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Date: 19990108


T-2590-97

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

         AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 38, 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce         
         ET un appel d'une décision rendue par le registraire des marques de commerce dans le cadre d'une opposition à la demande no 711 942 visant la marque de commerce BAYLOR                 

E n t r e :

     BAYLOR UNIVERSITY,

     appelante,

     et

     THE GOVERNOR AND COMPANY OF

     ADVENTURERS TRADING INTO

     HUDSON'S BAY, communément appelés

     COMPAGNIE DE LA BAIE D'HUDSON et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     intimés.

     JUGEMENT

     LA COUR, APRÈS AVOIR ENTENDU à Toronto en présence des avocats respectifs de l'appelante et des intimés l'appel interjeté par l'appelante, après audition des arguments des avocats et après avoir mis l'affaire en délibéré :

1.      REJETTE l'appel;
2.      CONFIRME la décision contestée du registraire;
3.      ENJOINT au registraire de rejeter la demande no 711 942 visant la marque BAYLOR;

4.      CONDAMNE l'appelante à payer aux intimés les dépens entre parties du présent appel immédiatement après leur taxation ou après entente sur leur montant;

5.      N'ADJUGE aucuns dépens au registraire et ne le condamne à aucuns dépens.

     F.C. Muldoon

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date: 19990108


T-2590-97

         AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 38, 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce         
         ET un appel d'une décision rendue par le registraire des marques de commerce dans le cadre d'une opposition à la demande no 711 942 visant la marque de commerce BAYLOR                 

E n t r e :

     BAYLOR UNIVERSITY,

     appelante,

     et

     THE GOVERNOR AND COMPANY OF

     ADVENTURERS TRADING INTO

     HUDSON'S BAY, communément appelés

     COMPAGNIE DE LA BAIE D'HUDSON et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     intimés.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MULDOON

[1]      Le registraire des marques de commerce a, le 29 septembre 1997, refusé en partie la demande de marque de commerce canadienne no 711 942 présentée par l'appelante pour la marque BAYLOR. La compagnie intimée s'est opposée à cette demande. L'appelante a, en vertu des articles 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-10, interjeté appel devant notre Cour de la décision par laquelle le registraire avait rejeté sa demande. La compagnie intimée (l'intimée ou la Baie) s'oppose toujours aux démarches entreprises par l'appelante pour obtenir l'enregistrement en bonne et due forme de sa marque de commerce projetée, mais le registraire n'est pas partie à la présente instance.

[2]      Il y a quelques différences dans le récit que chacune des parties donne des faits essentiels et qui sont en conséquence allégués dans les éléments de preuve sur lesquels le registraire s'est fondé pour rendre la décision dont appel est interjeté. L'appelante a déposé le 31 août 1992 sa demande en vue de faire enregistrer au Canada sa marque de commerce BAYLOR projetée. La demande visait deux types d'entreprises, à savoir des services et des marchandises :

1.      Des services dans le domaine de la tenue de cours de niveau collégial et de l'organisation de manifestations sportives de niveau collégial;

2.      Des marchandises, en l'occurrence des vêtements, à savoir : des chandails, des pulls d'entraînement, des pantalons d'entraînement, des tee-shirts, des shorts, des blousons, des casquettes et des chemises.

[3]      L'appelante a modifié sa demande de marque de commerce le 6 avril 1995 pour préciser que les marchandises et la marque projetée devaient être utilisées en liaison avec des [TRADUCTION] " articles collégiaux ", c'est-à-dire [TRADUCTION] " des articles qui arborent le nom ou la marque d'un collège ou d'une université d'une manière qui est bien visible lorsque l'article est utilisé ", ce qui signifie probablement, lorsqu'il est porté.

[4]      L'intimée a déposé une déclaration d'opposition au bureau du registraire le 16 juillet 1993 et l'a modifiée le 29 mars 1995. L'intimée énumère la liste de ses propres marques de commerce déjà enregistrées qui, hormis le dessin, arborent les mots suivants : BAYCREST, BAY CLUB, BAYMART, BAY RIDER, BAY SPORT, THE BAY en liaison avec une foule de vêtements englobant tous les types de marchandises de l'appelante. La Baie affirme que la marque de commerce projetée de l'appelante n'est pas conforme aux alinéas suivants de la Loi ou y contrevient : les alinéas 12(1)d), 16(3)a), 16(3)c), 30i), 38(2)a), b), c) et d) et l'article 2 [TRADUCTION] " en raison du fait que la marque de commerce projetée ne permet pas de distinguer entre les marchandises et services en liaison avec lesquels l'appelante se propose de les utiliser et les marchandises et services d'autres personnes " y compris ceux de l'intimée. Les moyens d'opposition qui sont invoqués en vertu des dispositions législatives précitées sont l'absence de caractère distinctif et la confusion.

