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     Date : 19990618

     Dossier : T-434-98


OTTAWA (ONTARIO), LE 18 JUIN 1999

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MARC NADON


ENTRE

     MANITOBA'S FUTURE FOREST ALLIANCE et

     DONALD V. SULLIVAN,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et

     TOLKO MANITOBA INC.,

     défendeurs.



     JUGEMENT

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

     "MARC NADON"

     ________________________________

     JUGE


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.



     Date : 19990618

     Dossier : T-434-98


ENTRE

     MANITOBA'S FUTURE FOREST ALLIANCE et

     DONALD V. SULLIVAN,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et

     TOLKO MANITOBA INC.,

     défendeurs.


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]      Les demandeurs sollicitent l'annulation d'une décision par laquelle la construction du pont de Sewap Creek1, au Manitoba, a été approuvée conformément à l'article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables2 (la LPEN).

LES FAITS

[2]      Voici les faits de l'affaire : la défenderesse Tolko Manitoba Inc. (Tolko) est une division de Tolko Industries Ltd., une compagnie canadienne de produits forestiers. Tolko a acquis l'entreprise de Repap Enterprises Inc. (Repap), au Manitoba, en août 1997. Repap avait obtenu cette entreprise de la province du Manitoba en 1989. Cette entreprise existe sous différentes formes de propriété depuis 1969.

[3]      Les projets de Tolko comprennent la transformation et l'agrandissement d'une usine de pâte existante, la construction d'une nouvelle usine de pâte, la construction de chemins d'exploitation utilisables en toute saison et de chemins saisonniers sur des centaines de kilomètres à travers des douzaines de cours d'eau navigables et d'autres activités forestières connexes sur 11 millions d'hectares de terres au Manitoba.

[4]      En décembre 1995, Repap a demandé des licences conformément à la Loi sur l'environnement (Manitoba) pour son plan de gestion forestière 1997-2009 (le PGF de 13 ans) et pour la construction d'une nouvelle usine de pâte thermomécanique blanchie (l'UPTB). La demande de licence à l'égard de l'UPTB n'a pas été poursuivie.

[5]      Conformément à l'entente d'harmonisation entre le Canada et le Manitoba du mois de janvier 1996, la province du Manitoba a informé l'Agence canadienne d'évaluation environnementale (l'Agence) que Repap avait demandé des licences pour le PGF de 13 ans et l'UPTB et en temps et lieu elle a fourni à l'Agence des copies de tous les documents pertinents.

[6]      Avant la dernière phase du processus de délivrance de la licence relative au PGF de 13 ans, Repap devait demander une licence additionnelle en vertu de la Loi sur l'environnement pour son plan de récolte et de renouvellement annuel de 1997 (le plan annuel).

[7]      Le plan annuel de Repap a été soumis à l'automne 1996. En décembre 1996, la province du Manitoba a fourni des copies du plan à l'Agence, au ministère des Pêches et des Océans - Gestion de l'habitat (le MPO), à la Garde côtière canadienne (la GCC) et à Héritage Canada. Le projet relatif au pont de Sewap Creek était proposé dans le plan annuel.

[8]      Repap a obtenu sa licence de la province du Manitoba à l'égard du plan annuel en vertu de la Loi sur l'environnement. La licence comprenait des conditions en vertu desquelles Repap devait fournir au ministère du gouvernement fédéral responsable de l'administration de la LPEN tous les renseignements pertinents se rapportant aux passages de cours d'eaux proposés et devait fournir au ministère du gouvernement fédéral responsable de l'administration de la Loi sur les pêches3 des renseignements se rapportant entre autres au passage de Sewap Creek. Repap a satisfait à ces exigences.

[9]      Dans le cadre du processus de délivrance de licence prévu par la Loi sur l'environnement, le plan annuel a été distribué aux divers ministères des gouvernements fédéral et provincial pour examen et commentaires, et notamment à la GCC, qui a conclu que Sewap Creek était un cours d'eau navigable.

[10]      Le 19 février 1997, Repap a soumis une demande à la GCC pour approbation conformément au paragraphe 5(1) de la LPEN aux fins de la construction d'un pont enjambant Sewap Creek. Le processus d'approbation a eu pour effet de déclencher une évaluation environnementale conformément à l'alinéa 5(1)d) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale4 (la LCEE). Par une lettre datée du 18 juin 1997, la GCC a informé Repap qu'elle examinait la demande relative au pont de Sewap Creek en vertu de la LPEN et que la LCEE serait appliquée avant qu'une décision soit prise.

[11]      Je dois ici faire remarquer que pendant qu'ils examinaient la demande relative au pont de Sewap Creek, la GCC et les autres ministères fédéraux concernés étaient en possession des documents pertinents se rapportant au plan annuel et au PGF de 13 ans de Repap. Ces organismes avaient également reçu un énoncé des incidences environnementales préparé à l'égard du PGF de 13 ans de Repap. Ils ont sans aucun doute eu la possibilité d'examiner les activités de Repap au point de vue environnemental et par conséquent de faire connaître les préoccupations qu'ils avaient par suite de cet examen. En fin de compte, aucune évaluation environnementale n'a été effectuée conformément au paragraphe 5(1) de la LCEE sauf en ce qui concerne la demande relative au pont de Sewap Creek.

[12]      Je devrais également souligner qu'étant donné que les demandes que Repap avait présentées à l'égard du PGF de 13 ans et de l'UPTB et que les licences subséquemment délivrées n'exigeaient pas qu'un organisme fédéral exerce ses attributions à l'égard d'un projet comme le prévoyait le paragraphe 5(1) de la LCEE et n'autorisaient pas Repap à faire quoi que ce soit qui oblige un organisme fédéral à exercer ses attributions à l'égard d'un projet comme le prévoyait le paragraphe 5(1) de la LCEE, aucune évaluation environnementale n'a été effectuée conformément au paragraphe 5(1) de la LCEE.

[13]      En examinant la demande relative au pont de Sewap Creek soumise par Repap, la GCC a déterminé que la portée du projet, conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE, était [TRADUCTION] " la construction du pont ainsi que des abords et voies d'accès menant directement au pont ". En examinant la demande, la GCC a fourni tous les renseignements pertinents concernant le projet, conformément au paragraphe 12(3) de la LCEE , aux ministères fédéraux qui étaient [TRADUCTION] " pourvu[s] des connaissances voulues touchant " le projet.

[14]      Conformément au paragraphe 15(3) de la LCEE, la GCC a déterminé que la portée de l'évaluation environnementale comprenait [TRADUCTION] " les effets environnementaux du pont et de tout ouvrage lié à sa construction, à son exploitation et à son entretien à l'emplacement du pont et en aval, dont il est fait mention à l'alinéa 16(1)a ) et à l'article 2 de la LCEE ". En outre, la GCC a conclu que les effets cumulatifs du projet étaient

         [TRADUCTION]
         limités aux effets hydrauliques du projet, combinés aux autres ouvrages le long du cours d'eau et dans les eaux de Sewap Creek. En amont de Sewap Creek, il n'y a pas d'autre passage dans les cinq kilomètres de l'emplacement du passage. Les effets d'intensification des inondations de la structure sont minimes et la conception de la structure du pont elle-même résout le problème.

[15]      Après avoir examiné les renseignements et documents se rapportant au pont de Sewap Creek proposé, le MPO a conclu que le projet [TRADUCTION] " n'était pas susceptible de causer des effets négatifs importants sur le poisson et son habitat si des mesures d'atténuation appropriées sont mises en oeuvre ". Le MPO a en outre conclu qu'aucune autorisation n'était nécessaire en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et qu'il ne serait donc pas une " autorité responsable " en vertu de la LCEE . Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a lui aussi conclu que le pont de Sewap Creek n'aurait pas d'effet négatif sur une première nation ou sur les terres choisies par les premières nations en vertu de leurs droits fonciers issus de traités.

[16]      Après avoir reçu et examiné tous les renseignements fournis par les ministères fédéraux qui avaient examiné la demande relative au pont de Sewap Creek, la GCC a conclu que le projet n'était pas susceptible de causer des effets négatifs importants et qu'il convenait donc d'approuver le projet en vertu du paragraphe 5(1) de la LPEN.

[17]      Le 15 août 1997, la GCC, pour le compte du ministre des Pêches et des Océans5, a approuvé la demande relative au pont de Sewap Creek en vertu de la LPEN. Les travaux de construction ont débuté peu de temps après et ils se sont achevés à la fin du mois d'août 1997. Le pont de Sewap Creek est maintenant ouvert.

[18]      Le 17 mars 1998, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Dans leur mémoire des faits et du droit révisé, à la page 45, ils énoncent comme suit la réparation demandée :

         [TRADUCTION]
         1)      Un jugement déclaratoire portant que les ministres défendeurs ont d'une façon illégale et invalide omis d'exiger une seule évaluation environnementale du projet proposé par Tolko Manitoba Inc. (Tolko) visant à modifier et à agrandir une usine de pâte existante, à construire une nouvelle usine de pâte, à construire de nouveaux chemins utilisables en toute saison et une infrastructure sur plus de 800 kilomètres et à réaliser des opérations connexes conformément aux exigences du paragraphe 15(3) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
         2)      Une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant le permis délivré à Tolko en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables à l'égard du pont de Sewap Creek, par suite de l'omission du ministre responsable des Pêches et des Océans d'observer les exigences du paragraphe 15(3) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
         3)      Une ordonnance adjugeant les frais de la demande aux demandeurs.

[19]      Comme on peut le constater, les demandeurs cherchent à obtenir plus que le contrôle judiciaire du projet relatif au pont de Sewap Creek. En ce qui concerne les réparations ne se rapportant pas au pont de Sewap Creek, il est opportun de citer les paragraphes 77, 78 et 79 du mémoire des ministres, dans lequel l'avocat soutient ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         77.      Les demandeurs ont pris la position selon laquelle divers plans, propositions et demandes, anciens et nouveaux, concernant les opérations forestières de Repap et de Tolko au Manitoba entrent en ligne de compte dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d'approuver le projet relatif au pont de Sewap Creek.
         78.      Les ministres défendeurs soutiennent que la seule question qui se pose dans la présente demande se rapporte à l'interprétation et à l'application du paragraphe 15(3) de la LCEE à l'évaluation environnementale effectuée à l'égard du pont de Sewap Creek. Les faits et arguments avancés par les demandeurs à l'égard des autres propositions et projets sont peu utiles aux fins de la présente affaire.
         79.      Parmi tous les manquements imputés aux autorités fédérales, le seul qui puisse faire l'objet d'un contrôle devant la Cour se rapporte à la décision que la GCC a prise de délivrer le permis relatif au Sewap Creek. Les demandeurs sollicitent l'annulation de ce permis. Toutes leurs représentations doivent donc être examinées dans ce contexte.

