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Date : 20011128

Dossier : T-1239-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1299

ENTRE :

                                                           AVIATION PORTNEUF LTÉE

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                  et

                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                                                                                                  Dossier : T-1245-00

ENTRE:

                                                   AVIATION ROGER FORGUES INC.

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                  et

                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                 Il s'agit d'une requête présentée par les demandeurs (requérants) [ci-après « requérants » ), en vertu des règles 369 et 51 des Règles de la Cour fédérale, pour en appeler d'une partie de l'ordonnance rendue le 16 mars 2001 par le Protonotaire Richard Morneau [ci-après « Protonotaire » ] pour le motif qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la radiation des paragraphes de la déclaration recherchant les défendeurs (intimés) [ci-après « intimés » ] en responsabilité contractuelle et extra-contractuelle.

FAITS

[2]                 Les requérants, Aviation Portneuf Ltée et Aviation Roger Forgues Inc., travaillent dans le domaine du transport de passagers par hydravions au Québec.

[3]                 Les requérants se servent du lac St-Augustin comme hydroaérodrome pour leurs entreprises d'hydravions.

[4]                 Ils ont entrepris vers les années 1984-1985 d'élargir l'exploitation de leurs entreprises d'hydravions en proposant, toujours à partir de leur base située au lac Saint-Augustin, des vols touristiques permettant ainsi à des touristes de faire un tour de ville de la ville de Québec par voie des airs à bord des hydravions des requérants.

[5]                 En tout temps pertinent jusqu'au 23 janvier 1997, il existait une relation entre les requérants et les intimés par laquelle ces derniers auraient encouragé, protégé et favorisé l'accroissement et le développement de cette entreprise de vols touristiques.

[6]                 Toutefois, suite à des pressions de certains maires locaux, le 23 janvier 1997, le ministre des Transports a annoncé son intention d'interdire dès le 1er janvier 1998, ce type de vols touristiques à partir du lac Saint-Augustin.

[7]                 Le 1er janvier 1998, par le biais du DORS/98-20, entrait en vigueur l'article 105.01 du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433 [ci-après « Règlement » ], adopté en vertu de la Loi sur l'aéronautique.

[8]                 Cet article a eu pour effet de faire disparaître totalement les vols touristiques par aéronefs en provenance ou à destination du lac Saint-Augustin.

[9]                 Conséquemment, cet article a fait disparaître toute l'entreprise de vols touristiques des requérants puisque celle-ci représente environ 95% de la totalité des activités et du chiffre d'affaires des requérants.

[10]            Le 14 juillet 2000, les requérants ont signifié et déposé au greffe de cette Cour une déclaration contre les intimés.

[11]            Dans la déclaration, le requérant Aviation Portneuf Ltée, réclame le montant de trois million cent cinquante mille (3 150 000$) dollars et le requérant Aviation Roger Forgues Inc. réclame le montant de trois million trois cent soixante-seize mille sept cent soixante-cinq (3 376 765$) dollars en dommages-intérêts.

[12]            Les requérants se basent sur quatre (4) causes d'action dans la déclaration: la responsabilité contractuelle; la responsabilité extra-contractuelle (délictuelle); l'expropriation déguisée sans indemnisation; et la violation de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés.

[13]            Le 10 août 2000, les intimés ont déposé un avis de requête pour la radiation de la déclaration des demandeurs pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action.

[14]            La requête fut entendue le 28 février 2001 par le Protonotaire.

[15]            Les requérants font appel de l'ordonnance du Protonotaire, rendue le 16 mars 2001.


LÉGISLATION PERTINENTE


SOUS-PARTIE 5 -- VOLS TOURISTIQUES

105.01 (1) Dans le présent article, « vol touristique » s'entend d'un vol effectué dans le cadre d'une excursion aérienne ou tout autre vol commercial effectué au moyen d'un aéronef aux fins d'observation touristique depuis les airs.

