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Date : 20010117

Dossier : T-1869-00

ENTRE :

ANTHEA ARCHER et DARREL ARCHER,

exploitant leur entreprise sous le nom de FAIRBURN FARM

demandeurs

et

M. GEORGE LUTERBACH,

L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES que la Cour (le juge Pelletier) a ordonné ce qui suit, le 17 janvier 2001, à la fin des motifs de l'ordonnance qu'elle a rendue :

L'ordre du 5 octobre 2000 qui a été donné conformément à l'article 48 de la Loi sur la santé des animaux, prévoyant le renvoi à l'étranger ou la remise pour destruction des buffles d'Inde qui sont actuellement en la possession des demandeurs, est par la présente annulé. Les dépens adjugés aux demandeurs seront taxés de façon à correspondre à un nombre d'unités moyen, dans la colonne quatre.

CERTIFIÉ À Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2001.

                         Geneviève Payer                        

Agente du greffe                         


Date : 20010117

Dossier : T-1869-00

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2001

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

ANTHEA ARCHER et DARREL ARCHER,

exploitant leur entreprise sous le nom de FAIRBURN FARM

demandeurs

et

M. GEORGE LUTERBACH,

L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]                 Avant de pouvoir importer du Danemark un troupeau de buffles d'Inde, Anthea et Darrel Archer ont dû payer des frais pour qu'une évaluation du risque soit effectuée par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence). L'évaluation n'a permis de déceler aucun risque inacceptable associé à l'importation du troupeau au Canada. Sur la foi de cette évaluation, les Archer ont hypothéqué leur ferme en vue de payer les animaux et les frais associés à leur importation au Canada. Il ne s'agissait pas d'une opération ne comportant aucun risque, puisqu'en arrivant au Canada, le troupeau devait être mis en quarantaine et rester en quarantaine pendant une longue période. Bien des choses pouvaient aller mal au cours de cette période. Les Archer n'avaient pas prévu que la décision initiale de laisser le troupeau entrer au Canada pourrait être réexaminée pour des motifs n'ayant rien à voir avec la santé de leur troupeau. Cependant, c'est exactement ce qui s'est produit.

[2]                 Peu de temps après l'arrivée des buffles d'Inde, un représentant de l'Agence a informé les Archer qu'une vache, au Danemark, était morte d'une encéphalopathie spongiforme des bovins (l'ESB), plus communément connue sous le nom de la maladie de la vache folle. L'Agence a donc procédé à une nouvelle évaluation du risque qui existait au Canada si on laissait les buffles d'Inde y rester.

[3]                 En fait, deux évaluations du risque ont été effectuées. Dans les deux cas, il a été conclu qu'il était peu probable que les buffles d'Inde soient atteints d'une ESB, mais que s'ils l'étaient, les conséquences seraient graves pour le Canada, et ce, parce que les pays qui sont touchés par l'ESB font face à des obstacles commerciaux rigoureux de la part de partenaires commerciaux nerveux, des obstacles qui, s'ils s'appliquaient au Canada, pourraient dévaster l'industrie des productions animales. Il a donc été ordonné aux Archer de renvoyer leur troupeau à l'étranger ou de le remettre pour qu'il soit détruit.


[4]                 Les Archer se sont donc trouvés dans une situation fort difficile. À ce jour, rien ne donne à entendre que les animaux aient été atteints de la maladie de la vache folle. S'ils doivent renvoyer ou détruire les animaux, les Archer feront face à la ruine, et ce, au profit de la population canadienne et plus précisément de l'industrie canadienne des productions animales. On pourrait penser que le coût que comporte la protection de la population serait supporté par celle-ci. Cependant, les documents qui ont été mis à ma disposition montrent que les Archer ont dépensé environ 165 000 $ à l'égard de cette opération et que, même s'ils recouvraient le plein montant qu'ils ont payé pour le bétail, soit environ 61 000 $, ils perdraient néanmoins 100 000 $. Ce montant est garanti par une hypothèque, ce qui veut dire que la ferme ne leur appartiendra probablement plus, pas plus que les buffles. On pourrait pardonner aux Archer de croire que le législateur a permis que le coût que comporte la protection de la population incombe à des gens naïfs et malchanceux. Le seul espoir, pour les Archer, consiste à obtenir une annulation de l'ordre de renvoi ou de destruction.

[5]                 Il convient ici d'énoncer les faits d'une façon plus précise.


[6]                 Les Archer sont des agriculteurs qui cherchaient une façon de rendre leur entreprise agricole plus rentable tout en satisfaisant à l'intérêt qu'ils manifestaient pour l'agriculture biologique. Ils ont appris que les buffles d'Inde constituent une excellente source de lait aux fins de la fabrication du fromage, ce qui est bien connu en Italie où le mozzarella fabriqué à l'aide du lait de ces animaux est un produit de choix. Les Archer se sont renseignés et ont trouvé, au Danemark, un troupeau de buffles d'Inde qui devait initialement être exporté en Australie, mais qui, pour des raisons liées au transport, pouvaient être exportés au Canada.

