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Date : 20030703

Dossier : IMM-2547-03

Référence : 2003 CF 828

ENTRE :

                                                           ZEYNUP MUHAMMED et

                                                             HUSEYIN MUHAMMED

                                                                                                                                              demandeurs

                                                                                  et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                    défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  La demanderesse, Mme Muhammed, en présentant la présente requête, cherche à obtenir une prorogation de délai nominale pour signifier et déposer son dossier. Comme je l'explique dans les motifs qui suivent, j'accueille cette requête en prorogation de délai. Mais voyons d'abord quelques faits pertinents.

CONTEXTE


[2]                  Les problèmes de la demanderesse ont commencé lorsqu'elle a déménagé de Victoria à Vancouver après avoir été déboutée lors de l'audience d'immigration la concernant. L'avocat de Victoria a présenté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire requise en temps opportun le 9 avril 2003. Le dossier de la demanderesse allait donc devoir être déposé avant le 9 mai 2003.

[3]                  La demanderesse, avec l'aide de la Legal Services Society of British Columbia de Vancouver, a retenu les services d'un avocat de Vancouver, M. Carlos Charles. M. Charles a confirmé à la Legal Services Society, le 10 avril 2003, qu'il représentait les demandeurs. Pourtant, le 16 mai 2003, plus d'un mois après avoir été engagé et quelques jours après l'expiration du délai pour signifier et déposer le dossier, M. Charles a avisé la Legal Services Society qu'il n'était pas en mesure de procéder dans l'affaire de Mme Muhammed en raison de sa charge de travail, mais qu'il avait demandé au présent avocat, M. Kajoba, de s'occuper du dossier, et il a fourni, à cette fin, un formulaire de changement d'avocat.

[4]                  La demanderesse, Mme Muhammed, et son enfant, se retrouvant avec un nouvel avocat une semaine après l'expiration du délai pour signifier et déposer le dossier, se sont donc vus dans l'obligation de demander une prorogation de délai pour signifier et déposer le dossier. M. Kajoba, qui semble avoir agi avec célérité pour prendre les choses en mains, présente maintenant la requête en prorogation de délai ici en cause.


EXAMEN

[5]                  Les deux avocats s'entendent pour dire que le critère approprié en matière de prorogation de délai est énoncé dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.). Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1995), 91 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.), le juge Muldoon a traité par écrit une requête en prorogation de délai présentée pour que le ministère public, le requérant, puisse déposer un dossier. Dans cette affaire, le ministère public avait eu l'intention de procéder, mais avait, par inadvertance, laissé passer le délai pour déposer le dossier. Le juge Muldoon, qui n'a pas pensé grand bien de l'opposition de M. Hennelly, a écrit ce qui suit :

4.          Le requérant peut certainement attirer de la sympathie. Il arrive effectivement que des avocats, du fait de leur charge de travail, oublient d'agir dans les délais prévus (peut-être plus souvent qu'on le croie). Tous les juges de cette Cour savent combien souvent le procureur général, placé dans la situation inverse, consent gracieusement et généreusement à de telles requêtes présentées par des justiciables. Nul ne souhaite voir une partie sérieuse échouer dans une instance à cause d'un délai de prescription, même si des instances comme celle-ci sont censées être sommaires et expéditives.

En l'espèce, le ministère public, empruntant l'idée évoquée par le juge Muldoon dans Hennelly, souhaite faire échouer les demanderesses « à cause d'un délai de prescription ... » . Bien que le juge Muldoon ait éprouvé de la sympathie pour le ministère public dans Hennelly, l'inadvertance ne constituait pas un motif suffisant pour proroger un délai.

[6]                  La Cour d'appel, dans Hennelly, a reconnu qu'il « ... est généralement d'usage que les parties consentent à des prorogations de délai dans des circonstances comme en l'espèce et également d'usage que la Cour accorde une prorogation en conséquence » (page 399). La Cour d'appel a ensuite énoncé le critère applicable en matière de prorogation de délai, qui consiste à savoir si le demandeur a démontré :

1.          une intention constante de poursuivre sa demande;

2.          que la demande est bien fondée;

3.          que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4.          qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

(Page 400)

La Cour d'appel a fait observer que la justification d'une prorogation de délai dépendait des faits de l'espèce.

[7]                  En examinant une demande de prorogation de délai, il faut également tenir compte de l'affaire Grewal c. M.E.I., [1985] 2 C.F. 263, dans laquelle tant le juge en chef que le juge Marceau de la Cour d'appel ont insisté sur la nécessité, dans toute affaire de prorogation de délai, de faire justice entre les parties : voir les pages 272, 280 et 282. À la page 282, le juge Marceau a souligné que les différents facteurs justifiant une prorogation de délai doivent être balancés. Je dois donc balancer les facteurs énoncés par la Cour d'appel dans Hennelly et l'objectif global de faire justice entre les parties.