[20]      Dans le paragraphe d'introduction de leur mémoire, les avocats de Tolko présentent comme suit leur argument sur ce point :

         [TRADUCTION]
         Les demandeurs sollicitent des formes de réparation différentes et étendues, notamment des ordonnances de la nature d'un bref de certiorari et d'un bref de prohibition, dans diverses déclarations. Il faut se rappeler que cette demande est fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et vise expressément au contrôle judiciaire d'une décision particulière par laquelle la construction du pont de Sewap Creek a été approuvée. La demande ne vise pas au contrôle des autres décisions ou événements dont les demandeurs se plaignent longuement dans leurs documents, comme les présumées lacunes des licences provinciales délivrées à Tolko; les présumées omissions des divers ministres fédéraux de prendre des mesures déclenchant censément une évaluation en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale; les événements qui se sont produits il y a bien longtemps à l'égard de projets qui n'ont jamais été réalisés, à un moment où des lois différentes s'appliquaient; ou les présumés manquements de la part des ministères fédéraux ou de Tolko au cours des audiences tenues par la Commission de protection de l'environnement du Manitoba. Si les demandeurs avaient voulu contester l'une de ces autres questions, ils auraient dû le faire au moment approprié et devant le tribunal compétent. Ces questions n'ont rien à voir avec le contrôle judiciaire de la décision particulière ici en cause, soit l'approbation donnée en vertu de l'article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables, à l'égard du pont de Sewap Creek.

[21]      Je souscris entièrement à l'avis des défendeurs, à savoir que la seule décision qui peut faire l'objet de la demande de contrôle judiciaire dont je suis ici saisi est celle par laquelle le projet relatif au pont de Sewap Creek a été approuvé.

LA QUESTION EN LITIGE

[22]      Il s'agit ici de savoir si l'évaluation environnementale qui a entraîné l'approbation de la demande que Repap avait présentée en vue de construire un pont sur Sewap Creek a été effectuée conformément au paragraphe 15(3) de la LCEE.

LES POSITIONS DES PARTIES

[23]      Les demandeurs soutiennent que la GCC a interprété le paragraphe 15(3) d'une façon trop stricte et qu'elle aurait dû inclure dans son évaluation environnementale divers plans, propositions et demandes passés et présents se rapportant aux opérations forestières de Repap et de Tolko, comme le chemin d'exploitation proposé qui doit être construit à partir du pont, la demande relative au PGF de 13 ans selon laquelle Repap pourrait récolter chaque année au total deux millions de mètres cubes de bois dur et construirait des chemins utilisables en toute saison sur une distance de 859 kilomètres et la nouvelle usine de pâte thermomécanique blanchie (l'UPTB) d'une capacité quotidienne de 500 tonnes6.

[24]      Les défendeurs soutiennent que la GCC a appliqué d'une façon correcte le paragraphe 15(3) de la LCEE.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25]      La LPEN et la LCEE sont toutes les deux pertinentes aux fins de la détermination de la question dont je suis saisi. À l'article 3 de la LPEN, le mot " ouvrages " est défini comme suit :

"work" includes

(a) any bridge, boom, dam, wharf, dock, pier, tunnel or pipe and the approaches or other works necessary or appurtenant thereto,

"ouvrages" Sont compris parmi les ouvrages :

a) les ponts, estacades, barrages, quais, docks, jetées, tunnels ou conduites ainsi que les abords ou autres ouvrages nécessaires ou accessoires;

[26]      Le paragraphe 5(1) de la LPEN prévoit l'approbation fédérale d'un " ouvrage " construit à travers des eaux navigables :

5. (1) No work shall be built or placed in, on, over, under, through or across any navigable water unless

5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que:

(a) the work and the site and plans thereof have been approved by the Minister, on such terms and conditions as the Minister deems fit, prior to commencement of construction;

a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n'aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu'il juge à propos;

(b) the construction of the work is commenced within six months and completed within three years after the approval referred to in paragraph (a) or within such further period as the Minister may fix; and

b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approbation visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;

(c) the work is built, placed and maintained in accordance with the plans, the regulations and the terms and conditions set out in the approval referred to in paragraph (a).

c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).

[27]      Les mots " projet " et " autorité responsable " sont définis comme suit à l'article 2 de la LCEE :

"project" means

" projet " Réalisation

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture " d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d'une catégorie d'activités concrètes désignée par règlement aux termes de l'alinéa 59b ).

(b) any proposed physical activity not relating to a physical work that is prescribed or is within a class of physical activities that is prescribed pursuant to regulations made under paragraph 59(b);

"responsible authority", in relation to a project, means a federal authority that is required pursuant to subsection 11(1) to ensure that an environmental assessment of the project is conducted;

" autorité responsable " L'autorité fédérale qui, en conformité avec le paragraphe 11(1), est tenue de veiller à ce qu'il soit procédé à l'évaluation environnementale d'un projet.

[28]      L'objet de la LCEE est énoncé comme suit à l'article 4 :

4. The purposes of this Act are

4. La présente loi a pour objet:

(a) to ensure that the environmental effects of projects receive careful consideration before responsible authorities take actions in connection with them;

a) de permettre aux autorités responsables de prendre des mesures à l'égard de tout projet susceptible d'avoir des effets environnementaux en se fondant sur un jugement éclairé quant à ces effets;

(b) to encourage responsible authorities to take actions that promote sustainable development and thereby achieve or maintain a healthy environment and a healthy economy;

b) d'inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l'environnement et à la santé de l'économie;

(b.1) to ensure that responsible authorities carry out their responsibilities in a coordinated manner with a view to eliminating unnecessary duplication in the environmental assessment process;

b.1) de faire en sorte que les autorités responsables s'acquittent de leurs obligations afin d'éviter tout double emploi dans le processus d'évaluation environnementale;

(c) to ensure that projects that are to be carried out in Canada or on federal lands do not cause significant adverse environmental effects outside the jurisdictions in which the projects are carried out; and

c) de faire en sorte que les éventuels effets environnementaux négatifs importants des projets devant être réalisés dans les limites du Canada ou du territoire domanial ne débordent pas ces limites;

(d) to ensure that there be an opportunity for public participation in the environmental assessment process.

d) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer au processus d'évaluation environnementale.

[29]      Le paragraphe 5(1) de la LCEE énonce les projets qui doivent être évalués :

5. (1) An environmental assessment of a project is required before a federal authority exercises one of the following powers or performs one of the following duties or functions in respect of a project, namely, where a federal authority

5. (1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes:

(a) is the proponent of the project and does any act or thing that commits the federal authority to carrying out the project in whole or in part;

a) une autorité fédérale en est le promoteur et le met en oeuvre en tout ou en partie;

(b) makes or authorizes payments or provides a guarantee for a loan or any other form of financial assistance to the proponent for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part, except where the financial assistance is in the form of any reduction, avoidance, deferral, removal, refund, remission or other form of relief from the payment of any tax, duty or impost imposed under any Act of Parliament, unless that financial assistance is provided for the purpose of enabling an individual project specifically named in the Act, regulation or order that provides the relief to be carried out;

b) une autorité fédérale accorde à un promoteur en vue de l'aider à mettre en oeuvre le projet en tout ou en partie un financement, une garantie d'emprunt ou toute autre aide financière, sauf si l'aide financière est accordée sous forme d'allègement " notamment réduction, évitement, report, remboursement, annulation ou remise " d'une taxe ou d'un impôt qui est prévu sous le régime d'une loi fédérale, à moins que cette aide soit accordée en vue de permettre la mise en oeuvre d'un projet particulier spécifié nommément dans la loi, le règlement ou le décret prévoyant l'allègement;

(c) has the administration of federal lands and sells, leases or otherwise disposes of those lands or any interests in those lands, or transfers the administration and control of those lands or interests to Her Majesty in right of a province, for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part; or

c) une autorité fédérale administre le territoire domanial et en autorise la cession, notamment par vente ou cession à bail, ou celle de tout droit foncier relatif à celui-ci ou en transfère à Sa Majesté du chef d'une province l'administration et le contrôle, en vue de la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie;



(d) under a provision prescribed pursuant to paragraph 59(f), issues a permit or licence, grants an approval or takes any other action for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part.

d) une autorité fédérale, aux termes d'une disposition prévue par règlement pris en vertu de l'alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie.

[30]      Les articles 11 et 12 traitent de l'" autorité responsable " visée à l'article 5 :

11. (1) Where an environmental assessment of a project is required, the federal authority referred to in section 5 in relation to the project shall ensure that the environmental assessment is conducted as early as is practicable in the planning stages of the project and before irrevocable decisions are made, and shall be referred to in this Act as the responsible authority in relation to the project.

11. (1) Dans le cas où l'évaluation environnementale d'un projet est obligatoire, l'autorité fédérale visée à l'article 5 veille à ce que l'évaluation environnementale soit effectuée le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable, et est appelée, dans la présente loi, l'autorité responsable de ce projet.

(2) A responsible authority shall not exercise any power or perform any duty or function referred to in section 5 in relation to a project unless it takes a course of action pursuant to paragraph 20(1)(a) or 37(1)(a).

(2) L'autorité responsable d'un projet ne peut exercer ses attributions à l'égard de celui-ci que si elle prend une décision aux termes des alinéas 20(1)a) ou 37(1)a).

12. (1) Where there are two or more responsible authorities in relation to a project, they shall together determine the manner in which to perform their duties and functions under this Act and the regulations.

12. (1) Dans le cas où plusieurs autorités responsables sont chargées d'un même projet, elles décident conjointement de la façon de remplir les obligations qui leur incombent aux termes de la présente loi et des règlements.