[7]                 Le troupeau était composé de neuf animaux qui étaient nés en Europe de l'Est et de dix animaux qui étaient nés au Danemark. On croyait que les animaux de l'Europe de l'Est provenaient de la Roumanie, mais à la suite de demandes de renseignements, on a appris qu'en fait, ils étaient nés en Bulgarie et qu'ils avaient été expédiés au Danemark lorsqu'ils avaient un an. (Cette confusion explique pourquoi deux évaluations ont par la suite été effectuées : la première étant fondée sur le fait que les buffles d'Inde de l'Europe de l'Est provenaient de la Roumanie et la seconde, après que l'on eut découvert la vérité). Un certain nombre de buffles du même troupeau avaient déjà été exportés en Australie, où ils sont encore, sans que l'État ait pris de mesures à leur encontre.

[8]                 Les Archer ont préparé un plan d'entreprise qui leur a permis d'obtenir un engagement de financement de la Société du crédit agricole. Ils ont également communiqué avec l'Agence afin d'obtenir un permis d'importation. Des frais de 1 000 $ doivent être payés en vue de la préparation d'une évaluation du risque, montant que les Archer ont payé. Une évaluation du risque a été préparée, mais on n'a pas tenu compte du risque de la contamination au moyen de l'ESB parce que, à ce moment-là, le Danemark était considéré comme libre de cette maladie et que l'on supposait que les autorités danoises avaient effectué leur propre évaluation à l'égard de cette maladie lorsque le bétail de l'Europe de l'Est avait été admis au Danemark. Dans le rapport, il était conclu que l'importation des buffles d'Inde au Canada comportait peu de risques.


[9]                 Les Archer ont retiré le produit de l'hypothèque et ont payé les buffles d'Inde et les frais nécessaires en vue de faire venir les animaux, qui sont arrivés au Canada au mois de janvier 2000.

[10]            Le 29 février 2000, un vétérinaire qui travaillait à l'Agence a informé les Archer qu'un cas d'ESB chez une vache locale venait d'être confirmé au Danemark et qu'il fallait donc procéder à une nouvelle évaluation du risque à l'égard des buffles d'Inde. Les Archer ont par la suite vainement tenté de se renseigner sur la situation, relativement à l'évaluation du risque.

[11]            Le vendredi 1er septembre 2000, les Archer ont reçu en mains propres un avis de renvoi dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

[...] vous êtes avisé que ces buffles d'Inde ont été importés en contravention de la Loi sur la santé des animaux, Lois du Canada 1990, ch. 21 et des règlements puisque les animaux sont contaminés par une encéphalopathie spongiforme des bovins (l'ESB) ou sont susceptibles de l'être.

Conformément à l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la santé des animaux, je vous prie donc de renvoyer lesdits buffles à l'étranger d'ici le 15 septembre 2000, à minuit.

[12]            L'avis était signé par Georges Luterbach, inspecteur, Loi sur la santé des animaux.

[13]            Les Archer ont fait appel à un avocat qui a écrit à l'Agence pour l'informer que l'article 18 de la Loi exigeait qu'il y ait des motifs raisonnables de croire que les animaux en question soient contaminés par la maladie. L'avocat a demandé et finalement obtenu des copies de l'évaluation du risque sur laquelle M. Luterbach s'était fondé.


[14]            Le 21 septembre 2000, les Archer ont présenté une demande de contrôle judiciaire de l'ordre du 1er septembre 2000. Ils invoquaient notamment l'absence de motifs raisonnables permettant de croire que les buffles d'Inde étaient atteints de la maladie.

[15]            Le 5 octobre 2000, les Archer ont reçu de nouveaux documents de l'Agence. Le premier était une révocation de l'ordre du 1er septembre 2000. Toutefois, la joie des Archer a été de courte durée puisque le deuxième document était un ordre fondé sur l'article 48 de la Loi, portant que les buffles d'Inde devaient être renvoyés à l'étranger ou remis pour être détruits. Les parties pertinentes de ce document se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

[...] conformément au paragraphe 48(1) de la Loi sur la santé des animaux, Lois du Canada 1990, ch. 21, je vous prie par les présentes de vous départir des buffles d'Inde d'ici le 6 novembre 2000 en les renvoyant à l'étranger ou en les livrant à l'Institut de recherches vétérinaires, route de canton 9-1, Lethbridge (Alberta), T1J 3Z4, pour destruction.