[8]                  En l'espèce, je suis convaincu qu'à tout le moins la demanderesse a démontré, pour elle-même et pour son enfant, une intention constante de poursuivre sa demande.


[9]                  Le ministère public prétend que la cause n'est pas défendable, et donc que la demande n'est pas bien fondée parce que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication de Mme Muhammed et de son fils au motif qu'ils avaient omis de fournir une preuve crédible et digne de foi de leur identité. Je suis d'accord avec le ministère public que toute nouvelle preuve que les demandeurs voudraient présenter, laquelle contient, si je comprends bien, des documents d'identité additionnels, ne serait pas pertinente parce que la Commission ne disposait pas de cette preuve lorsqu'elle a rendu sa décision.

[10]            L'avocat des demandeurs adopte une approche quelque peu différente. Il fait d'abord remarquer que la prorogation de délai ne dépend pas du fait que la cause ait ou non un caractère absolu, mais bien de l'existence de motifs suffisants pour qu'une argumentation puisse être présentée, citant à cet égard Valyenegro c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 88 F.T.R. 196 (C.F. 1re inst.), à la page 199 :

En ce qui concerne l'obligation de démontrer qu'une demande d'autorisation a des chances sérieuses de réussir, il n'est pas nécessaire de démontrer, au moment où la prolongation est considérée, qu'il y a raison suffisante d'accorder l'autorisation, mais il faut faire la preuve qu'il existe des motifs suffisants pour qu'une argumentation en faveur de la prolongation puisse être présentée au juge qui examinera par la suite la demande d'autorisation.


L'avocat des demandeurs fait valoir que la conclusion de la Commission, selon laquelle la revendication était dépourvue d'un minimum de fondement, était fondée sur une prétendue omission des demandeurs de convaincre le tribunal de leur identité. Il semblerait cependant que cette détermination d'absence de minimum de fondement ait été fondée sur une omission de la demanderesse de fournir une preuve suffisamment crédible et digne de foi pour établir son identité et celle de son fils. Ici, l'avocat insiste sur deux points. Premièrement, une conclusion d'absence de minimum de fondement doit être fondée sur l'ensemble de la preuve, et non sur les seuls éléments de preuve relatifs à l'identité du revendicateur. L'avocat cite plusieurs décisions, mais celle qui étaye le mieux cette prétention est la décision dans l'affaire Siba c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 1380, décision non publiée et rendue le 11 décembre 2001 par la juge Tremblay-Lamer dans le dossier IMM-6327-00, dans laquelle celle-ci a jugé que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait, entre autres, omis non seulement d'apprécier expressément la preuve dans son ensemble, mais aussi d'expliquer de façon expresse les raisons qui l'avaient poussée à conclure à l'absence de minimum de fondement de la revendication de la demanderesse. Dans cette décision, la juge Tremblay-Lamer fait référence à la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (M.C.I.), (1999) 167 F.T.R. 130 (F.C.T.D.), dans laquelle elle exprime, au paragraphe 11, l'opinion suivante :

[TRADUCTION] Àmon avis, la Commission a omis d'examiner toute la preuve soumise. Elle a simplement rejetéla demande de la demanderesse principale parce qu'elle a jugéqu'elle n'était pas crédible. Dans les circonstances de l'espèce, il existait d'autres éléments de preuve susceptibles d'influer sur l'appréciation de la demande. Ces autres éléments de preuve auraient donc dûêtre appréciés expressément.

Elle ajoute ensuite, dans Siba, que :


19.    Lorsque la preuve documentaire est pertinente, je suis aussi d'avis, eu égard aux conséquences sérieuses qu'entraîne un prononcéaux termes de l'alinéa 69.1(9.1), que le tribunal est tenu de motiver expressément à la lumière de la preuve objective les raisons qui ont menéà son application.

20.    Dans le présent dossier, le tribunal n'a pas évaluéexpressément l'ensemble de la preuve, laquelle comprenait entre autres un rapport médical et psychologique qui corroborait l'histoire de la demanderesse quant aux sévices subis. Il n'a de plus fourni aucun motif expliquant de façon expresse les raisons qui l'ont pousséà conclure à l'absence de minimum de fondement quant à l'application de l'alinéa 69.1(9.1) de la Loi.

Il convient de préciser que, dans cette affaire, le paragraphe 69.1(9.1) de l'ancienne Loi sur l'immigration donnait des directives au tribunal quant au traitement des affaires comportant une absence de minimum de fondement de la revendication.

