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Date : 20040607

Dossier : T-2093-98

Référence : 2004 CF 811

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2004

Présente :      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                 PIERRE FABRE MÉDICAMENT

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                        SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision du registraire des marques de commerce ( « le registraire » ) rejetant la demande d'enregistrement de la demanderesse.


HISTORIQUE

[2]                Le 9 décembre 1993, la demanderesse déposait la demande d'enregistrement 743 101 pour la marque de commerce IXEL en association avec des antidépresseurs sur la base d'usage projeté au Canada par l'entremise d'un licencié. Cette demande fut publiée dans le Journal des marques du 24 août 1994.

[3]                Le 22 novembre 1994, la défenderesse produisait une déclaration d'opposition.

[4]                Le 11 septembre 1998, le registraire rejetait le demande d'enregistrement de la demanderesse en raison du risque de confusion entre la marque IXEL de la demanderesse et la marque de commerce enregistrée PAXIL de la défenderesse. La demanderesse portait en appel cette décision.

[5]                Le 30 mars 2000, le juge Pinard de cette Cour accueillait l'appel de la demanderesse au motif qu'il n'y avait pas de risque raisonnable de confusion entre les deux marques.

[6]                La défenderesse portait cette décision en appel. Le 13 février 2000, la Cour d'appel fédérale accueillait l'appel. Elle concluait que le juge de première instance, et avant lui le registraire, avaient erré relativement au test applicable pour déterminer le risque de confusion:


14 Il s'ensuit que dès lors qu'il y a risque de confusion dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du pays, une marque de commerce ne peut être enregistrée. Le problème particulier auquel étaient confrontés les juges Joyal et Strayer était la possibilité qu'une marque de commerce qui ne crée aucune confusion chez un francophone ou chez un [page 642] anglophone, en crée une chez une personne bilingue par l'emploi de mots usuels, distincts en français et en anglais, mais renvoyant, chez une personne qui en connaîtrait le sens dans les deux langues, à une même réalité. Ainsi, dans l'arrêt Produits Freddy Inc., le mot "noixelle" pouvait ne rien dire à une personne anglophone, et le mot "nutella", ne rien dire à une personne francophone, mais il n'était pas impossible que l'emploi de l'un et l'autre de ces mots confonde une personne bilingue qui en connaîtrait le sens dans l'une et l'autre langue. C'est aux seules fins de parer à cette éventualité que le test a été étendu au consommateur bilingue moyen.

15 Bref, le juge de première instance et, avant lui, le registraire, ont eu tort de transformer le troisième volet du seul test applicable (y a-t-il risque de confusion auprès du consommateur francophone moyen, auprès du consommateur anglophone moyen, ou, dans certains cas particuliers, auprès du consommateur bilingue moyen?) en un volet autonome. Qui plus est, il ne s'agit même pas, en l'espèce, d'un cas particulier où la perception d'un consommateur bilingue moyen serait pertinente, au sens où l'entendait le juge Lacombe dans Produits Freddy Inc.

[7]                La Cour d'appel fédérale constatait que les parties s'entendent à l'effet qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les marques auprès du consommateur francophone moyen. Elle retournait alors le dossier à cette Cour pour qu'elle détermine s'il existe un risque de confusion entre les marques pour le consommateur anglophone.

ANALYSE


[8]                Selon la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Molson Breweries, a Partnership c. John Labatt Ltd., [2000] 3 F.C. 145 (C.A.), la norme de contrôle applicable à une décision du registraire des marques de commerce est celle de la décision raisonnable, à moins qu'il n'y ait de la nouvelle preuve déposée devant la Cour qui pourrait affecter de façon appréciable la décision du registraire; dans un tel cas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[9]                Afin de déterminer si l'usage d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque, cette Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque, l'emploi des deux marques dans la même région et de la même façon est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale (Miss Universe Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614 (C.A.)).

[10]            Le fardeau de preuve requis est celui en matière civile, soit la balance des probabilités, lequel est moins élevé que celui imposé par le registraire qui a appliqué la norme du « doute » au sujet de la confusion. À cet égard, la Cour d'appel fédérale affirmait dans Christian Dior S.A. c. Dion Neckwear Ltd., [2002] 3 C.F. 405 :


