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Date : 19981015


Dossier : T-1064-97

Entre :

     GROUPE TREMCA INC.

     et

     JAGNA LIMITED

     Demanderesses

     - et -

     TECHNO-BLOC INC.

     Defenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"un appel de la décision rendue le 3 juillet 1998 par Me Richard Morneau, protonotaire de la Cour fédérale, rejetant la requête de la défenderesse afin que le procureur des demanderesses soit déclaré en conflit d"intérêts dans la présente action et qu"il soit, en conséquence, déclaré inhabile à continuer d"occuper pour les demanderesses.

[2]      Il s"agit d"une action intentée par les demanderesses en contrefaçon du brevet canadien numéro 1,182,295.

[3]      La description des faits et de la question en litige telle que décrite par Me Richard Morneau, protonotaire, reflète très bien la situation.

[4]      Il apparaît utile de rappeler que les procureurs de part et d"autre s"entendent à l"effet que l"étude Robic, agents de brevet et marques de commerce et la firme de procureurs Léger Robic Richard, ne font qu"une pour les fins des présentes.

[5]      Il est également admis qu"il y aurait eu trois rencontres entre M. Ciccarello, vice-président de la défenderesse, et M. Antoine Gauvin, agent de brevet pour la firme Robic.

[6]      Les procureurs des parties ont longuement décortiqué la décision Succession MacDonald c. Martin1, à l"intérieur de laquelle l"honorable juge Sopinka a déterminé les principes généraux à suivre en matière de conflit d"intérêts pour les avocats impliqués dans un dossier.

[7]      Le point en litige consiste à savoir si des informations confidentielles ont été échangées lors de ces rencontres et si M. Gauvin, et en conséquence les avocats du bureau Léger Robic Richard, se sont retrouvés par la suite en conflit d"intérêts lorsqu"ils ont pris partie en faveur des demanderesses, dans le présent dossier.

[8]      Le procureur de la défenderesse Techo-Bloc Inc. soutient que des informations confidentielles ont été transmises au moment de ces rencontres et qu"en conséquence les procureurs de Léger Robic Richard devraient être déclarés inhabiles à représenter leurs clients dans le présent dossier.

[9]      Quant au procureur des demanderesses, ce dernier prétend qu"aucune information confidentielle n"a été transmise lors de ces entretiens et qu"en conséquence, les procureurs pouvaient tout à fait représenter les demanderesses, plusieurs années plus tard, dans ce dossier, puisqu"aucune information confidentielle n"avait été transmise et qu"ils n"étaient pas en conflit d"intérêts.

[10]      Les procureurs des demanderesses soutiennent qu"il ressort clairement du témoignage de M. Ciccarello, qu"aucune information confidentielle n"avait été transmise et, de plus, que la défenderesse avait renoncé à invoquer le conflit d"intérêts lors de procédures judiciaires antérieures en contrefaçon du brevet 295, lorsque la défenderesse avait été poursuivie en contrefaçon.

[11]      La défenderesse était bien au courant au moment de ces procédures que le bureau d"avocats Léger Robic Richard, qu"elle avait consulté quelques années auparavant, représentait maintenant les intérêts des demandeurs et la défenderesse avait renoncé à la possibilité d"invoquer le conflit d"intérêts pour plutôt déposer une défense dans une action qui s"était conclue par un désistement, quelques années plus tard.

[12]      Les questions en litige ont été identifiées par le procureur de la défenderesse à savoir: Est-ce que le protonotaire Me Richard Morneau a erré en droit en appliquant à la présente situation les principes énoncés dans l"arrêt Succession MacDonald c. Martin2 ("Martin")? et Est-ce que le protonotaire Me Richard Morneau a erré en fait et en droit en concluant que l"information contenue dans les documents reçus par le cabinet Robic faisait partie du domaine public et que, par conséquent, l"étude Léger Robic Richard s"était déchargée de son fardeau de preuve en appliquant les principes énoncés dans l"arrêt Martin ?

[13]      Avant d"aller plus loin, qu"en est-il en fait de cette fameuse décision Martin et quels sont les paramètres qui nous ont été tracés par l"honorable juge Sopinka lorsque le tribunal doit déterminer si oui ou non l"un des avocats se retrouve en situation de conflit d"intérêts.