(2) In the case of a disagreement, the Agency may advise responsible authorities and other federal authorities with respect to their powers, duties and functions under this Act and the manner in which those powers, duties and functions may be determined and allocated among them.

(2) En cas de différend, l'Agence peut conseiller les autorités responsables et les autres autorités fédérales sur leurs obligations communes et sur la façon de les remplir conjointement.

(3) Every federal authority that is in possession of specialist or expert information or knowledge with respect to a project shall, on request, make available that information or knowledge to the responsible authority or to a mediator or a review panel.

(3) Il incombe à l'autorité fédérale pourvue des connaissances voulues touchant un projet de fournir, sur demande, les renseignements pertinents à l'autorité responsable ou à un médiateur ou à une commission.

(4) Where a screening or comprehensive study of a project is to be conducted and a jurisdiction has a responsibility or an authority to conduct an assessment of the environmental effects of the project or any part thereof, the responsible authority may cooperate with that jurisdiction respecting the environmental assessment of the project.

(4) L'autorité responsable peut, dans le cadre de l'examen préalable ou de l'étude approfondie d'un projet, coopérer, pour l'évaluation environnementale de celui-ci, avec l'instance qui a la responsabilité ou le pouvoir d'effectuer l'évaluation des effets environnementaux de tout ou partie d'un projet.

(5) In this section, "jurisdiction" means

(5) Dans le présent article, " instance " s'entend:

(a) the government of a province;

a) du gouvernement d'une province;

(b) an agency or a body that is established pursuant to the legislation of a province and that has powers, duties or functions in relation to an assessment of the environmental effects of a project;

b) d'un organisme établi sous le régime d'une loi provinciale ayant des attributions relatives à l'évaluation des effets environnementaux d'un projet;

(c) a body that is established pursuant to a land claims agreement referred to in section 35 of the Constitution Act, 1982 and that has powers, duties or functions in relation to an assessment of the environmental effects of a project; or

c) d'un organisme, constitué aux termes d'un accord sur des revendications territoriales visé à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ayant des attributions relatives à l'évaluation des effets environnementaux d'un projet;

(d) a governing body that is established pursuant to legislation that relates to the self-government of Indians and that has powers, duties or functions in relation to an assessment of the environmental effects of a project.

d) d'un organisme dirigeant, constitué par une loi relative à l'autonomie gouvernementale des Indiens, ayant des attributions relatives à l'évaluation des effets environnementaux d'un projet.

[31]      Le paragraphe 15(1) de la LCEE prévoit que l'autorité responsable détermine la portée du projet :

15. (1) The scope of the project in relation to which an environmental assessment is to be conducted shall be determined by

15. (1) L'autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l'examen par une commission, le ministre, après consultation de l'autorité responsable, détermine la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée.

(a) the responsible authority; or

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority.

[32]      Le paragraphe 15(2) de la LCEE confère à l'autorité responsable le pouvoir discrétionnaire de considérer deux ou plusieurs projets comme un seul projet :

(2) For the purposes of conducting an environmental assessment in respect of two or more projects,

(a) the responsible authority, or

(b) where at least one of the projects is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

may determine that the projects are so closely related that they can be considered to form a single project.     

(2) Dans le cadre d'une évaluation environnementale de deux ou plusieurs projets, l'autorité responsable ou, si au moins un des projets est renvoyé à la médiation ou à l'examen par une commission, le ministre, après consultation de l'autorité responsable, peut décider que deux projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet.

[33]      Le paragraphe 15(3) de la LCEE énonce comme suit la portée de l'évaluation environnementale :

(3) Where a project is in relation to a physical work, an environmental assessment shall be conducted in respect of every construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work that is proposed by the proponent or that is, in the opinion of

(3) Est effectuée, dans l'un ou l'autre des cas suivants, l'évaluation environnementale de toute opération " construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre " constituant un projet lié à un ouvrage:

(a) the responsible authority, or

a) l'opération est proposée par le promoteur;

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

b) l'autorité responsable ou, dans le cadre d'une médiation ou de l'examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l'opération susceptible d'être réalisée en liaison avec l'ouvrage.

likely to be carried out in relation to that physical work.

[34]      L'article 16 de la LCEE énonce les éléments que l'autorité responsable doit prendre en considération lorsqu'elle évalue un projet :

16. (1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

16. (1) L'examen préalable, l'étude approfondie, la médiation ou l'examen par une commission d'un projet portent notamment sur les éléments suivants:

(a) the environmental effects of the project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the project in combination with other projects or activities that have been or will be carried out;

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l'existence d'autres ouvrages ou à la réalisation d'autres projets ou activités, est susceptible de causer à l'environnement;

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

b) l'importance des effets visés à l'alinéa a);

(c) comments from the public that are received in accordance with this Act and the regulations;

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

(d) measures that are technically and economically feasible and that would mitigate any significant adverse environmental effects of the project; and

d) les mesures d'atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

e) tout autre élément utile à l'examen préalable, à l'étude approfondie, à la médiation ou à l'examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, " dont l'autorité responsable ou, sauf dans le cas d'un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

(2) In addition to the factors set out in subsection (1), every comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

(2) L'étude approfondie d'un projet et l'évaluation environnementale qui fait l'objet d'une médiation ou d'un examen par une commission portent également sur les éléments suivants:

(a) the purpose of the project;

a) les raisons d'être du projet;

(b) alternative means of carrying out the project that are technically and economically feasible and the environmental effects of any such alternative means;

b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

(c) the need for, and the requirements of, any follow-up program in respect of the project; and

c) la nécessité d'un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;

(d) the capacity of renewable resources that are likely to be significantly affected by the project to meet the needs of the present and those of the future.

d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d'être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.

(3) The scope of the factors to be taken into consideration pursuant to paragraphs (1)(a), (b) and (d) and (2)(b), (c) and (d) shall be determined

(3) L'évaluation de la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) incombe:

(a) by the responsible authority; or

a) à l'autorité responsable;

(b) where a project is referred to a mediator or a review panel, by the Minister, after consulting the responsible authority, when fixing the terms of reference of the mediation or review panel.

b) au ministre, après consultation de l'autorité responsable, lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d'examen.

(4) An environmental assessment of a project is not required to include a consideration of the environmental effects that could result from carrying out the project in response to a national emergency for which special temporary measures are taken under the Emergencies Act.

(4) L'évaluation environnementale d'un projet n'a pas à porter sur les effets environnementaux que sa réalisation peut entraîner en réaction à des situations de crise nationale pour lesquelles des mesures d'intervention sont prises aux termes de la Loi sur les mesures d'urgence.

J'aimerais souligner que le paragraphe 16(3) prévoit que l'évaluation de la portée des éléments visés aux alinéa (1)a), b) et d) ainsi que (2)b), c) et d) incombe à l'autorité responsable.

[35]      L'article 59 de la LCEE confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements au sujet d'un certain nombre de questions. Plus précisément, l'alinéa 59f) prévoit ce qui suit :

59. The Governor in Council may make regulations

59. Le gouverneur en conseil peut, par règlement:

     ...

     [...]

(f) prescribing the provisions of any Act of Parliament or any regulation made pursuant thereto that confer powers, duties or functions on federal authorities the exercise or performance of which requires an environmental assessment under paragraph 5(1)(d);

f) déterminer les dispositions législatives ou réglementaires fédérales prévoyant les attributions des autorités fédérales relativement à un projet dont l'exercice rend nécessaire une évaluation environnementale en vertu de l'alinéa 5(1)d);

[36]      Conformément à l'alinéa 59f), le gouverneur en conseil a pris le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS-74/636, qui indique les dispositions légales et réglementaires qui ont pour effet de déclencher une évaluation environnementale. En vertu de ce règlement, l'alinéa 5(1)a) de la LPEN donne lieu à pareille évaluation.

ANALYSE

[37]      Je commencerai mon analyse en citant la définition du mot " projet " figurant à l'article 2 de la LCEE , que je reproduis de nouveau pour plus de commodité :

"project" means

" projet " Réalisation

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture " d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d'une catégorie d'activités concrètes désignée par règlement aux termes de l'alinéa 59b).

(b) any proposed physical activity not relating to a physical work that is prescribed or is within a class of physical activities that is prescribed pursuant to regulations made under paragraph 59(b);

[38]      En l'espèce, seul l'alinéa a) de la version anglaise m'intéresse étant donné que le projet en question est lié à un ouvrage, c'est-à-dire le pont de Sewap Creek. Étant donné que l'évaluation environnementale est effectuée en vertu du paragraphe 5(1) de la LPEN, la GCC était responsable de cette évaluation. En sa qualité d'autorité responsable, la GCC a déterminé, conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE, que la portée du projet était [TRADUCTION] " la construction du pont ainsi que des abords et voies d'accès directement liés au pont ". Les défendeurs ont soutenu que cette détermination était raisonnable et qu'elle relevait du pouvoir discrétionnaire conféré à l'autorité responsable en vertu du paragraphe 15(1) de la LCEE . Compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne puis constater l'existence d'aucune erreur de la part de la GCC lorsqu'elle a déterminé la portée du projet.

[39]      Avant d'examiner le paragraphe 15(3) de la LCEE, j'aimerais noter en passant que l'autorité responsable peut, conformément au paragraphe 15(2), considérer deux ou plusieurs projets comme un seul projet. En fin de compte, la GCC n'a pas pris de décision en vertu du paragraphe 15(2).

[40]      Le paragraphe 15(3) de la LCEE traite de la portée de l'évaluation environnementale relative au projet. La GCC a déterminé que la portée de l'évaluation environnementale comprenait [TRADUCTION] " les effets environnementaux du pont et de tout ouvrage lié à sa construction, à son exploitation ou à son entretien à l'emplacement du pont et en aval, dont il est fait mention à l'alinéa 16(1)a ) et à l'article 2 de la LCEE ". Enfin, en vertu de l'alinéa 16(1)a ) de la LCEE, la GCC a conclu que les effets cumulatifs du projet relatif au pont étaient :

         [TRADUCTION]
         limités aux effets hydrauliques du projet, combinés aux autres ouvrages le long du cours d'eau et dans les eaux de Sewap Creek. En amont de Sewap Creek, il n'y a pas d'autre passage dans les cinq kilomètres de l'emplacement du passage. Les effets d'intensification des inondations de la structure sont minimes et la conception de la structure du pont elle-même résout le problème.

