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Date : 19980923


Dossier : T-1416-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 SEPTEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE

     RICHARD M. DORIS,

     demandeur,

     et


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR

le navire Ferdinand (action réelle), le navire Sir Robert Peel (action réelle),le navire Robert M. Hull (action réelle), le navire Robert Desormeans (action réelle), le navire Robert Van Allen (action réelle), le navire Vandenburg (action réelle), le navire Joseph Dubrule (action réelle), le navire Fort Town (action réelle), le navire Lieutenant Red George McDonnell (action réelle), le navire Gladys (action réelle), le navire J. P. Wiser (action réelle), et le navire Prescottonian (action réelle),

     ET LE PRODUIT DE LA VENTE

     du navire Ferdinand, du navire Sir Robert Peel,

     du navire Robert M. Hull, du navire Robert Desormeans,

     du navire Robert Van Allen, du navire Vandenburg,

     du navire Joseph Dubrule, du navire Fort Town,

     du navire Lieutenant Red George McDonnell, du navire Gladys,

     du navire J. P. Wiser, et du navire Prescottonian,

     LA BANQUE NATIONALE DU CANADA,

     LA BANQUE ROYALE DU CANADA

     et PRICEWATERHOUSECOOPERS INC.

     défendeurs.

     JUGEMENT

         Un jugement sommaire rejetant la déclaration du demandeur est accordé aux défendeurs avec dépens. Les mandats de saisie délivrés contre les douze navires défendeurs sont annulés.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 19980923


Dossier : T-1416-98

ENTRE

     RICHARD M. DORIS,

     demandeur,

     et


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR

le navire Ferdinand (action réelle), le navire Sir Robert Peel (action réelle), le navire Robert M. Hull (action réelle), le navire Robert Desormeans (action réelle), le navire Robert Van Allen (action réelle), le navire Vandenburg (action réelle), le navire Joseph Dubrule (action réelle), le navire Fort Town (action réelle), le navire Lieutenant Red George McDonnell (action réelle), le navire Gladys (action réelle),

le navire J. P. Wiser (action réelle), et le navire Prescottonian (action réelle),

     ET LE PRODUIT DE LA VENTE

     du navire Ferdinand, du navire Sir Robert Peel,

     du navire Robert M. Hull, du navire Robert Desormeans,

     du navire Robert Van Allen, du navire Vandenburg,

     du navire Joseph Dubrule, du navire Fort Town,

     du navire Lieutenant Red George McDonnell, du navire Gladys,

     du navire J. P. Wiser, et du navire Prescottonian,

     LA BANQUE NATIONALE DU CANADA,

     LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

     et PRICEWATERHOUSECOOPERS INC.

     défendeurs.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DUBÉ

[1]      La présente requête en jugement sommaire présentée en vertu de la règle 213 des Règles de la Cour fédérale (1998) par les défenderesses, la Banque nationale du Canada et la Banque royale du Canada (collectivement appelées : les banques), et par leur séquestre, PricewaterhouseCoopers Inc. (auparavant Coopers & Lybrand Limited)(le séquestre), vise à obtenir le rejet de la demande de M. Richard M.Doris et à annuler douze mandats de saisie qu"il a obtenus le 13 juillet 1998 à l"égard des douze habitations flottantes (les navires) qui font l"objet de la présente action.

[2]      Le demandeur prétend avoir un privilège de capitaine pour débours contre les navires au montant de 536 640,41 $ en priorité aux hypothèques de premier rang détenues par les banques. Il est originaire de Prescott (Ontario), et sa demande porte sur la période allant du 9 mai 1994 au 31 octobre 1997.

1- Les faits

[3]      Le demandeur allègue que les navires sont des habitations flottantes de haute gamme autrefois possédées par douze compagnies numériques distinctes (les propriétaires), lesquelles étaient elles-mêmes détenues par North Channel Nautical Village Ltd. (NCNV), qui les exploitait dans un but de revente à des fins récréatives et en tant que lieux de villégiature à temps partagé.