[14]      D"abord, et je cite à la page 1235:

...la Cour doit prendre en considération trois valeurs en même temps: 1) le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d"avocat et l"intégrité de notre système judiciaire; 2) en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l"avocat de son choix; 3) la mobilité raisonnable qu"il est souhaitable de permettre au sein de la profession.

...

L"utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver et le critère retenu doit donc tendre à convaincre le public, c"est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu"il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. Il faut répondre à deux questions. 1) L"avocat a-t-il appris, grâce à des rapports antérieurs d"avocat à client, des faits confidentiels relatifs à l"objet du litige? 2) Y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

...

Il convient plutôt de dire que, dès que le client a prouvé l"existence d"un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l"avocat est suffisante, un tribunal doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l"avocat convainc le tribunal qu"aucun renseignement pertinent n"a été communiqué. La conviction doit être telle qu"un membre du public raisonnablement informé en serait également persuadé. Il sera difficile de s"acquitter du fardeau de la preuve.

Pour répondre à la deuxième question, savoir le mauvais usage qui pourrait être fait des renseignements confidentiels, un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre un client ou un ancien client.

[15]      Il faut d"ore et déjà conclure que bien que les faits de la cause Martin sont difficilement comparables aux faits de la présente instance, il était clair dans l"esprit des juges de la Cour suprême que cette décision en était une de principe et la cour prend pour acquis que les principes généraux établis dans la cause Martin devraient s"appliquer autant que faire se peut dans le présent dossier.

[16]      À la page 1244 de la décision, le juge Sopinka précise la responsabilité professionnelle de l"avocat:

...Pour garder cette confiance, il importe, au premier chef, que les communications entre l"avocat et son client soient confidentielles. La profession d"avocat s"est distinguée des autres professions par l"inviolabilité du secret professionnel. La loi aussi, peut-être indûment, a protégé le secret professionnel des avocats mais non celui d"autres professionnels. Cette tradition revêt une importance particulière dans tous les cas où un client se confie à son avocat en vue d"un procès au civil ou au pénal. Les clients agissant ainsi en toute légitime confiance que les faits qu"ils confient ne pourront pas servir contre eux et au bénéfice de l"adversaire. La perte de cette confiance porterait gravement atteinte à l"intégrité de la profession et déconsidérerait l"administration de la justice.

[17]      Après avoir commenté le Code de déontologie de l"Association du Barreau canadien, l"honorable juge Sopinka rapporte le commentaire numéro 8 à la suite de ce Code, lequel se lit comme suit:

L"avocat qui a agi pour un client ne doit, normalement, ni agir ultérieurement contre lui (ou contre des personnes qui s"étaient engagées ou associées avec le client) dans la même affaire ou dans une affaire connexe, ni se placer dans une position telle qu"il pourrait être tenté (ou même être perçu comme tenté) de violer le secret professionnel. Mais il est parfaitement licite pour un avocat d"agir contre un ancien client, dans une affaire totalement nouvelle n"ayant aucun rapport avec les services qu"il aurait pu rendre antérieurement à cette personne.

[18]      Plus loin, l"honorable juge Sopinka fait appel à deux critères fondamentaux dans l"appréciation du conflit d"intérêts:

Au Canada et à l"étranger, la question de savoir s"il existe un conflit d"intérêts entraînant une inhabilité a été résolue selon deux critères fondamentaux: premièrement, la possibilité de préjudice réel. Le terme "préjudice" s"entend du mauvais usage de renseignements confidentiels par un avocat au détriment d"un ancien client. Pour satisfaire au premier critère, il faut prouver que l"avocat a appris des faits confidentiels et qu"il est probable qu"ils seront divulgués au préjudice du client. Le second critère participe du précepte qui veut que la justice soit non seulement rendue mais qu"il soit évident qu"elle est rendue. Par conséquent, s"il semble raisonnable de penser que les renseignements pourraient être divulgués, l"on a satisfait au deuxième critère servant à déterminer l"existence d"un conflit d"intérêts entraînant une inhabilité.

[19]      Plus loin, à la page 1260, l"honorable juge Sopinka vient préciser:

À mon avis, dès que le client a prouvé l"existence d"un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l"avocat est suffisante, la cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l"avocat convainc la cour qu"aucun renseignement pertinent n"a été communiqué. C"est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s"acquitter.