(2) Il est interdit d'effectuer des vols touristiques, ou toute partie de ceux-ci, dans la zone de contrôle de l'aéroport international Jean-Lesage de Québec, sauf si ces vols débutent à cet aéroport. DORS/98-20, art. 1.

SUBPART 5--AERIAL SIGHTSEEING FLIGHTS

105.01 (1) In this section, "aerial sightseeing flight" means a flight carried out as part of a sightseeing operation or any other commercial flight in an aircraft conducted for the purpose of sightseeing from the air.

(2) No person shall conduct an aerial sightseeing flight, or any portion of an aerial sightseeing flight, in the control zone of the Québec/Jean Lesage International Airport unless the flight commences at that airport. SOR/98-20, s. 1.


DÉCISION RECHERCHÉE

[16]            Les requérants demandent que la requête soit accueillie en infirmant l'ordonnance du Protonotaire par rapport aux deux (2) causes d'action: la responsabilité contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle.

QUESTION EN LITIGE

[17]            Le Protonotaire Richard Morneau, a-t-il erré lorsqu'il a accueilli en partie la requête en radiation des intimés et radié les paragraphes de la déclaration en ce qui a trait à la responsabilité contractuelle et extra-contractuelle des intimés?


ANALYSE

La norme de contrôle applicable

[18]            Dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a énoncé que les ordonnances discrétionnaires (comme celle en l'espèce) des protonotaires ne seront écartées que si elles sont manifestement erronées en droit :

[para 94] Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal [...].

[para 95] Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

LA RÈGLE 221 DES RÈGLES DE LA COUR FÉDÉRALE, 1998

[19]            La règle 221 a permis au Protonotaire de radier en tout ou en partie toute cause d'action qu'il trouve n'est pas fondée en droit:



221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas:

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.


[20]            Les requérants sont d'avis que le Protonotaire ne pouvait avoir la conviction qu'il est « plain and obvious that the pleading is unsustainable before it is struck out » selon le Protonotaire Morneau dans l'affaire A. Lassonde Inc. c. Sunpac Foods Ltd. (1998), 149 F.T.R. 237 (C.F. 1ère inst.) et que l'action est « so clearly futile as to have no possible chance of success » selon le Protonotaire Lafrenière dans l'affaire Merck & Co. c. Apotex Inc. (1999), 2 C.P.R. (4e) 484 (C.F. 1ère inst.). Or, les intimés soutiennent qu'en l'espèce le Protonotaire pouvait avoir ladite conviction sur simple requête en radiation.

[21]            Le Protonotaire a conclu que les deux (2) causes d'action en responsabilité contractuelle et extra-contractuelle seront radiées de la déclaration. Il dit à la page 8, au paragraphe 25 :


[25] Il est manifeste qu'une lecture complète de la déclaration d'action des demandeurs amène à la conclusion centrale que c'est l'édition [sic] de l'article 105.01 le 1er janvier 1998 qui constitue aux yeux des demandeurs la source de toutes les fautes, contractuelles ou autres, qu'ils soulèvent. Or, il est établi en jurisprudence que la mise en place d'un règlement constitue une décision de nature politique pour laquelle la Couronne ou l'un de ses ministres ne peuvent pas être recherchés en responsabilité. Voir à cet effet la décision de la Cour supérieure de l'Ontario dans l'affaire Ontario Black Bear/Ontario Sportsmen & Resource Users Assn. v. Ontario, (2000) 19 Admin. L.R. (3d) 29.

LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

[22]            Les requérants sont d'avis qu'il existe une relation contractuelle entre les parties en l'espèce. En réalité, il n'y a aucun contrat écrit ou verbal entre les parties et donc, aucune relation contractuelle n'a pu exister. Les requérants allèguent qu'ils se sont tenus aux promesses, aux garanties et aux engagements des intimés. Pour eux, l'adoption de l'article 105.01 du Règlement par les intimés constitue un bris de la relation contractuelle. Or, il est évident que les intimés ont simplement exercé une de leurs fonctions gouvernementales, celle de légiférer. Le fait de remplir une fonction d'office fédéral ne constitue aucunement un bris. Il me semble que les requérants se servent de la mauvaise terminologie dans l'argumentation à ce sujet. Ils allèguent l'existence d'une relation contractuelle, tandis que la preuve illustre qu'ils évoquent plutôt la doctrine administrative de « l'attente ou l'expectative légitime » ("Doctrine of Legitimate or Reasonable Expectations"). Cette preuve se trouve à la page 5, au paragraphe 14 de la déclaration d'Aviation Roger Forgues Inc.:


Jusqu'au 22 janvier 1997, les demandeurs ont toujours eu l'aval et l'encouragement de TRANSPORTS CANADA et des autorités fédérales défenderesses afin de continuer cette entreprise de vols touristiques, de l'accroître et de la développer.

[23]            Aussi à la page 8, au paragraphe 28 de cette même déclaration, il y a de la preuve supplémentaire qui se lit comme suit :

Les défendeurs et leurs représentants, incluant le ministre des Transports de l'époque, monsieur Douglas Young, ont en tous temps et en toutes circonstances sans cesse répété et garanti non seulement aux demandeurs, mais à tout intervenant, incluant les politiciens locaux, tant verbalement que dans divers écrits, que les demandeurs avaient des droits acquis et que leurs droits ne pouvaient leur être enlevés d'aucune manière, à moins que la sécurité soit en danger, ce qui a toujours été reconnu comme n'étant pas le cas, ou à moins que les compagnies exploitantes, dont la présente demanderesse, ne soient achetées de gré à gré par les municipalités ou qu'elles ne soient expropriées par celles-ci [...].

[24]            L'affaire Ontario Black Bear/Ontario Sportsmen & Resource Users Assn. c. Ontario, [2000] O.J. No. 263, a servi comme base pour la décision du Protonotaire, en l'espèce, à plusieurs reprises. Cette décision traite du principe de l'attente ou l'expectative légitime dans le cadre de la fonction législative. Dans cette affaire, le juge Cameron a énoncé :

[para 58] It is clear from Gustavson Drilling, Cosyns, A & L. Investments and Reclamation Systems, cited above, as enunciated in Gustavson Drilling at pp. 282-283:

No one has a vested right of continuance of the law as it stood in the past. In tax law it is imperative that legislation conform to changing social needs and governmental policy. A taxpayer may plan his financial affairs in reliance on the tax laws remaining the same; he takes the risk that the legislation may be changed.

The doctrine of legitimate expectations does not apply to a body exercising purely legislative functions including a purely ministerial decision based on broad grounds of public policy. A minister cannot fetter his or her own freedom, or that of Parliament or the Legislative Assembly, to change laws.


[para 59] A government and a legislature must be left free to change policy to reflect changing social needs; to permit otherwise in the name of legitimate expectations would paralyze parliament, the legislature and ministerial powers to respond to changing social circumstances: see Reference Re: Canada Assistance Plan, [1991] 2 S.C.R. 525 at pp. 557-560.

[25]            Dans l'affaire Apotex Inc. c. Canada (Attorney General), [2000] 4 C.F. 264 (C.A.F.), les juges Décary, Sexton et Evans ont énoncé :

[para 102] De fait, dans le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 557 à 560, il a expressément été dit que la théorie de l'expectative légitime ne s'appliquait pas à l'exercice de pouvoirs législatifs. De plus, dans l'arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1204, la Cour a rejeté une contestation de la validité de règlements municipaux qui était fondée sur l'allégation selon laquelle ces règlements avaient été édictés en violation d'une expectative légitime de consultation préalable.