[11]            En l'espèce, les motifs qui doivent faire l'objet d'un contrôle sont assez détaillés, bien qu'à la lecture de ces motifs, il soit possible de prétendre que le tribunal n'a pas apprécié la preuve dans son ensemble ou que, eu égard aux conséquences sérieuses, celui-ci n'a pas exposé clairement et de façon convaincante les raisons qui l'ont poussé à conclure à l'absence de minimum de fondement de la revendication. L'argument n'est pas très convaincant, mais c'est possible.


[12]            Voyons maintenant la question du préjudice. Les deux avocats ont pensé devoir invoquer un préjudice subi par les demandeurs. Ce genre d'argument occupe sans doute une place prépondérante dans l'esprit d'un demandeur menacé d'expulsion. Cependant, dans Hennelly, la Cour d'appel indique clairement que ce qui doit être examiné, c'est le préjudice subi par le défendeur en raison du délai. En l'espèce, la durée du délai n'est pas assez longue pour me permettre d'assumer qu'un préjudice a été subi par le défendeur, et aucun préjudice spécifique qu'aurait subi le défendeur n'a été porté à mon attention.

[13]            La partie du critère énoncé dans Hennelly qui me suscite le plus de difficultés est celle qui consiste à déterminer s'il existe une explication raisonnable justifiant le délai. Comme je l'ai indiqué, le délai a été causé par l'avocat qui, en raison d'un surcroît de travail, a complètement laissé tomber les demandeurs en omettant de procéder à un dépôt en temps opportun pour ensuite les abandonner et laisser à un nouvel avocat la tâche de réparer les dégâts après coup. Le recours dont disposent les demandeurs contre l'avocat qui les a laissés tomber est en quelque sorte illusoire parce que le type de préjudice qu'ils peuvent subir, c'est-à-dire l'expulsion, parce que leur avocat a omis de défendre leur cause et de la mener à bien, ne peut être compensé par une somme d'argent.

[14]            La difficulté à laquelle se heurtent les demandeurs réside dans le concept selon lequel le surcroît de travail ne constitue pas une explication raisonnable justifiant le délai. La décision généralement invoquée à l'appui de ce concept est Chin c. Canada (M.E.I) (1993), 69 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.). Cette décision est fondée sur la proposition voulant que l'avocat et le client, en cas d'expiration de délai, ne fassent qu'un. Ayant cela à l'esprit, la juge Reed a expliqué sa façon de traiter le problème aux pages 79 et 80 :


7.     Je pense que je devrais expliquer ma façon de traiter les requêtes visant à obtenir une prolongation de délai. Je prends tout d'abord pour hypothèse que les délais prescrits dans les règles doivent en principe être respectés. S'ils sont trop courts, il faudrait demander que les règles soient modifiées afin d'allonger ceux-ci. Je ne fais pas droit à une demande de prolongation de délai pour le simple motif qu'il s'agit de la première fois que l'avocat présente une telle demande ou que sa charge de travail est trop lourde. J'estime que ce genre de décision est injuste pour les avocats qui, pour respecter les délais prescrits, refusent des clients parce que leur charge de travail est trop lourde ou qui remuent ciel et terre pour respecter les délais et ce, à leur propre détriment. Comme je l'ai indiqué, j'estime que les délais prescrits dans les règles doivent en principe être respectés et sont censés s'appliquer à chacun, de la même manière. Si une prolongation devait être accordée automatiquement simplement parce qu'un avocat en fait la demande, les règles devraient le prévoir pour chaque personne qui le demande.

8.     Quels sont donc les motifs pour lesquels j'accorde une prolongation de délai. J'ai déjà indiqué que, en règle générale, je ne rends pas une décision favorable lorsque les demandes reposent uniquement sur la charge de travail de l'avocat. Lorsque je suis saisie d'une demande de prolongation de délai, je cherche un motif qui échappe au contrôle de l'avocat ou du requérant, par exemple, la maladie ou un autre événement inattendu ou imprévu.