[16]            Le second avis était également signé par M. Luterbach. Selon la preuve, le 5 octobre 2000, soit le jour où l'avis a été délivré, M. Luterbach a reçu des conseils juridiques selon lesquels il devait se fonder sur l'article 48 de la Loi plutôt que sur l'article 18. Selon la preuve, avant de donner l'ordre du 5 octobre, M. Luterbach avait uniquement examiné le projet de rapport concernant l'évaluation du risque en date du 8 septembre 2000. Il avait examiné un projet antérieur, en date du 23 août 2000, avant de donner l'ordre du 1er septembre 2000. Les deux rapports d'évaluation étaient presque identiques, le premier ayant été préparé compte tenu de la conviction selon laquelle les buffles d'Inde de l'Europe de l'Est étaient originaires de la Roumanie. Lorsqu'il a été découvert que les animaux provenaient de la Bulgarie, le deuxième rapport a été préparé.


[17]            La même conclusion a été tirée dans les deux évaluations du risque. L'incertitude qui régnait au sujet de la situation des animaux provenant de l'Europe de l'Est créait un problème. Dans les deux rapports, la conclusion est la même :

[TRADUCTION]

Selon l'estimation globale du risque, étant donné l'existence d'une probabilité faible à moyenne de remise, d'une probabilité d'exposition faible et de conséquences fort graves, le risque est modéré. Dans cette évaluation, il n'est pas tenu compte des conséquences pour la santé humaine.

[18]            La mention de [TRADUCTION] « conséquences fort graves » se rapporte à la partie suivante de l'évaluation du risque :

[TRADUCTION]

Évaluation des conséquences

Les conséquences du dépistage d'un cas d'ESB chez un animal local, au Canada, sont probablement fort graves. De plus, les conséquences politiques résultant du fait que, en théorie, le Canada a importé des ruminants d'un pays qui fait face à l'ESB peuvent également être considérées comme graves.

[19]            Dans les deux évaluations du risque, il est reconnu que l'on n'a signalé nulle part au monde un cas d'ESB chez les buffles d'Inde. Il est conclu dans ces évaluations que le risque d'exposition à l'ESB pour le bétail qui est né au Danemark est faible, mais qu'il y a plus d'incertitude et, par conséquent, plus de risques à l'égard des animaux qui sont nés en Bulgarie. Toutefois, à l'heure actuelle, la moitié du troupeau originaire de la Bulgarie dont provenaient les buffles d'Inde des Archer sert à la fabrication du fromage au Danemark. Les buffles d'Inde de Bulgarie qui sont exportés en Australie ne sont pas considérés comme présentant un risque en ce qui concerne l'ESB dans ce pays, dont le taux d'absence d'ESB est plus élevé qu'au Canada.

[20]            Les Archer disent que l'ordre du ministre doit être annulé pour au moins l'une des raisons ci-après énoncées :


-            le ministre a donné, en vertu de l'article 48 de la Loi, un ordre que cette disposition ne prévoit pas. L'ordre ministériel existant enjoint aux Archer de renvoyer les buffles d'Inde ou de les remettre pour qu'ils soient détruits. L'article 48 de la Loi que le ministre invoque permet à celui-ci d'ordonner à quelqu'un de prendre des mesures de disposition du bétail. Le mot « dispose » figurant dans la version anglaise de la Loi comprend l'abattage, la destruction, l'enterrement, la remise. L'ordre de renvoi n'est pas visé par l'article 48 et il doit donc être annulé au complet;

-            le représentant du ministre, M. Luterbach, s'est fondé sur des considérations non pertinentes et n'a pas tenu compte de considérations pertinentes. Les considérations non pertinentes sont les suivantes : le fait que le Canada se préoccupe de la situation en ce qui concerne l'ESB à l'égard de l'Union européenne et de ses autres partenaires commerciaux. Les considérations pertinentes dont il n'a pas été tenu compte se rapportaient aux faits qui donnaient à entendre qu'il n'existe presque aucune possibilité que ces buffles d'Inde soient nocifs pour la santé;


-            le représentant du ministre, M. Luterbach, a fait preuve de partialité en donnant l'ordre ici en cause parce qu'il avait déjà donné, en vertu de l'article 18 de la Loi, un ordre qu'il a retiré après avoir reçu des conseils juridiques. Cet ordre a été remplacé par l'ordre dont il est ici question. Il est soutenu que M. Luterbach ne pouvait pas aborder la question de la délivrance de l'avis fondé sur l'article 48 avec un esprit ouvert, puisqu'il avait déjà tranché la question en donnant un ordre en vertu de l'article 18 de la Loi.

[21]            Dans le cadre de l'argumentation, une autre raison qui avait été mentionnée dans les observations des Archer a pris de l'importance lorsque la Cour a demandé aux parties de faire des commentaires au sujet de l'application de la décision que la Cour d'appel fédérale avait rendue dans l'affaire Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 854, (2000), 257 N.R. 139, aux faits de la présente espèce. Les Archer déclarent qu'en plus des raisons susmentionnées, le ministre n'a pas respecté l'équité procédurale en omettant de leur présenter les évaluations du risque avant de prendre sa décision de façon qu'ils puissent faire des commentaires à ce sujet, corriger les erreurs et fournir les renseignements manquants.

