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                                                                                                                                 Date : 19991220

                                                                                                                    Dossier : IMM-5151-98

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                       SAFIA AHMED HUSSEIN,

                                                   AMAL ABDULKADIR YUSUF,

                                                   IMAN ABDULKADIR YUSUF,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE

[1]         Safia Ahmed Hussein (la demanderesse) est née à Jigiga, en Éthiopie, de parents somaliens. Jigiga est une région frontalière revendiquée à la fois par la Somalie et par l'Éthiopie. À l'âge de 3 mois, elle est retournée en Somalie avec sa mère et n'a jamais remis les pieds en Éthiopie. Elles se sont établies à Hargeisa, en Somalie. En 1979, elle a épousé un citoyen somalien.


[2]         Les parents de la demanderesse appartenaient tous les deux au clan Darood; son père appartenait au sous-clan Geri et sa mère au sous-clan Ogadeni. Son mari appartenait aussi au clan Darood, mais au sous-clan Majerteen.

[3]         En mai 1988, le mari de la demanderesse, qui était marchand de moutons, est parti pour un voyage d'affaires de routine, mais il n'est jamais revenu. Elle n'a pas entendu parler de lui depuis. À peu près à la même époque où son mari s'est volatilisé, la guerre civile a commencé à faire rage à Hargeisa. La demanderesse a été arrêtée et interrogée par les forces de sécurité sur les allées et venues de son mari à plusieurs reprises. On le soupçonnait apparemment d'être associé à l'une des factions guerrières. Pour échapper à ce harcèlement et aux attaques menées sur Hargeisa, la demanderesse a quitté Hargeisa avec ses deux enfants (les deux autres demandeurs) pour se rendre à Mogadiscio, puis au Kenya, dont elle a franchi les frontières avec un faux passeport. Elle est demeurée au Kenya avec ses enfants pendant un an et deux mois; le 22 septembre 1989, ils se sont rendus au Canada, où ils ont revendiqué le statut de réfugié.


[4]         La première question en litige devant la Section du statut de réfugié, qui a entendu la revendication de la demanderesse en janvier et mai 1990, était celle de savoir si elle était effectivement somalienne ou éthiopienne, compte tenu de son lieu de naissance. La SSR a entendu une preuve portant sur le droit somalien, selon laquelle l'enfant d'un citoyen somalien devient somalien par opération de la loi, sans égard à son lieu de naissance. La même conséquence découle de son mariage avec un citoyen somalien. Étant donné que la demanderesse était la fille et l'épouse d'un citoyen somalien, la SSR a conclu qu'elle était citoyenne de la Somalie. Ce fut la seule victoire de la demanderesse devant la SSR.

[5]         S'appuyant sur la preuve établissant qu'elle n'avait pas été embêtée par les autorités, sauf à trois reprises lorsqu'elle a été interrogée, la SSR avait des doutes relativement à sa crainte d'être persécutée; elle a qualifié la façon dont les forces de sécurité l'avait traitée de harcèlement. La SSR a mis sa crédibilité en doute parce qu'elle a affirmé dans son témoignage que ni elle ni son mari n'avaient essayé de communiquer l'un avec l'autre. La SSR est demeurée sceptique quant au fait qu'elle n'aurait eu aucun contact avec les membres de sa famille et qu'elle ne connaissait pas leurs allées et venues. Finalement, la SSR a conclu que [Traduction] « même si l'on ne tient pas compte des éléments non plausibles de son histoire, la revendicatrice n'a pas établi de fondement objectif à sa crainte d'être persécutée au sens de la définition d'un réfugié au sens de la Convention » . C'est ce que la SSR a dit à la demanderesse dans une décision en date du 14 janvier 1991.

[6]         En novembre 1994, la demanderesse et ses enfants ont demandé le droit d'établissement au Canada conformément au programme de la Catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (IMRED). Citoyenneté et Immigration Canada a accusé réception de leur demande dans une lettre en date du 28 novembre 1994, l'informant qu'elle [Traduction] « sembl[ait] satisfaire aux exigences fixées pour cette catégorie » .