[4]      En 1997, NCNV était une compagnie limitée. Le demandeur en était le président-directeur général, possédant 47 % des actions ordinaires. Il prétend qu"à titre de capitaine de l"ensemble des (douze) navires, il a dépensé une somme totale de 536 640,41 $ pour leur entretien et pour en assumer l"exploitation commerciale. Il prétend avoir un privilège de capitaine pour débours de ce montant. En 1995, les banques ont financé l"acquisition des navires au moyen de prêts hypothécaires s"élevant à 250 000 $ par navire. Onze des prêts ont été consentis par la Banque nationale tandis que la Banque royale a consenti l"autre. Les propriétaires sont des filiales possédées entièrement par NCNV. Celle-ci était tenue par contrat d"entretenir les navires pour les propriétaires et d"exploiter l"entreprise de villégiature. Le demandeur admet qu"il était en fait le seul dirigeant de NCNV et des propriétaires.

[5]      Au moment où les propriétaires ont négocié leurs prêts avec les banques en 1995, le demandeur a, en leur nom, déclaré par écrit que les navires étaient libres de toute sûreté, charge et privilèges antérieurs et que les propriétaires ne grèveraient pas les navires, sans le consentement des banques, de quelque sûreté ou charge que ce soit qui prendrait rang ou qui viserait à prendre rang en priorité à leurs sûretés ou à égalité avec elles.

[6]      Les banques prétendent qu"elle se sont fondées sur les déclarations du demandeur, qu"elles ont consenti les prêts et qu"elles ont obtenu des sûretés complètes des propriétaires. Le demandeur a cautionné une partie de chaque hypothèque au bénéfice des banques pour un montant excédant 325 000 $. Les sûretés prévoyaient que les dettes et obligations des propriétaires envers le demandeur étaient cédées aux banques.

[7]      En 1995, le demandeur a eu un conflit grave avec son associé commercial, M. Randall Pelehos (le détenteur de la portion restante de 53 % de NCNV) et a donc été obligé d"engager des fonds pour l"entretien des navires et pour leur entreprise commune, soit l"exploitation du lieu de villégiature à temps partagé. De temps à autre, NCNV a remboursé le demandeur de ces dépenses.

[8]      Les propriétaires et NCNV sont actuellement tous en faillite et en défaut d"honorer leurs obligations envers les banques pour une somme de 3 000 000 $. Le demandeur lui-même est insolvable et a déposé une proposition concordataire. Les banques ont donc nommé un séquestre afin de faire vendre l"actif des propriétaires. Le séquestre a tenu, le 24 juin 1998, une vente aux enchères publiques qui avait été largement publicisée, et il a conclu douze conventions distinctes d"achat-vente avec les plus hauts soumissionnaires, de sorte que le produit cumulatif des ventes s"est élevé à 412 600 $.

[9]      Les ventes devaient être finalisées le 13 juillet 1998. À cette date précise, le demandeur a obtenu douze mandats de saisie fondés sur le remboursement de son présumé privilège de capitaine pour débours. En conséquence, les ventes sont suspendues à l"heure actuelle, les navires étant saisis.

2. Les questions en litige

[10]      La question en litige principale est de savoir si le demandeur a un privilège de capitaine pour débours valide et, dans l"affirmative, si la fin de non-recevoir l"empêche de faire valoir son présumé privilège ou s"il l"a affecté ou cédé aux banques aux termes de son cautionnement.

3. Qu"est-ce qu"un privilège de capitaine pour débours?

[11]      Dans son ouvrage Maritime Liens and Claims1, le professeur William Tetley aborde les débours du capitaine au chapitre 11 (aux pages 419 à 434). Le principe fondamental est que le capitaine d"un navire a le droit d"être remboursé par ses propriétaires pour les approvisionnements nécessaires qu"il a commandés et qu"il a droit à un privilège maritime pour ces débours. Le professeur Tetley définit ainsi les débours du capitaine à la page 419 :

             [TRADUCTION]             
             Les débours du capitaine sont les approvisionnements nécessaires au navire qui ont été commandés par le capitaine et qui ont été payés par lui ou obtenus au moyen de son crédit personnel. Le capitaine doit avoir agi pour les fins du navire dans le cadre de son pouvoir explicite ou implicite. Les débours sont effectués à un port ou à un endroit d"où le capitaine ne peut joindre les propriétaires du navire. Le capitaine jouit d"un privilège maritime pour des débours de cette nature, qu"il ait dépensé son argent personnel ou encouru une dette.             

