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Date : 20020306

Dossier : IMM-2111-01

Référence neutre : 2002 CFPI 251

Toronto (Ontario), le mercredi 6 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                          OJERE OSAKPAMWAN ARIRI

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


  • [1]    M. Ojere Osakpamwan Ariri, un citoyen du Nigéria, affirme craindre avec raison d'être persécuté au Nigéria du fait des opinions politiques qui lui sont attribuées. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 27 mars 2001 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'il était exclu de l'application de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) en raison de la section F, alinéa a), de l'article premier de la Convention.
  • [2]    Suivant la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), « [s]ont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci » .
  
  • [3]    L'extrait pertinent de la section F de l'article premier de la Convention est rédigé en ces termes :

  • F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes.


                                                         

LES FAITS

  • [4]                 M. Ariri a affirmé ce qui suit dans son témoignage. En 1984, il s'est joint de son plein gré à la marine nigériane, s'engageant pour une période de 16 ans. En juillet 1985, il a

dénoncé son commandant parce qu'il avait fait monter des adolescentes à bord de leur navire à des fins sexuelles, contrevenant ainsi aux règlements. En conséquence, M. Ariri a été arrêté, il a été détenu dans des conditions inhumaines pendant trois mois et il a reçu l'ordre de ne plus jamais porter d'accusations contre les officiers supérieurs, sous peine d'être traduit devant la cour martiale. On a retardé d'une année sa promotion à matelot de deuxième classe.

  • [5]                 Plus tard, en 1989, la police navale a affecté M. Ariri à l'aéroport de Lagos au grade de chargé de la réglementation, l'équivalent d'un sergent d'état-major. C'est à cet endroit que le 31 décembre 1990, M. Ariri a arrêté l'épouse d'un commandant de la marine pour possession de drogues illicites. Une fois de plus, il a été détenu dans de très mauvaises conditions. Il a été relâché six semaines plus tard.
  • [6]                 Après avoir été relâché, M. Ariri a travaillé à partir de 1991 au grade de chargé de la réglementation de la police navale, son rôle consistant à faire observer la discipline aux militaires. Il menait des enquêtes et préparait des accusations.
  
  • [7]                 Au travail il entendait des rumeurs selon lesquelles des officiers de marine tuaient des civils. Lorsqu'il arrivait au travail et que quelqu'un était maltraité, M. Ariri mettait un frein à cette violence. Si une personne avait été torturée par un officier, M. Ariri faisait en sorte qu'elle reçoive les soins d'un médecin et il transférait ensuite la victime et l'officier à la police civile.

  • [8]                 En juillet 1994, on a demandé à M. Ariri d'aider à réprimer une manifestation organisée à Lagos pour protester contre l'annulation des élections qui avaient mené le chef Moshood Abiola à la présidence. Lors de la manifestation, il a vu qu'on tirait sur des civils sans défense. Même si on disposait de canons à eau, de gaz lacrymogènes et de balles de caoutchouc, on utilisait de véritables munitions pour réprimer la manifestation. M. Ariri a affirmé qu'il ne pouvait pas tirer sur des civils innocents. Après la manifestation, quand au retour les munitions des militaires ont été comptées, on a découvert que M. Ariri n'avait tiré aucun coup de feu sur les manifestants. Il a par la suite été détenu et torturé pendant quatre ans, jusqu'à ce qu'il réussisse à s'échapper en juin 1998, profitant de la confusion ayant suivi le décès du général Abacha. M. Ariri est parti pour le Canada. Il est arrivé au pays en février 1999.

LA QUESTION LITIGIEUSE

  • [9]                 M. Ariri affirme que la SSR a apprécié l'ensemble de la preuve de façon manifestement déraisonnable, abusive et arbitraire, et que son appréciation est incorrecte et inéquitable.