[7]         Dans la décision Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 121 F.T.R. 302, le juge Rouleau a décrit le programme IMRED comme suit :


                En 1994, le ministre a émis un communiqué de presse indiquant que l'objectif des modifications relatives à la catégorie des IVMRED consistait à régulariser le statut de certains demandeurs du statut déboutés que le gouvernement du Canada n'avait toujours pas expulsés après plusieurs années de résidence au pays et qui s'étaient établis au Canada. En vertu de ces modifications, le cas de ces personnes serait considéré comme étant de nature exceptionnelle et ces dernières pourraient se prévaloir des dispositions du nouveau Règlement, à condition de n'avoir pas évité de se présenter aux autorités de l'Immigration.

[8]         La demanderesse était une revendicatrice du statut de réfugié déboutée qui était demeurée trois ans au pays après le rejet de sa revendication. Elle semblait donc être une personne visée par le programme.

[9]         A alors suivi une longue période de correspondance intermittente entre le Centre de Vegreville qui traitait la demande de la demanderesse et l'avocat de la demanderesse, Me Berger. En février 1997, le centre de traitement a demandé les empreintes digitales et des pièces d'identité pour les enfants de la demanderesse. Ces éléments ont été fournis. En juin 1997, le Centre de traitement a écrit pour demander des renseignements supplémentaires :

[Traduction]

Vous devez envoyer une déclaration solennelle attestée par un commissaire à l'assermentation concernant votre mari, Adbulkadir Yusuf. Si vous ne savez pas où il se trouve, vous devez signer une déclaration l'attestant - devant un commissaire à l'assermentation. Nous ne pouvons pas rendre une décision définitive dans votre dossier tant que vous ne nous aurez pas envoyé ces renseignements.

               Toutes les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada doivent fournir une preuve suffisante de leur identité, sans quoi la résidence permanente peut leur être refusée. Une preuve suffisante peut être fournie sous la forme d'un passeport, d'un document de voyage ou d'une carte d'identité délivrée par le pays de citoyenneté. Vous devez fournir une traduction officielle de ces documents en anglais ou en français. Vous avez envoyé une traduction de votre carte d'identité et des certificats de naissance de vos enfants. Si vous possédez d'autres pièces d'identité, vous devez les envoyer immédiatement. Si vous possédez une pièce d'identité d'Éthiopie - vous devez la transmettre à notre bureau. Comme vous êtes née en Éthiopie, vous devez demander un passeport éthiopien immédiatement.


               Veuillez noter que c'est la dernière fois que nous vous demandons ces renseignements. Vous avez 60 jours pour nous les fournir, sans quoi votre demande de résidence permanente sera écartée et vous devrez faire une nouvelle demande en payant à nouveau les droits exigibles. Si, pour une raison ou une autre, vous n'êtes pas en mesure de donner suite à notre demande dans un délai de 60 jours, veuillez nous aviser par écrit de la raison de votre retard.

                                                                                                                             Dossier du tribunal, p. 90

[10]       Me Berger a répondu à cette demande au nom de la demanderesse le 27 septembre 1997. Il s'est offusqué du fait qu'on suggère à la demanderesse d'obtenir un passeport éthiopien, compte tenu de la conclusion tirée par la SSR selon laquelle elle était de citoyenneté somalienne. Il a souligné que la demanderesse avait déjà fourni au Centre de traitement l'original de sa carte d'identité de Somalie pour établir son identité. Il a demandé que la demande soit traitée sans autre délai.