[10] À mon avis, le registraire a commis une erreur en appliquant la norme du "doute qui persiste dans l'esprit", imposant ainsi au requérant un fardeau plus lourd que celui qui est applicable en matière civile. Je suis par ailleurs bien conscient du fait qu'il existe une abondante jurisprudence suivant laquelle tout doute doit être résolu en faveur de l'opposant (voir les décisions Eno v. Dunn (1890), 15 App. Cas. 252 (H.L.), lord Watson, à la page 257; Freed & Freed Ltd. v. Registrar of Trade Marks et al., [1950] R.C.É. 431, le président Thorson, aux pages 24 et 25; Sunshine Biscuits, Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach, aux pages 55 et suiv.; Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach, à la page 188; et Effem Foods Ltd. c. Export/Import Clic Inc. (1993), 53 C.P.R. (3d) 200 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard, aux pages 77 et 78). Mais cette proposition, qui a été avancée pour la première fois par lord Watson dans l'arrêt Eno, a toujours été formulée de façon générale en corollaire au principe que la charge de la preuve incombe au requérant. Personne, [page414] à ma connaissance, n'a prétendu que la norme applicable en matière civile ne devait pas s'appliquer ou encore que le requérant doit établir hors de tout doute qu'il n'y a aucun risque de confusion. À cet égard, je tiens à souligner que lorsque le juge Linden cite les arrêts Eno et Sunshine Biscuits dans l'arrêt Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.), au paragraphe 12, c'est pour appuyer la proposition que la charge de la preuve incombe au requérant et non pour étayer la proposition accessoire voulant que tout doute doive être résolu en faveur de l'opposant.

[11]            De plus, le risque doit être tangible et non pas théorique (Paulin Chambers Co. Ltd. v. Rowntree Co. Ltd. (1966), 51 C.P.R. 153 (Ex. Ct.)).

[12]            Ainsi, le test peut se formuler de la façon suivante :

Est-il plus probable que moins que, comme première impression, dans l'esprit du consommateur moyen anglophone ayant un vague souvenir, il y ait un risque tangible de confusion entre les marques IXEL et PAXIL ?

Le consommateur moyen

[13]            La Cour suprême du Canada dans CIBA-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.,[1992] 3 R.C.S. 120, a clairement établi que lorsqu'il s'agit de médicaments prescrits, le consommateur moyen est constitué du médecin qui prescrit le médicament, du pharmacien ainsi que du patient.


[14]            De plus, il s'agit d'un patient avisé puisque les professionnels de la santé interviennent avant qu'il n'ait mis la main sur le médicament qu'il désire. Le patient a d'abord une consultation avec son médecin traitant à propos des traitements qui lui sont ouverts. Le médicament est acheté après que le médecin traitant ait rempli une ordonnance. Ce processus implique une décision de la part du patient qui en discutera d'abord avec son médecin avant de choisir un médicament plutôt qu'un autre.

[15]            Quant au pharmacien, il s'agit d'un professionnel de la santé qui a l'habitude des ordonnances, ce qui réduit le risque de confusion. Le pharmacien lira l'ordonnance du médecin avant de donner le médicament au patient. S'il y a un problème, il consultera le médecin avant de remplir l'ordonnance. Comme l'affirmait le juge Pinard dans Novapharm Limited. c. Nu-Pharm Inc. (1990), 31 C.P.R. (3d) 99 :

En effet, la vraisemblance d'une confusion, dans le domaine des médicaments délivrés sur ordonnance, n'est pas facile à prouver. De par la nature même de ce négoce, ceux qui sont appelés à prescrire et à vendre des produits pharmaceutiques sont des professionnels qui apportent beaucoup de soin à ces activités. En l'espèce, les parties fabriquent des médicaments délivrés sur ordonnance et approvisionnent des pharmacies à l'échelle du pays. Les pharmaciens sont des professionnels méticuleux qui sont habitués à faire les distinctions subtiles entre les noms des divers produits. Ils peuvent faire la distinction entre des produits chimiques différents qui portent des noms semblables, si bien que j'estime qu'ils sont aptes à faire la distinction entre deux noms commerciaux ou deux marques de commerce (voir les arrêts Smith, Kline & French Canada Ltd. V. Novopharm Ltd. (1983) 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C. Ont.) et Hoffman La Roche Ltd. v. Apotex Inc. (1982) 72 C.P.R. (2d) 183 (H.D. Ont.). Les dépositions des pharmaciens dont les affidavits ont été produits par la demanderesse et qui ont ensuite été contre-interrogée sur ceux-ci ne permettent certainement pas d'en déduire le contraire.

[16]            Le patient pour sa part bénéficiera des conseils prodigués par le pharmacien. Le risque de confusion sera alors moins probable que s'il s'agissait d'un achat impulsif.