[12]      Aux pages 419 et suivantes, le professeur Tetley souligne que [TRADUCTION] " les débours du capitaine et le privilège en découlant sont pratiquement disparus de nos jours grâce aux moyens modernes de communication, un capitaine peut toujours joindre les propriétaires ". Il ajoute que [TRADUCTION] " le droit d"un capitaine d"exercer un recours contre le navire pour ses débours existe dans les ressorts de droit civil depuis des siècles et est né il y a plus de 200 ans en Angleterre ". Il expose les six conditions pour l"existence d"un privilège de capitaine pour débours, qui peuvent être résumées comme suit :

     1) les biens ou services doivent être des approvisionnements nécessaires;
     2) les biens ou services doivent être pour le navire (et l"entreprise commune) et non pas pour l"avantage personnel du capitaine;
     3) le capitaine doit avoir déboursé son argent personnel;
     4) les débours doivent avoir été effectués par le capitaine et ne doivent pas avoir profité à des matelots, des agents ou au capitaine en second;
     5) le capitaine doit avoir le pouvoir (explicite ou implicite) d"engager le crédit du propriétaire;
     6) le capitaine doit être dans l"impossibilité de joindre les propriétaires.

4. Le demandeur a-t-il un privilège valide?

[13]      Les défendeurs prétendent que le demandeur n"a pas pu satisfaire, comme il est exposé dans les paragraphes suivants, à au moins trois des six conditions nécessaires à l"existence d"un privilège de capitaine pour débours.

a) Les débours étaient-ils pour des approvisionnements nécessaires?

[14]      L"expression les " approvisionnements nécessaires " pour un navire a été définie en droit maritime anglais par lord Tenterden dans Webster v. Seekamp2 en 1981, à la page 967 :

             [TRADUCTION]             
             Je suis d"avis que ce qui convient pour l"usage d"un navire et ce qu"un propriétaire de navire prudent aurait ordonné s"il avait été présent à l"époque est visé par le terme " nécessaire " lorsque celui-ci est appliqué aux réparations faites ou aux choses fournies au navire sur l"ordre du capitaine et pour lesquelles les propriétaires sont responsables.             

[15]      Au chapitre 16, le professeur Tetley définit les " approvisionnements nécessaires " au sens du droit maritime canadien de la façon suivante (à la p. 578) :

             [TRADUCTION]             
             Les approvisionnements nécessaires au Canada sont définis à l"alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale comme les " marchandises, matériels ou services " fournis à un navire et nécessaires " pour son fonctionnement ou son entretien ". La pose d"un moteur conforme aux normes sur un navire a été jugée un approvisionnement nécessaire et serait probablement visée, aujourd"hui, par les termes de l"alinéa (22)2)n) " construction, [...] réparation ou [...] équipement d"un navire ", comme le serait la modification de la structure et de l"équipement d"un navire. La location d"une grue pour décharger un navire en cale sèche avant de le remettre à flot a été jugée donner lieu à un privilège pour approvisionnements nécessaires.             
             Le radar est une nécessité et un approvisionnement nécessaire. La fourniture de poisson à un navire-usine est également un approvisionnement nécessaire, comme la fourniture d"appâts et de glace à un bateau de pêche. Même la fourniture d"une cale sèche et d"un entrepôt pour qu"un navire s"y accoste et qu"il y soit déchargé a été considérée comme un approvisionnement nécessaire. Les exemples précédents illustrent la grande portée de la définition d"approvisionnements nécessaires au Canada, laquelle est due, en particulier, au fait que la Loi sur la Cour fédérale , à l"alinéa 22(2)m), fait référence aux " services " en plus des marchandises et             
             des matériels. Bien entendu, les soutes sont des approvisionnements nécessaires au Canada.             