[11]       La première annotation de l'agente préposée aux cas figurant dans le dossier du tribunal est reproduite ci-dessous :

[Traduction]

               REMARQUES:

                               AHMED, TRANSMIS LE18 MARS 1997. GDR C

                               24JUIN97 - REÇU DOSSIER POUR REJET DE DEMANDE IMRED PARCE QUE PREUVE D'IDENTITÉ INSUFFISANTE - TOUTEFOIS, AUCUNE DÉCLARATION SOLENNELLE AU DOSSIER CONCERNANT LES ALLÉES ET VENUES DU MARI DE LA DEMANDERESSE. DÉLAI DE PRODUCTION DE 60 JOURS ACCORDÉ; AUSSI DEMANDÉ QU'ELLE DEMANDE UN PASSEPORT À L'AMBASSADE D'ÉTHIOPIE PARCE QUE NÉE EN ÉTHIOPIE; JE NE VEUX PAS REJETER CE DOSSIER SUR LA BASE DE PHOTOCOPIES. UNE FOIS LA DÉCLARATION SOLENNELLE REÇUE - ET SI LA DEMANDERESSE NE RÉUSSIT PAS À OBTENIR UN PASSEPORT ÉTHIOPIEN, SON DOSSIER SERA TRANSMIS AU CIC POUR CONFIRMATION SI LA PIÈCE D'IDENTITÉ N'EST PAS AUTHENTIQUE. ROLF NON REQUIS. DROITS DE 700.00 PAYÉS POUR LA DEMANDERESSE ET SES 2 ENFANTS. LJB/CSU-H

                                                                                                                                                              Dossier du tribunal, p. 92 et 93


[12]       La question de la citoyenneté de la demanderesse continuait de préoccuper le Centre de traitement. Me Berger lui a écrit à nouveau le 27 septembre 1997 pour donner des détails supplémentaires sur la citoyenneté de la demanderesse. Une note manuscrite consignée dans le dossier du Centre de traitement le 4 avril 1998 résume la situation de la demanderesse et formule les remarques suivantes :

[Traduction]

-    Je pense que nous n'avons rien à gagner en n'envisageant même pas de dispense et de clore le dossier.

-    Si nous ne voulons pas de dispense, consulter [ ] À qui doit être adressé le courriel au CA [illisible] énoncé dans le P.M. ou si nous devons accorder une dispense.

                                                                                                                                                                       Dossier du tribunal, p. 53

[13]       La mention d'une dispense renvoie apparemment à la possibilité d'une exemption de l'obligation de fournir une pièce d'identité ou un document de voyage pour pouvoir obtenir le droit d'établissement au Canada. La disposition 2.12.2R11.401b) du Manuel des opérations IMRED dans le manuel de traitement des demandes au Canada prévoit :

Pour être dispensé de cette exigence, le gouvernement du pays du requérant doit être dans un état de total effondrement au point où le pays n'a plus de représentant officiel dans les autres pays, c'est-à-dire dans les consulats ou les ambassades.

[14]       Au moment de la rédaction de ce texte, l'Annexe XII du Règlement de 1978 sur l'immigration énumérait deux pays dans lesquels il était reconnu que l'appareil gouvernemental s'était totalement effondré : l'Afghanistan et la Somalie.

[15]       Le 8 avril 1998, Me Berger a transmis au Centre de traitement le formulaire de renseignements personnels de la demanderesse en réponse à une demande téléphonique de la part de l'agente préposée aux cas.

[16]       Voici les notes prises par l'agente préposée aux cas le même jour, soit le 8 avril 1998 :


[Traduction]                                                                                                                  2557 4817

               8 avril       Demandé le FRP et des détails concernant le moment où les documents ont été obtenus

               8 avril       Réponse de Max Berger : - documents obtenus après l'arrivée au Canada

               -    Si la pièce d'identité nationale est satisfaisante, serais d'avis d'accorder une dispense relativement au passeport et le droit d'établissement

               -    Si la pièce d'identité nationale n'est pas satisfaisante, je rejetterais l'IMRED

               -    J'ai de la difficulté à déterminer si le document est satisfaisant sans document original & informations de la demanderesse - p. ex. possédait-elle ce document en Somalie avant de partir et quelqu'un le lui a-t-il envoyé ou l'a-t-elle obtenu après son arrivée au Canada? Elle a seulement produit le document au CTD en 96 après plusieurs demandes. Même s'il est daté de 1988, je ne suis pas convaincue (pour l'instant) qu'il a été délivré en 1988, car elle dit l'avoir obtenu bien après avoir revendiqué le statut de réfugié.