[17]            Pour décider si les marques de commerce créent un risque tengible de confusion la Cour devra tenir compte de toutes les circonstances, y compris les éléments d'appréciation énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985) ch. T-13 (la Loi) qui se lit comme suit :


Éléments d'appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le reigstraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris:

                a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus ;

                b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage ;

                c) le genre de marchandises, services ou entreprises ;

                d) la nature du commerce ;

                e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

What to be considered

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

                (a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

                (b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

                (c) the nature of the ware, services or business;

                (d) the nature of the trade; and

                (e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


[18]            Il incombera à la demanderesse d'établir qu'il n'existe pas de risque raisonnable de confusion entre les marques de commerce en cause à la date de la décision du registraire, soit le 11 septembre 1998, la date pertinente à l'égard du motif d'oppostion fondé sur l'alinéa 12(1)d) de la Loi (Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., [1991] A.C.F. No 546 (Q.L.).


1.         Le caractère distinctif des marques

[19]            Le premier élément à considérer est le caractère bien établi de la marque. Une marque de commerce composée d'un mot unique ou inventé possède un caractère distinctif inhérent plus grand, méritant une protection étendue (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.)).

[20]            IXEL et PAXIL sont des mots uniques qui n'ont aucun lien avec le langage courant. Ces marques possèdent toutes deux un caractère distinctif inhérent. Ce critère ne favorise donc aucune des parties.

2.          La mesure dans lesquelles les marques sont devenues connues et la période d'emploi

[21]            Bien que la preuve démontre que depuis 1997 PAXIL est l'antidépresseur le plus vendu au Canada, cette preuve ne peut favoriser la défenderesse puisqu'elle n'a pas démontré que son usage puisse lui être attribué.

[22]            L'article 50 de la Loi stipule que l'emploi d'une marque de commerce par le détenteur d'une licence ne peut être considéré comme l'emploi de la marque par le propriétaire que si celui-ci exerce un certain contrôle, direct ou indirect, sur les caractéristiques et la qualité des produits avec lesquels la marque est utilisée.


[23]            Devant le registraire, aucune preuve admissible n'a été produite à l'effet que la marque PAXIL était employée au Canada par la défenderesse. Elle n'a pas prouvé qu'elle exerçait le contrôle effectif exigé par la Loi sur la qualité et la nature du produit.

[24]            La défenderesse n'a pas comblé cette lacune dans le présent appel. Les affirmations de M. Sahai à cet égard constituent du ouï-dire et ne peuvent être retenues par la Cour.

[25]            En effet, lors de son contre-interrogatoire, M. Sahai a admis n'avoir aucune connaissance personnelle de comment PAXIL est manufacturé, qui le manufacture ou de quelle façon la défenderesse exerce son contrôle sur les caractéristiques ou la qualité du produit avec lequel la marque est associé. Par conséquent, elle n'a pu faire la preuve qu'elle exerçait un contrôle sur le produit avec lequel la marque est associée.

[26]            Ainsi, le fait que PAXIL soit l'antidépresseur le plus vendu au Canada ne peut favoriser la défenderesse.

3.          Le genre de marchandises


[27]            IXEL et PAXIL se rapportent à des marchandises identiques. Le fait que les deux marques soient utilisées en association avec deux médicaments antidépresseurs augmente le risque de confusion (Conde Nast Publications Inc. c. Glozan Borthers Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250 (C.F. 1ère inst.)). Ce facteur favorise la défenderesse.

4.          La nature du commerce

[28]            Les deux médicaments, deux antidépresseurs, seront vendus de la même façon : sur ordonnance d'un médecin et achetés d'un pharmacien. Bien que la nature du commerce soit identique, il n'en demeure pas moins que dans le domaine des médicaments délivrés sur ordonnance, le risque de confusion est diminué puisque la nature du négoce fait en sorte que les produits seront délivrés par des professionnels méticuleux habitués à faire les distinctions entre les noms des divers produits (Novapharm Limited c. Nu-Pharm Inc., précité). Ce facteur favorise la demanderesse.

5.          Le degré de ressemblance des marques

[29]            Le degré de ressemblance doit s'analyser au niveau de l'apparence, du son et des idées. La production d'expertises en linguistique est admissible pour faire la preuve de ressemblance (Coca-Cola Ltd. c. Brasseries Kronenbourg, une société anonyme (1994), 55 C.P.R. (3d) 544).