[20]      L"honorable juge Sopinka convient que ce fardeau peut-être difficile pour l"avocat mais qu"il est néanmoins nécessaire de permettre à l"avocat de renverser le fardeau.

[21]      Dans la présente instance, le lien antérieur et la connexité avec le mandat ont été prouvés et sont suffisants.

[22]      Le point sur lequel les parties ne s"entendent pas, c"est à savoir si le procureur a renversé la présomption et a pu démontrer qu"aucun renseignement pertinent n"a été communiqué.

[23]      Je crois, à mon humble avis, que toute la question débattue, tant devant le protonotaire que devant moi, réside sur ce point. Commençons d"abord par considérer quelles sont les informations qui ont transité entre M. Ciccarello et M. Gauvin. Le procureur des demandeurs fait grand état que M. Ciccarello a mentionné lui-même, lors de son interrogatoire, que tous les renseignements échangés lors de la rencontre avec M. Gauvin était du domaine public. Le protonotaire relève, très justement d"ailleurs, aux paragraphes 23 et 24 de sa décision, les informations qui ont transité dans l"autre direction soit l"avis de M. Gauvin quant à la portée de l"invention couverte par le brevet 295, ainsi qu"à savoir si le bloc OMNI était couvert ou non par ce même brevet, ainsi que l"opinion de M. Gauvin sur le projet de licence qui avait été présenté par M. Risi à M. Ciccarello.

[24]      Le procureur de la défenderesse a noté, avec justesse, que les éléments sur lesquels M. Ciccarello a été questionné lors de son interrogatoire, ne couvraient pas la totalité des pièces qui font partie du dossier Gauvin, lequel dossier a été classé sous le nom "Dossier de Robic" et tenu dans une chemise confidentielle pour les fins du dossier.

[25]      Il est également difficile d"apprécier la totalité des échanges verbaux entre les deux parties soit M. Ciccarello et M. Gauvin, puisque ces échanges se sont poursuivis pendant trois rencontres qui ont duré au total plusieurs heures.

[26]      Est-ce que le contenu de ces discussions comportait des informations confidentielles, lesquelles auraient pu être utilisées contre la défenderesse et lui causer un préjudice?

[27]      À la lumière de la preuve qui est devant moi, je dois d"abord rejeter les prétentions du procureur des demandeurs à l"effet qu"il y a eu renonciation à soulever la question de conflit d"intérêts et que la partie défenderesse a consenti à ce que la firme Léger Robic Richard agisse comme avocats pour les demanderesses.

[28]      L"avocat des demandeurs invoque particulièrement le fait que la partie défenderesse y a songé un moment et a finalement décidé de déposer une défense et ce, dans le dossier précédent, lequel s"est terminé par un désistement.

[29]      Il est important de noter que dans le dossier présent, l"action a été entreprise en mai 1997 et la requête pour demander le retrait du procureur a été déposée en février 1998. Comme je l"ai déjà mentionné au procureur lors de l"audience, le délai pour demander le retrait des procureurs, soit février 1998 pour une action déposée en mai 1997, ne m"apparaît pas exorbitant dans les circonstances.

[30]      Cependant, je considère que la renonciation à invoquer le conflit d"intérêts ou encore le consentement invoqué par la partie demanderesse qui serait intervenu dans le précédent dossier ne peut s"appliquer, à mon avis, dans le dossier actuel, puisqu"il apparaît clair du dossier qu"il s"agit d"une action différente qui doit être évaluée à son mérite. Il aurait sans doute été intéressant d"évaluer si oui ou non le bureau Léger Robic Richard était ou non en conflit d"intérêts dans le dossier précédent qui s"est terminé par un désistement, mais la question n"a pas été posée au tribunal, le tribunal n"a donc pu y répondre et le dossier s"est terminé par un désistement.

[31]      Quant au fond du litige à savoir si la firme Léger Robic Richard était ou non en conflit d"intérêts, le procureur de la défenderesse est bien avisé de soulever au début de ses autorités le Code de déontologie professionnel de l"Association du Barreau canadien, lequel a été repris d"ailleurs dans sa décision par l"honorable juge Sopinka, dans l"affaire Martin .