[41]      Après avoir tenu compte des renseignements reçus des ministères fédéraux qui ont examiné la demande de Repap, la GCC a conclu que le pont de Sewap Creek n'était pas susceptible d'avoir sur l'environnement des effets importants tels que le projet ne devrait pas être approuvé en vertu du paragraphe 5(1) de la LPEN. Parmi les renseignements reçus par la GCC, il y avait l'avis reçu du MOP et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[42]      Pour les motifs énoncés ci-dessous, je ne suis pas convaincu que la GCC ait commis une erreur en déterminant la portée de l'évaluation conformément au paragraphe 15(3) de la LCEE. Par conséquent, il n'existe aucun fondement, en fait ou en droit, justifiant la modification de la décision contestée.

[43]      C'est la demande que Repap a présentée à l'égard de la construction du pont de Sewap Creek qui a déclenché l'application de la LCEE. Le pont est sans doute un ouvrage et, par conséquent, la partie pertinente de la définition est celle qui figure à l'alinéa a) de la version anglaise de la définition du mot " projet " figurant à l'article 2 de la LCEE .

[44]      Le projet comprend le pont lui-même et, selon le libellé de la version anglaise de l'article 2, " any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work , ... " (l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture - d'un ouvrage). En tentant d'interpréter le sens des mots " or other undertaking in relation to that physical work ", l'avocat des ministres a soutenu que le mot " undertaking " peut uniquement se rapporter aux opérations liées au cycle de vie de l'ouvrage, c'est-à-dire dans ce cas-ci, le pont de Sewap Creek. Je suis d'accord.

[45]      L'avocat m'a référé à la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Association des consommateurs du Canada c. Canada (Ministre des Postes), (1975) 11 N.R. 181, où la Cour devait statuer sur l'interprétation légale de l'expression " ou autre " figurant dans l'expression " une association d'entraide mutuelle, une association commerciale, professionnelle ou autre ".

[46]      Aux pages 186 et 187, la Cour fait les remarques suivantes :

             L'avocat de la requérante considère que la règle d'interprétation communément appelée règle " ejusdem generis " est applicable, voire décisive en l'espèce. Cette règle sert à découvrir l'intention véritable du législateur et constitue souvent un guide sûr. En examinant tous les termes de cet alinéa qui décrivent des types précis d'associations, termes ayant tous des significations d'une portée très limitée, et particulièrement les expressions " entraide mutuelle, commerciale, professionnelle ", nous ne pouvons pas envisager que le législateur avait l'intention, en ajoutant simplement les mots " ou autre " d'englober dans les dispositions de cet alinéa tous les genres d'association d'êtres humains concevables. Si telle avait été son intention, il n'aurait pas été nécessaire d'énumérer plusieurs types précis d'associations. Une expression comme " toute espèce d'association qu'elle qu'elle soit " aurait suffi. Ou, s'il avait jugé préférable de désigner quelques associations, il aurait suffi d'ajouter une expression telle qu'" ou toute autre association, similaire aux précédentes ou non " pour rendre l'intention claire.

[47]      Les mots " or other undertaking in relation to that physical work " de la version anglaise suivent les mots " any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment " (l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture). Je suis d'accord avec l'avocat des ministres pour dire que, dans le contexte de la définition, les mots " or other undertaking in relation to that physical work " de la version anglaise doivent se rapporter aux opérations qui font partie de la catégorie d'opérations expressément mentionnées, c'est-à-dire l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture. L'avocat soutient que ces opérations sont des événements susceptibles de se produire au cours du cycle de vie d'un ouvrage. Par conséquent, les mots " or other undertaking in relation to that physical work " peuvent uniquement se rapporter aux opérations qui sont dans ce cas-ci liées au cycle de vie du pont de Sewap Creek. À mon avis, le libellé de la définition ne peut pas donner lieu à une autre interprétation.

[48]      La version française de la définition, qui se lit comme suit, étaye mon point de vue :

"project" means

" projet " Réalisation

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture " d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d'une catégorie d'activités concrètes désignée par règlement aux termes de l'alinéa 59b ).

(b) any proposed physical activity not relating to a physical work that is prescribed or is within a class of physical activities that is prescribed pursuant to regulations made under paragraph 59(b);

[49]      Dans la version française, le mot " ouvrage " correspond aux mots " physical work " de la version anglaise. La version française est libellée en des termes plus simples et, à mon avis, elle montre clairement que les mots " other undertakings in relation to that physical work " de la version anglaise peuvent uniquement se rapporter aux opérations faisant partie de la catégorie opérations expressément mentionnées dans la définition.

[50]      Je suis entièrement d'accord avec l'avocat des ministres lorsqu'il dit ceci, au paragraphe 29 de son mémoire :

         [TRADUCTION]
             La version française étaye l'argument selon lequel seules les opérations liées au cycle de vie de l'ouvrage se rapportent au projet, en employant le mot " réalisation " comme élément fondamental de la définition et en désignant ensuite diverses opérations en tant qu'éléments accessoires. La partie pertinente, si on la traduit en anglais, se lit comme suit : " The carrying out - including the operation, modification, decommissioning or the closure - of a physical work " (Réalisation y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture - d'un ouvrage). Les opérations mentionnées et leur ordre chronologique étayent pleinement la position avancée à l'égard du texte anglais. De fait, l'emploi du mot " réalisation " exclut l'argument selon lequel d'autres opérations ne se rapportant pas à la réalisation de l'ouvrage, peuvent ou devraient être incluses dans le " projet ".

[51]      Par conséquent, en ce qui concerne le projet relatif au pont de Sewap Creek, le mot " projet " s'entend, à mon avis, du pont lui-même et de toutes les opérations liées au cycle de vie du pont. Par conséquent, telle est la portée du projet que la GCC devait déterminer en vertu du paragraphe 15(1).

[52]      J'examinerai maintenant le paragraphe 15(3) de la LCEE. Pour plus de commodité, je reproduirai de nouveau la disposition en question :

(3) Where a project is in relation to a physical work, an environmental assessment shall be conducted in respect of every construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work that is proposed by the proponent or that is, in the opinion of

(3) Est effectuée, dans l'un ou l'autre des cas suivants, l'évaluation environnementale de toute opération " construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre " constituant un projet lié à un ouvrage:

(a) the responsible authority, or

a) l'opération est proposée par le promoteur;

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

b) l'autorité responsable ou, dans le cadre d'une médiation ou de l'examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l'opération susceptible d'être réalisée en liaison avec l'ouvrage.

likely to be carried out in relation to that physical work.

[53]      Étant donné que le projet relatif au pont de Sewap Creek est sans aucun doute lié à un ouvrage, cette disposition est fort pertinente. Le libellé du paragraphe 15(3) est fort semblable à celui qui est utilisé à l'article 2 pour définir le mot " projet ". La seule différence entre les deux est qu'en vertu du paragraphe 15(3), l'autorité responsable effectue une évaluation environnementale non seulement à l'égard des opérations liées à l'ouvrage proposé par le promoteur, mais aussi à l'égard des opérations qui, à son avis, sont " susceptible[s] d'être réalisée[s] en liaison avec l'ouvrage ". Toutefois, en ce qui concerne la nature des opérations assujetties à l'évaluation environnementale de l'autorité responsable, le libellé du paragraphe 15(3) ne peut pas être distingué de celui qui est employé à l'article 2 pour définir le mot " projet ". En d'autres termes, l'autorité responsable doit évaluer toutes les opérations liées au cycle de vie de l'ouvrage, c'est-à-dire en l'espèce, le pont de Sewap Creek. Je ne puis formuler la question d'une meilleure façon que ne l'a fait l'avocat des ministres, lorsqu'il dit ceci, au paragraphe 40 de son mémoire :

         [TRADUCTION]
             L'effet du paragraphe 15(3), dans lequel on utilise le concept du " projet " tel que ce mot est défini à l'article 2 et tel qu'il est étayé par la version française des deux dispositions, est qu'il est possible d'étendre la portée de l'évaluation d'un projet relatif à un ouvrage au-delà de ce qui est proposé dans le projet lui-même afin de tenir compte des effets environnementaux des opérations qui, de l'avis de l'autorité responsable, sont susceptibles d'être réalisées pendant le cycle de vie du projet.

[54]      La version française du paragraphe 15(3) se lit comme suit :

(3) Where a project is in relation to a physical work, an environmental assessment shall be conducted in respect of every construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work that is proposed by the proponent or that is, in the opinion of

(3) Est effectuée, dans l'un ou l'autre des cas suivants, l'évaluation environnementale de toute opération " construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre " constituant un projet lié à un ouvrage:

(a) the responsible authority, or

a) l'opération est proposée par le promoteur;

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

b) l'autorité responsable ou, dans le cadre d'une médiation ou de l'examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l'opération susceptible d'être réalisée en liaison avec l'ouvrage.

likely to be carried out in relation to that physical work.

[55]      Le mot " opération " de la version française correspond au mot " undertaking " de la version anglaise. Je suis d'accord avec l'avocat des ministres pour dire que la version française étaye le point de vue qu'il a avancé au sujet de l'interprétation du paragraphe 15(3).