Les points litigieux

[22]            1-          Étant donné qu'il s'agit ici du contrôle judiciaire d'une décision discrétionnaire rendue par un office fédéral, quelle est la norme de contrôle à appliquer?

2-          L'avis donné en vertu de l'article 48 de la Loi justifie-t-il l'intervention de la Cour?

3-          Y a-t-il eu déni de justice naturelle envers les Archer du fait qu'on ne leur a pas permis de participer au processus décisionnel?


4-          Existait-il une crainte raisonnable de partialité à l'égard de l'avis fondé sur l'article 48?

Analyse

[1]         Le point de départ de l'examen d'une décision discrétionnaire rendue par un office fédéral consiste à déterminer la norme de contrôle à appliquer : Banque nationale de Grèce (Canada) c. Banque de Montréal, [2000] A.C.F. 2105. Toutefois, il y a des questions à l'égard desquelles la norme de contrôle n'entre pas en ligne de compte. Il n'existe aucune politique en matière de retenue, par exemple en ce qui concerne un déni de justice naturelle. Si un tribunal ne respecte pas son obligation d'équité, cette cour interviendra sans tenir compte de la question de la norme de contrôle.

[23]            Toutefois, les erreurs de droit peuvent donner lieu à une certaine retenue. Dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, (1994), 168 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a conclu qu'un tribunal siégeant en appel de la décision d'un tribunal spécialisé d'origine législative devrait faire preuve d'une certaine retenue à l'égard des erreurs de droit relevant du domaine d'expertise du tribunal, en particulier lorsque le tribunal prend part à l'élaboration de la politique dont la loi fait foi :

[par. 74]      Lorsqu'un tribunal participe à l'établissement de politiques, il faut faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de son interprétation de la loi. Telle était l'opinion de notre Cour à la majorité dans l'arrêt Bradco, à la page 337 :


[...] on peut faire une distinction entre les arbitres ad hoc nommés pour régler un différend particulier découlant d'une convention collective et les commissions des relations de travail chargées de surveiller l'interprétation permanente de textes législatifs et d'établir des politiques et précédents en matière de relations du travail dans un ressort donné. Il faut faire preuve, en ce qui concerne ces commissions et d'autres tribunaux spécialisés chargés de réglementer un domaine industriel ou technologique précis, d'une plus grande retenue à l'égard de leur interprétation de la loi, et ce, malgré l'absence de clause privative.

[24]            La question de la norme de contrôle qui s'applique à la décision du ministre dépend donc d'une analyse pragmatique et fonctionnelle dans laquelle l'expertise du ministre constitue un facteur important. Le rôle du ministre, dans l'établissement d'une politique, est également un facteur à prendre en considération. La gamme des facteurs dont il faut tenir compte a été énoncée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, (1988) 226 N.R. 201.


[25]            La décision ici en cause a été prise par une personne qui est un inspecteur agissant en vertu de la Loi sur la santé des animaux. L'inspecteur est un vétérinaire. La disposition en vertu de laquelle la mesure est prise exige que ce soit le ministre qui prenne la décision. M. Luterbach agit donc en sa qualité de représentant du ministre. La décision se rapporte à un ordre de renvoi ou de destruction d'animaux qui peuvent être atteints d'une maladie dangereuse. En donnant cet ordre, l'inspecteur s'est fondé sur des évaluations écrites du risque préparées par des tiers. Les considérations mentionnées dans l'évaluation du risque se rapportent à la probabilité de contamination et aux conséquences y afférentes. Dans cette mesure, la décision met en cause les intérêts de personnes autres que les parties immédiates puisque la Loi vise notamment à empêcher la propagation de la maladie chez les animaux. Pareil objectif vise à protéger l'intégrité des disponibilités alimentaires en protégeant l'intégrité de l'industrie des productions animales. Il faut tenir compte de l'intérêt public ainsi que des intérêts privés. La Loi ne renferme aucune clause privative à l'égard de l'ordre de l'inspecteur, et ce, même si elle renferme pareille clause à l'égard des indemnités accordées par suite de la destruction d'animaux. Toutefois, il existe une clause (article 50) qui protège ceux qui exercent des fonctions en vertu de la Loi contre toute responsabilité civile découlant de l'exécution de leurs obligations.

[26]            L'analyse pragmatique et fonctionnelle vise à permettre de déterminer si le tribunal doit répondre correctement à la question dont il est saisi ou s'il a une certaine latitude dans son interprétation de la loi ou des faits. Cela est principalement fonction de l'expertise et de la spécialisation du tribunal et de la nature de la question. C'est pourquoi l'on parle d' « un tribunal spécialisé agissant dans son domaine d'expertise » . La norme de contrôle doit s'interpréter comme se rapportant à la norme à appliquer à un tribunal particulier qui prend un genre particulier de décision.