[5]      L'appelante a, le 22 novembre 1993, déposé une " déclaration reconventionnelle " [sic ] dans laquelle elle contredit la déclaration d'opposition de l'intimée sur tous les moyens invoqués et sur tous les points soulevés.

[6]      À l'appui de sa demande, l'appelante a produit l'affidavit souscrit le 1er février 1995 par Mme L. Jane Sarjeant (dossier de l'appelante, vol. 2, onglet 15). Elle a effectué une recherche dans la base de données contenue sur le disque optique compact (DOC ou CD-ROM) créé directement à partir des archives du Bureau canadien des marques de commerce qui compile toutes sortes de renseignements, y compris des renseignements sur les marques de commerce, l'état de la demande, l'enregistrement (numéro et date), les demandes elles-mêmes (numéro assigné et date), le titulaire, la classification internationale et la liste des marchandises et/ou services. Elle a cité 95 exemples de préfixes et de mots comprenant le terme " bay ", y compris, bien sûr, la marque de l'intimée. M. Mark Koch a pour sa part produit 97 " résultats " dans l'affidavit qu'il a souscrit le 5 juillet 1995.

[7]      Dans sa décision contestée, le président de la Commission des oppositions a examiné tout à fait correctement le témoignage de Mme Sarjeant, citant notamment le jugement Del monte Corporation c. Welch Foods, 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.) et l'arrêt Kellogg Salada c. Canada et Maximum Nutrition, [1992] 3 C.F. 442, 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.). Le président a toutefois signalé que les marques de commerce projetées BAY-TO-BAY faisaient par ailleurs l'objet de deux autres demandes en instance et que le mot BAY constituait le mot initial de la marque projetée, qui visait des vêtements. S'il est vrai que le mot ou la marque en question sont abondamment employés dans le registre, force est de constater qu'ils reviennent souvent aussi dans les éléments de preuve présentés par la demanderesse en vertu de l'alinéa 6(5)a) de la Loi au sujet de la " nature du commerce ".

[8]      Dans le jugement Kellogg précité, le juge Stone écrit au nom d'une formation collégiale unanime de la Cour d'appel :

         [L'avocat de l'appelante] cite plusieurs autres affaires, portées devant la Section de première instance et devant cette Cour, dans lesquelles la preuve d'emploi semble avoir été tirée exclusivement de l'état du registre : Andres Wines Ltd. c. Canadian Marketing International Ltd., [1987] 2 C.F. 159 (1re inst.), aux pages 162 et 163; portée en appel (1988), 22 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la page 290; Laurentide Chemicals Inc. c. Les Marchands Deco Inc., (1985), 7 C.P.R. (3d) 357 (C.F. 1re inst.), aux pages 359 et 360; Esprit de Corp c. S.C. Johnson & Co. (1986), 11 C.I.P.R. 192 (C.F. 1er inst.); Park Avenue Furniture Corp. v. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.), aux pages 427 et 428. Il se fonde surtout sur les arrêts Pepsi-Cola et Coca-Cola, précités. Dans l'arrêt Pepsi-Cola, à la page 33, il semble que la preuve d'emploi ait été constituée d'un nombre d'enregistrements de marques de commerce et de noms commerciaux comportant le mot " cola " sous une forme ou une autre. À la même page, la Cour a jugé que ces enregistrements constituaient [TRADUCTION] " une certaine preuve de l'adoption générale du mot dans les noms de divers toniques ou boissons ". Cette conclusion semble avoir été approuvée par le Conseil privé, saisi de l'affaire par voie d'appel final. À la page 661 de l'arrêt Coca-Cola , lord Russell of Killowen a déclaré :                 
             [TRADUCTION] La défenderesse a fait état en preuve d'une série de 22 marques de commerce déposées au Canada pendant une période de 29 ans, à savoir de 1902 à 1930, en liaison avec des boissons. Elles incluent la marque de la demanderesse et la marque déposée de la défenderesse. Les 20 autres marques se composent de deux mots ou plus ou d'un mot composé, mais comprennent toujours le mot " Cola " ou " Kola " [...] Leurs Seigneuries conviennent avec la Cour suprême qu'il y a lieu de reconnaître ces enregistrements comme démontrant que le mot Cola [...] avait été adopté au Canada comme un élément du nom de différentes boissons.                         
                                 (C.F., à la page 452.)