En l'espèce, rien ne prouve l'existence d'un événement imprévu justifiant le délai du point de vue du premier avocat; il existe simplement une preuve établissant que le premier avocat n'a pas déposé le document en raison d'un surcroît de travail. Le premier avocat a ensuite remis le dossier à un autre avocat alors que le mal était déjà fait. Dans Chin, la juge Reed a ainsi résumé le tout à la page 80 :

10.    Je sais que les tribunaux hésitent souvent à désavantager les individus parce que leurs avocats n'ont pas agi dans les délais. Par ailleurs, dans les affaires de ce genre, l'avocat agit au nom de son client. L'avocat et le client ne font qu'un. Il est trop facile pour l'avocat de justifier son inobservation des règles en alléguant que son client n'est nullement responsable du retard et que si une prolongation de délai n'est pas accordée, il subira un préjudice. Revenons à la question de l'équité. Il est inéquitable que certains avocats agissent en tenant pour acquis que, sauf imprévu, les délais doivent être respectés et que d'autres présument qu'ils n'ont qu'à plaider la surcharge de travail, ou n'importe quel autre événement contrôlable, et qu'ils obtiendront au moins une prolongation de délai. En l'absence d'une règle expresse s'appliquant dans ces derniers cas, je considère que la première attitude est celle qu'il faut adopter.


[15]            Il s'agit donc maintenant de déterminer si l'affaire Chin peut être distinguée de la présente affaire et, dans la négative, de voir s'il existe une autre solution.

[16]            Le nouvel avocat des demandeurs fait remarquer que l'affaire Chin ne concernait qu'un avocat, alors qu'en l'espèce, il y en a trois : le premier avocat, de Victoria, qui a déposé la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en temps opportun; le deuxième avocat, de Vancouver, qui a pris charge du dossier le lendemain de ce dépôt, mais qui a omis, en raison de sa charge de travail, de procéder au prochain dépôt dans le délai prescrit de 30 jours; et le présent avocat, de Vancouver également, qui a pris le relais après l'expiration dudit délai, et qui tente de réparer les dégâts. Malheureusement, même s'ils ont activement tenté de remédier à la situation en engageant un nouvel avocat, je ne vois pas en quoi tout cela a été utile aux demandeurs puisque selon l'analyse faite dans Chin, ceux-ci héritent de l'omission du deuxième avocat, qui n'a pas respecté la date de dépôt.


[17]            L'autre solution, en l'espèce, consiste à déterminer si un recours devrait être accordé aux demandeurs selon les principes de justice naturelle. Les avocats hésitent souvent à qualifier un autre avocat d'incompétent. Le présent avocat des demandeurs est allé jusqu'à admettre que la demanderesse, Mme Muhammed, avec l'aide de la Legal Services Society avait retenu, en temps opportun, les services d'un avocat qui a manqué à son devoir envers les demandeurs. J'ai examiné et résumé le droit en matière d'allégations d'incompétence visant un avocat dans Frankel c. Canada (M.C.I.) (1998), 148 F.T.R. 8 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11 :

11.     D'une manière générale, il n'appartient pas aux tribunaux de connaître des allégations d'incompétence visant un avocat : voir Williams c. M.E.I. (1994), 74 F.T.R. 34 à la p. 38. Dans certaines circonstances extraordinaires, l'incompétence de l'avocat peut soulever un problème de justice naturelle. Mais c'est au requérant qu'incombe la lourde tâche de démontrer que sa cause s'inscrit dans le cadre de cette exception : voir, par exemple, Sheika c. Canada (1990), 71 D.L.R. (4th) 604 à la p. 611 (C.A.F.); Huynh c. M.E.I. (1994), 21 Imm.L.R. 18 aux p. 21 et suivantes (C.F. 1re inst.); Shirwa c. M.E.T. (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 123 aux p. 128 et suivantes (C.F. 1re inst.); et Drummond c. M.C.I. (A-771-92) décision non publiée rendue le 11 avril 1996 par le juge Rothstein qui a résumé l'état du droit sur la question :

« ... La jurisprudence dit cependant qu'en règle générale lorsqu'un avocat est librement choisi, c'est l'organisme d'accréditation tel le Barreau du Haut-Canada ..., et non les tribunaux, qui a le mandat de s'occuper de l'incompétence d'un avocat; .... Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l'avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés; ....(page 2). »

[18]            Dans Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.), le juge Denault a dû trancher une affaire où l'avocat avait manifestement fait preuve d'incompétence pendant une audience. En accordant la demande initiale de contrôle dans Shirwa, il a cité Mathon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 28 F.T.R. 217 (C.F. 1re inst.), et il a fait remarquer, à la page 130 de la décision Shirwa, que :


Lorsque le requérant n'a commis aucune faute, mais que le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d'être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle, en sorte qu'un contrôle judiciaire est fondé. (Mathon)

[19]            L'affaire Mathon est pertinente et utile. Dans cette affaire, où la cliente avait fait tout ce qu'elle avait à faire sans commettre de faute, l'avocat a omis, par inadvertance, de déposer une demande de réexamen en temps opportun. Le juge Pinard examine la compétence et la diligence dont est tenu de faire preuve un avocat, suivant l'énoncé contenu dans l'arrêt Central Trust Co. v. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, à la page 208. À la page 229 de la décision Mathon, il énonce le droit de Mme Mathon à être « ... représentée par un avocat diligent et/ou compétent » pour ensuite faire observer ce qui suit :

