Il ressort nettement de la jurisprudence que, lorsque la Cour étudie une demande de prorogation de délai, en conformité avec la Règle 704(8), elle doit tenir compte à la fois des raisons invoquées pour justifier le retard et de la valeur intrinsèque des affidavits (c.-à-d. de leur pertinence, de leur recevabilité, de leur utilité éventuelle pour la Cour). Le tribunal a déclaré dans certains précédents qu'il fallait apprécier ensemble les deux facteurs : voir p. ex., McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Ltée (1987), 17 C.P.R. (3d) 478, aux p. 479 et 480, 16 C.I.P.R. 107 (C.F. 1re inst.); Joseph E. Seagram & Sons c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1988), 23 C.P.R. (3d) 283, à la p. 284, 13 A.C.W.S. (3d) 36 (C.F. 1re inst.). Estimant qu'il s'agit de la méthode qui convient en l'espèce, je conclus qu'elle signifie qu'il faut peser l'importance du retard par rapport à la valeur possible des affidavits et que l'un de ces deux facteurs peut l'emporter sur l'autre.

[6]         D'autre part, si l'on considère ici qu'il s'agit du dépôt de la contre-preuve, la jurisprudence adopte une approche légèrement différente : Ruggles c. Fording Coal Ltd., [1999] A.C.F. 906 (1re inst.).

La règle 84(2) dispose :

La partie qui a contre-interrogé l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête ou d'une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour.

Cette disposition est similaire à l'ancienne règle 332.1(6) des Règles de la Cour fédérale.

Les règles relatives au dépôt d'un affidavit supplémentaire après le contre-interrogatoire sont énoncées par le juge Dubé dans Guylaine Côté c. La Reine, jugement non publié daté du 27 mai 1992 dans le dossier T-1206-89. Citant la règle 332.1(6), le juge Dubé a examiné différentes affaires antérieures et conclu que cette jurisprudence faisait ressortir trois critères à satisfaire pour obtenir l'autorisation de la Cour :

1.              l'information comprise dans l'affidavit était-elle disponible avant l'interrogatoire en question?

2.              les faits établis par l'affidavit supplémentaire sont-ils pertinents au litige?

3.              le dépôt de l'affidavit supplémentaire peut-il causer un préjudice grave aux autres parties?


[7]         À mon avis, le critère à appliquer est celui qui a été énoncé dans l'arrêt Ruggles. Il ne s'agit pas simplement d'une demande de prorogation de délai. Il s'agit d'une demande visant à permettre le dépôt d'un élément de preuve supplémentaire à un moment où la phase du procès se rapportant à la preuve serait normalement terminée.

[8]         Je ne suis pas convaincu que l'affidavit de M. Hoel doive être déposé en ce moment. Voici mes motifs.

[9]         La preuve présentée par M. Hoel se rapporte à une question qui était clairement prévue par les parties au moment où la demande a été présentée. À ce moment-là, on estimait que la question était « couverte » par la preuve des experts dont les services avaient été retenus par la demanderesse, lesquels ont soumis en preuve le rapport de la CCEA (ou un résumé de ce rapport).


[10]       La preuve que l'on veut soumettre par l'entremise de M. Hoel était disponible au moment des dépôts initiaux. Il est vrai que la demanderesse n'avait pas demandé à M. Hoel d'exprimer un avis à ce moment-là, mais les connaissances spéciales de celui-ci étaient disponibles et faisaient partie du domaine public en raison des nombreuses publications dont il était l'auteur, comme le montre son curriculum vitae. Une partie est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible. Autoriser maintenant la présentation de la preuve, c'est autoriser la demanderesse à étayer sa preuve après que les défendeurs ont élaboré leur propre preuve de façon à réfuter celle de la demanderesse.