En l'espèce, les marques de commerce de l'intimée, la Baie, surpassent en nombre celles de toute autre titulaire pour ce qui est des marques incorporant le mot BAY comme préfixe, suffixe ou autre élément intrinsèque. Exception faite des marques de l'intimée, les marques de commerce relevées qui incorporent le mot BAY comme élément initial ne sont qu'au nombre de deux. Il s'agit des marques de commerce déposées BAYARD et BAYSIDE. Il y a également trois demandes en instance, deux pour la marque BAY-TO-BAY et une pour la marque BAYOU, dans laquelle le préfixe BAY se prononce " bail " en anglais. Le président a donc eu raison de conclure qu'on ne pouvait [TRADUCTION] " tirer d'inférences substantielles du témoignage [de Mme Sarjeant et de M. Koch] au sujet de l'état du marché ".

[9]      L'état général du marché a été décrit d'une façon qu'on pourrait presque qualifier d'impressionniste par M. Douglas E. Warrington dans l'affidavit qu'il a souscrit le 27 novembre 1997 (soit environ deux mois après le refus d'enregistrement contesté du président) et qui a d'abord été déposé devant notre Cour. Suivant l'arrêt Kellogg, précité, de la Section d'appel, ce genre d'élément de preuve doit être reçu et apprécié par notre Cour, lorsqu'elle est saisie d'un appel. Le juge Stone a cité l'arrêt Park Avenue Furniture Corp., précité, et notamment l'analyse que Mme le juge Desjardins y fait de " la jurisprudence, y compris l'arrêt Oshawa Group. Ltd. c. Creative Resources Co. Ltd. , (1982) 61 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.) ", à la page 453 (C.F.). Le juge Stone poursuit, à la page 454 (C.F.) :

     En l'espèce, il s'ensuit que toute la preuve produite devant la Section de première instance doit être examinée pour que la Cour puisse trancher la question de la confusion.         

Le témoignage de M. Warrington doit donc être reçu et examiné. Il se rapporte en tout état de cause à la véritable question en litige : la marque dont on demande l'enregistrement crée-t-elle de la confusion avec les marques de commerce de l'opposante, la Baie?

[10]      La compagnie de M. Warrington est, depuis 1985, titulaire d'une licence exclusive au Canada pour certains collèges américains, dont l'université Baylor. M. Warrington jure que les ventes au détail annuelles au Canada des articles " collégiaux " fabriqués sous licence par sa compagnie [TRADUCTION] " dépassaient largement en moyenne dix millions de dollars canadiens " au cours des cinq années précédant le 27 novembre 1997. M. Warrington poursuit en déclarant, dans son affidavit :