[27]            En l'espèce, il est possible de considérer que le ministre, agissant par l'entremise de ses conseillers ministériels, a l'expertise technique nécessaire et la responsabilité d'évaluer les aspects non techniques de la décision. Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas tant d'expertise, mais peut-être de l'obligation de rendre compte. Quoi qu'il en soit, comme c'est le cas pour l'expertise technique, cela justifie une certaine retenue. La décision en soi est en bonne partie une décision factuelle, même si elle exige qu'un choix soit fait au point de vue juridique, à savoir sur quelle disposition se fonder. Il ne s'agit pas d'une question liminaire ou d'une question préliminaire en ce sens qu'il faut déterminer si la loi autorise le ministre à régler un problème. Pareilles questions sont souvent qualifiées de questions de compétence et ne donnent pas lieu à énormément de retenue. La décision ici en cause se rapporte aux recours qui existent en vertu d'une disposition particulière de la Loi. Il s'agit d'une décision qui pourrait entraîner une erreur de droit si la norme de contrôle était celle de la décision correcte. Toutefois, si la norme de contrôle est autre que celle de la décision correcte, il se peut que cela ne soit pas l'équivalent d'une erreur de droit puisque, si la Cour s'en remet à la décision du tribunal, l'interprétation donnée par celui-ci établira le droit qui s'applique à ces fins.

[28]            À quels genres de questions faut-il répondre correctement? Dans l'arrêt Pushpanathan, supra, le juge Bastarache a dit que les questions de compétence sont des questions auxquelles il faut répondre correctement :

Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des « questions de compétence » que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu'une question qui « touche la compétence » s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une « erreur de compétence » est simplement une erreur portant sur une question à l'égard de laquelle, selon le résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l'égard de laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.

[29]            Puisque je connais maintenant la nature des questions qui doivent être tranchées correctement, j'examinerai maintenant la loi elle-même :



18. (1) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un animal ou une chose importés au Canada soit l'ont été en contravention avec la présente loi ou les règlements, soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou sont susceptibles de l'être, soit encore sont des vecteurs, l'inspecteur ou l'agent d'exécution peut ordonner à leur propriétaire ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins de les renvoyer à l'étranger, même quand ils ont été saisis.

(4) En cas d'inexécution de l'ordre, l'animal ou la chose visés sont, malgré l'article 45, confisqués au profit de Sa Majesté du chef du Canada et il peut en être disposé -- notamment par destruction -- conformément aux instructions du ministre.

48. (1) Le ministre peut prendre toute mesure de disposition, notamment de destruction, -- ou ordonner à leur propriétaire, ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins, de le faire -- à l'égard des animaux ou choses qui_ :

a) soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou soupçonnés de l'être;

b) soit ont été en contact avec des animaux ou choses de la catégorie visée à l'alinéa a) ou se sont trouvés dans leur voisinage immédiat;

c) soit sont des substances toxiques, des vecteurs ou des agents causant des maladies, ou sont soupçonnés d'en être.

18. (1) Where an inspector or officer believes on reasonable grounds that an animal or thing has been imported into Canada and that it

(a) was imported in contravention of this Act or the regulations,

(b) is or could be affected or contaminated by a disease or toxic substance, or

(c) is a vector, the inspector or officer may, whether or not the animal or thing is seized, require the owner or the person having the possession, care or control of the animal or thing to remove it from Canada.

(4) Where the animal or thing is not removed from Canada as required under this section, it shall, notwithstanding section 45, be forfeited to Her Majesty in right of Canada and may be disposed of as the Minister may direct.

48. (1) The Minister may dispose of an animal or thing, or require its owner or any person having the possession, care or control of it to dispose of it, where the animal or thing

(a) is, or is suspected of being, affected or contaminated by a disease or toxic substance;

(b) has been in contact with or in close proximity to another animal or thing that was, or is suspected of having been, affected or contaminated by a disease or toxic substance at the time of contact or close proximity; or

(c) is, or is suspected of being, a vector, the causative agent of a disease or a toxic substance.


[30]            La question en litige est de savoir si le ministre peut ordonner le renvoi des animaux au moyen d'un ordre fondé sur l'article 18 de la Loi ou si le renvoi peut uniquement être ordonné en vertu de l'article 48 de la Loi.

[31]            Il importe de noter que l'article 18 de la Loi exige tout d'abord que l'inspecteur ait des motifs raisonnables en ce qui concerne un animal importé au Canada. Si cette condition est remplie, et s'il satisfait à une autre exigence, à savoir s'il a des motifs raisonnables de croire que l'animal est contaminé par une maladie ou par une substance toxique ou qu'il est susceptible de l'être, l'inspecteur peut ordonner à la personne qui en a la responsabilité ou la charge des soins de le renvoyer à l'étranger. Aucune autre mesure n'est prévue par cette disposition.


[32]            D'autre part, l'article 48 de la Loi prévoit que le ministre peut prendre toute mesure de disposition, ou ordonner à une personne de le faire, à l'égard des animaux qui sont soupçonnés d'être contaminés par une maladie ou par une substance toxique. L'article 2 de la version anglaise de la Loi définit le mot « dispose » comme comprenant l'abattage, la destruction, l'enterrement, la remise.