[11]       Les défendeurs disent que les faits que M. Hoel doit présenter ne sont pas vraiment pertinents en l'espèce, étant donné que le contrôle judiciaire ne vise pas à régler des controverses scientifiques, mais à permettre de déterminer si le décideur a agi conformément au droit. La demanderesse affirme que cet élément de preuve est fort important et qu'il devrait être admis de façon que la Cour dispose d'un dossier complet. Je souscris aux remarques que le juge Strayer (tel était alors son titre) a faites dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada [1992] 3 C.F. 42, aux pages 48 et 49 :

Quant aux décisions prises en vertu de l'article 13 au sujet de la question de savoir si les préoccupations du public sont telles qu'un examen public est « souhaitable » , je souscris à l'avis du juge MacKay, à savoir que la Cour a le droit, dans le cadre d'une révision judiciaire, de déterminer si le ministre a agi de bonne foi et a tenu compte de considérations pertinentes. À moins que la Cour ne soit convaincue que la décision est fondée sur des facteurs qui n'étaient absolument pas pertinents, elle ne peut pas annuler pareille décision. Il n'incombe pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de l'importance et de la nature des préoccupations du public et de déterminer si un examen public est « souhaitable » .

Compte tenu de ce rôle restreint de la Cour, il n'est pas opportun de présenter une opinion de fait ou d'expert au sujet de la nature ou de l'étendue des effets possibles sur l'environnement en tant que tels. La Cour et, par conséquent, les parties, doivent se demander (1) si l'activité est visée par les lignes directrices et si une évaluation initiale est une question de droit visée par l'article 10; (2) si le ministre responsable a effectué pareille évaluation en vertu de l'article 12; (3) dans l'affirmative, si une décision a apparemment été prise en vertu de l'article 12, mais sans qu'il ne soit tenu compte des facteurs pertinents; et (4) dans le cas où une décision a été prise en vertu de l'article 13, si elle a été prise sans qu'il ne soit tenu compte des facteurs pertinents.


[12]       Ces remarques se rapportent à un texte législatif différent, mais elles sont valables en l'espèce. Les critères législatifs dont le ministre doit tenir compte comprennent la détermination de la question de savoir s'il y avait de l'incertitude au sujet de l'étendue des effets environnementaux de la radiation sur la santé humaine. Je ne statuerai pas sur la question de savoir si un avis d'expert exprimé un certain temps après que le ministre a pris sa décision est pertinent et je me contenterai de dire que la Cour est saisie de la question de l'incertitude même en l'absence de cette preuve, compte tenu de la littérature scientifique volumineuse mentionnée par tous les experts.

[13]       La question du préjudice doit être appréciée compte tenu du contexte. En l'espèce, les parties se sont engagées dans un long processus de gestion de l'instance qui a abouti à la fixation de la date de l'audience il y a quelques mois. Les parties se sont toutes conformées au calendrier imposé par cette date d'audience. Étant donné qu'il est difficile d'obtenir des dates d'audience, la possibilité de perdre cette date d'audience de façon à permettre des contre-interrogatoires et des requêtes visant à l'obtention de l'autorisation de déposer des affidavits en réponse à la preuve de M. Hoel cause un grave préjudice à toutes les parties, et non simplement aux défendeurs. Il est injuste de s'attendre à ce que les parties se dépêchent de faire tout ce qui doit être fait pour permettre la présentation de cette preuve en trois jours la veille d'une audience pour laquelle deux jours et demi ont été prévus. Si la justice l'exigeait, il faudrait renoncer à la date de l'audience, mais je ne suis pas convaincu que la justice exige que l'affidavit de M. Hoel soit soumis à la Cour, même si je comprends bien pourquoi la demanderesse aimerait qu'il le soit.


[14]       Pour ces motifs, la requête est rejetée. La question des dépens sera examinée dans le contexte de l'adjudication des dépens de la demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

La requête est rejetée.

                  J.D. Denis Pelletier                    

      Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        T-906-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Inverhuron & District Ratepayers' Association c. Le ministre de l'Environnement et autres

DATE DE L'AUDIENCE :               les 4 et 5 janvier 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE PELLETIER EN DATE DU 6 JANVIER 2000.

ONT COMPARU :

Rodney Northey                                               pour la demanderesse

Brian Saunders                                                 pour le défendeur (le ministre de l'Environnement)

John Laskin                                                       pour la défenderesse (la Ontario Power Generation Incorporated)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birchall, Northey                                              pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                             pour le défendeur (le ministre de l'Environnement)

Sous-procureur général du Canada

Tory Haythe                                                      pour la défenderesse (la Ontario Power Generation Incorporated)


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