[16]      Il ressort de la liste de dépenses et du contre-interrogatoire du demandeur que ses débours ont été effectués en majeure partie dans le cadre de l"exploitation de NCNV à la suite du départ de l"actionnaire majoritaire. Le montant le plus élevé des débours (287 197,34 $) se rapporte au capital et aux intérêts sur des prêts qu"il a obtenus au nom de NCNV. Ce montant comprend également les intérêts mensuels sur ses marges de crédit personnelles qui ont été utilisées tant pour les dépenses familiales que commerciales. Le montant total de 152 061,45 $ inscrit sous " NCNV " représente les frais généraux d"exploitation. Un autre montant total de 35 642,42 $ découle de transactions effectuées au moyen des cartes de crédit du demandeur et pour lesquelles il n"a fourni aucune précision, se bornant à dire que les fonds ont été utilisés pour les frais généraux d"exploitation de NCNV. Il y a aussi d"autres montants qui ont été payés aux membres de la famille du demandeur pour la location de véhicules, des honoraires d"avocat en matière de droit corporatif, des frais téléphoniques, des services promotionnels, des réparations d"automobile, des commissions de vente d"unités à temps partagé, des dons à des fins politiques, etc.

[17]      J"estime que ces déboursés n"ont pas été faits pour " des marchandises, matériels ou services " fournis à un navire pour " son fonctionnement ou son entretien ". Ils n"étaient pas des " approvisionnements nécessaires " liés à des navires particuliers. Ils ont été effectués en majeure partie pour l"exploitation et l"administration d"une compagnie et à titre personnel. Ils faisaient partie du compte courant de NCNV dans le cadre de l"exécution de ses obligations aux termes du contrat de service conclu avec les propriétaires et ils ont été traité par le demandeur comme des prêts de sa part à NCNV.

b) Le demandeur a-t-il agi à titre de capitaine?

[18]      Les défendeurs prétendent que le demandeur a toujours fait affaires avec NCNV à titre d"actionnaire minoritaire et de financier de NCNV et non pas à titre de capitaine d"un navire.

[19]      Dans son propre affidavit, le demandeur déclare qu"il a eu un grave conflit avec l"actionnaire majoritaire et président de NCNV, M. Randall Pelehos. En conséquence, il a dû engager des dépenses afin de préserver le projet, de protéger les intérêts des propriétaires à temps partagé et de maintenir l"entreprise en affaires. Il était, dans les faits, le seul dirigeant de NCNV. C"est à ce titre et non à titre de capitaine d"un navire qu"il a effectué les débours. En fait, il a tenu un compte dans le grand livre de NCNV où il inscrivait au fur et à mesure le total de ses avances à NCNV et les remboursements de cette dernière.

[20]      Le demandeur déclare également dans son affidavit que l"acquisition des navires par les compagnies numériques, qu"il a décrit comme les " propriétaires ", n"était rien d"autre qu"une réorganisation corporative interne qui n"affectait la véritable propriété des navires pour aucune raison. Ainsi, le demandeur était en réalité la seule âme dirigeante de NCNV et/ou des propriétaires des navires. Lorsqu"il rendait compte aux propriétaires, il se rendait compte à lui-même. Il n"agissait pas dans le cadre des fonctions traditionnelles et historiques d"un capitaine, mais à titre d"homme d"affaire exploitant un lieu de villégiature à temps partagé. Un fournisseur de services ne peut soudainement décider de devenir capitaine de navire de manière à élever ses frais administratifs au niveau d"un privilège prioritaire prenant rang avant les hypothèques qu"il a lui-même constituées sur ce navire.

c) Incapacité de communiquer avec les propriétaires des navires

[21]      Comme il a été mentionné auparavant, les privilèges de capitaine pour débours ont pratiquement disparu de nos jours car les moyens modernes de communication permettent au capitaine de toujours joindre les propriétaires, même lorsque le navire se trouve loin en mer pour un long trajet. L"impossibilité de communiquer avec les propriétaires avant d"engager des frais d"approvisionnements nécessaires à un navire était et demeure un élément essentiel à la naissance d"un privilège de capitaine pour débours. Il est clair que cet élément n"est pas présent en l"espèce.