     [TRADUCTION]              
     4.      Les articles collégiaux vendus au Canada sont principalement constitués de vêtements, notamment de pulls d'entraînement, de tee-shirts, de blousons et de casquettes. Le nom ou la marque de commerce du collège sont toujours inscrits bien en vue. La marque de commerce qui fait l'objet de la licence est donc intégrée au dessin du vêtement ou de l'article. Le nom du collège ou la marque de commerce faisant l'objet de la licence ne sont, d'après mon expérience, jamais simplement inscrits sur une étiquette comme le serait la marque de commerce d'un fabricant ou d'un détaillant conventionnel.         
     5.      Suivant mon expérience, la forte hausse de popularité des articles collégiaux américains est directement attribuable à l'augmentation au Canada de la popularité des sports collégiaux et de la diffusion au Canada d'un plus grand nombre de matchs disputés aux États-Unis. J'ai notamment constaté que les chiffres de vente canadiens d'articles fabriqués sous licence portant le nom ou la marque de commerce d'un collège américain donné dépendent du succès de l'équipe de football ou de basket-ball de ce collège.         
     6.      Suivant mon expérience, les articles collégiaux américains sont achetés et portés au Canada surtout par des personnes de sexe masculin dont l'âge varie entre 15 et 40 ans. Ces acheteurs sont pleinement conscients du lien qui existe entre une marque de commerce faisant l'objet d'une licence et le collège à qui appartient la marque de commerce. Peu importe que l'achat d'un article collégial témoigne de l'appui des supporters pour l'équipe sportive d'un collège déterminé ou que l'inscription du nom ou de la marque du collège sur cet article réponde tout simplement aux impératifs de la mode, les chiffres de ventes des articles collégiaux sont en fonction du succès de l'équipe en cause.         
     7.      Au Canada, les ventes d'articles collégiaux portant la marque de commerce de l'université Baylor sont limitées depuis quelques années. L'université Baylor n'en demeure pas moins un établissement d'enseignement réputé qui joue un rôle important dans le cadre du programme d'octroi de licences de ma compagnie. L'université Baylor a déjà eu une excellente équipe de football et j'ai la conviction que, si son équipe de football réussissait à réitérer ses exploits, on assisterait à une hausse des ventes d'articles de l'université Baylor qui sont fabriqués sous licence.         

     (Vol. 6, dossier d'appel, onglet 6, à la page 1097.)

[11]      Or, dans un véritable système fondé sur le débat contradictoire, les juges sont censés s'en tenir à la preuve présentée, mais pas d'être des naïfs aveugles et sourds. En l'espèce, la preuve administrée n'est pas entièrement plausible. Elle constitue en effet en grande partie de la poudre aux yeux et de la spéculation. Le soussigné trouve peu plausible que, en dehors du cercle restreint des amateurs de sport, beaucoup de Canadiens connaissent quoi que ce soit de l'université Baylor, qui est située à Waco, au coeur du Texas profond. Sans l'appellation " University ", encore moins de Canadiens connaîtraient la véritable signification du mot " Baylor ", sauf peut-être pour le confondre avec le nom que portent les montres vendues par People's Jewellers, ou encore avec la Compagnie de la Baie d'Hudson ou l'un des membres de sa famille de noms commerciaux, à savoir Baycrest, Baymart, Bay Sport, etc. Le fait que l'université Baylor soit " un établissement d'enseignement réputé " est peut-être vrai dans le cas des villes américaines entourant le Texas, mais, même dans des villes raffinées comme Toronto et Montréal, il est peu probable qu'elle soit connue, et encore moins dans une foule de villes canadiennes de plus petite taille comme St. John's, Frédéricton, Charlottetown, Québec, Ottawa, Peterborough, Thunder Bay, Brandon, Weyburn, Medicine Hat, Calgary ou Victoria, pour n'en citer que quelques-unes au hasard. L'appelante n'a en tout cas pas fait la preuve d'une telle notoriété. M. Warrington affirme avec confiance qu'il n'a [TRADUCTION] " aucun doute qu'il y ait la moindre probabilité de confusion entre la marque de commerce BAYLOR de l'université Baylor telle qu'elle est employée [...] " Toutefois, dissocié du mot " University ", ce mot a si peu de caractère distinctif au Canada qu'il ne sert, du moins en grande partie, qu'à créer de la confusion avec les nombreuses marques de l'intimée, qui ont déjà acquis une notoriété historique. La dernière assertion que fait M. Warrington au paragraphe 8 de son affidavit est non seulement spéculative (que peut-on faire de plus dans ce domaine?), mais également invraisemblable.

[12]      Voici ce qu'a déclaré Mme Sandra J. Rick dans l'affidavit qu'elle a souscrit le 17 juin 1994 au sujet des montres Baylor que des clients ont amenées au magasin de la Baie de Calgary pour des réparations, le service après-vente et ou un remboursement :