               Je ne suis pas satisfaite des documents fournis pour les enfants. Ils ont eux aussi été obtenus après la revendication du statut de réfugié et ne sont apparus qu'après qu'on les ait demandés.

               Je suis toutefois convaincue qu'elle a 2 enfants selon les déclarations contenues dans son FRP et que, selon toute vraisemblance, ce sont ses deux enfants.

               De plus, ces documents sont semblables à des documents dont on sait qu'ils ne sont pas authentiques..

                                                                                                                                                                  Dossier du tribunal, p. 32-33

[17]       La prochaine inscription dans le dossier du tribunal est constituée des notes prises par l'agente préposée aux cas relativement à une conversation téléphonique avec la demanderesse.

[Traduction]                                                                                                  2557-4817

               27 avril 1998

               Ai téléphoné à la demanderesse à 11 h 45 au 416-429-9549 et confirmé que je parlais bien à Safia.

               Je lui ai demandé si elle avait ses pièces d'identité lorsqu'elle est arrivée au Canada. Elle a répondu non.

               Je lui ai demandé si elle avait ses pièces d'identité lorsqu'elle se trouvait en Somalie. Elle a répondu non.

               Je lui ai demandé comment elle les avait obtenues. Elle a répondu qu'elle avait demandé à des membres de sa famille en Somalie de se les procurer.

               Je lui ai demandé quand elle les avait obtenues. Elle a répondu que cela faisait un certain temps. J'ai continué à l'interroger - lui demandant en quelle année elle les avait obtenues. Elle a répondu « en 1997, je pense » .

               Je lui ai demandé à nouveau - est-ce que quelqu'un les avait en Somalie et vous les a envoyées ou les avez-vous obtenues plus tard. Elle a répondu qu'elle les avait obtenues plus tard.


               J'ai demandé - avez-vous obtenu ce document au même moment que les certificats de naissance des enfants? Elle a répondu oui.

               Je luis ai demandé pourquoi la date de délivrance était 1988. Elle a répondu qu'elle ne le savait pas.

               Compte tenu des réponses qu'elles a données à mes questions, je ne suis pas convaincue que la carte d'identité nationale peut fournir une preuve crédible de l'identité de la demanderesse principale.

L. Penn

27 avril 98

                                                                                                                                                              Dossier du tribunal, p. 30 et 31

[18]       À la suite de cette conversation, la demanderesse a reçu une lettre censée viser l'équité procédurale, en date du 26 juin 1998, l'avisant que sa demande pouvait être rejetée parce qu'elle n'avait pas produit de preuve satisfaisante de son identité. La demanderesse avait jusqu'au 31 juillet 1998 pour répondre. Le 8 septembre 1998, le Centre de traitement a informé la demanderesse qu'elle n'avait pas produit de preuve satisfaisante pour établir qu'elle possédait un [Traduction] « passeport, une pièce d'identité ou un document de voyage comme l'exigeait l'alinéa 11.401b) du Règlement sur l'immigration. » La demanderesse a été avisée qu'elle et sa famille devaient quitter le Canada. Me Berger a contesté ce résultat et le directeur du Centre de traitement lui a répondu le 22 septembre 1998. Voici les passages importants de sa lettre :

[Traduction]

               Pour déterminer si oui ou non les demandeurs satisfont aux conditions fixées par l'alinéa 11.401b), l'agent doit être convaincu que les documents sont authentiques, appartiennent à leur titulaire et l'identifient suffisamment. L'agente a interrogé Mme Hussein par téléphone pour débattre plus à fond de sa demande et de ses pièces d'identité. Cette conversation, l'examen des documents et l'appréciation de tous les renseignements accessibles, n'a pas convaincu l'agente que Mme Hussein satisfaisait aux conditions fixées par le Règlement. Un agent n'est pas tenu d'accorder une dispense de satisfaire à cette condition si le demandeur ne peut être identifié autrement de façon satisfaisante. L'agent a conclu qu'une exemption n'était pas justifiée.