[32]      Le chapitre 5 dont le titre est "Impartialité et conflit d"intérêts entre clients"

stipule d"entrée de jeu une règle fondamentale:

RÈGLE     

         L"avocat ne doit pas conseiller ou représenter des intérêts opposés, à moins d"avoir dûment averti ses clients éventuels ou actuels et d"avoir obtenu leur consentement. Il ne doit ni agir ni continuer d"agir pour une affaire présentant ou susceptible de présenter un conflit d"intérêts.3                 

[33]      Ce principe est à ce point important qu"il doit sous-tendre, à mon avis, toute conduite d"analyse par le tribunal qui doit évaluer si l"un ou l"autre des avocats en présence, est susceptible de présenter une situation de conflit d"intérêts.

[34]      L"honorable juge Dubé dans le dossier Les Inventions Morin Inc. c. Les Équipements Claude Éléments Inc.4, précise à la page 551:

In light of these tests, I find that the concern for preserving the integrity of our judicial system in this case prevails over the right of the defendants not to be deprived of Mr. Girouard"s services. Since he has himself admitted having acted for the plaintiffs in respect of the same patent, he must therefore not place himself in a position where he might be tempted to violate professional privilege.

[35]      Me référant au présent dossier, il semble évident que le travail effectué par M. Gauvin et les rencontres de M Gauvin avec M. Ciccarello, vice-président de la défenderesse, ont créé une relation avocat-client, où non seulement des informations confidentielles ou non confidentielles ont été échangées de part et d"autre, mais où également des opinions et échanges de vues ont circulé entre les deux.

[36]      Une séquence de trois rencontres entre le client et son avocat permet de créer un climat de confiance et d"échanges qui constitue le cadre d"échanges privilégiés entre un avocat et son client. Il n"est possible ni pour le client ni pour l"avocat de répertorier tout ce qui fait partie de ces discussions, mais il m"apparaît clair qu"il était davantage possible pour M. Gauvin de savoir quels étaient les objectifs et les éléments de stratégie envisagés par M. Ciccarello relativement au brevet en litige, à la suite de ces rencontres.

[37]      À cet effet, je prends pour acquis que le lien établi entre M. Ciccarello et l"agent de brevet Gauvin équivaut à la relation entre M. Ciccarello et le bureau d"avocats Léger Robic Richard, compte tenu du lien étroit existant entre l"agent de brevet Gauvin du bureau Robic et le bureau d"avocats Léger Robic Richard, ce qui est admis par les deux parties.

[38]      Le procureur des demandeurs n"a pas convaincu le tribunal que le fait d"avoir donné une opinion verbale et par écrit sur l"étendue du brevet 295 à M. Ciccarello et d"entreprendre par la suite au nom de l"autre partie une action alléguant la contrefaçon du dit brevet, ne constitue pas un conflit d"intérêts à sa face même. Même si le motif de l"action en contrefaçon s"est modifié entre les deux actions entreprises au fil des années, il n"en reste pas moins qu"il s"agit du même brevet pour lequel l"agent de brevet Gauvin a donné un avis dans un sens à M. Ciccarello et dont le bureau d"avocats, avec lequel il est en relation étroite, entreprend une action soutenant un avis sensiblement différent suivant le même brevet et contre la même personne.

[39]      Il apparaît important de citer les commentaires du juge Charles Gonthier dans le dossier Donald D. Thompson c. Smith Mechanical Inc. et al.5 à la page 785 de son jugement:

Cependant, le respect du secret professionnel n"est pas le seul motif d"interdire le conflit d"intérêts même sans égard à la simultanéité des mandats. Permettre qu"un avocat puisse conseiller et agir pour des clients ayant des intérêts opposés, même successivement, dans une même affaire sans leur accord, serait miner la confiance que doit avoir le justiciable envers son avocat et serait incompatible avec la loyauté dont ce dernier est redevable envers son client. Ce sont là deux conditions intimement liées entre elles et essentielles à l"accomplissement par l"avocat de son rôle de conseiller de son client et de représentant de celui-ci auprès du Tribunal. Une telle pratique serait d"autant plus inadmissible qu"en ce domaine il est nécessaire non seulement d"assurer l"indépendance et le désintéressement de l"avocat mais également de la rendre manifeste. C"est à ce prix que non seulement justice sera faite mais également paraîtra être faite selon la maxime bien connue sur laquelle repose l"intégrité du système judiciaire dont les avocats sont un élément essentiel. Une telle pratique peut être contraire aussi au droit des parties à la tenue d"une audition en pleine égalité comme le prescrit l"article 23 de la Charte.