[56]      La position prise par les ministres, à laquelle je souscris entièrement, semble être étayée par la Canadian Environmental Assessment Act annotée de 1995, dans laquelle le savant auteur dit ceci à la page 166 :

         [TRADUCTION]
         Paragraphes 15(2) et (3) - ces dispositions traitent de la définition d'un projet et des opérations qui y sont liées. Compte tenu de la position selon laquelle l'article 15 traite du " projet assujetti à l'évaluation ", le paragraphe 15(1) prévoit que ce projet est celui que l'autorité responsable détermine, ou lorsque le projet est renvoyé au ministre, le projet est celui que le ministre détermine. Cette approche semblerait déterminer l'approche à adopter aux fins de l'évaluation des activités multiples liées à un projet. À l'article 5 de la LCEE , il est à maintes reprises fait mention de " tout ou partie " d'un projet. Étant donné la façon dont le mot " projet " est défini, une partie du projet serait une seule activité liée au projet, comme sa réalisation, alors qu'une autre partie se rapporterait à l'exploitation du projet. Chacune de ces activités peut être assujettie à la Loi et peut faire l'objet d'une évaluation distincte. Étant donné que le paragraphe 15(1) prévoit que le décideur fédéral détermine la portée du projet, ce décideur semblerait avoir le pouvoir de combiner ou de séparer différentes activités associées à un projet. Toutefois,le paragraphe 15(3) semble aborder la question des opérations liées à un projet d'une façon différente du paragraphe 15(1). L'autorité responsable ou le ministre doit effectuer l'évaluation environnementale de tout ouvrage en tenant compte de chaque opération " susceptible d'être réalisée en liaison avec l'ouvrage ". Si cette approche est considérée par rapport à l'article 5, dans le cas d'un projet de construction qui exige une évaluation environnementale préalable, l'autorité fédérale concernée devrait, en vertu du paragraphe 12(3), évaluer le projet de façon à tenir compte de toutes les autres opérations susceptibles d'être réalisées dans le cadre de la réalisation du projet, comme son exploitation ou sa fermeture. Le paragraphe 12(3) confère à l'autorité responsable ou au ministre le pouvoir de prendre la décision relative aux opérations visées par l'évaluation, mais il semble également exiger une évaluation de toute opération proposée par le promoteur en liaison avec l'ouvrage7.

[57]      Les demandeurs ont soutenu que le fait que le libellé de la version anglaise de la définition du mot " projet " figurant à l'article 2, qui dit qu'un projet vise " any proposed construction " n'est pas le même que celui du paragraphe 15(3), qui dit qu'une évaluation environnementale vise " every construction... proposed by the proponent " laisse entendre qu'il faut adopter une approche large en ce qui concerne l'évaluation environnementale. À mon avis, les demandeurs ont omis de reconnaître que les deux expressions sont définies par les mots " in relation to that physical work (lié à un ouvrage) ", qui restreignent la portée de l'évaluation aux opérations liées à l'ouvrage.

[58]      Par conséquent, je ne puis retenir les prétentions des demandeurs selon lesquelles la GCC aurait dû effectuer une évaluation environnementale à l'égard des opérations forestières de Tolko et en particulier de la modification et de l'agrandissement de l'usine de pâte existante, de la construction d'une nouvelle usine de pâte et de la construction de nouveaux chemins utilisables en toute saison et d'infrastructure sur une distance de 800 kilomètres. À mon avis, les opération forestières de Tolko ne sont pas des opérations liées au pont de Sewap Creek ni des opérations qui sont " susceptible[s] d'être réalisée[s] " en liaison avec le pont de Sewap Creek.

[59]      En examinant le projet relatif au pont de Sewap Creek, la GCC a tenu compte du paragraphe 16(1) de la LCEE, en vertu duquel il faut notamment tenir compte d'un certain nombre d'éléments. À cet égard, la GCC a tenu compte des effets environnementaux du pont et de tout ouvrage lié à sa construction, à son exploitation et à son entretien, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l'existence d'autres ouvrages ou à la réalisation d'autres projets ou activités, est susceptible de causer à l'environnement, à l'emplacement du pont et en aval. La GCC a conclu que les effets cumulatifs du projet relatif au pont de Sewap Creek étaient

         [TRADUCTION]
         limités aux effets hydrauliques du projet, combinés aux autres ouvrages le long du cours d'eau et dans les eaux de Sewap Creek. En amont de Sewap Creek, il n'y a pas d'autre passage dans les cinq kilomètres de l'emplacement du passage. Les effets d'intensification des inondations de la structure sont minimes et la conception de la structure du pont elle-même résout le problème.

[60]      Le paragraphe 16(3) prévoit clairement que l'évaluation de la portée des éléments visés au paragraphe 16(1) incombe à l'autorité responsable. En l'espèce, la GCC a évalué la portée des éléments comme, à mon avis, il lui était loisible de le faire. Par conséquent, il n'existe à mon avis aucun fondement justifiant une intervention à cet égard. Dans la décision Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325, mon collègue le juge MacKay, aux pages 348 et 349, a fait les remarques suivantes, auxquelles je souscris, au sujet de la nature des décisions prises en vertu de la LCEE et de l'obligation de la Cour de s'en remettre au décideur habilité par la loi :

             Il faut toutefois se souvenir que la décision que prennent les ministres en vertu de la LCEE n'est pas de nature scientifique. Il s'agit d'un exercice de jugement qui tient compte de questions scientifiques, économiques, politiques et sociales appropriées. Dans l'arrêt Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd., [1996] A.C.F. no 1016 (C.A.) (QL), la Cour d'appel a décrit en ces termes le processus que prévoit la LCEE [au paragraphe 10] :
             Aucun élément d'information portant sur les effets futurs probables d'un projet ne saurait jamais être complet ou exclure toutes les conséquences possibles. ... le principal critère établi par la loi est l' " importance " des effets environnementaux du projet. Il ne s'agit pas là d'un critère entièrement fixe ou objectif; il fait largement appel au jugement et à l'opinion de la commission. Des personnes raisonnables peuvent ne pas être du même avis - et ne le sont effectivement pas - sur la question de savoir si des éléments de preuve qui prévoient certaines répercussions à venir sont suffisants et exhaustifs et sur l'importance de ces répercussions sans soulever par le fait même des questions de droit.
             La nature même de la décision signifie que, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour doit forcément s'en remettre au décisionnaire habilité par la loi, à moins d'être convaincue que la décision est manifestement déraisonnable, c'est-à-dire qu'elle ne peut se justifier logiquement au vu de l'ensemble des renseignements dont disposait le décisionnaire au moment où il a pris sa décision. Tant qu'il existe des renseignements sur lesquels la décision pouvait être logiquement fondée, la Cour n'interviendra pas.

[61]      La GCC a ensuite conclu que le projet relatif au pont de Sewap Creek n'était [TRADUCTION] " pas susceptible de causer des effets négatifs importants sur l'habitat du poisson une fois tenu compte de la mise en oeuvre de mesures d'atténuation appropriées ". Le projet de Tolko a donc été approuvé. Compte tenu de ce qui est selon moi l'interprétation qu'il convient de donner aux paragraphes 15(3), 16(1) et 16(3) de la LCEE , j'estime que la décision que la GCC a prise est tout à fait raisonnable.

[62]      Les demandeurs se fondent sur la décision rendue par le juge Gibson dans l'affaire Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 340, aux fins de l'interprétation qu'ils proposent de donner au paragraphe 15(3) de la LCEE. Ils soutiennent que l'interprétation donnée par le juge Gibson au paragraphe 15(3) de la LCEE est correcte et que je devrais l'adopter. Pour les motifs ci-après énoncés, je ne puis souscrire à l'interprétation donnée par le juge Gibson.

[63]      Les faits de l'affaire Friends of the West Country étaient semblables aux faits de l'espèce : une demande visant à l'obtention de l'approbation prévue au paragraphe 5(1) de la LPEN aux fins de la construction de deux ponts avait pour effet de déclencher une évaluation environnementale en vertu de la LCEE. À la suite de consultations publiques et de la préparation de rapports d'examen préalable, l'autorité responsable, soit la GCC, a conclu que les ponts n'étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants. Elle a donc approuvé le projet pour le compte du ministre des Pêches et des Océans. Les demandeurs, soit un organisme sans but lucratif, " The Friends of the West Country Association ", ont présenté une demande de contrôle judiciaire des approbations en soutenant que les ponts et la route afférente, connue sous le nom de " Mainline Road ", faisaient partie intégrante de la proposition que le promoteur avait faite à l'égard de nouvelles opérations forestières à grande échelle, et que, par conséquent, les effets environnementaux des routes et des opérations forestières auraient dû être évalués. Le juge Gibson a annulé les approbations et a renvoyé l'affaire à l'autorité responsable pour nouvel examen.

[64]      Le juge Gibson a commencé son analyse en disant qu'il était d'avis qu'une interprétation large " de l'application de la LCEE s'impose [...] ". Pour tirer cette conclusion, le juge se fondait sur l'article 4 de la LCEE , qui énonce les objectifs de la Loi, ainsi que sur certaines remarques que Monsieur le juge La Forest (tel était alors son titre) avait faites dans l'arrêt Friends of the Old Man River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3. À la page 361 (paragraphe 30), le juge Gibson énonce sa position comme suit :

             Je suis convaincu qu'une interprétation aussi large de l'application de la LCEE s'impose, surtout lorsque son préambule et ses objectifs, tels que prévus à l'article 4 [tel qu'il a été modifié par L.C. 1994, ch. 46, art. 1], s'interprètent en corrélation avec les autres dispositions de la loi, comme elles le doivent. Le juge LaForest a poursuivi, à la page 71 :
             L'évaluation des incidences environnementales est, sous sa forme la plus simple, un outil de planification que l'on considère généralement comme faisant partie intégrante d'un processus éclairé de prise de décisions. R. Cotton et D.P. Emond, dans un ouvrage intitulé " Environmental Impact Assessment ", dans J. Swaigen dir., Environmental Rights in Canada (1981), 245, à la p. 247, résument l'objet fondamental de cette évaluation :
                 [TRADUCTION] Les concepts fondamentaux à la base de l'évaluation environnementale peuvent être énoncés en termes simples : (1) déterminer et évaluer avant coup toutes les conséquences environnementales possibles d'une entreprise proposée; (2) permettre une prise de décisions qui à la fois garantira l'à-propos du processus et conciliera le plus possible les désirs d'aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l'environnement.
             En tant qu'outil de planification, le processus d'évaluation renferme un mécanisme de collecte de renseignements et de prise de décisions, qui fournit au décideur une base objective sur laquelle il pourra s'appuyer pour autoriser ou refuser un projet d'aménagement; voir M.I. Jeffrey, Environmental Approvals in Canada (1989), à la p. 1.2, " 1.4; D.P. Emond, Environmental Assessment Law in Canada (1978), à la p. 5. Bref, l'évaluation des incidences environnementales constitue simplement une description du processus de prise de décisions.