[22]      Le demandeur n"agissait pas dans l"exercice des fonctions traditionnelles d"un capitaine qui se trouve à bord d"un navire et qui est incapable de communiquer avec les propriétaires. Les navires en question sont des habitations flottantes à temps partagé amarrées à la côte et faisant partie d"un village nautique. Le demandeur était l"administrateur du village et la seule âme dirigeante des propriétaires de ces navires (Il est bien établi que ces habitations flottantes sont des navires au sens de la common law et de la Loi sur la marine marchande du Canada). Il est évident que le demandeur était capable de communiquer avec les propriétaires avant d"engager toutes ces dépenses.

5. La question de la fin de non-recevoir

[23]      Les défendeurs avancent que dans l"hypothèse où le demandeur avait un privilège de capitaine pour débours valide sur les navires, la fin de non-recevoir l"empêchait de le faire valoir en raison de ses déclarations aux banques avant qu"elles lui avancent les fonds et selon lesquelles elles se verraient conférer une hypothèque de premier rang libre de tout privilège ou de toute charge antérieurs. En réalité, le demandeur a omis de les informer de ses prétentions potentielles à l"égard d"un privilège de capitaine pour débours au moment de contracter les prêts pour les navires et il ne l"a pas fait avant le jour où il a saisi ces derniers.

[24]      Les certificats de vente des douze navires, dûment signés par le demandeur, énoncent que [TRADUCTION] " l"auteur du transfert déclare au destinataire du transfert qu"il est autorisé à transférer de la façon susmentionnée les biens ci-avant représentés à ce dernier et que ceux-ci sont libres de toute charge ". Les hypothèques grevant l"ensemble des navires, également dûment signées par le demandeur, prévoient que [TRADUCTION] " le débiteur hypothécaire déclare au créancier hypothécaire qu"il est autorisé à hypothéquer de la façon ci-avant représentée les actions susmentionnées et que celles-ci sont libres de toute charge, à l"exception de celles apparaissant au registre dudit navire ".

[25]      Ces documents ont été précédés d"une [TRADUCTION] " Offre de financement " qui a été faite par les banques le 12 avril 1995 et qui énonce l"ensemble des conditions des prêts, dont celle que [TRADUCTION] " la banque se fonde sur ces déclarations et ces garanties ". Le document est suivi d"une acceptation au nom de NCNV par le demandeur et M. Pelehos, agissant comme cautions. Un autre document, intitulé [TRADUCTION] " Contrat de garantie générale " et également signé par le demandeur, prévoit que [TRADUCTION] " par les présentes, le débiteur déclare et garantit à la banque qu"il : a) est propriétaire du bien donné en garantie et que celui-ci est libre de toute sûreté et autres charges ".

[26]      Dans l"arrêt Scotsburn Co-operative Services Limited c. W.T. Goodwin Limited3, le juge Dickson de la Cour suprême du Canada a défini ainsi la doctrine de la fin de non-recevoir : " Pour qu"il y ait fin de non-recevoir, il faut essentiellement des promesses verbales ou des démarches qui amènent quelqu"un à s"y fier à son détriment ".