Ces conclusions rejoignent l"interprétation que fait la profession elle-même du conflit d"intérêts exprimée dans le Code de déontologie professionnelle de l"Association du Barreau canadien où l"on retrouve une disposition générale fort semblable à l"article 3.05.04, au chapitre 5.

[40]      Il est intéressant également de voir le commentaire du juge Strayer dans le dossier Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd.6 à la page 328:

General denials are not enough to satisfy the court that no such information could have been imparted, nor is their analysis seeking to demonstrate the information was already known. A "reasonably informed person" would assume a variety of incidental information and opinions, significantly nuanced, would have been transmitted between two firms engaged in the defence of two defendants in similar litigation brought by the same plaintiff involving the validity of the same patent.

Le juge Strayer, plus loin, réfère également au "Code of Professional Conduct of the Canadian Bar Association".

[41]      Dans le dossier Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Merck Frosst Canada Inc.7, l"honorable juge Dyson de la Cour de l"Ontario, division générale, disqualifiait un bureau d"avocats et précisait à la page 525:

Nevertheless, it seems abundantly clear to me there was "a substantial relationship" between Fraser & Beatty and Merck Frosst and the activity complained of by Bristol-Myers (the dissemination of misleading information) was obviously related to many of the retainers Fraser & Beatty has for Merck Frosst, and particularly with respect to "an opinion with respect to the competition law implications of a proposed marketing and production strategy".

Accordingly, I am of the view that Fraser & Beatty are in conflict acting against its former client Merck Frosst and that if would be patently unfair for them to act in a position against their former client in these circumstances and therefore they are disqualified from doing so.

[42]      Une autre décision, celle de l"honorable Clément Trudel, dans un dossier de la Cour supérieure du Québec, Domaine Ti-Bo Inc. et al. c. La corporation municipale de la ville de Repentigny8 et je cite à la page 6:

Considérant que le présent dossier et celui où les deux avocats de l"étude Dunton Rainville ont été consultés sont intimement liés et présentent une connexité évidente;

Considérant qu"à la lumière de l"ensemble des faits du dossier, incluant les témoignages des avocats concernés, le tribunal n"est pas convaincu qu"une personne raisonnablement informée serait persuadée que les avocats n"ont pas appris des renseignements confidentiels pouvant être utilisés au détriment de leurs anciens clients;

Considérant que si Dunton Rainville reste en piste, il y a risque soit d"enfreindre le secret professionnel en tirant parti de renseignements obtenus lorsque leurs nouveaux adversaires (les demandeurs) étaient leurs clients, soit de manquer d"indépendance envers leurs adversaires d"aujourd"hui qui étaient hier leurs clients;

Considérant le critère d"intérêt public qui doit tendre à convaincre le public, c"est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu"il n"y a pas apparence ou appréhension de conflit d"intérêt ou de possibilité de divulgation potentielle d"une information confidentielle;

[43]      Suivant ces considérations et plusieurs autres qu"il n"est pas utile de citer ici, l"honorable juge Trudel a conclu à la disqualification des procureurs.

[44]      Relativement à la relation existant entre un agent de brevet et un bureau d"avocats qui lui est associé de près, il est intéressant de lire les commentaires de l"honorable juge Gibson de la Cour fédérale, dans le dossier Decap et al. c. Midland Manufacturing Ltd.9 et je cite:

The solicitors of record for the Applicants were, until the time of the order of the associate senior prothonotary, Fillmore & Riley of Winnipeg. It was acknowledged before me, for the purposes of this application, that Fillmore & Riley is closely associated with Ade & Company, patent and trade mark agents, also of Winnipeg.

...

In excerpts from letters from Mr. Battison to the Respondent that are quoted earlier in these reasons, Mr. Battison expressed the view that Ade & Company would not be able to involve itself in any litigation relating to the "Bottom Dump" trailer patent by reason of its former relationship both to the Applicants and the Respondent. While this view was later withdrawn on the basis of legal advice, I am satisfied that it represented the view of a "reasonably informed member of the public" that is at the heart of these issues. The view of a member of the public who has taken legal advice on the subject is not the standard that should prevail.