[33]            Les Archer soutiennent que lorsque des animaux sont importés, le ministre peut uniquement prendre à leur égard les mesures prévues à l'article 18 de la Loi à moins qu'une situation urgente n'exige qu'il ait recours à l'article 48. Plus précisément, les Archer affirment que l'ordre fondé sur l'article 48 est invalide parce qu'il comprend le renvoi, soit une mesure qui est expressément prévue à l'article 18. L'avocat du ministre soutient que la définition du mot « dispose » figurant dans la version anglaise de la Loi n'est pas exhaustive et que ce mot s'entendrait communément du renvoi à l'étranger.

[34]            Il ressort de tout cela qu'il ne s'agit pas d'une question à laquelle il faut répondre correctement. Cela n'influe pas sur l'étendue des activités du ministre. Dans la mesure où le ministre est autorisé à ordonner le renvoi ou une mesure de disposition, une réponse erronée n'a pas pour effet de conférer à celui-ci des pouvoirs qu'il n'aurait par ailleurs pas. Une réponse erronée ne change rien à l'objet de la loi et, partant, au contexte dans lequel le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire. Une réponse erronée signifie simplement que le ministre fait ce qu'il aura par ailleurs le droit de faire, mais qu'il a justifié la mesure qu'il a prise d'une façon erronée.


[35]            S'il n'est pas nécessaire de répondre correctement, la décision doit-elle simplement être raisonnable ou doit-il s'agir d'une décision manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne? À mon avis, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question puisque la position prise par le ministre satisfait à la norme plus stricte, celle du caractère raisonnable. Il n'est pas déraisonnable de donner aux demandeurs le choix de renvoyer leur troupeau au Danemark ou de le détruire, compte tenu des pouvoirs que possède le ministre. Cela étant, je ne modifierais pas l'ordre que M. Luterbach a donné le 5 octobre 2000 en me fondant sur le fait qu'une erreur de droit a été commise.

[36]            J'examinerai maintenant la deuxième question, à savoir celle de l'équité procédurale. Une fois que l'on a appris qu'une vache locale était morte au Danemark et que le Danemark faisait face à l'ESB, une procédure d'évaluation (ou de réévaluation) a été entamée. Les Archer ont demandé à plusieurs reprises s'ils pouvaient fournir des renseignements dont les défendeurs auraient peut-être besoin. Ils ont trouvé des renseignements que les défendeurs ne possédaient pas. Les défendeurs n'ont pas accusé réception des communications des demandeurs. Ils n'ont pas donné aux demandeurs la possibilité de répondre aux évaluations qui avaient été préparées, aux fins de la prise d'une décision.

[37]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999), 243 N.R. 22, la Cour suprême du Canada a donné des précisions au sujet des droits de participation que possèdent les particuliers lorsque certaines décisions les touchent. L'analyse que la Cour a effectuée au sujet des droits de participation de Mme Baker est reproduite ci-dessous :


¶ 31       Plusieurs des facteurs susmentionnés servent à déterminer quel type de droits de participation sont requis par l'obligation d'équité procédurale dans les circonstances. En premier lieu, une décision d'ordre humanitaire est très différente d'une décision judiciaire, car elle suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire étendu et l'examen de facteurs multiples. Deuxièmement, son rôle est aussi, dans le cadre du régime législatif, une exception aux principes généraux du droit canadien de l'immigration. Ces facteurs militent en faveur d'une application moins stricte de l'obligation d'équité. D'autre part, il n'existe pas de procédure d'appel, bien qu'il puisse y avoir un contrôle judiciaire sur autorisation de la Cour fédérale, Section de première instance. En outre, au vu du troisième facteur, il s'agit là d'une décision qui, en pratique, a une importance exceptionnelle sur la vie des personnes concernées - le demandeur et les membres de sa famille proche, ce qui accroît l'étendue de l'obligation d'équité. Enfin, appliquant le cinquième facteur ci-haut décrit, la loi donne au ministre une grande latitude pour décider de la procédure appropriée, et les agents d'immigration, dans la pratique, ne procèdent pas à des entrevues dans tous les cas. Les pratiques et les choix institutionnels que fait le ministre sont importants, bien que ce ne soient évidemment pas des facteurs déterminants dans l'analyse. On peut donc voir que, si certains facteurs indiquent des exigences plus strictes en matière d'obligation d'équité, d'autres indiquent des exigences moins strictes, plus éloignées du modèle judiciaire.