[30]            Cependant, puisqu'il s'agit d'une question d'impression générale, la comparaison doit se faire globalement ; il ne s'agit pas de décortiquer les marques. C'est donc avec prudence que la Cour doit tenir compte des expertises de linguistes puisque leur rôle est précisément de décortiquer les mots syllabe par syllabe, lettre par lettre. Or, le consommateur moyen qui a un souvenir imparfait des marques ne fera pas cet exercice. La Cour doit donc analyser les expertises des linguistes dans ce contexte. À cet égard, la Cour d'appel fédérale affirmait dans l'affaire Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes Simmons Bedding Ltd., précitée :

Je suis d'accord avec l'appelante pour dire que les marques doivent être examinées dans leur ensemble. Sur ce point précis, voici ce que déclare H.G. Fox :

[TRADUCTION] Pour appliquer ces critères, le premier principe à invoquer est celui selon lequel les marques doivent être examinées dans leur ensemble et non en tant qu'éléments distincts. Il faut analyser l'idée qu'évoque chaque marque, c'est-à-dire l'impression nette qu'elle laisse globalement dans l'esprit. C'est la marque en son entier qu'il faut examiner pour en arriver ensuite à une décision sur la question de savoir si cette marque est susceptible de créer de la confusion avec une marque déjà enregistrée [...] Le véritable critère est celui de savoir si l'ensemble de la marque dont on projette l'enregistrement risque de causer une erreur, de tromper ou de créer de la confusion dans l'esprit des personnes habituées à la marque de commerce existante. C'est la combinaison des marques dans leur ensemble qu'il faut examiner, et c'est leur effet ou idée générale qu'il faut comparer. (Je souligne).

Les idées

[31]            Au niveau des idées suggérées, il n'y a aucun risque de confusion puisque les marques sont distinctives et ne suggèrent aucune idée. PAXIL, comme IXEL, ne se retrouve pas dans le dictionnaire et ne réfère à rien ni en anglais ni en français.


L'apparence

[32]            Les parties ont reconnu qu'il n'y avait pas de risque de confusion pour le consommateur moyen francophone.

[33]            Puisque les marques ont la même apparence visuelle en anglais et en français, je considère que cette question est réglée. Il ne reste donc qu'à décider s'il y a un risque de confusion au niveau phonétique.

Le son

[34]            Que disent les experts à cet égard?

Le professeur Reich

[35]            Le professeur Reich, témoin-expert de la défenderesse, a identifié quatre facteurs qui affectent le risque de confusion au niveau du son :

            a) le nombre de syllabes ;

            b) l'accent tonique ;

            c) le degré de ressemblance de la première syllabe ;

            d) le degré de ressemblance de la dernière syllabe.

[36]            Après avoir effectué l'analyse de ces quatre facteurs, le professeur Reich affirme que les marques PAXIL et IXEL ont des similarités importantes. Les deux marques sont composées de deux syllabes. Il note qu'en anglais, l'accent tonique est placé sur la première syllabe de chaque marque. Il est d'avis que la transcription phonétique de ces marques est : (pak'scl) et (wk'scl) : la prononciation de la dernière voyelle est représentée par un schwa dans chacune des marques. Il affirme que la majorité des anglophones canadiens vont prononcer la deuxième syllabe de manière identique.

[37]            Le professeur Reich conclut que PAXIL et IXEL sont des marques très semblables et que la confusion entre ces deux marques est inévitable chez le consommateur moyen anglophone.

[38]            Il note également qu'en plus de cette ressemblance, les deux marques seraient utilisées pour des produits de même nature, ce qui crée la possibilité qu'un consommateur ait un « slip of the tongue » et demande un produit différent. Cet élément augmenterait donc le risque de confusion.

La professeure Hosington


[39]            La professeure Hosington, témoin-experte de la demanderesse, note que l'accent tonique est placé sur la première syllabe dans les deux cas. Elle affirme que le « P » explosif au début de PAXIL est un son unique qui ne peut pas être confondu avec le « I » de IXEL.

[40]            La professeure Hosington affirme qu'il y a des régions au Canada où la deuxième syllabe ne sera pas prononcée de manière identique. Ainsi, dans la région de la vallée de l'Outaouais, dans les provinces maritimes et à Terre-Neuve, PAXIL pourrait se prononcer (pak'swl), donc le schwa n'y serait pas. Toutefois, selon elle, la prononciation de la deuxième syllabe est de moindre importance car cette syllabe serait souvent avalée par l'interlocuteur.

[41]            J'accorde peu de valeur probante à la preuve du professeur Barbaud puisque le registraire a décidé qu'il n'était pas expert en anglais. Je ne retiens pas non plus l'expertise du professeur Roberge puisque son mandat était d'analyser le risque de confusion du point de vue du consommateur moyen bilingue et non du point de vue du consommateur moyen anglophone.