[65]      Le juge Gibson a ensuite conclu que " le critère de l'utilité propre "8 devrait servir de guide aux fins de l'interprétation des dispositions de la LCEE, et en particulier de l'article 15. Il a tiré cette conclusion en se fondant sur la jurisprudence américaine et sur la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale : guide des autorités responsables9 (le Guide). Après avoir cité un certain nombre de passages du Guide, le juge Gibson a conclu cette partie de son analyse comme suit à la page 366 :

             Ces éléments du Guide semblent interpréter la LCEE de manière à étendre, de façon obligatoire, la portée du principe de l'utilité propre non seulement à la définition de la portée du projet mais aussi à celle de l'évaluation. De plus, il est clairement mentionné qu'une " interprétation libérale " de la LCEE conduit une autorité responsable à analyser les effets environnementaux de travaux et d'entreprises liés qui, de par eux-mêmes, peuvent se trouver complètement à l'extérieur du champ de compétence législative du Parlement. Ce résultat est manifestement visé par le paragraphe 12(4) et par la définition du terme " instance " figurant au paragraphe 12(5) de la LCEE.
             Naturellement, le Guide n'a pas force de loi. Il ne lie pas les autorités responsables ni la Cour et n'est pas susceptible d'exécution par elle. Ceci étant dit, je juge les parties citées pertinentes aux faits de l'espèce et absolument conformes à la LCEE et à la position énoncée par le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour suprême, dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), précité. Je suis convaincu que les extraits cités reflètent les principes énumérés dans le préambule de la LCEE, les objectifs énoncés à son article 4 et les principes établis par le juge LaForest dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité. Bien que la LCEE soit, de façon générale, appliquée sous l'autorité du ministre de l'Environnement, on peut trouver des autorités responsables dans tout ministère ou organisme du gouvernement du Canada et ailleurs. Il est donc tout à fait logique que, dans le but de s'assurer d'un certain niveau d'uniformité dans l'application de la LCEE, l'on ait publié un tel guide, et ses prescriptions devraient donc faire l'objet, à titre d'outils d'interprétation, d'une certaine déférence de la part des autorités responsables et des tribunaux, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la loi.
             L'analyse qui suit est guidée par les principes généraux qui précèdent et par l'application du principe de l'utilité propre, comme celui-ci transparaît des citations précédentes du Guide, que je juge conformes aux dispositions de la LCEE.

[66]      Après avoir établi le fondement de l'interprétation proposée, le juge Gibson a appliqué les dispositions législatives aux faits pertinents. En premier lieu, il a clairement dit que la détermination de la portée des projets relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire qui était conféré à la GCC en vertu du paragraphe 15(1) et que, selon la preuve dont il disposait, il était entièrement loisible à l'autorité responsable de prendre cette décision. De l'avis du juge Gibson, il n'était donc pas justifié d'intervenir dans la décision que la GCC avait prise en vertu du paragraphe 15(1). Aux pages 367 et 368, le juge Gibson dit ceci :

             L'autorité responsable, soit la Division des programmes de protection des eaux navigables de la Garde côtière canadienne dans le cas présent, a décidé que les projets pour lesquels le promoteur demandait l'approbation, c.-à-d. les deux ponts, n'étaient pas liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet. Chaque pont a été considéré comme un projet distinct. Le fait que j'aurais pu, ou que d'autres auraient pu, en arriver à une conclusion différente ne constitue pas le critère à appliquer. Je suis convaincu que l'autorité responsable pouvait raisonnablement considérer les ponts comme des projets distincts aux fins des évaluations environnementales.
             L'autorité responsable a déterminé la portée du projet du pont de la rivière Ram de la façon suivante :
             Le projet du pont de la rivière Ram comprend notamment : la construction et l'entretien d'un pont à deux travées de deux voies [modifié par la suite pour un pont à une travée] au-dessus de la rivière Ram, ce qui inclut les voies d'accès et les travaux liés, les zones d'entreposage et autres ouvrages directement reliés à la construction du pont. Le projet entraîne la préparation du chantier de construction, la construction d'une pile centrale [abandonnée par la suite], de culées et de la structure du pont.
             La portée du projet du pont de Prairie Creek a été établie dans des termes essentiellement identiques à celle du projet du pont de la rivière Ram, tel que modifié.

[67]      Le juge Gibson a mis l'accent sur la nature discrétionnaire de la décision que la GCC avait prise en vertu du paragraphe 15(1). À la page 368, voici ce qu'il a dit :

         Dans l'extrait du Guide portant sur l'application du test du principal et de l'accessoire, cité précédemment, j'ai souligné l'utilisation du verbe de permission " peuvent " relativement à la détermination de la question de savoir si les ouvrages ou les activités concrètes sont accessoires au projet principal. Le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités responsables est conforme à celui qui leur est accordé en vertu de l'article 15 de la LCEE. Je ne peux voir aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont l'autorité responsable en l'espèce a exercé son pouvoir discrétionnaire quant à la qualification des projets assujettis à la demande de contrôle des évaluations environnementales. Plus précisément, j'estime que l'autorité responsable n'a commis aucune erreur en omettant d'inclure dans la portée des projets de pont la route, de laquelle on pourrait dire que les principaux projets, soit les ponts et les culées afférentes, sont les accessoires, et les opérations forestières proposées, desquelles, selon les faits de l'espèce, les ponts pourraient aussi être considérés comme accessoires.

[68]      Toutefois, en ce qui concerne les décisions que la GCC prend en vertu des paragraphes 15(3) et 16(1) de la LCEE, le juge Gibson a conclu que la GCC avait commis deux erreurs susceptibles de révision. L'essence du raisonnement que le juge Gibson a fait en tirant cette conclusion est énoncée aux pages 369 à 371 :

         En bref, lorsqu'un projet concerne un ouvrage, le paragraphe 15(3) oblige l'autorité responsable à effectuer l'évaluation environnementale pertinente non seulement du projet visé, mais aussi de toute opération, construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre liée à l'ouvrage qui constitue le projet proposé par le promoteur ou que l'autorité responsable estime " ...susceptible d'être réalisée [par toute personne autre que le promoteur] en liaison avec [l'ouvrage qui constitue le projet] ".
             N'a pas été débattu à l'audition le fait que la construction de la route, dont les ponts et les ouvrages constituant les projets visés pouvaient être considérés les accessoires, et les opérations forestières, dont les ponts pouvaient aussi être considérés les accessoires, aient été " proposée[s] par le promoteur, et non pas par un ou des tiers. Je conclus donc que le paragraphe 15(3) obligeait l'autorité responsable à faire porter l'évaluation environnementale sur la route et peut-être sur les opérations forestières, dans la mesure où ces dernières étaient " [...] en liaison avec [...] " les projets, c'est-à-dire, les ponts et les culées afférentes. L'autorité responsable ne jouissait d'aucun pouvoir discrétionnaire. J'interprète le pouvoir discrétionnaire conféré par les derniers mots du paragraphe 15(3) comme n'entrant en jeu que lorsqu'un projet proposé est susceptible d'être réalisé en liaison avec le projet visé par une autre personne. Le paragraphe 15(3) laisse clairement voir, dans le cadre des faits de la présente affaire, que l'autorité responsable doit obligatoirement appliquer le principe de l'utilité propre dans l'analyse de la portée de l'évaluation.

     [...]

             J'interprète le paragraphe 16(1) comme obligeant une autorité responsable à faire porter un examen préalable sur les effets environnementaux pouvant résulter du projet visé ainsi que sur ceux que sa réalisation, combinée à la réalisation d'autres projets ou activités, est susceptible de causer. Il ne fait aucun doute que la construction de la route aura lieu. En effet, la preuve dont je dispose indique qu'elle avait déjà eu lieu, ou à tout le moins en très grande partie, au moment de l'audition. De même, la preuve dont je suis saisi semble indiquer qu'en raison des approbations accordées en vertu du paragraphe 5(1) de la LPEN, les opérations forestières proposées par le promoteur dans la région de West Country auront également lieu. Une fois de plus, les faits de la présente affaire m'amènent à conclure que le paragraphe 16(1) laisse clairement voir l'existence de l'obligation de l'autorité responsable d'appliquer le principe de l'utilité propre dans l'analyse de la portée de l'évaluation.
             À l'audition, il n'a pas été contesté que la portée de l'évaluation environnementale faisant l'objet de la présente demande de contrôle ne s'étendait pas aux effets environnementaux du projet de construction de la route ou à ceux de ce projet et des opérations forestières comprenant les travaux sur les routes, dont les ponts.
             Dans l'arrêt R. c. Hydro-Québec, le juge LaForest, s'exprimant au nom de la majorité et, faisant référence au premier extrait de ses motifs dans Friends of the Oldman River Society, précité, a écrit :
             Au cours des dernières années, on a demandé de plus en plus à notre Cour d'examiner l'interaction entre les pouvoirs législatifs du Parlement et ceux des législatures provinciales en ce qui concerne la protection de l'environnement. Qu'elles soient considérées positivement comme des stratégies en vue de maintenir un environnement propre, ou négativement comme des dispositions prises en vue de combattre les maux engendrés par la pollution, il ne fait pas de doute que ces mesures visent un objectif public d'une importance supérieure, objectif que tous les niveaux de gouvernement et les nombreux organismes de la communauté internationale ont entrepris de plus en plus de poursuivre.
             M'appuyant sur l'ensemble de la preuve dont je dispose et sur les dispositions susmentionnées de la LCEE, la constitutionnalité de ces dernières n'étant pas contestée, je conclus que les évaluations environnementales effectuées souffraient de deux lacunes fatales : premièrement, elles ne portaient pas sur une construction ou sur tout autre ouvrage, soit la Mainline Road, qui constituait une construction ou un autre ouvrage " lié " aux projets visés et qui avait été proposée par le promoteur; deuxièmement, elles ne portaient pas sur les effets environnementaux cumulatifs que leur réalisation, combinée à la réalisation d'un autre projet, soit la route déjà mentionnée, est susceptible de causer à l'environnement.
             Ces vices constituaient des erreurs de droit, commises au cours des étapes préliminaires indispensables menant à la délivrance des approbations aux termes de la LPEN. Ils étaient des erreurs susceptibles de contrôle en vertu de la norme de la justesse. En vertu de cette norme, ce sont des erreurs justifiant l'intervention de la Cour relativement aux décisions faisant l'objet du contrôle.
             Puisqu'il n'est pas nécessaire de le faire, je ne rends pas jugement sur la question de savoir si la portée des évaluations environnementales devrait avoir été étendue aux effets environnementaux des opérations forestières proposées par le promoteur et des travaux à faire sur la route et les ponts. Toutefois, cela étant dit, il apparaît évident qu'une interprétation libérale de la LCEE ferait en sorte qu'une évaluation environnementale plus approfondie devrait également inclure les effets probables de ces opérations.