[26]            De plus, dans l'affaire Edmonton Telephones Corp. c. Stephenson, [1994] A.J. No. 720 (B.R. Alta.), le juge Ritter a énoncé :

[para 85] "[...] Moreover, the Rules governing procedural fairness do not apply to a body exercising purely legislative functions. Meggary, J. said so in Bates v. Lord Hailsham of St. Marylebone, [1972) 1 W.L.R. 1373 and this was approved by Estey, J. for the Court in Inuit Tapirisat of Canada v. Canada (A.G.) supra, at 758 [S.C.R.]. In Martineau v. Matsqui Institution, [1980] 1 S.C.R. 602, 13 C.R. (3d) or 1, 15 C.R. (3d) 315, 50 C.C.C. (2d) 353..."

Further at p. 34 Sopinka, J. states:

Parliamentary government would be paralyzed if the doctrine of legitimate expectations could be applied to prevent the government from introducing legislation in Parliament. Such expectations might be created by statements during an election campaign. The business of government would be stalled while the application of the doctrine and its effect were argued out in the courts. Furthermore it is a fundamental of our system of government that a government is not bound by the undertakings of its predecessor. The doctrine of legitimate expectations would place a fetter on this essential feature of democracy.


[27]            En somme, le Protonotaire avait raison de radier les paragraphes touchant à la responsabilité contractuelle. Selon la règle 221(a) des Règles de la Cour fédérale, 1998 la responsabilité contractuelle ne révèle aucune cause d'action dans la présente espèce, car il n'existe aucune relation contractuelle entre les parties et en outre, la doctrine de l'attente ou l'expectation légitime ne s'applique pas à la fonction législative.

LA RESPONSABILITÉ EXTRA-CONTRACTUELLE

[28]            Les requérants poursuivent les intimés pour la faute et l'abus du Gouverneur général en Conseil et du Ministre des Transports dans le processus d'adoption et l'adoption de l'article 105.01 du Règlement qui a eu pour effet de faire disparaître totalement les vols touristiques en provenance ou à destination du lac St-Augustin. Selon les requérants, l'adoption de l'article 105.01 du Règlement et les conséquences qui en découlent constitue un acte délictuel qui a donné naissance à un manquement de l'obligation de diligence. Le Protonotaire a radié cet argument pour la seule raison que l'exercice abusif des pouvoirs réglementaires ne peut servir comme fondement à une poursuite délictuelle. Le Protonotaire fait allusion de nouveau à l'affaire Ontario Black Bear, supra où le juge Cameron a énoncé :

[para 38] The law is clear that no one has a vested right in the continuance of a law or a cause of action against the government or the Crown based upon the passing of a valid statute or regulation which deprives the plaintiff of a benefit he or she had before the change in the law and which does not constitute an expropriation by government [...].

[para 39] It is fundamental to a liberal democracy that the government must be free to change its policy and change legislation to meet changing societal needs [...].


[para 40] Policy or planning decisions by governments or municipal councils, being those based on financial, economic, social or political factors, and generally made by high ranking government officials, are immune from private claims in tort even if the decisions are ultimately held by a court to be invalid. Governments should not be restricted by the courts in making policy decisions. Operational decisions, being administrative decisions, adjudicative decrees or decisions implementing policy and generally made by lower ranking government officials, do not carry such immunity and may be the subject of tort liability [...]

[29]            À la page 9, au paragraphe 27 de l'ordonnance, le Protonotaire fait référence à plusieurs décisions qui appuient le concept de la non existence d'une cause d'action pour l'adoption d'un règlement qui entraîne un changement en droit: Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Minister of National Revenue, [1977] 1 R.C.S. 271; Cosyns c. Canada (Attorney General) (1992), 7 O.R. (3e) 641 (C. div. Ont.); A & L Investments Ltd. c. Ontario (1997), 36 O.R. (3e) 127 (C.A. Ont.) et Reclamation Systems Inc. c. The Honourable Bob Rae et al. (1996), 27 O.R. (3e) 419 (Div. gén. Ont.).