[27]      Le financement auprès des banques a eu lieu en avril 1995. Les montants pour lesquels le demandeur réclame les remboursements ont été dépensés entre le 9 mai 1994 et le 31 octobre 1997. Si le demandeur avait l"intention de réclamer le remboursement de ces débours aux propriétaires et, éventuellement, sur la vente des navires, il aurait dû en dévoiler le montant aux banques au moment des prêts. Un détenteur de privilège a l"obligation de dévoiler ses sûretés antérieures à un créancier garanti potentiel. Dans l"affaire Union Bank v. Irish4, le juge Prendergast, de la Cour d"appel du Manitoba, a cité le passage suivant du lord juge Turner dans Stronge v. Hawkes5, à la page 536 :

             [TRADUCTION]             
             Il est établi depuis longtemps que lorsqu"une personne détenant une sûreté sur un immeuble incite ou même ne fait qu"autoriser un tiers à avancer de l"argent en prenant une garantie sur l"immeuble sans l"informer de sa sûreté, ce tiers a le droit de lui être préféré. Le fait que la personne qui détient la sûreté n"ait rien fait et ait permis que l"avance soit faite sans donner avis de la sûreté est suffisant à lui seul pour donner préséance au titulaire de charge subséquent.             

[28]      J"estime donc que même si le demandeur avait un privilège de capitaine pour débours valide, fondé sur des approvisionnements nécessaires pour les navires en question, sa réclamation n"aurait pas priorité sur les prêts car il a omis d"informer les banques de ces réclamations, qui étaient en évolution au moment des prêts et qui ont continué de l"être par la suite.

8. Les priorités

[29]      Les défendeurs ont prétendu que tout privilège susceptible d"être détenu par le demandeur ne peut prendre rang qu"après les droits des banques car celui-ci s"est porté caution d"une partie des fonds avancés par ces dernières à chacun des propriétaires. En effet, le paragraphe 11 de la Lettre de garantie cautionnée par le demandeur, stipule :

             [TRADUCTION]             
             11. Toute dette et obligation présente et future du client envers la caution est, par la présente, cédée à la banque et affectée aux dettes et obligations présentes et futures du client envers la banque. L"ensemble des fonds reçus de la part du client ou en son nom par la caution doivent être détenus par elle à titre d"agent, de mandataire et de fiduciaire pour la banque et doivent être versés sans délai à cette dernière. La présente disposition demeurera en vigueur malgré la fin de la garantie en vertu des dispositions du paragraphe 7; elle prendra alors fin à l"acquittement intégral des dettes et obligations du client envers la banque qui font l"objet de la présente garantie en vertu du paragraphe 7 ci-inclus.             

[30]      Dans Stone v. S.S. "ROCHEPOINT."6, la Cour de l"Échiquier du Canada a conclu que les privilèges du capitaine et du capitaine en second d"un navire pour salaires n"avaient pas priorité sur le droit d"un créancier hypothécaire lorsque le paiement de l"hypothèque avait été cautionné par eux. Dans son affidavit, le demandeur convient qu"il s"est porté caution envers les banques de montants variant de 25 000 $ à 50 000 $ par navire, pour une somme totale de 350 000 $.

[31]      Le demandeur prétend que les banques n"ont plus le droit de se fonder sur ses cautionnements car ceux-ci ont été viciés par la vente des navires à un prix dérisoire. Ces derniers ont été évalués à 3 000 000 $ en 1995 et vendus seulement 412 600 $ en 1998. Selon lui, les banques ont omis de faire un effort raisonnable pour collaborer avec d"autres créanciers garantis afin d"assurer la vente de l"entreprise en tant qu"affaire toujours exploitée.

[32]      Il est en effet regrettable que la vente publicisée de ces navires n"ait pas provoqué de meilleures offres. Cependant, la preuve démontre que le séquestre a tenu une vente aux enchères publique le 24 juin 1998 et que deux jours plus tard, il a conclu douze conventions d"achat-vente distinctes avec les plus hauts soumissionnaires. Mais, comme il a été mentionné précédemment, ces ventes, qui devaient être finalisées le 13 juillet 1998, n"ont pas pu l"être car le demandeur a fait saisir les navires.

[33]      Selon l"affidavit de D. William Kennedy, directeur principal à la Banque nationale, le séquestre a tenu une vente aux enchères fortement publicisée pour les navires et celle-ci a attiré environ 300 personnes, dont plus de 100 étaient inscrits comme soumissionnaires. Le demandeur lui-même n"a présenté aucune soumission à la vente aux enchères.