[38]            Afin de déterminer le contenu de l'obligation d'équité, il faut effectuer une autre analyse. La décision ici en cause comporte l'examen d'un certain nombre de facteurs, allant des intérêts privés des Archer à l'intérêt public, qui exige une industrie des productions animales sûre et rentable. À mon avis, la diversité des intérêts en cause donnerait à entendre qu'il existe un droit de consultation visant à assurer aux Archer la possibilité de traiter des facteurs militant à leur encontre. Le fait que la décision a été prise dans le contexte d'une obligation continue destinée à empêcher la propagation de la maladie donne à entendre qu'il existe un droit moindre de participation en ce sens que l'existence de la maladie n'est en général pas une question qui se prête à un débat. Le fait que les conséquences de la décision seront catastrophiques pour les Archer milite fortement en faveur de droits de participation plus étendus. Dans l'arrêt Baker, supra, il a été dit que l'importance de la décision pour la personne en cause indiquait fortement l'existence de droits de participation. Enfin, l'octroi de droits de participation n'obligerait pas l'Agence à modifier les procédures existantes si ce n'est de fournir aux personnes touchées une copie de l'évaluation du risque avant qu'une décision soit prise et de leur permettre de répondre à l'évaluation. Cela nuit fort peu, et ne nuit peut-être pas du tout, aux procédures existantes, du moins lorsqu'il n'y a pas d'urgence. Dans les cas où le temps entre en ligne de compte, le droit de participation pourrait être modifié de façon à répondre aux circonstances. Compte tenu de toutes les remarques qui précèdent, je conclus que les Archer avaient le droit, selon l'équité procédurale, d'avoir la possibilité de participer au processus décisionnel et que cette possibilité leur a été refusée. Ils avaient le droit de recevoir une copie des évaluations du risque sur lesquelles le représentant du ministre s'était fondé et d'avoir la possibilité d'y répondre avant que la décision soit prise.

[39]            La situation ici en cause est analogue à celle qui existait dans l'affaire Haghighi, supra, [2000] A.C.F. no 854. M. Haghighi avait demandé une dispense de l'obligation voulant qu'une demande visant à l'obtention du droit d'établissement soit présentée à l'étranger, en invoquant des raisons d'ordre humanitaire, comme le prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. L'agent qui avait pris la décision avait devant lui une évaluation du risque préparée par un agent chargé de la révision des revendications refusées qui avait minimisé le risque auquel le demandeur serait exposé s'il retournait dans son pays d'origine, l'Iran. À l'appui de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, M. Haghighi avait affirmé qu'étant donné qu'il s'était converti au christianisme, les Iraniens le traiteraient comme un apostat. À son avis, cela présentait pour lui un danger sérieux. Dans l'évaluation du risque, on s'était fortement fondé sur des documents dans lesquels le risque couru par le demandeur était minimisé et l'on n'avait pas tenu compte d'autres documents qui donnaient à entendre qu'il existait un risque élevé d'actes de violence. La demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a en bonne partie été rejetée compte tenu du rapport d'évaluation du risque, qui n'a jamais été communiqué au demandeur.


[40]            Le juge Gibson, qui a entendu l'affaire en première instance, s'est fondé sur l'arrêt Baker, supra, pour conclure que le demandeur avait le droit de participer à la décision en obtenant le rapport d'évaluation du risque et en ayant la possibilité de corriger les erreurs ou les omissions avant qu'une décision soit prise au sujet de sa demande. Cette conclusion était fondée sur le risque auquel M. Haghighi était exposé sur le plan de la sécurité personnelle. La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision et l'analyse sous-jacente. En particulier, elle a noté que, lorsque les conséquences pour la personne en cause sont graves et que le rapport d'évaluation du risque influe énormément sur la décision finale, l'obligation de communiquer le rapport et de permettre à l'intéressé de faire des commentaires est d'autant plus grande.

[41]            En l'espèce, comme dans l'affaire Haghighi, supra, nous faisons face à une décision fondée sur une évaluation du risque préparée par quelqu'un d'autre que le décideur. Dans l'affaire Haghighi, des avis contradictoires avaient été exprimés dans les documents sur lesquels l'agent chargé de la révision des revendications refusées s'était fondé. En l'espèce, les agents qui ont préparé l'évaluation avaient à leur disposition des renseignements qui étaient contraires à la position qu'ils avaient adoptée, en particulier l'attitude des autorités australiennes qui avaient fait savoir que, selon elles, les animaux provenant du même troupeau qui étaient en Australie ne présentaient pas de risques. Dans les deux cas, les renseignements contradictoires n'ont pas été communiqués à la personne touchée par la décision. Enfin, dans les deux cas, les conséquences pour la personne concernée étaient fort sérieuses. Les Archer ne risquent pas d'être victimes d'actes de violence, mais ils risquent la ruine financière. Je conclus que la décision Haghighi s'applique aux faits de la présente espèce et étaye l'avis selon lequel les Archer n'ont pas bénéficié de l'équité procédurale.