     [TRADUCTION]              
     3.      La première fois qu'une personne m'a parlé de la réparation d'une montre BAYLOR ou d'une demande de remboursement d'une telle montre, c'est-à-dire la première fois où j'ai vu une montre portant la marque de commerce BAYLOR, j'ai présumé, en voyant la marque de commerce BAYLOR, que la montre était un produit actuel ou un ancien produit de la Baie que je ne connaissais pas bien. J'ai téléphoné au rayon de la bijouterie de la Baie au centre-ville de Calgary et j'ai demandé au vendeur s'il connaissait bien une montre vendue par la Baie sous la marque de commerce BAYLOR. Le vendeur n'avait jamais entendu parler de cette montre. J'ai alors demandé à mon surveillant si cette montre était un produit actuel de la Baie ou si elle faisait partie d'une ligne de produits abandonnés de la Baie. On m'a répondu par la négative. Ni le surveillant ni le vendeur du magasin de la Baie du centre-ville de Calgary ne savaient d'où venait la montre BAYLOR. J'ai informé la personne qui s'était renseignée au sujet de la montre que celle-ci n'était pas un produit de la Baie. Le client a quitté le magasin avec ce qui m'a semblé être un visage contrarié.         
     4.      Au cours des mois qui ont suivi les événements relatés au paragraphe 3, chaque fois que quelqu'un me posait des questions au sujet de la réparation ou du remboursement d'une montre BAYLOR, je lui répondais qu'il ne s'agissait pas d'un produit de la Baie. J'ai par la suite découvert que les montres en question provenaient de Peoples Jewellers Limited.         
     5.      Dans bien des cas, j'ai observé que les personnes qui voulaient faire réparer une montre BAYLOR ou qui réclamaient un remboursement étaient surprises d'apprendre que la montre BAYLOR n'était pas un produit de la Baie, prenant souvent à témoin le mot BAY qui fait partie du nom de la montre.         
     6.      J'estimerais à une demande aux deux semaines les demandes que j'ai personnellement reçues, entre juillet 1989 et janvier 1991, de la part de personnes qui se présentaient au South Centre de la Baie pour faire réparer des montres portant la marque de commerce BAYLOR ou pour en obtenir le remboursement.         
     7.      En tant que vendeuse au rayon des vêtements pour dames de la Baie, il m'arrive fréquemment que des clientes me demandent des vêtements de la Baie portant des étiquettes comme BAY CLUB. Vu mon expérience avec les montres BAYLOR, je m'attendrais à ce que tout vêtement portant la marque de commerce BAYLOR créerait le même genre de confusion, c'est-à-dire à ce que les clientes soient amenées à croire que BAYLOR est une des marques utilisées par la Baie pour des vêtements.         

En ce qui concerne la question ultime de la confusion, le témoignage de Mme Rick est pertinent, crédible et éloquent. Les hypothèses qu'elle formule au paragraphe 7 reposent sur les faits et sont plausibles. Son témoignage porte à toutes fins utiles un coup fatal à la demande et à l'appel de l'appelante. Devant une preuve factuelle de confusion aussi frappante, le président et la Cour n'ont pas à s'interroger davantage.

[13]      Ces cas concrets de confusion signalés par Mme Rick en ce qui concerne les montres BAYLOR n'ont pas été contestés en contre-interrogatoire. C'est donc à bon droit que le président a ajouté foi à ce témoignage donné en opposition et force est à la Cour d'attribuer à ce témoignage une très grande valeur parmi tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis en appel.

[14]      Le juge Denault, de notre Cour, cite quelques décisions fort pertinentes sur la question dans le jugement Pernod Ricard c. Brasseries Molson, (1992) 44 C.P.R. (3d) 359, à la page 370 :

         Bien qu'on ne doive pas disséquer les marques pour trancher la question de la confusion, on a jugé que la première partie d'une marque de commerce était la plus pertinente pour les fins de la distinction (Molson Companies Ltd. v. John Labatt Ltd., (1990), 28 C.P.R. (3d) 457, à la p. 461, 32 F.T.R. 152, 19 A.C.W.S. (3d) 1369 (C.F. 1re inst.); Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions modernes, (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, à la p. 188 (C.F. 1re inst.)). Je trouve les propos suivants du président Thorson dans l'arrêt British Drug Houses Ltd. v. Battle Pharmaceuticals, (1944), 4 C.P.R. 48, aux pp. 57 et 58 [1944] 4 D.L.R. 577, [1944] Ex. C.R. 239 (C. de l'Éch.) particulièrement utiles pour expliquer la raison pour laquelle on devrait attirer l'attention sur la première partie de la marque de l'appelante en l'espèce :         
         [TRADUCTION] [...] la Cour devrait plutôt chercher à se placer dans la position d'une personne qui ne possède qu'un souvenir général et non précis de la marque précédente et qui voit ensuite la marque récente seule; si cette personne est susceptible de penser que les marchandises sur lesquelles la marque récente est apposée sont produites par les mêmes personnes que les marchandises vendues sous la marque dont il n'a que le souvenir, la Cour peut à bon droit conclure que les marques sont semblables.                 