L'ANALYSE

  • [10]            Dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, la Cour d'appel fédérale a énoncé les principes qui régissent l'exclusion en vertu de la section F, alinéa a), de l'article premier de la Convention. Les principes pertinents quant à la présente demande sont les suivants :

i)          Il incombe au défendeur d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un crime visé par l'exclusion a été commis.


ii)         La norme de preuve est moindre que la prépondérance des probabilités.

iii)         La simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure une personne.

iv)        Ce qui est requis, c'est une participation personnelle et consciente aux actes de persécution.

v)         La complicité dépend de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

  • [11]            Dans Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Reed, au paragraphe 6, a formulé en ces termes l'exigence applicable à la complicité :
  • Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie de ce groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.
  • [12]            En l'espèce, la SSR a conclu :

i)          M. Ariri était membre de la marine nigériane, qui faisait partie des forces armées nigérianes, et la perpétration d'infractions internationales faisait continûment et régulièrement partie des opérations des forces armées nigérianes.

ii)         M. Ariri était au courant des crimes commis par les officiers de la marine et des forces armées.

iii)         M. Ariri appartenait de son plein gré aux forces armées, dont l'objectif était de maintenir le gouvernement militaire au pouvoir et qui commettait de nombreuses violations des droits de la personne pour parvenir à ses fins.

iv)        M. Ariri ne s'est pas dissocié de la marine à la première occasion qu'il avait de le faire sans mettre en péril sa propre sécurité.

  • [13]            Si ces conclusions de fait ont été correctement tirées, la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que M. Ariri devait être exclu.
  • [14]            En ce qui a trait aux conclusions qu'il était membre des forces armées et que la perpétration d'infractions internationales faisait continûment et régulièrement partie des opérations militaires, la preuve dont était saisie la SSR et sur laquelle elle s'est fondée était la suivante.
  

  • [15]            M. Ariri s'est joint de son plein gré à la marine en 1984, et il en est volontairement resté membre jusqu'à sa dernière détention en 1994, malgré qu'il ait auparavant été détenu à deux reprises pour avoir tenté de faire respecter les règlements. Pendant qu'il était dans la marine, M. Ariri a cherché à être promu et a obtenu le grade de chargé de la réglementation.
  • [16]            En 1983, des officiers supérieurs de l'armée se sont emparés du pouvoir et, le 3 janvier 1984, le conseil militaire supérieur a lancé sa guerre contre l'indiscipline.
  
  • [17]            L'expérience qu'a vécue M. Ariri en étant injustement détenu, maltraité et menacé pour avoir dénoncé les activités sexuelles de son commandant et le comportement criminel de l'épouse d'un autre officier est la preuve que les forces armées nigérianes commettaient des agressions, et ce, même envers leur propre personnel.
  • [18]            Entre le 5 et le 9 juillet 1993, la police et les militaires ont tué des centaines de gens, tirant parfois au hasard dans la foule. Le gouvernement n'a fait aucun effort pour enquêter sur la conduite des forces de sécurité pendant ou après les émeutes de juillet.
  

  • [19]            La police et les services de sécurité effectuaient communément des exécutions extrajudiciaires et usaient d'une force excessive pour réprimer les manifestations anti militaires et les mouvements en faveur de la démocratie. Le gouvernement tenait rarement la police et les services de sécurité responsables de l'utilisation d'une force excessive et meurtrière ou de la mort de personnes pendant qu'elles étaient en détention. Le gouvernement favorisait un climat d'impunité dans lequel se multipliaient les abus.
  • [20]            M. Ariri a témoigné sur le traitement dont les civils étaient l'objet à la base navale d'Apapa pendant les années où il y a occupé le poste de chargé de la réglementation.
  
  • [21]            Cette preuve appuie les conclusions de la SSR que M. Ariri était membre des forces armées et que la perpétration par elle d'infractions internationales faisait continûment et régulièrement partie de ses opérations. On ne peut pas dire que ces conclusions sont manifestement déraisonnables ou clairement erronées.
  • [22]            Quant à la conclusion selon laquelle M. Ariri savait que le personnel de la marine et des forces armées commettait des crimes, M. Ariri a témoigné :

[TRADUCTION]

Rep. du ministre :            Avez-vous vu des officiers de la marine tuer des civils à cette - à la base?

                                                                                                                                                                                    

Revendicateur :              On ne peut pas - vous voyez, si vous voyez quelqu'un comme, après vous - Je n'ai jamais vu de civils tués, mais j'ai entendu des rumeurs. Et quand j'arrive au travail, si je suis de service - je vous l'ai dit - et si quelqu'un est maltraité, je mets immédiatement fin à la violence.