[42]            Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs se sont vu dénier l'équité procédurale de sorte que la décision ici en cause doit être infirmée. Les demandeurs ont sollicité une réparation additionnelle sous la forme d'une ordonnance interdisant au ministre de prendre d'autres mesures contre ces animaux en vertu de la Loi sur la santé des animaux. Je ne suis pas prêt à rendre pareille ordonnance parce que, en l'absence d'une inconduite de la part du ministre ou de ses représentants, cela équivaudrait à remplacer l'évaluation du risque effectuée par le ministre par ma propre évaluation. Or, je n'ai pas compétence pour le faire. On n'a pas expliqué pourquoi le ministre ne devrait pas être autorisé à s'acquitter de son obligation comme il l'entend. Le ministre peut considérer qu'il est tenu de donner un nouvel ordre de renvoi ou de destruction de ce troupeau de buffles d'Inde. Il lui incombe de déterminer s'il existe des motifs justifiant pareilles mesures. Il est autorisé à tenir compte, dans ses délibérations, de l'intérêt public, qui exige que le Canada soit libre d'ESB. Cependant, il faut sincèrement espérer qu'il se préoccupera également de la situation des demandeurs, dont la seule faute a été de se fonder sur une évaluation du risque pour laquelle il leur a fallu débourser 1 000 $.


[43]            Les demandeurs ont soutenu qu'ils devaient avoir droit aux dépens sur la base avocat-client compte tenu de l'inconduite que le ministre et ses représentants ont commise dans le traitement du dossier. Ils ont déclaré que les représentants du ministre avaient fait preuve d'inconduite en retirant l'avis fondé sur l'article 18 et en le remplaçant par un avis fondé sur l'article 48, apparemment en vue de tenter de renforcer leur position sur le plan juridique. Pareille mesure a été qualifiée de répréhensible. Un autre cas d'inconduite a été attribué à M. Luterbach qui, a-t-on dit, a fait preuve de partialité en délivrant l'avis fondé sur l'article 48. Il est soutenu que M. Luterbach ne pouvait pas délivrer le deuxième avis d'une façon impartiale puisqu'il avait délivré le premier avis. Toutefois, il a été reconnu qu'il s'agissait de partialité au sens technique du terme plutôt que d'une accusation de malveillance.

[44]            Je conclus que le retrait d'un avis et son remplacement par un autre avis ne constituent pas une conduite répréhensible. Si, après avoir consulté ses conseillers juridiques, le ministre était d'avis que la demande de contrôle judiciaire qui était alors en instance allait probablement être accueillie, il n'y avait rien de mal à retirer l'avis. De même, il n'y avait rien de mal à délivrer un autre avis. Aucune décision au fond n'avait été rendue. L'argument de l'avocat équivaut à dire que le ministre aurait dû imposer aux demandeurs l'obligation d'engager des frais en vue de mener à bonne fin la première demande de contrôle judiciaire avant de délivrer le deuxième avis. Le ministre pouvait à bon droit agir comme il l'a fait, et, ce faisant, il a peut-être épargné aux demandeurs des sommes d'argent considérables.

[45]            Puisqu'il a été reconnu que la partialité alléguée est une partialité au sens technique du terme plutôt qu'une allégation de malveillance envers les demandeurs, je ne considère pas cela comme une inconduite aux fins de la taxation des dépens. Je ne tire aucune conclusion au sujet de la question de savoir si, en l'espèce, il y a de fait eu partialité au sens technique du terme puisqu'il est inutile de trancher cette question.


[46]            Par conséquent, les demandeurs ont réussi à faire infirmer l'ordre ici en cause. Cependant, il n'existe aucune inconduite m'autorisant à intervenir, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire que possède le ministre à l'égard du traitement futur de l'affaire. Il n'y a pas non plus eu une inconduite qui justifierait la délivrance d'une ordonnance exceptionnelle au sujet des dépens. Étant donné que les demandeurs ont eu gain de cause et qu'ils ne sont aucunement responsables de ce qui leur est arrivé, j'ordonnerai que les dépens soient adjugés en leur faveur, ces dépens devant être taxés de façon à correspondre à un nombre d'unités moyen, dans la colonne quatre.

ORDONNANCE

L'ordre du 5 octobre 2000 qui a été donné conformément à l'article 48 de la Loi sur la santé des animaux, prévoyant le renvoi à l'étranger ou la remise pour destruction des buffles d'Inde qui sont actuellement en la possession des demandeurs, est par la présente annulé. Les dépens adjugés aux demandeurs seront taxés de façon à correspondre à un nombre d'unités moyen, dans la colonne quatre.

                         J.D. Denis Pelletier                       

Juge                                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                           T-1869-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          ANTHEA ARCHER et DARREL ARCHER, exploitant leur entreprise sous le nom de FAIRBURN FARM c. M. GEORGE LUTERBACH, L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                               VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 6 DÉCEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE PELLETIER EN DATE DU 17 JANVIER 2001

ONT COMPARU :

Simon Fothergill                                                    POUR LE DEMANDEUR

Frederick Woyiwada                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roberts & Baker                                                  POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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