[15]      Sur le fondement du témoignage de Mme Rick, témoignage qui n'a pas été contesté en contre-interrogatoire, la Cour peut à juste titre conclure que la marque projetée de l'appelante et les marques de l'intimée sont semblables et que la marque de commerce projetée créera de la confusion. Évidemment, une telle conclusion ne pourrait et n'est pas tirée d'une marque de commerce comme BAYLOR UNIVERSITY, qui ne saurait prêter à confusion avec les marques de l'intimée, notamment les marques BAYCREST, BAYMART et THE BAY. Le témoignage de Mme Rick démontre non seulement que la ressemblance pourrait créer de la confusion, mais qu'elle a effectivement créé de la confusion. Il est sans importance que les montres Baylor ne puissent être associées à la demanderesse ou à sa ligne de produits, le mot Baylor est objectivement identique et il crée de la confusion avec les lignes de produits arborant les marques de commerce de l'intimée, qu'elles soient associées à des montres-bracelets ou aux lignes de produits de l'appelante. L'intimée a démontré qu'il y avait une confusion réelle et concrète.

[16]      L'intimée invoque également le principe " que la Cour confirme " que les marques de commerce notoires ont droit à une solide protection contre la contrefaçon sous le régime de la Loi sur les marques de commerce . Il ressort à l'évidence de la preuve " et c'est également un fait historique notoire dont la Cour peut prendre connaissance d'office " que la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui est également connue sous le nom de Governor and Company of Adventurers of England Trading Into Hudson's Bay, fait affaire au Canada comme traiteur de pelleteries et marchand général depuis une époque qui remonte à de nombreuses années avant la Confédération, ayant été constituée le 2 mai 1670 par le roi Charles II. La compagnie était le propriétaire légitime du domaine de la Terre de Rupert, qui est devenu les Territoires du Nord-Ouest du Canada, à l'intérieur desquels le Manitoba a été créé en 1870. " La Baie " peut à juste titre être considérée comme célèbre au Canada, mais il se peut fort bien qu'elle soit pratiquement inconnue au Texas.

[17]      Voici un extrait des propos qu'a tenus le juge Dubé dans le jugement Glen-Warren Productions Ltd. c. Gertex Hosiery Ltd., (1990) 29 C.P.R. (3d) 7, à la page 13 (C.F. 1re inst.) :

     Je suis donc porté à conclure que la Hosiery n'a pas réussi à démontrer que sa marque de commerce MISS CANADA distingue véritablement ses marchandises, ainsi qu'il lui incombait de le faire. (Spar Aerospace Ltd. c. Plasticart Ltd., (1986) 12 C.P.R. (3d) 468, à la p. 471 (C.O.M.C.); Wedgwood PLC c. Thera Holdings Ltd., (1987), 18 C.P.R. (3d) 201, aux pp. 205 et 206 (C.O.M.C.); McDonald's Corp. c. Clem Salia Inc., (1989), 24 C.P.R. (3d) 400, à la p. 403 (C.O.M.C.); Gretzky c. Fortin, (1989), 24 C.P.R. (3d) 283, à la p. 284, 20 C.I.P.R. 87 (C.O.M.C.) et Vancouver Professional Soccer Ltd. c. Richmond Breweries Ltd., (1987), 14 C.P.R. (3d) 429, aux pp. 431 et 432 (C.O.M.C.).         
                     ***      ***      ***
         La Glen-Warren a, en l'espèce, présenté une argumentation très solide. Le troisième affidavit de Mme Anisman confirme que, depuis des années, la Glen-Warren signe, avec des fabricants de bas-culottes, des contrats de publicité permettant aux fabricants d'ajouter, à leur propre marque, la marque de commerce " MISS CANADA ". Or, il s'agit là de fabricants que la Hosiery pourrait directement concurrencer.         
         Étant donné que le concours Miss Canada est retransmis à la télévision dans tout le pays et que, certaines années, le nombre de téléspectateurs intéressés se monte à quelque 3 000 000, il est fort vraisemblable que certains de ces mêmes téléspectateurs établiront un lien entre la vente, sous la marque " MISS CANADA ", de sous-vêtements féminins et le concours de beauté Miss Canada auquel ils ont assisté à la télévision. Il ressort clairement de la preuve que " MISS CANADA " est une marque de commerce réputée liée au concours de beauté du même nom et qu'il convient donc de lui accorder une large protection (Leaf Confections c. Maple Leaf Gardens , (1986) 12 C.P.R. (3d) 511, 10 C.I.P.R. 267, 7 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.).         