Rep. du ministre : Pourquoi avez-vous donc dit « Oui, je les vois quand je suis de service » ?

Revendicateur :              Non, non, non. Je - que voulez-vous dire par - c'est comme - quand elle m'a posé une question, j'ai dit que si des personnes étaient torturées quand j'arrivais au travail - c'est ce que je voulais vraiment dire. Je ne dis pas qu'elles - comme quelqu'un est en train d'être torturé. J'arrive, je suis témoin de ça et je - et je le vois, je vois le civil, il est habillé en civil, et je demande « Quel est le problème? Quel est son nom? »

Rep. du ministre :           Hum, hum!


Revendicateur :       « Qui est-ce? » Vous savez, vous devez déterminer le groupe sanguin, faire certaines choses, suivre la procédure en premier lieu -

Rep. du ministre : D'accord.

Revendicateur :       Une fois que vous avez le groupe sanguin, vous devez prendre leur nom, leur profession et leur adresse. Et ensuite, avant d'intervenir, « Quel est le problème? »

Rep. du ministre :    Mais vous saviez que des officiers de la marine torturaient des civils à la base.

Revendicateur :       Quand je -

Rep. du ministre : Vous le saviez.

Revendicateur :        Non, non, non. Je vois ce qu'ils font, j'entre et j'y mets fin. Ensuite, je -

Rep. du ministre :    Oui. Donc, vous le saviez.

Revendicateur :        Ensuite, je transmets le dossier à la police - à la police civile.

Rep. du ministre : Oui, mais vous saviez que des officiers de la marine torturaient et tuaient des civils à la base.

Revendicateur :       Si vous dites « tuaient » , vous faites erreur. Vous dites « tuaient » , Madame. Et je n'ai pas dit ça - J'ai dit que s'ils - c'est comme, j'entends des rumeurs de ce qu'ils font.

Commissaire :         Vous entendez quoi?

Rep. du ministre : Des rumeurs.

Revendicateur :       C'est comme, quand j'arrive au travail, quelqu'un de l'équipe de nuit va me dire «    Oh! regardez ce qui s'est passé quand nous étions de service » , vous savez?

Commissaire :         Alors, le chef de l'équipe de nuit vous dirait ce qui s'est passé quand ils étaient de service -

Revendicateur :       En quelque sorte - oui, quand ils étaient de service.

Commissaire :         Et qu'était-il arrivé selon eux? Ne répondez qu'à cette question. Qu'était-il arrivé selon eux?

Revendicateur :       Ils - ils peuvent dire - une personne qu'ils ont torturée ici aujourd'hui et ils - qu'il est sur le point de mourir et qu'il sera envoyé à l'hôpital.

[...]

Rep. du ministre : O.K. Quand vous avez entendu parler pour la première fois de violences ou d'actes de torture commis à la base - ou peu importe ce dont il s'agissait - quelle a été votre réaction? Qu'avez-vous fait ?

Revendicateur :        Quand je suis arrivé, j'ai vu qu'il y avait un conflit entre un - un civil -

Rep. du ministre :    D'accord.

Revendicateur :       - et un officier de la marine. Et ils m'ont demandé de consigner ça par écrit et de livrer le civil - de l'enfermer. Je leur ai dit : « Non, je ne peux pas l'enfermer » . Premièrement, vous savez, ce que vous faites tout d'abord c'est de prendre les - de prendre les nom, adresse et profession de tout le monde, des deux parties. J'ai pris les nom, adresse et profession de tout le monde, de l'officier et de la personne - le civil (inaudible) ... je dois noter ça. Et je dois le dire - le signaler à - vous devez vous adresser à la police, la police civile. Vous devez faire venir la police civile et ils viennent et les emmènent - l'affaire sera traitée par la police civile, et non pas - c'est ce qui est écrit dans (inaudible) ...

Rep. du ministre : O.K. Que faisait-on au civil?

Revendicateur :       À partir de là, je ne sais plus. Parce que quand je remets le dossier entre les mains de la police, ce n'est plus mon -

Rep. du ministre : Non. Avant que vous ne remettiez l'affaire entre les mains de la police, quand vous êtes arrivé là-bas et qu'ils vous ont demandé de l'enfermer, que faisait-on au civil? Le torturait-on? Le battait-on?