[69]      Comme je l'ai déjà dit, je ne souscris pas à l'interprétation que le juge Gibson a donnée au paragraphe 15(3). À mon avis, en interprétant le paragraphe 15(3) comme il l'a fait, le juge Gibson a omis de tenir compte du libellé clair de la disposition. Le juge Gibson a donné au mot " opération " un sens qui n'est pas prévu par la disposition, en particulier lorsqu'il est tenu compte de la définition du mot " projet " figurant à l'article 2.

[70]      Compte tenu de l'interprétation que je propose de donner au paragraphe 15(3) de la LCEE, la " Mainline Road " qui, selon le juge Gibson, constituait " une construction ou un autre ouvrage " lié " aux projets visés [...] " n'était pas une opération liée aux projets, c'est-à-dire au projet relatif au pont de la rivière Ram et au projet relatif au pont de Prairie Creek10. Étant donné que la " Mainline Road " n'était pas à mon avis une opération liée aux projets, l'autorité responsable n'était pas tenue d'effectuer une évaluation environnementale à cet égard. La " Mainline Road " n'était pas une opération faisant partie de la catégorie d'opérations expressément mentionnées au paragraphe 15(3) et dans la définition du mot " projet " figurant à l'article 2. À mon avis, même si le juge Gibson a clairement statué qu'il ne pouvait pas intervenir relativement à la décision que l'autorité responsable avait prise au sujet de la portée des projets, il a en fait caractérisé de nouveau la portée des projets en analysant la portée des évaluations environnementales en vertu du paragraphe 15(3). À mon avis, il ne lui était pas loisible de le faire.

[71]      Le juge Gibson a entre autres fondé son interprétation large de la portée des évaluations environnementales en vertu du paragraphe 15(3) sur le " critère de l'utilité propre ", en s'appuyant à cet égard sur la jurisprudence américaine et sur le Guide.

[72]      En premier lieu, le juge Gibson a mentionné une décision rendue par la Cour d'appel américaine du neuvième circuit dans l'affaire Thomas v. Peterson, 753 F. (2d) 754 (Ninth Cir. 1985). À mon avis, cette décision n'est pas pertinente étant donné que le texte de la loi américaine ne ressemble pas à celui de la LCEE. Toutefois, s'il existe une similarité, elle se rapporte aux paragraphes 15(1) et (2) de la LCEE, qui traitent du pouvoir discrétionnaire que possède l'autorité responsable à l'égard de la détermination de la portée du projet et, lorsqu'il existe deux ou plusieurs projets, du pouvoir de les combiner en un seul projet. Les règlements mentionnés dans la décision américaine avaient été pris par le Council of Environmental Quality (le Règlement du CEQ)11. Ce règlement exigeait que des [TRADUCTION] " actions liées " soient examinées ensemble en un seul énoncé des incidences environnementales (l'EIE). Les [TRADUCTION] " actions liées " sont définies comme étant des actions faisant partie des catégories suivantes :

         [TRADUCTION]
         (i)      elles déclenchent automatiquement d'autres actions qui peuvent exiger des énoncés d'incidences environnementales;
         (ii)      elles ne peuvent pas être accomplies et elles ne seront pas accomplies à moins que d'autres actions n'aient déjà été accomplies ou ne soient accomplies simultanément;
         (iii)      elles font partie d'une action plus générale et dépendent de celle-ci pour être justifiées.

La délimitation des [TRADUCTION] " actions liées " prévues par le règlement du CEQ permet d'élucider les paragraphes 15(1) et (2) de la LCEE. Toutefois, le juge Gibson a appliqué le concept des [TRADUCTION] " actions liées " au paragraphe 15(3).

[73]      En second lieu, j'examinerai la façon dont le juge Gibson a utilisé le Guide pour justifier en partie son interprétation du paragraphe 15(3) et, en particulier, pour étayer l'avis selon lequel le principe de l'utilité propre était pertinent aux fins de l'interprétation du paragraphe 15(3). Aux pages 364 et 365, le juge Gibson mentionne le Guide et en cite certains passages :

         À la page 20 du Guide, sous le titre " Portée du projet ", se trouve ce qui suit :
             Aux termes de la LCÉE, l'AR doit mener un examen préalable ou une étude approfondie pour déterminer la portée du projet. La portée du projet concerne les éléments d'une entreprise que l'on considère comme faisant partie du projet aux fins de l'évaluation environnementale.
         À la page 18, sous le titre " Le test du principal et de l'accessoire ", le Guide continue :
             La LCÉE ne contient pas de dispositions permettant aux autorités responsables de déterminer quels ouvrages devraient entrer dans le cadre d'un projet. Afin d'uniformiser la détermination de la portée des projets, les AR devraient utiliser le test du " principal et de l'accessoire " qui comporte deux volets.
             Premièrement, quel est le projet principal? Le projet principal est toujours l'entreprise liée à un ouvrage ou les activités concrètes qui exigent l'exercice d'un pouvoir, d'une attribution ou d'une fonction (déclenchant par conséquent la tenue d'une ÉE aux termes de la LCÉE). La détermination de la portée du projet doit toujours inclure le projet principal.
             Deuxièmement, le projet principal est-il assorti d'ouvrages ou d'activités concrètes accessoires? Si oui, ils peuvent faire partie de l'ÉE. Les ouvrages ou les activités concrètes qui ne sont pas accessoires au projet principal peuvent ne pas en faire partie. Pour déterminer les éléments accessoires au projet principal, l'AR devrait appliquer les critères suivants :
                 interdépendance : si le projet principal ne peut être mené à bien sans entreprendre un autre ouvrage ou une autre activité concrète, il faut alors les considérer comme un tout;
                 lien : si la décision d'entreprendre l'exécution du projet principal rend inévitable l'exécution d'autres ouvrages ou activités, ils peuvent être considérés comme faisant partie du même projet.

         [non souligné dans l'original]

[74]      Le juge Gibson a commenté les passages précités en disant qu'ils reflétaient " le principe de l'" utilité propre " établi dans la décision Thomas v. Peterson , précitée, plus particulièrement en ce qui concerne la détermination de la portée du projet qui doit constituer l'objet d'une évaluation environnementale ". Voici ce qu'il a dit à la page 366 :

             Ces éléments du Guide semblent interpréter la LCEE de manière à étendre, de façon obligatoire, la portée du principe de l'utilité propre non seulement à la définition de la portée du projet mais aussi à celle de l'évaluation. De plus, il est clairement mentionné qu'une " interprétation libérale " de la LCEE conduit une autorité responsable à analyser les effets environnementaux de travaux et d'entreprises liés qui, de par eux-mêmes, peuvent se trouver complètement à l'extérieur du champ de compétence législative du Parlement.

[75]      Le juge Gibson a concédé que le Guide n'avait pas force de loi, qu'il ne liait donc pas les autorités responsables ni la Cour et qu'il n'était pas susceptible d'exécution devant elle, mais il a ajouté que le Guide " et ses prescriptions " devraient faire l'objet, à titre d'outils d'interprétation, d'une certaine déférence de la part des autorités responsables et des tribunaux, " dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la loi ".

[76]      Avec égards, je ne puis voir comment il m'est possible de souscrire à l'avis de mon collègue. Le Guide a été préparé par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale et non par le législateur. Il indique simplement le point de vue de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, qui est un organisme administratif, au sujet de l'application de la Loi. À la première page du Guide, son objet est énoncé comme suit :

         Le Guide des autorités responsables fait partie du Manuel des procédures de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, ensemble de documents de référence conçu pour fournir une orientation quant à l'application de la Loi aux ministères et organismes du gouvernement fédéral, aux gouvernements provinciaux et aux autorités municipales, aux promoteurs privés de projets soumis à un financement ou à une décision du gouvernement fédéral, ainsi qu'aux citoyens concernés par l'évaluation environnementale.
         Ce guide donne une interprétation du cadre juridique établi par la Loi et fournit aux autorités responsables (AR) une orientation pour l'exécution de l'évaluation environnementale (ÉE) de projets conformément à la Loi. Il est destiné aux ministères et organismes fédéraux qui doivent planifier, gérer, mener ou revoir des évaluations environnementales fédérales, ou y participer de toute manière.

[77]      D'après les motifs prononcés par le juge Gibson, il semblerait que le Guide, et par conséquent le principe de l'" utilité propre ", l'emportent sur le libellé de la LCEE . De toute évidence, cela n'est pas exact. Les autorités responsables sont tenues de suivre et d'appliquer la LCEE et non le Guide. Le Guide peut être utile, mais il ne peut pas l'emporter sur la loi.

[78]      Quoi qu'il en soit, j'estime que la façon dont le juge Gibson a interprété le Guide est en fait incompatible avec ce que le Guide dit réellement. Le juge Gibson a appliqué la partie du Guide intitulée " Portée du projet " à l'appui de son interprétation du paragraphe 15(3). À la page 365, voici ce qu'il dit :

         Cet extrait12 semble paraphraser le paragraphe 15(3) de la LCEE. Si je ne me trompe pas, cette ligne directrice paraît s'appliquer davantage à la portée de l'évaluation plutôt qu'à celle du projet, mais, pour ce qui est du reste, elle apparaît refléter la loi de manière précise.

[79]      Le passage du Guide cité par le juge Gibson dans le passage précité se rapporte, selon son propre libellé, au pouvoir discrétionnaire que possède l'autorité responsable lorsqu'il s'agit de déterminer la portée du projet. Toutefois, ce passage ne se rapporte pas, à mon avis, au paragraphe 15(3), c'est-à-dire à la détermination de la portée de l'évaluation. En l'espèce, la décision que la GCC a prise en vertu du paragraphe 15(1) n'est pas réellement contestée. Dans la décision Friends of the West Country, le juge Gibson a conclu que l'autorité responsable, soit la GCC, n'avait pas commis d'erreur susceptible de révision en prenant ses décisions en vertu des paragraphes 15(1) et 15(2).