[34]      Il n"est ni allégué ni prouvé que la vente était illégale ou qu"elle a été effectuée de manière inappropriée.

9. Dispositif

[35]      En vertu du paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), une partie défenderesse peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant une déclaration. Ces nouvelles règles sur le jugement sommaire sont similaires aux anciennes règles 432.1 à 432.7 et la même jurisprudence s"y applique. Lorsque la Cour est convaincue qu"il n"existe pas de véritable question litigieuse, elle rend un jugement sommaire. Dans l"arrêt Feoso Oil. Ltd. c. Sarla (The)7, la Cour d"Appel devait se prononcer sur une demande de jugement sommaire. Le juge Stone s"est exprimé ainsi, aux pages 81 et 82 :

             Selon moi, le nouveau processus autorisé par les Règles 432.1 à 432.7 ne doit pas être interprété de façon à empêcher le juge chargé des requêtes de faire ce qu"il prévoit de façon certaine--soit de permettre le prononcé d"un jugement sommaire dans les circonstances appropriées et, partant, des économies par rapport au temps et à l"argent qu"il faudrait autrement consacrer à             
             l"instruction. L"intention qui en ressort est celle             
             d"éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont manifestement non fondés. Le juge Henry a déclaré, dans l"arrêt Pizza Pizza , précité, que les deux parties doivent " présenter leur cause sous son meilleur jour ". L"intimée ne peut demeurer inactive dans l"espoir que la requête échoue d"elle-même en raison de l"insuffisance de la preuve. Le paragraphe 432.2(1) des Règles lui impose l"obligation de ne pas " s"appuyer sur les seules ... plaidoiries écrites ", mais de produire une preuve qui énonce " des faits précis démontrant l"existence d"une question sérieuse à instruire ". Pour appliquer les nouvelles règles, il faut tenir compte de tous ces éléments.             
             (Non souligné dans l"original.)             

[36]      En l"espèce, l"avocat du demandeur n"est d"ailleurs pas demeuré inactif mais a plutôt présenté la cause sous son meilleur jour. Il a fait état d"une quantité impressionnante d"arguments, de connaissances et de jurisprudence en droit maritime. Il n"a toutefois pas réussi à convaincre la Cour que le demandeur avait un privilège de capitaine pour débours fondé sur les approvisionnements nécessaires, que dans l"hypothèse où il en aurait eu un, la fin de non-recevoir ne l"empêchait pas de le faire valoir en raison de ses déclarations et que, de plus, le privilège avait priorité sur les hypothèques.

[37]      En conséquence, un jugement sommaire rejetant la déclaration du demandeur est accordé aux défendeurs, avec dépens en faveur de ces derniers. Les mandats de saisie délivrés contre les douze navires défendeurs sont annulés.

OTTAWA (Ontario)

Le 23 septembre 1998

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-1416-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      RICHARD M. DORIS c. LE                          PROPRIÉTAIRE ET AUTRES, LE                      NAVIRE FERDINAND ET AUTRES

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 18 septembre 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :              23 septembre 1998

COMPARUTIONS :

M. Peter Burnet                      pour le demandeur

M. John L. Finnigan                  pour les défendeurs

Mme Freya Painting

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Peter Burnet                      pour le demandeur

Avocat

Ottawa (Ontario)

Thorton Grout Finnigan              pour les défendeurs

Toronto (Ontario)

__________________

1 Éditions Blais, deuxième édition, 1998.

2 (1821) 4 B. & Ald., à la p. 354, 106 E.R. 966.

3 [1985] 1 R.C.S. 54, à la p. 66.

4 [1926] 1 D.L.R. 529.

5 (1853), 4 DeG. M. & G. 186, à la p. 196, 43 E.R. 482.

6 (1921), 68 D.L.R. 651 (Cour de l"Échiquier du Canada).

7 [1995] 3 C.F. 68.

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