Revendicateur :        C'est comme, quand je suis arrivé là-bas, on l'avait déjà torturé (inaudible) ...

Rep. du ministre :    On l'avait déjà torturé.

Revendicateur :        Oui. Je dois ensuite l'adresser à - nous le renvoyons à la police.

[...]

Rep. du ministre :    Alors, avant la manifestation de juillet 94, la marine aidait à réprimer les manifestations -

Revendicateur :       Oui, nous -

Rep. du ministre : - et tirait sur des civils et sur des gens.

Revendicateur :       Elle -

Rep. du ministre :    Et sur des étudiants.

Revendicateur :        Nous faisions beaucoup pour les arrêter, pour arrêter les émeutes.


Rep. du ministre :    Ils tuaient des civils et des étudiants, n'est-ce pas?

Revendicateur :        C'est ce que je dis, oui. L'armée, la marine et l'aviation.

Rep. du ministre :    Et vous le saviez? Vous saviez qu'on faisait appel à la marine.

Revendicateur :        Je le savais - je le savais - oui, c'était une fois.

Rep. du ministre :    Je ne vous parle pas de cette fois-là.

Revendicateur :        Oui.

Rep. du ministre :    En juillet 94. Je parle d'avant ça -

Revendicateur :        Oui.

Rep. du ministre : - vous saviez que la marine était appelée à réprimer les manifestations -

Revendicateur :       Oui.

Rep. du ministre :    - et à tirer sur des étudiants et des civils.

Revendicateur :        Oui.

Rep. du ministre :    Vous le saviez

Revendicateur :        Oui.

Rep. du ministre :    O.K.

Revendicateur :        Je l'ai vu à la télé, oui.

  • [23]                         Le témoignage de M. Ariri ainsi que son expérience personnelle établissent qu'il avait la connaissance requise en ce qui a trait à la nature et à l'étendue des infractions commises par le personnel des forces armées et le personnel de la marine.
  • [24]                         Quant au rôle que jouait M. Ariri dans les forces armées, la preuve indique ce qui suit.
  
  • [25]                         M. Ariri s'est joint de son plein gré aux forces armées et il y est resté de son plein gré pendant dix ans, obtenant un grade qui est l'équivalent de sergent d'état-major.

  • [26]            À partir de 1991, M. Ariri était chargé de faire observer la discipline aux militaires. Il a témoigné que quiconque commettait une infraction était amené devant lui. Il portait alors des accusations contre cette personne, la renvoyant au commandant et une enquête était menée. Il proposait également des sanctions.
  • [27]            Rien ne prouvait que M. Ariri avait pris des mesures en vue d'empêcher les actes de violence effectivement perpétrés lorsqu'il n'était pas de service.
  
  • [28]            M. Ariri a témoigné que lorsqu'il était témoin d'actes de torture, il y mettait un frein parce que les règlements exigeaient que les civils soient transférés à la police civile.
  • [29]        Vu les éléments de preuve documentaire relatifs aux actes de violence commis par la police civile qui lui avaient été soumis, la SSR a conclu que, compte tenu de la réputation de la police civile, de la formation de M. Ariri, de ses années d'études au Nigerian Naval Police and Intelligence College, de son service à titre d'agent de sécurité à l'aéroport de Lagos et du fait qu'il résidait à Lagos au moment des manifestations de 1992 et 1993, il était raisonnable de conclure que M. Ariri était au courant des violations des droits de la personne commises par la police civile. En conséquence, M. Ariri ne se préoccupait des victimes de torture que pour respecter les règlements de la marine et non pour empêcher les actes de violence.
  

  • [30]            Au vu de la preuve dont elle était saisie, la SSR pouvait raisonnablement conclure que M. Ariri jouait un rôle actif dans les forces armées et qu'il en était membre de son plein gré.
  • [31]            Pour ce qui est de la conclusion selon laquelle M. Ariri ne s'était pas dissocié de la marine à la première occasion qu'il avait eu de le faire sans mettre en péril sa propre sécurité, M. Ariri a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

[TRADUCTION]

ACR :                                                  Pourquoi n'avez-vous pas quitté l'armée?