...

I conclude that the relationship between a patent agent and a solicitor in closely associated firms and in relation to patent litigation is much more akin to the relationship between two solicitors in the same firm than it is to the relationship between a solicitor and a secretary employed by his or her firm.

[45]      Dans le dossier Bert Fabian c. 293098 Canada Inc. et Roger Bernard10, l"honorable juge Roland Tremblay de la Cour supérieure du Québec cite l"honorable juge Corey dans l"affaire Martin :

Le plus important de ces facteurs, le plus impérieux, est la préservation de l"intégrité de notre système judiciaire. La nécessité de choisir un autre avocat causera certainement des inconvénients au client, et entraînera des problèmes et des soucis. Les avocats jugeront peut-être importante la mobilité professionnelle. Mais l"intégrité du système judiciaire revêt une importance tellement fondamentale pour le pays, et en fait pour toutes les sociétés libres et démocratiques, qu"elle doit être tenue pour le facteur décisif quand il s"agit de déterminer le poids relatif de ces trois valeurs.

[46]      Quant aux paramètres permettant à un juge de la Cour fédérale de revoir une ordonnance discrétionnaire du protonotaire de cette cour, il faut référer à la cause R. c. Aqua-Gem Investments Ltd.11 de l"honorable juge MacGuigan de la Cour d"appel fédérale, au nom des juges Décary et Robertson, et je cite à la page 454:

             Je conviens avec l"avocat de l"appelante que la norme de révision des ordonnances discrétionnaires des protonotaires de cette Cour doit être la même que celle qu"a instituée la décision Stoicevski pour les protonotaires de l"Ontario. J"estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants:             
             a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l"exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,             

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

Dans ces deux catégories de cas, le juge des requêtes ne sera pas lié par l"opinion du protonotaire; il reprendra l"affaire de novo et exercera son propre pouvoir discrétionnaire.

[47]      J"en arrive donc à la conclusion que la conclusion à laquelle en est arrivé le protonotaire, dans le présent dossier, est manifestement erronée en ce sens que l"exercice de son pouvoir discrétionnaire a été fondé sur une fausse appréciation des faits; en effet, à la révision de la preuve présentée devant moi et des documents déposés au dossier, il m"apparaît clair que les échanges intervenus entre M. Ciccarello, vice-président de la défenderesse et M. Antoine Gauvin, agent de brevet pour la firme Robic, au cours des trois rencontres intervenues, ont été l"objet d"échanges de documents et particulièrement d"échanges verbaux entre les deux, tout à fait privilégiés, que des informations confidentielles ont été échangées de part et d"autre entre les deux personnes et qu"en conséquence, M. Antoine Gauvin, agent de brevet pour la firme Robic et le bureau d"avocats Léger Robic Richard, par voie de conséquence, se sont retrouvés par la suite, en conflit d"intérêts lorsqu"ils ont pris partie en faveur des demanderesses, dans le présent dossier.

[48]      En conséquence, il m"apparaît justifié de reprendre l"affaire de novo et d"exercer mon propre pouvoir discrétionnaire quant à l"appréciation de la présente requête.

[49]      Quant à la jurisprudence soumise par le procureur des demanderesses, j"ai révisé attentivement le dossier Morissette-Paré c. Gestion des rebuts D.M.P. Inc.12, jugement par les honorables juges LeBel, Chamberland et Forget. Bien que dans ce jugement les juges de la Cour d"appel ont rejeté la disqualification, c"est en évaluant qu"il n"y avait pas de risque que des informations confidentielles aient été transmises et également en considérant que la demande du requérant, dans ce dossier, était "plutôt un geste tactique destiné à priver une partie de l"avocat de son choix, sans besoin réel, devant une crainte purement hypothétique de conflit d"intérêts". Il est bien évident qu"il n"est pas possible de retenir ces motifs dans le dossier présentement sous appel.

[50]      Quant au dossier Salatellis v. Hellenic Community of Montreal13, j"ai relu attentivement le jugement des juges Vallerand, Baudouin et Rousseau-Houle de la Cour d"appel du Québec, et encore là, je réfère au premier paragraphe de la

page 5:

CONSIDÉRANT, dans les circonstances particulières de l"espèce, qu"il a été formellement établi qu"aucun renseignement confidentiel n"a été obtenu dans l"instance de 1985 qui pourrait avoir une connexité ou une relation directe quelconque avec le présent litige;

...