Il en va de même pour les marques de commerce de l'intimée.

[18]      L'avocat de l'appelante soutient que la décision sur laquelle l'appelante table le plus est l'arrêt que la Section d'appel a rendu (par une décision partagée de deux contre un) dans l'affaire United Artists Corporation c. Pink Panther Beauty Corporation, (1998) 225 N.R. 82. Cet arrêt, tant pour ce qui est des motifs des juges majoritaires que pour ceux du juge dissident, est aussi utile qu'un abécédaire sur le sujet des marques de commerce tellement les motifs des juges majoritaires et du juge dissident sont bien rédigés, fouillés et réfléchis. Toutefois, seule la décision de la majorité fait jurisprudence et c'est celle que l'avocat a citée.

[19]      L'avocat de l'appelante a en particulier insisté sur les paragraphes [36] et [37] dans lesquels les juges majoritaires ont estimé que la question de " toutes les circonstances de l'espèce " constituait " l'élément général prépondérant ". Ils développent le sujet de la manière suivante au paragraphe [37] :

     [37]      La présentation de la marque de commerce dans le contexte du produit lui-même constitue une circonstance importante. L'" habillage ", ou la façon dont un produit est emballé, et donc la manière dont la marque est présentée au public, compte sensiblement dans l'appréciation de la probabilité de confusion. Dans l'arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. et al. [(1986), 9 C.P.R. (3d) 341 (C.F. 1re inst.), conf. sur ce point par [1987] 3 C.F. 544 (C.A.)], la demanderesse employait la marque de commerce STINGSILDA en liaison avec des appâts pour la pêche. Elle utilisait un emballage et un habillage distinctifs pour son produit. Le juge de première instance a conclu qu'un genre similaire d'habillage contribuait grandement à la probabilité de confusion entre cette marque et la marque NORSE SILDA de la défenderesse. Il a estimé qu'il s'agissait d'une circonstance pertinente de l'espèce au sens du paragraphe 6(5).         

[20]      En l'espèce, aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet de l'" habillage ", mais la BAIE vend déjà des vêtements de type collégial dans ses grands magasins sous ses propres marques de commerce et avec le même logo ou symbole que certaines universités et certains collèges. La situation se complique pour l'appelante lorsqu'elle tente d'employer une marque de commerce qui a déjà la réputation de créer de la confusion, en l'occurrence la marque BAYLOR, pour commercialiser des vêtements de type collégial comme si cette université était le rayon des vêtements d'un grand magasin. Voilà une circonstance de l'espèce qui est pertinente. On ne saurait répéter trop souvent qu'une marque comme BAYLOR UNIVERSITY ou BAYLOR U. ne serait pas aussi problématique.

[21]      En ce qui concerne les marques célèbres, comme la marque de la compagnie intimée l'est au Canada, l'arrêt United Artists c. Pink Panther, précité, est également instructif. Voici les propos que les juges majoritaires ont tenus aux pages 95 et 96 :