REVENDICATEUR :     Parce qu'à l'époque j'étais pris à l'aéroport, je ne pouvais partir parce que je n'avais pas d'autre endroit où aller. Et aussi, j'aimais tellement l'armée. La marine était pour moi une aventure parce que j'aimais beaucoup naviguer.

ACR :                                                  Désolé, je n'ai pas -

        REVENDICATEUR :             Naviguer était pour moi une aventure parce que j'aimais beaucoup naviguer.

ACR :                                                  J'aimais ...

INTERPRÈTE :                                 Naviguer, naviguer.

COMMISSAIRE :                           Naviguer.

ACR :                                                  Naviguer.

INTERPRÈTE :                                 Oui.

ACR :                                                  O.K. Désolé.

COMMISSAIRE :                           Ce n'est pas grave. Mais, tout le temps que vous étiez dans l'armée, dans la marine, et que vous voyiez ces choses, comment avez-vous pu vous y faire?                                                                                                

REVENDICATEUR :     Je n'avais pas le choix. Je n'avais pas d'autre place où aller - parce que je n'avais pas d'autre place - Je n'avais pas l'argent pour recommencer ailleurs ou aller à l'école. C'est la seule chose que je pouvais faire.

ACR :                                                  Vous n'avez donc jamais songé à leur remettre une lettre de démission ... Vous n'avez jamais -


COMMISSAIRE :                    Démissionné.

ACR :                                        Oui, exactement. Une démission.

REVENDICATEUR :             O.K. On ne quitte pas les forces armées sans avoir fait le nombre d'années pour lequel on s'est engagé au départ. Autrement dit, si on s'engage pour 12 ans, on ne peut partir qu'après 12 ans.

[...]

REP. DU MINISTRE :           Oui, d'accord. Quand vous avez appris, en 1991, que le personnel de la marine torturait ou maltraitait des civils à la base, pourquoi avez-vous continué de faire partie de cette affaire-là? Pourquoi avez-vous continué de faire partie de la marine, Monsieur? Pourquoi avez-vous continué d'accepter cette brutalité?

REVENDICATEUR :             (inaudible)... Je vous l'ai déjà dit. On ne peut quitter son emploi avant 12 ans. Premièrement, si on quitte son emploi, on est considéré comme un déserteur. Deuxièmement, je vous ai dit (inaudible)... Je vous ai dit, j'ai dit d'accord. Je suis là peut-être pour - dans un proche avenir, si je deviens officier, je pourrais faire des changements. Je viens de vous donner trois motifs qui font en sorte que je reste dans la marine. Parce si tout le monde continue de partir, le pays va prendre un autre tournant.

REP. DU MINISTRE :           Hum?

REVENDICATEUR :             Si tout le monde continue de quitter son emploi, et que personne ne défend ce qui est juste, le - le système devient - pourrait se détériorer. J'étais donc là pour trois motifs. L'un d'eux a trait à (inaudible)... la désertion et en même temps, j'essayais de gravir les échelons de façon à pouvoir mettre un frein à ces choses.

REP. DU MINISTRE :           Vous craigniez donc que le système ne s'écroule si vous quittiez votre emploi, n'est-ce pas?

REVENDICATEUR :             Un. C'est l'un des motifs.

[...]

ACR :                                        O.K. En tant que chargé de la réglementation, vous occupiez-vous des cas de désertion?

REVENDICATEUR :             Oui, à plusieurs reprises.

ACR :                                        Et quelle est la sanction si vous désertez?


REVENDICATEUR :             C'est comme je vous l'ai déjà dit, ils revoient - ils revoient les tentatives de - par exemple, toute infraction commise, ils revoient les dossiers, mais quand j'y étais, c'était entre deux - entre cinq ans ou quelque chose comme ça.

ACR :                                        Deux à cinq ans?

REVENDICATEUR :             Quatre à cinq ans ou quelque chose comme ça, quand j'y étais.