[42]            Quant à l'expertise du professeur Reich, celle-ci manque à mon avis d'objectivité pour les raisons suivantes. Tout d'abord, le professeur Reich n'examine aucune des différences entre les marques. Il mentionne en passant que la première syllabe des deux marques est différente, mais il n'étudie aucunement l'impact que pourrait avoir cette différence sur le risque de confusion. De plus, il n'analyse pas le son de la première syllabe. Pourtant le « P » explosif est remarquable et d'autant plus important puisqu'il est reconnu en jurisprudence que l'emphase doit être mise sur la première syllabe (Sarah Coventry Inc. c. Abrahamian et al (1985), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1ère inst.) ; Syntax (Visa) Inc. c. E.R. Squibb Sons Inc. (1992), 39 C.P.R. (3d) 564 (Trademark Opposition Board)).

[43]            Enfin, il ne traite pas de l'impact causé par le fait que l'accent tonique est placé sur la première syllabe en anglais et que la dernière syllabe est souvent avalée par l'interlocuteur. Ceci me semble un facteur important à considérer puisque la première syllabe est si différente dans les deux marques.

[44]            Je rejette la proposition du professeur Reich quant au « slip of the tongue » . La première syllabe de chacune de ces marques est si différente que je ne considère pas qu'il y ait un risque de « slip of the tongue » . De plus, ce critère n'a jamais été retenu par les tribunaux pour analyser les risques de confusion.

[45]            La défenderesse prétend que l'expertise du professeure Hosington doit être écartée parce que sa spécialité relève plutôt de l'anglais médiéval que de l'anglais contemporain. Elle soumet également que la professeure Hosington a changé son affidavit suite au dépôt de celui du professeur Reich, ce qui affecte sa crédibilité.


[46]            Je ne suis pas de cet avis. Le juge Pinard a accepté la professeure Hosington comme témoin-experte et cette conclusion n'est pas contestée. De plus, je ne considère pas que le fait qu'elle ait modifié son affidavit affecte sa crédibilité. Au contraire, je trouve plus honnête qu'elle ait identifié son erreur et qu'elle ait voulu la corriger.

[47]            En conséquence, j'accorde une valeur probante plus grande à son expertise. Ainsi, j'accepte que la première syllabe de PAXIL, qui est l'attaque du mot, porte un élément de grande force avec la consonne explosive « P » . La première syllabe de PAXIL ne peut donc être confondue avec la première syllabe de IXEL au niveau phonétique. Quant à la deuxième syllabe, je retiens que tous les experts sont du même avis à l'effet que la seconde portion des deux mots est une syllabe non accentuée. Ceci donne une importance accrue à la première syllabe.

[48]            Finalement, comme je l'ai dit précédemment, les expertises des linguistes sont d'une valeur limitée car elles ne traitent pas de tous les facteurs dont cette Cour doit tenir compte dans son évaluation du risque de confusion. Ainsi, aucun des experts n'a considéré l'impact de la première impression ou du souvenir imprécis du consommateur sur le risque de confusion puisqu'il s'agit de considérations psychologiques et non pas linguistiques. À mon avis, l'utilité des expertises consiste simplement à indiquer où l'accent tonique doit être placé, et de quelle façon les mots doivent être prononcés.


[49]            Dans les circonstances, je suis d'avis que phonétiquement le risque de confusion pour le consommateur moyen est peu probable. En effet, même en acceptant que la dernière syllabe se prononce de façon identique dans les deux cas, la première syllabe des marques, celle sur laquelle le consommateur anglophone mettra l'accent est à ce point différente que le degré de ressemblance demeure faible au niveau phonétique.

[50]            Ayant considéré la preuve au dossier, le fait que la nature du commerce des médicaments délivrés sur ordonnance réduit le risque de confusion et le faible degré de ressemblance entre les marques, je conclus que comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire anglophone ayant un vague souvenir de l'autre marque, il est plus probable que non que l'emploi des deux marques dans la même région et de la même façon ne comporte pas un risque tangible de confusion.

[51]            La Cour rejette l'opposition de la défenderesse. Elle ordonne au registraire de procéder à l'enregistrement de la marque IXEL faisant l'objet de la demande numéro 743101. Le tout avec dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'opposition de la défenderesse soit rejetée. Le registraire devra procéder à l'enregistrement de la marque IXEL faisant l'objet de la demande numéro 743101. Le tout avec dépens.

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-2093-98

INTITULÉ :               PIERRE FABRE MÉDICAMENT

c.

SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 21 avril 2004           

MOTIFS DE :           Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                   Le 7 juin 2004

COMPARUTIONS :

Me Julie Desrosiers

Me Chantal Desjardins                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Robert MacDonald

Me Monique Couture                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Montréal, Québec                                             POUR LE DEMANDEUR

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP   

Ottawa, Ontario                                                 POUR LE DÉFENDEUR


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