LOI SUR LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L'ÉTAT ET LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF[CI-APRÈS LA « LOI » ]

[30]            L'article 3 de la Loi rend l'État responsable des délits civils commis par ses préposés et se lit comme suit :


3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour :

a) les délits civils commis par ses préposés;

b) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.

3. The Crown is liable in tort for the damages for which, if it were a private person of full age and capacity, it would be liable

(a) in respect of a tort committed by a servant of the Crown; or

(b) in respect of a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.


[31]            Cependant, ni le Gouverneur en Conseil ni le Ministre des Transports ne sont des « préposés » de l'État au sens de la Loi et ce, en vertu de l'affaire Kealey c. Canada (Procureur général), [1991] A.C.F. no 403, où le juge Teitelbaum cerne la notion de « préposés » au sens de la Loi :

[para 18] Selon l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), chap. C-50, modifiée, la Couronne répond des délits civils commis par ses préposés, mais dans le cas seulement où leur responsabilité pourrait être constatée indépendamment des dispositions de cette Loi.

[para 37] Le demandeur soutient que la définition de "préposé" figurant dans la Loi sur la responsabilité de l'État embrasse tous les défendeurs. Je ne saurais accueillir cet argument.

[32]            La Loi ne s'applique pas en l'espèce, car non seulement les intimés ne rencontrent pas la définition du mot « préposés » , mais il est maitenant établit que le simple fait d'adopter un règlement n'engendra pas une responsabilité délictuelle.

LA NON RESPONSABILITÉ DU LÉGISLATEUR

[33]            Selon J.-L. Beaudoin et P. Deslauriers, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville (Québec), Les Éditions Yvon Blais, 1998, le législateur bénéficie d'une immunité absolue de poursuite délictuelle au Canada. Le lecteur lit à la page 78:

2. Acte législatif

Le principe de l'irresponsabilité du législateur est fermement établi au Canada. Il n'est logiquement pas possible de poursuivre la Couronne pour obtenir une compensation monétaire suite au vote d'une loi.

[34]            À ce sujet, dans l'affaire Pack M. J. Inc. c. Canada, [1997] A.C.J. no 801 (C.F. 1ère inst.), confimé par la Cour d'appel fédérale dans [1998] A.C.F. no 1922, le juge Hugessen a énoncé :

[para 5] À mon avis, et même si les demandeurs ont éventuellement gain de cause sur la question de l'inconstitutionnalité des lois attaquées, il est impossible que cela engage la responsabilité civile de la Couronne. Le fait pour un parlement souverain de légiférer, même au delà de sa compétence, ne constitue pas un délit. Dans une société libre et démocratique l'adoption de bonne foi d'une loi pour promouvoir ce qui est perçu comme étant l'intérêt générale [sic] n'engage pas la responsabilité de la Couronne (pas plus, d'ailleurs, que celle des autres composantes de la législature, les sénateurs et les députés). Notre système de gouvernement exige que dans l'intérêt de la collectivité le législateur ne soit pas responsable en dommages et intérêts des conséquences de sa législation.

[35]            En somme, le Protonotaire avait raison quand il a radié les paragraphes traitant de la responsabilité extra-contractuelle de la déclaration. Selon la règle 221(a) des Règles de la Cour fédérale, 1998 la responsabilité extra-contractuelle ne révèle aucune cause d'action dans la présente espèce, car les intimés ne peuvent pas être tenu responsables sur une base délictuelle pour les conséquences qui découlent de l'adoption de l'article 105.01 du Règlement.

[36]            L'ordonnance du Protonotaire est valide, car elle n'est pas manifestement erronée suivant les principes établis par la Cour dans Aqua-Gem Investments, supra. Le Protonotaire avait raison de radier les causes d'action en responsabilité_contractuelle et extra-contractuelle.


                                                               O R D O N N A N C E

[37]            LA COUR ORDONNE QUE la présente requête soit rejetée.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 28 novembre 2001

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