[80]      Je ne puis être d'accord avec le juge Gibson en ce qui concerne la question de savoir quels ouvrages sont accessoires au projet principal à l'aide des critères énoncés dans le Guide, à savoir l'" interdépendance " et le " lien ". À la page 18 du Guide, ces concepts sont expliqués comme suit :

         "      interdépendance : si le projet principal ne peut être mené à bien sans entreprendre un autre ouvrage ou une autre activité concrète, il faut alors les considérer comme un tout;
         "      lien : si la décision d'entreprendre l'exécution du projet principal rend inévitable l'exécution d'autres ouvrages ou activités, ils peuvent être considérés comme faisant partie du même projet.
             [non souligné dans l'original]

[81]      En appliquant le critère du " lien ", le juge Gibson a conclu que la construction des ponts rendait " inévitable " la construction de la Mainline Road. J'interprète le mot " inévitable " qui est utilisé à l'égard du critère du " lien " comme voulant dire que la construction du projet principal rend " inévitable " la construction d'un autre ouvrage. À mon avis, on ne saurait dire que la construction des ponts de la rivière Ram et de Prairie Creek rendait " inévitable " la construction de la Mainline Road. Il n'était peut-être pas sensé de construire les ponts sans qu'ils soient reliés à une route, mais en fait, la construction des ponts n'exigeait pas la construction de routes. Il ne s'agit pas de savoir si la décision de construire les ponts sans les routes était sensée au point de vue financier ou administratif ou encore au point de vue de la gestion. Il s'agit plutôt de savoir si la construction d'un ouvrage rend la construction d'un autre ouvrage " inévitable " sur le plan physique.

[82]      En ce qui concerne le critère de l'" interdépendance ", il est clair que le passage de Sewap Creek est le projet " principal ". À coup sûr, le " projet principal " peut-être réalisé sans que des opérations soient réalisées en liaison avec la construction de chemins ou d'une usine de pâte. Par conséquent, les chemins et l'usine de pâte ne peuvent pas, à mon avis, être considérés comme des éléments du projet visé.

[83]      Les critères relatifs au " lien " et à l'" interdépendance " montrent clairement que le but visé est l'examen de la décision relative à la portée du projet plutôt que de la décision relative à l'évaluation environnementale.

[84]      À mon avis, le paragraphe 15(1) montre clairement que l'évaluation environnementale qui doit être effectuée par l'autorité responsable est une évaluation du projet telle qu'il est déterminé par cette autorité responsable en vertu du paragraphe 15(1). En d'autres termes, la portée de l'évaluation ne peut pas servir de prétexte pour modifier le projet tel qu'il est déterminé en vertu du paragraphe 15(1). C'est le projet tel qu'il est déterminé par l'autorité responsable et ses effets environnementaux qui doivent être examinés par l'autorité responsable. Le paragraphe d'introduction du paragraphe 15(1) le montre clairement. Il prévoit ce qui suit :

             L'autorité responsable... détermine la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée. [Je souligne.]

[85]      La seule mise en garde en ce qui concerne les remarques qui précèdent est qu'en vertu du paragraphe 15(3), l'autorité responsable doit effectuer une évaluation environnementale non seulement du projet, mais aussi des autres opérations " susceptible[s] d'être réalisée[s] en liaison avec l'ouvrage ". Les opérations " susceptible[s] d'être réalisée[s] en liaison avec l'ouvrage " se rapportent nécessairement aux opérations qui font partie de la catégorie d'opérations expressément mentionnées dans la définition du mot " projet " figurant à l'article 2 de la LCEE .

[86]      Au paragraphe 67 de son mémoire des faits et du droit, la défenderesse Tolko invoque l'argument suivant auquel je souscris entièrement :

         [TRADUCTION]
             Cette cour devrait également se demander quels seraient les effets pratiques si elle retenait les arguments avancés par les demandeurs. Qu'arrive-t-il si une ville au Canada, ou encore une province, décide de construire un pont? Lorsqu'elle demande une approbation en vertu de l'article 5 de la LPEN, tout ce que cette ville ou cette province fait devient-il un seul gros " projet " qui doit faire l'objet d'une évaluation environnementale en vertu de la LCEE ? Certainement pas, mais tel pourrait bien être le résultat si les arguments des demandeurs étaient retenus. À moins que l'évaluation environnementale ne soit liée à l'autorité réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE, il n'existe tout simplement pas de limite raisonnable dont l'autorité responsable devrait dans un cas donné tenir compte.

[87]      Pour conclure, j'aimerais dire qu'étant donné que le PGF de 13 ans et le plan annuel de 1997, sauf en ce qui concerne le passage de Sewap Creek, n'exigeaient pas l'exercice d'une attribution par une autorité fédérale à l'égard d'un projet tel qu'il en est fait mention au paragraphe 5(1) de la LCEE, aucune évaluation environnementale n'a été déclenchée. Si ces " projets " étaient des projets qui avaient pour effet de déclencher une évaluation environnementale en vertu du paragraphe 5(1) de la LCEE , l'autorité responsable aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 15(2) et déterminer que les projets étaient " liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet ".

[88]      Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu qu'il faut intervenir relativement à la décision que la GCC a prise d'approuver la construction du pont de Sewap Creek. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.


     " MARC NADON "

     ________________________________

     JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 18 juin 1999.


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  T-434-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Manitoba's Future Forest Alliance et al. c. le ministre de l'Environnement et autre



LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 9 novembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Nadon en date du 18 juin 1999




ONT COMPARU :


Rodney Northey                  pour les demandeurs

Toronto Ontario

Harry Glinter/Duncan Fraser          pour les défendeurs (ministre de l'Environnement et autre)

Winnipeg (Manitoba)

Bruce Taylor/Thor Hansell              pour la défenderesse (Tolko Manitoba Inc.)

Winnipeg (Manitoba)



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Birchall Northey                  pour les demandeurs

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                  pour les défendeurs (ministre de l'Environnement et autre)

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Aikins, MacAulay & Thorvaldson          pour la défenderesse (Tolko Manitoba Inc.)

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

__________________

1      Au paragraphe 10 de son mémoire des faits et du droit, la défenderesse Tolko décrit le pont comme suit :          [TRADUCTION]          10. Le pont de Sewap Creek est un pont à voie unique en planches de bois d'environ cinq mètres de largeur (soit environ 16 pieds) et 22 mètres de longueur (soit environ 70 pieds). Il est conçu pour la circulation légère. Il est situé sur une route qui est continuellement barrée à laquelle le public n'a pas accès. Il a été construit vers la fin du mois d'août 1997, avec 12 kilomètres de chemins utilisables en toute saison. Il est situé au nord de Cranberry-Portage, sur un chemin connu sous le nom de chemin Naosap, entre Cranberry-Portage et Sherridon, au Manitoba. Des opérations forestières sont effectuées dans le secteur depuis 1974, et dès 1980, Manfor a récolté du bois à moins d'un kilomètre de l'emplacement du pont.

2      Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, dans sa forme modifiée.

3      Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

4      Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, dans sa forme modifiée.

5      Dans Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 340, aux pages 335 à 358 (paragraphes 19 à 25), le juge Gibson explique pourquoi le ministre des Pêches et des Océans a donné son approbation en vertu de la LPEN, même si dans la LPEN, le mot " ministre " est défini comme étant le ministre des Transports. Je retiens l'explication donnée par le juge Gibson et je suis d'accord avec lui pour dire qu'il faut statuer sur la demande de contrôle judiciaire en se fondant non sur un point technique, mais sur le fond de l'affaire dont la Cour est saisie.

6      La demande visant à l'obtention de la licence relative à l'UPTB a par la suite été abandonnée.

7      Northey, Rodney, 1995 Annotated Canadian Environmental Assessment Act, (Carswell, 1994) p. 666.

8      À la page 362 des motifs qu'il a prononcés dans Friends of the West, le juge Gibson donne une brève explication du " critère de l'utilité propre " :          Les ponts sont des structures particulièrement inutiles lorsqu'ils sont envisagés de façon abstraite. Ils n'ont aucun but utile, à l'exception de faciliter le passage d'un endroit à un autre au-dessus d'un obstacle, qui est généralement de l'eau, séparant ces endroits. La jurisprudence américaine considère que l'utilité propre d'un ouvrage ou d'un projet proposé constitue un facteur décisif dans la détermination de sa portée. Il en a découlé ce qui est maintenant appelé le " critère de l'utilité propre ".

9      Agence canadienne d'évaluation environnementale, Loi canadienne sur l'évaluation environnementale : guide de l'autorité responsable (Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994).

10      Dans ses motifs, le juge Gibson dit que " [l]es [...] ponts sont conçus pour faire partie intégrante d'une seule et unique route, soit la Mainline Road, reliant les zones de droit de coupe du promoteur au site de l'usine de Strachan ". La GCC aurait peut-être dû considérer la Mainline Road et les ponts comme un seul projet en vertu du paragraphe 15(2). Toutefois, elle ne s'est pas prévalue de son pouvoir discrétionnaire. Le juge Gibson n'a pu constater l'existence d'aucune erreur susceptible de révision dans la décision que la GCC avait prise en vertu du paragraphe 15(1).

11      40 C.F.R. 158.19(a).

12      Le passage que le juge Gibson mentionne au paragraphe 38 de ses motifs se trouve à la page 21 du Guide, sous la rubrique " Projets liés à un ouvrage "; il se lit comme suit :          Enfin, aux termes de la LCÉE, l'AR doit inclure dans l'ÉE tous les éléments significatifs d'un ouvrage (i.e. toutes les opérations liées à un ouvrage) qui sont projetés ou qui, à son avis, sont susceptibles d'être entrepris. Ces opérations peuvent comporter, par exemple, la construction, l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture d'un ouvrage. Les opérations proposées ou celles qui sont susceptibles d'être entreprises doivent être visées par l'ÉE, même en l'absence de déclencheur. L'évaluation de toutes les opérations proposées ou de toutes celles qui sont susceptibles d'être réalisées en rapport avec un ouvrage devrait être menée aussi tôt que possible pendant les étapes de planification de l'ouvrage.

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