               La durée du traitement de cette demande IMRED est imputable à la longue période requise pour que la demanderesse essaie de se conformer aux exigences en matière de droit d'établissement, ainsi que du temps dont notre bureau avait besoin pour vérifier les faits. À mon avis, notre bureau a agi équitablement en ce qui concerne la procédure et a fait preuve de générosité en accordant suffisamment de temps à Mme Hussein pour lui permettre de se conformer aux conditions d'obtention du droit d'établissement et en prenant le temps de vérifier les renseignements et je crois qu'il n'est survenu aucun retard excessif dans le traitement de la demande.

                                                                                                                                                      Dossier du tribunal, p. 22 par. 3 et 4


[19]       Me Berger a tenté de faire infirmer la décision par voie administrative en prouvant l'identité de la demanderesse au moyen du témoignage de Somaliens qui résident maintenant au Canada et qui ont connu la demanderesse en Somalie, et en produisant une preuve du risque de préjudice auquel la demanderesse serait exposée si elle retournait en Somalie. Les représentants du ministre ont rejeté cette preuve. La présente demande de contrôle judiciaire a été introduite peu après.

[20]       Dans sa demande, la demanderesse sollicite l'annulation de la décision portant qu'elle ne satisfait pas aux conditions fixées pour être admise dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée parce que cette décision serait entachée d'une erreur de droit quant à l'interprétation et à l'application de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application, plus particulièrement du fait qu'elle n'a pas été dispensée de satisfaire aux conditions relatives aux documents.

[21]       Selon le défendeur, la question d'une dispense ne se pose pas, puisque des documents ont été produits. La dispense ne s'applique que dans les cas où il est impossible de produire des documents.

[22]       Voici ce que prévoit l'alinéa 11.401b) du Règlement régissant la catégorie des IMRED :

               Les exigences relatives à l'établissement d'un immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée et des personnes à sa charge, le cas échéant, sont les suivantes :

                   b) lui et les personnes à sa charge qui l'accompagnent possèdent, selon le cas, l'un des documents suivants :


                               (i) un passeport ou un document de voyage qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant, sauf si l'immigrant en sa qualité de citoyen ou de ressortissant ne peut se procurer de tels documents du fait de la vacance de gouvernement dans le pays qui aurait dû les délivrer,

                               (ii) une pièce d'identité ou un document de voyage qui lui a été délivré par un pays et qui est du même type que les pièces et documents délivrés par ce pays aux résidents non ressortissants de ce pays qui ne peuvent obtenir un passeport ou un autre document de voyage du pays de leur citoyenneté ou nationalité, sauf si l'immigrant en sa qualité de résident non ressortissant ne peut se procurer de tels documents du fait de la vacance de gouvernement dans le pays qui aurait dû les délivrer,

                               (iii) une pièce d'identité ou un document de voyage qui lui a été délivré par un pays et qui est du même type que les pièces et documents délivrés par ce pays aux apatrides dans ce pays, sauf si l'immigrant en sa qualité d'apatride ne peut se procurer de tels documents du fait de la vacance de gouvernement dans le pays qui aurait dû les délivrer ou du fait que le pays qui aurait dû les délivrer a refusé de le faire;

[23]       La présente demande sera accueillie parce qu'il y a eu manquement à l'équité du fait qu'on a communiqué directement avec la demanderesse, sans passer par son avocat, pour lui demander les renseignements qui ont été utilisés pour rejeter sa revendication. Comme l'a fait remarquer le juge Evans dans l'affaire Jekula c. Canada, [1999] 1 C.F. 266, il n'existe pas de droit, reconnu en common law, à l'assistance d'un avocat dans toutes les situations. Toutefois, l'obligation d'agir équitablement varie en fonction des circonstances particulières de chaque espèce : Baker c. Canada [1999] A.C.S. 39:

               Bien que l'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d'examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données. Je souligne que l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur.