     [41]      Dans l'affaire Berry Bros. & Rudd Ltd. c. Planta Tabak-Manufactur Dr., [(1980) 53 C.P.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.)], la demanderesse souhaitait enregistrer la marque de commerce CUTTY SARK, en liaison avec des produits du tabac. L'opposante était propriétaire de la célèbre marque de commerce CUTTY SARK, associée à du whisky écossais. Selon le juge Cattanach, cette affaire posait principalement la question suivante :         
         En l'espèce, le point litigieux est le suivant : vu le long emploi et la renommée que la marque de commerce de l'appelante CUTTY SARK a acquise en liaison avec le whisky et ce, au point de mériter le qualificatif de " marque fameuse ", l'intimée a-t-elle été capable d'établir, comme il le lui incombait, que la différence entre les marchandises est de nature à supprimer toute probabilité de confusion?                 
     Ainsi, pour le juge Cattanach, la très grande notoriété d'une marque n'interdisait pas automatiquement l'emploi de celle-ci par d'autres personnes dans des domaines différents de ceux qui sont exploités par son ou sa propriétaire. La protection accrue signifiait que, pour réussir à convaincre le registraire ou le tribunal qu'il n'y aurait pas de confusion chez le public, le requérant devait s'acquitter d'un fardeau plus lourd en ce qui concerne les autres facteurs. En l'occurrence, le juge a conclu qu'il existait un lien entre les boissons alcoolisées et des produits du tabac et qu'il n'était donc pas invraisemblable qu'un consommateur puisse présumer que le producteur du tabac Cutty Sark était le même que celui qui produisait le whisky Cutty Sark.         

Ces propos appuient la thèse de l'intimée, tout comme ceux qui sont formulés jusqu'au paragraphe [56] inclusivement, où se trouve le dispositif du jugement des juges majoritaires.

[22]      Dans l'arrêt Pink Panther, la Cour a bien précisé, à la page 97, que la protection accrue que confère la notoriété de la marque ne devient pertinente que lorsqu'on l'applique à un lien entre les commerces et services du requérant et ceux de l'opposant. En l'espèce, les deux parties appliquent leurs marques respectives sur des vêtements collégiaux qu'elles offrent toutes les deux en vente par des voies commerciales semblables, voire identiques. Les marques de commerce de l'intimée ont donc plus de poids en raison de leur notoriété au Canada, et l'appelante n'a pas réussi à convaincre la Cour du contraire.

[23]      Il existe un précédent qui appuie la décision du président. Il s'agit de la décision Hudson's Bay Co. v. Peoples Jewellers Ltd., (1992) 46 C.P.R. (3d) 249 (C.O.M.C.), qui a été rendue par le même président, M. Partington, qui a conclu (à la page 261) :

     [TRADUCTION]         
         Compte tenu de ce qui précède et, en particulier, du témoignage de Mme Rick, je conclus que la requérante ne s'est pas acquittée du fardeau que la loi lui impose en ce qui concerne la question de la confusion entre la marque de commerce BAYLOR et les marques de commerce enregistrées THE BAY et THE BAY & dessin de l'opposante. En conséquence, la marque de commerce de la requérante n'est pas enregistrable, compte tenu des dispositions de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce.         

Le refus de la demande présentée par l'appelante pour le même mot, BAYLOR, n'est donc pas sans précédent et n'est pas encore impensable.

[24]      Après examen des observations verbales et écrites des parties, la Cour estime que les arguments de l'intimée sont plus logiques et mieux fondés.

[25]      Par conséquent, le présent appel doit être rejeté et la décision contestée rendue le 29 septembre 1997 par le président de la Commission des oppositions de marques de commerce, M. G.W. Partington, doit être confirmée. La Cour enjoint au registraire des marques de commerce de rejeter la demande no 711 942. La Cour condamne l'appelante à payer à la compagnie intimée les dépens entre parties du présent appel. La Cour n'adjuge aucuns dépens au registraire et ne le condamne à aucuns dépens.

     F.C. Muldoon

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 décembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-2590-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          BAYLOR UNIVERSITY c. COMPAGNIE DE LA BAIE D'HUDSON ET AUTRE
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          16 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Muldoon le 15 décembre 1998

ONT COMPARU :

Mes Robert Storey                  pour l'appelante

et Michael Charles

Mes Christopher Pibus              pour l'intimée, la Compagnie de la Baie d'Hudson

et Peter Choe

Personne n'a comparu              pour l'intimé, le registraire des marques de commerce

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                  pour l'appelante, l'université Baylor

Toronto (Ontario)

Gowling, Strathy & Henderson          pour l'intimée, la Compagnie de la Baie d'Hudson

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg              pour l'intimé, le registraire des marques de commerce
Sous-procureur général du canada     
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