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Date : 20020213

Dossier : IMM-3591-00

Référence neutre : 2002 CFPI 164

Ottawa (Ontario), le 13 février 2002

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                         SVETLANA TURCINOVICA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Mme Turcinovica sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas datée du 1er juin 2000 qui lui avait refusé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes, en tant qu'agent d'assurances.

LES FAITS


[2]                 Mme Turcinovica est arrivée aux États-Unis depuis la Lettonie à la faveur d'un visa. Aux États-Unis, elle a travaillé de 1997 à 2000 comme préposée aux services financiers pour la Metropolitan Life dans l'État de New York. Elle vendait des polices d'assurance-vie et travaillait comme représentante commerciale pour les gens qui voulaient investir dans des fonds communs de placement et autres. Mme Turcinovica travaillait à la commission pour la Metropolitan Life.

[3]                 En avril 2000, Mme Turcinovica commença de travailler comme coordonnatrice régionale pour un établissement d'enseignement dans l'État de New York. C'est pendant qu'elle résidait aux États-Unis que Mme Turcinovica présenta sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes.

[4]                 Mme Turcinovica a décrit comme il suit les activités qu'elle entendait poursuivre au Canada :

[TRADUCTION] J'envisage d'être conseillère autonome, payée à la commission, en investissements et en assurances. Outre ma connaissance des ventes, des produits concernés et de la comptabilité, je parle couramment l'anglais, le russe et le letton. Je voudrais donc exploiter mes aptitudes professionnelles et linguistiques pour vendre des polices d'assurance et des titres aux personnes originaires des collectivités ethniques auxquelles j'appartiens, parce que nombre d'entre eux n'ont pas une maîtrise suffisante de l'anglais pour s'aventurer dans les domaines dans lesquels je voudrais me spécialiser, et je parle ici des propriétaires d'entreprises et des personnes qui souhaitent investir dans des régimes enregistrés d'épargne-études, d'épargne-retraite et de revenu de retraite (REEE, REER et RERR).

[5]                 L'agente des visas a évalué Mme Turcinovica au regard du métier d'agent d'assurances opérant comme travailleur autonome, et elle lui a attribué 57 points d'appréciation. L'agente des visas n'a pas attribué à Mme Turcinovica 30 points d'appréciation supplémentaires comme le prévoit le paragraphe 8(4) du Règlement de 1978 sur l'immigration, DORS/78-172 (le Règlement), parce qu'elle n'était pas convaincue que Mme Turcinovica répondait à la définition d'un travailleur autonome.


LA DÉCISION DE L'AGENTE

[6]                 Dans ses notes du STIDI, l'agente a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

ELLE ENTEND TRAVAILLER AU CANADA COMME REPRÉSENTANTE COMMERCIALE AUTONOME DANS LE DOMAINE DE L'ASSURANCE. ELLE DIT QU'ELLE DEVRA D'ABORD TRAVAILLER POUR UNE ENTREPRISE ET SE FAMILIARISER AVEC LE SYSTÈME, POUR DEVENIR ENSUITE UN AGENT D'ASSURANCES TRAVAILLANT POUR DIVERSES AUTRES ENTREPRISES, CE QUI LUI DONNERA DAVANTAGE DE PROGRAMMES À OFFRIR À SES CLIENTS. ELLE SERA BASÉE DANS LE BUREAU OÙ ELLE SERA EMPLOYÉE, MAIS TRAVAILLERA À LA COMMISSION. ELLE N'A PAS L'INTENTION D'OUVRIR UN CABINET, MAIS SEULEMENT DE TRAVAILLER POUR UNE COMPAGNIE D'ASSURANCES.

IL N'Y A PAS D'INVESTISSEMENT À FAIRE POUR ÉTABLIR UNE ENTREPRISE PUISQUE LA SOCIÉTÉ POUR LAQUELLE ELLE TRAVAILLERA LUI DONNERA L'ESPACE, LES LIGNES TÉLÉPHONIQUES ET LES CLIENTS POTENTIELS. ELLE ADMET QU'ELLE DEVRA ÉTABLIR UNE CLIENTÈLE ET VENDRE SES PROGRAMMES À SES CLIENTS. POUR Y PARVENIR, ELLE DEVRA TROUVER DES CLIENTS.