[23] Or, c'est précisément à cause de l'erreur et/ou de la négligence de son avocat, lequel n'a pas déposé dans les délais prescrits la demande de réexamen pourtant signée en temps utile par la requérante, que cette dernière fut privée d'une audition pleine et entière devant la Commission d'appel de l'immigration. Ainsi, la forclusion ayant été encourue uniquement à cause de l'erreur et/ou de la négligence d'un procureur, il n'incombe pas au justiciable qui a agi avec diligence de supporter les conséquences de semblables erreur ou négligence. (loc. cit.)

Le juge Pinard cite ensuite l'arrêt Barrette c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 121, et reproduit le passage suivant, tiré de la page 124 des motifs du juge Pigeon:

Le pourvoi est fondé sur la dissidence du juge Casey qui, après avoir cité le deuxième alinéa du rapport et les deux phrases qui suivent, a dit :


[TRADUCTION] La conduite inexplicable de l'avocat de l'appelant est à déplorer et ceux à qui il appartient de le faire devraient imposer la sanction voulue ou du moins examiner la possibilité de le faire, mais je ne vois pas de raison de punir l'appelant pour la faute de son avocat ou parce que les affaires sont en retard devant les tribunaux de première instance. L'appelant n'y peut rien et cela ne saurait le priver de son droit à un procès équitable. C'est précisément ce que le juge de première instance s'est trouvé à faire en obligeant l'appelant à subir son procès sans l'aide d'un avocat et en lui permettant, pour ne pas dire le contraignant, de témoigner (à la p. 39).

Dans ce passage, le juge Pigeon dit clairement qu'il n'y a « ... pas de raison de punir l'appelant pour la faute de son avocat ... » . Après avoir passé en revue la jurisprudence canadienne, le juge Pinard constate ce qui suit :

En l'espèce ... l'opportunité d'une audition en bonne et due forme devant la Commission d'appel de l'immigration constituait un élément essentiel au respect des principes de justice fondamentale dans la procédure globale de considération de la revendication du statut de réfugié. C'est précisément cette opportunité qu'a perdu la requérante en raison de l'erreur et/ou de la négligence de son premier avocat.

(Page 231)

Le juge Pinard a donc prorogé le délai.


[20]            Il est difficile de concilier les affaires Chin et Mathon. Dans Chin, l'accent est mis sur la proposition voulant que le client et l'avocat ne fassent qu'un, même si le client est entraîné vers le fond par le poids de l'incompétence de son avocat. Dans Mathon, l'affaire où la date de dépôt n'a pas été respectée, l'accent est mis, par l'intermédiaire de la Cour suprême du Canada, sur le principe qu'il n'incombe pas à un client « qui a agi avec diligence de supporter les conséquences de semblables erreur ou négligence » (page 229), surtout lorsque celui-ci a été de ce fait privé d'un droit.

[21]            Pour choisir entre les deux approches, il faut se référer à la décision rendue dans l'affaire Grewal, précitée, qui m'oblige à balancer les facteurs applicables en matière de prorogation de délai et l'objectif global de faire justice entre les parties. J'entends donc suivre le courant jurisprudentiel qui a mené à la décision rendue dans Mathon parce que les faits de la présente instance sont précis et clairement prouvés, comme l'a exigé le juge Rothstein, tel était alors son titre, dans Drummond, précité. Compte tenu de toutes les circonstances, notamment de l'intention constante de poursuivre la demande, du bien-fondé de la demande, de l'absence de tout préjudice subi par le défendeur en raison du délai, de l'explication justifiant le délai - c'est-à-dire que c'est l'ancien avocat qui, en abandonnant les demandeurs après avoir laissé passer le temps, a privé ceux-ci de leur droit - et du fait que de mettre fin à la procédure de contrôle judiciaire en raison de la négligence ou de l'incompétence procédurale d'un ancien avocat procurerait un avantage inattendu au ministère public, une prorogation de délai est appropriée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

(Signé) « John A. Hargrave »

                                                                                              Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 juillet 2003                 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2547-03

INTITULÉ :                                        Zeynup Muhammed et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 26 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                    Le 3 juillet 2003

COMPARUTIONS :                       

Moses Kajoba                                  

R. Keith Reimer

POUR LES DEMANDEURS

POUR LE DÉFENDEUR

                                         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kajoba & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)                          

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

POUR LE DÉFENDEUR

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