[24]       En l'espèce, toutes les communications entre le Centre de traitement et la demanderesse s'étaient faites par l'entremise du bureau de Me Berger. C'est lui qui a présenté la demande initiale au nom de la demanderesse. Toutes les demandes de documents ont été transmises à Me Berger et tous les documents produits sont passés par ses mains. Il a répondu aux demandes de renseignements du personnel du Centre de traitement. C'est lui qui a fourni les réponses aux demandes relatives aux documents de la demanderesse. Il ne fait aucun doute que le Centre de traitement était au courant qu'il s'occupait du dossier.

[25]       Pourtant, l'employée du Centre de traitement qui avait des doutes sur les documents de la demanderesse lui a téléphoné directement pour lui poser certaines questions dans le but d'en vérifier l'authenticité. Elle savait très bien que le succès ou l'échec de la demande dépendrait des réponses fournies par la demanderesse. La demanderesse ne le savait vraisemblablement pas. Les conséquences du rejet de sa demande étaient très importantes pour la demanderesse. Le défendeur pourrait très bien demander : « Qu'est-ce que la présence d'un avocat aurait pu apporter de plus? La demanderesse avait l'obligation de dire la vérité, et la présence d'un avocat n'aurait rien changé à cette obligation. Si elle avait dit la vérité en présence d'un avocat, elle aurait obtenu le même résultat. Ce n'est pas comme si la demanderesse avait eu le droit constitutionnel de garder le silence et si son avocat avait pu faire valoir ce droit en son nom. Quel préjudice l'absence de son avocat a-t-il causé à la demanderesse? »


[26]       La demanderesse a subi un préjudice parce que, sans qu'elle le sache, il existait toujours une possibilité qu'elle soit dispensée de fournir les documents requis, possibilité dont les employés du Centre de traitement avaient discuté entre eux. Si l'avocat avait participé à cet entretien, la question de la dispense aurait pu être soulevée dans le contexte des renseignements que le Centre de traitement voulait obtenir. L'avocat aurait pu dire, par exemple, « Écoutez, il est évident que vous avez des doutes concernant ces documents, mais vous n'avez en fait aucune raison de douter que cette femme est bien la personne qu'elle prétend être? Nous pouvons vous fournir une preuve d'identité émanant de sa collectivité. Si nous le faisons, exercerez-vous votre pouvoir de lui accorder une dispense de l'obligation de produire les documents requis? » Tout le ton de l'entretien aurait été différent et la probabilité d'une issue qui convienne à tout le monde aurait augmenté. Mais, au lieu de cela, les doutes du Centre de traitement ont été confirmés, il a durci sa position et le sort en a été jeté.

[27]       La situation en cause était très particulière. Les représentants du défendeur savaient, alors que la demanderesse ignorait (ou, à tout le moins, n'a pas été informée) que les réponses données au cours de l'entretien entraîneraient le rejet de sa demande. Les représentants du défendeur savaient et n'ont pas révélé à la demanderesse qu'il existait une possibilité de lui accorder une dispense à la suite de laquelle sa demande serait accueillie. La demanderesse aurait bénéficié des conseils d'un avocat quant à la question de savoir si une dispense était applicable et devait être demandée au cours de l'entretien. Le défendeur avait l'habitude de transmettre toutes les demandes de renseignements par l'entremise du bureau de l'avocat concerné. Compte tenu de ces circonstances, le fait de ne pas passer par l'avocat constituait un manquement à l'obligation d'équité procédurale visé à l'alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale.

[28]       En définitive, la demande est accueillie.


                                                          O R D O N N A N C E

La décision rejetant la demande de droit d'établissement présentée par la demanderesse en qualité de membre de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée en date du 8 septembre 1998 et confirmée par William Farrel le 22 septembre 1998 est annulée et l'affaire est renvoyée pour réexamen conformément à la loi.

                                                                                                                          « J.D. Denis Pelletier »                    

                                                                                                                                                     Juge       

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                 IMM-5151-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             SAFIA AHMED HUSSEIN ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le mercredi 30 juin 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                       20 décembre 1999

ONT COMPARU:

Me Max Berger                                     POUR LA DEMANDERESSE

Me Toby Hoffman                                  POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Max Berger                                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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