ELLE N'A PAS DE BROCHURE, DE PLAN D'ENTREPRISE NI DE PRÉVISIONS. ELLE EST ALLÉE AU CANADA UNE FOIS AUPARAVANT ET ELLE A VISITÉ PLUSIEURS COMPAGNIES D'ASSURANCES. ELLE PRÉSENTE DES COUPURES DE JOURNAUX, DES LETTRES DE QUELQUES-UNS DES AGENTS D'ASSURANCES DISPOSÉS À LUI OFFRIR UN POSTE, ETC.

LA REQUÉRANTE NE RÉPOND PAS À LA DÉFINITION DE TRAVAILLEUR AUTONOME, POUR LES RAISONS SUIVANTES : 1. ELLE N'A INDIQUÉ AUCUN FACTEUR MONTRANT QU'ELLE SERA EN MESURE DE LANCER UNE ENTREPRISE AU CANADA; ELLE SERA EN FAIT UNE EMPLOYÉE D'UNE ENTREPRISE ET TRAVAILLERA À LA COMMISSION. ELLE N'A PAS PROUVÉ QU'ELLE A DÉJÀ TRAVAILLÉ COMME TRAVAILLEUSE AUTONOME ET, LORSQU'ELLE TRAVAILLAIT AUX ÉTATS-UNIS DANS LE MÉTIER QU'ELLE SOUHAITE EXERCER, ELLE GAGNAIT 25 000 $ É.-U. ELLE AFFIRME QU'ELLE SERA PROBABLEMENT EN MESURE DE TRIPLER CE MONTANT AU CANADA, MAIS ELLE N'EXPLIQUE PAS COMMENT ELLE ENTEND S'Y PRENDRE, AFFIRMANT SEULEMENT QUE LE POURCENTAGE OFFERT PAR CERTAINES SOCIÉTÉS EST PLUS ÉLEVÉ QUE DANS D'AUTRES.

ELLE NE M'A PAS CONVAINCUE QU'ELLE A LA CAPACITÉ D'ÉTABLIR UNE ENTREPRISE AU CANADA, NI QUE CETTE ENTREPRISE APPORTERA UN AVANTAGE SIGNIFICATIF AU CANADA.

[7]                 Dans la lettre de refus, l'agente a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]


Je ne vous ai pas attribué les 30 points supplémentaires d'appréciation parce que vous n'avez pas été en mesure de démontrer que vous répondez à la définition d'une travailleuse autonome. Selon le Règlement canadien de 1978 sur l'immigration, un « travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada. Plus précisément, vous n'avez pu me convaincre que vous avez l'intention et la capacité d'ouvrir une entreprise au Canada ou que cette entreprise contribuerait de manière significative à la vie économique du Canada.

Vous avez dit lors de l'entrevue que vous avez travaillé comme agent d'assurances ici aux États-Unis depuis 1998, pour la Metropolitan Life. Vos déclarations de revenus de cette période confirment votre emploi auprès de cette société, où vous aviez un salaire de 25 000 $ par année. Vous avez confirmé durant l'entrevue que vous travailliez à la commission pour cette société et que vos projets concernant le Canada étaient de travailler comme agent d'assurances en la même qualité que celle que vous aviez aux États-Unis. Vous avez dit que vous seriez basée dans les bureaux de votre employeur, lequel vous fournirait les outils nécessaires pour exercer vos activités, par exemple lignes téléphoniques, clients potentiels, etc. Vous avez l'intention de travailler pour plusieurs sociétés, vous permettant ainsi d'offrir à vos clients des régimes divers.

Vous n'avez pas été en mesure de dire comment vous aviez l'intention de vous établir au Canada comme travailleuse autonome au sens de la Loi canadienne sur l'immigration. Vous n'avez aucune intention d'établir ou d'acheter une entreprise, mais vous avez plutôt l'intention de travailler comme employée d'une compagnie d'assurances et de travailler à la commission. Si le salaire espéré au Canada est semblable à ce que vous gagnez aux États-Unis, et rien n'indique qu'il serait notablement plus élevé, alors à mon avis votre admission au Canada ne constituerait pas un avantage notable pour l'économie canadienne.

POINTS EN LITIGE

[8]                 On a fait valoir au nom de Mme Turcinovica que l'agente des visas avait commis une erreur parce que :

i)           l'évaluation n'était pas conforme au Règlement;

ii)          l'agente n'avait pas tenu compte du pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 11(3) du Règlement.