CONSIDÉRANT que le seul fait qu"un bureau d"avocats ait représenté dans un litige antérieur, sans connexité directe avec un litige actuel, la partie adverse, ne saurait en effet, en lui-même est sans autre justification, servir à nier le droit de tout justiciable au choix de son représentant;

(mon souligné)

[51]      Encore là, il m"est difficilement possible d"appliquer les motifs de cette cause à la présente instance.

[52]      Par ailleurs, quant à la décision Asian Video Movies Wholesaler, Inc. v. Mathardoo et al.14, l"honorable juge Denault en est venu à la conclusion que le protonotaire, dans ce cas, avait écarté les procureurs dans un premier temps et, à cet effet, n"avait pas tenu compte de la preuve qui était assez claire, à l"effet qu"il n"y avait pas eu de transmission d"information confidentielle. Encore là, je ne peux retenir de la preuve présentée devant moi qu"il n"y a eu aucune information confidentielle qui aurait transité entre les deux parties impliquées.

[53]      Quant à la décision de la Cour supérieure du Québec dans le dossier Association des radiologistes du Québec c. Rochon15, l"honorable Diane Marcelin en conclut qu"il n"y a eu aucun échange d"information privilégiée et encore là, je n"ai pu trouver aucun moyen d"appliquer les conclusions et les faits dans ce présent litige.

[54]      Le procureur des demandeurs avait attiré l"attention du tribunal à la page 169 de l"affaire Castor Holdings, Ltd. (Dans l"affaire de la faillite de)16 sur le consentement accordé par la partie à son avocat d"agir pour l"autre partie. J"en conclus, à la lecture de la décision de l"honorable juge Gendreau, pour les raisons mentionnées précédemment, que ce raisonnement ne trouve pas application dans le présent dossier.

[55]      Il en est de même pour les dossiers cités, soit le jugement de la Cour d"appel dans le dossier Clément Marchand Service Gaz Naturel Ltée c. Roger Lachapelle Pontiac Buick17, le dossier Association professionnelle des sténographes officiels du Québec c. Québec (Procureur général)18 et le dossier Crystal Heights Co-Operative Inc. v. Barban Builders Inc.19où il y avait eu consentement évident de la part de la partie à ce que le procureur agisse pour l"autre partie.

[56]      Je n"ai par ailleurs aucune raison de croire que l"on puisse invoquer le motif de tactique déloyale de la part du procureur de la défenderesse d"invoquer le conflit d"intérêts du procureur dans la présente instance.

[57]      Pour toutes ces raisons, je ne peux conclure que le procureur des demandeurs a renversé la présomption de confidentialité des renseignements transmis et je conclus qu"il y a effectivement conflit d"intérêts.

[58]      Pour tous ces motifs, j"accueille favorablement la requête de la partie défenderesse. Je déclare que le bureau Léger Robic Richard est inhabile à représenter les demanderesses Groupe Tremca Inc. et Jagna Limited dans la présente instance, le tout avec dépens à suivre l"issue du dossier.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 15 octobre 1998

__________________

1      (1990) 3 R.C.S. 1235.

2      Supra.

3      Code de déontologie professionnelle de l"Association du Barreau canadien, p. 21.

4      (1993) 46 C.P.R. (3d) 547.

5      1985, C.S. 782.

6      [1994] 55 C.P.R. (3d) 327.

7      (1996) 66 C.P.R. (3d) 521.

8      705-05-002236-977 (C.S.).

9      (1994) 55 C.P.R. (3d) 421.

10      R.E.J.B. 98-5568 (C.S.).

11      (1993) 2 C.F. 425.

12      J.E. 97-516 (C.A.Q.).

13      J.E. 92-70 (C.A.Q.).

14      (1991) 36 C.P.R.(3d) 29 (C.F.).

15      J.E. 96-1417 (C.S.Q.).

16      [1995] R.J.Q. 1665 (C.A.Q.).

17      J.E. 95-865 (C.A.Q.).

18      J.E. 96-1985 (C.S.Q.).

19      (1987) 19 C.P.C. (2d) 212 (Dis. Ct. Ont.).

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