  
  • [32]            Compte tenu de cela et des autres éléments de preuve dont était saisie la SSR, je suis convaincue que la conclusion selon laquelle M. Ariri ne s'est pas dissocié de l'armée à la première occasion qu'il avait de le faire sans mettre en péril sa sécurité s'appuyait sur la preuve dont elle était saisie.
  • [33]            M. Ariri a beaucoup insisté sur le fait que personne n'a été torturé alors qu'il était de service. Cet élément penche en sa faveur, mais sa cause présente des ressemblances frappantes avec celle examinée par la Cour dans l'arrêt Ramirez, précité. La Cour d'appel fédérale a écrit aux paragraphes 37 et 38 :
  • Il ressort clairement de cet extrait et d'autres passages du témoignage de l'appelant, ainsi que des éléments de preuve documentaire, que la torture et l'exécution des captifs étaient entrées dans les moeurs militaires au Salvador. Il faut reconnaître que l'appelant en a conçu de graves problèmes de conscience qui l'ont tenaillé au point qu'après avoir demandé trois fois sans succès d'être réformé, au cours de son deuxième contrat, il a fini par déserter au mois de novembre 1987 (dossier d'appel, vol. I, aux pages 41 et 47), en grande partie à cause de ses remords de conscience. Il me faut aussi dire, cependant, qu'il n'est pas à son honneur d'avoir continué pendant si longtemps de prendre part à des opérations militaires qui menaient à de tels résultats. Il était un élément actif des forces militaires responsables de ces atrocités; il était pleinement conscient de ce qui se passait, et il ne pouvait réussir à se dissocier de ces actions simplement en prenant garde de n'être jamais celui qui infligeait la douleur ou pressait sur la détente.


Compte tenu du critère des « raisons sérieuses de penser . . . [q]u'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » , le cas de l'appelant ne peut même pas être qualifié de cas limite. Pendant ses vingt mois de service actif, il était conscient du très grand nombre d'interrogatoires menés par l'armée, peut-être aussi souvent que deux fois par semaine (après 130 à 160 engagements militaires). Il ne pourrait jamais entrer dans la catégorie des simples spectateurs. Il était chaque fois un membre actif et conscient d'une force armée dont l'un des objectifs communs était la torture de prisonniers pour en obtenir des renseignements. De son propre aveu, c'était l'une des activités auxquelles son armée se livrait régulièrement et de façon répétée. Il faisait partie de l'opération même si, personnellement, il n'applaudissait pas les actions accomplies. Autrement dit, sa présence pendant les incidents de persécution, jointe au fait qu'il partageait l'objectif commun des forces militaires, constitue clairement une forme de complicité. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de la présente espèce, de déterminer à quel point cette complicité a pu être établie, car cette affaire n'est pas du tout un cas limite. L'appelant n'était pas un spectateur innocent. Il faisait partie intégrante, même si c'était à son corps défendant, de l'entreprise militaire responsable de ces terribles moments d'inhumanité collective délibérée.

  • [34]            Tout comme M. Ramirez, M. Ariri jouait un rôle actif dans les forces armées, qui commettaient délibérément des actes collectifs d'inhumanité. Si ses munitions n'avaient pas été comptées après qu'on lui eut ordonné de tirer sur des civils, il aurait repris ses fonctions normales. Il ne peut se dissocier des actions des forces armées en affirmant simplement qu'il ne commettait pas personnellement les actes de torture. Pour faire écho à ce qu'a dit la Cour d'appel dans l'arrêt Ramirez, le préjudice que M. Ariri aurait pu subir s'il avait déserté, soit une peine d'emprisonnement, était beaucoup moins grave que la torture infligée et les décès causés par les forces armées dont il était membre.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                    Les avocats n'ont soulevé aucune question à certifier et aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

                    

Toronto (Ontario)

Le 6 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                           IMM-2111-01

INTITULÉ:                           OJERE OSAKPAMWAN ARIRI

                                                demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION     

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 7 FÉVRIER 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :             LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                   LE MERCREDI 6 MARS 2002

COMPARUTIONS :

M. Emeka Nwoko                                     pour le demandeur

M. John Loncar                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. A. Emeka Nwoko                                   pour le demandeur

Avocat

4101, avenue Steeles Ouest

Bureau 201

Toronto (Ontario)

M3N 1V7

Morris Rosenberg                                   pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada          


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

     Date : 20020306

Dossier : IMM-2111-01

ENTRE :

OJERE OSAKPAMWAN ARIRI

                   demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                   défendeur

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                

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