[9]                 Durant les plaidoiries, l'avocat de Mme Turcinovica n'a pas insisté sur l'argument selon lequel l'agente avait manqué à son devoir d'évaluer le conjoint de fait de Mme Turcinovica. On s'est entendu pour dire que cet aspect était théorique puisque le conjoint n'avait pas payé le droit applicable d'ouverture de dossier.

[10]            On a aussi affirmé au nom de Mme Turcinovica que le supérieur hiérarchique de l'agente des visas aurait dû intervenir dans une décision manifestement irrégulière, au moment où les erreurs commises avaient été portées à l'attention du supérieur hiérarchique, et l'on a dit que Mme Turcinovica devrait obtenir ses dépens.

ANALYSE

(i) Exception préliminaire

[11]            Au début des plaidoiries, l'avocat du ministre a déclaré que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu'elle n'était pas appuyée par un affidavit adéquat. Mme Turcinovica n'avait déposé aucun affidavit et la demande était appuyée par l'affidavit de l'assistant de l'avocat de Mme Turcinovica. Selon l'avocat du ministre, l'obligation de la demanderesse de produire un affidavit fondé sur ses connaissances personnelles n'était pas remplie. En conséquence, il estimait que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu'elle n'était pas appuyée par un affidavit adéquat.


[12]            Selon la jurisprudence, lorsqu'une demande de contrôle judiciaire n'est pas appuyée par des affidavits fondés sur la connaissance personnelle du demandeur, il n'en résulte pas automatiquement un rejet de la demande : voir les décisions suivantes : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 788 (C.F. 1re inst.); Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R 192 (C.A.F.); Ominayak c. Nation indienne du lac Lubicon, [2000] A.C.F. no 247, infirmée sans commentaires sur cet aspect, (2000) 267 N.R. 96 (C.A.F.).

[13]            En l'espèce, je suis convaincue que l'affidavit présenté à la Cour suffit à établir l'existence de la demande de résidence permanente ainsi que son rejet. Je ne suis donc pas disposée à rejeter sur ce fondement la demande de contrôle judiciaire.

[14]            Il importe de souligner que, lorsqu'aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n'est produite au soutien d'une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier. Voir l'affaire Moldeveanu, précitée, au par. 15.

[15]            C'est ce que prescrit la règle 81(1) des Règles de la Cour fédérale, 1998, selon laquelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle.


[16]            Comme l'a noté la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc. 2001 CAF 8; [2001] A.C.F. no 181, la règle 81(1) est une règle de pratique et de procédure et ne supplante donc pas les exceptions de common law à la règle du ouï-dire, notamment l'exception de fiabilité et de nécessité. Cependant, puisque la règle 81 est une règle de procédure, alors, dans les cas légitimes, et probablement inusités, où une partie souhaite produire une preuve par ouï-dire, cette partie devrait à tout le moins produire une preuve au soutien des arguments de fiabilité et de nécessité.

(ii) L'évaluation de l'agente des visas était-elle conforme au Règlement?

[17]            Les articles applicables du Règlement sont les suivants :



2(1) « travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

8.(1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

[...]

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

[...]

8(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

[...]

11(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier. [Le souligné est de moi.]

2(1) "self-employed person" means an immigrant who intends and has the ability to establish or purchase a business in Canada that will create an employment opportunity for himself and will make a significant contribution to the economy or the cultural or artistic life of Canada;

8.(1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

[...]

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

[...]

8(4) Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.

[...]

11(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer. [underlining added]


[18]            L'agente des visas a évalué Mme Turcinovica en tant que travailleuse autonome en conformité avec la définition de cette expression, et aussi en conformité avec l'alinéa 8(1)b) et le paragraphe 8(4) du Règlement.


[19]            Je ne puis voir aucune erreur dans la manière dont l'agente des visas a considéré les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement, et aucune erreur du genre n'a été alléguée.

[20]            Cependant, pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 8(4) du Règlement, c'est-à-dire le pouvoir de l'agent des visas d'attribuer 30 points supplémentaires d'appréciation s'il est convaincu que le requérant sera « en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada » [non souligné dans le texte], l'agente des visas a limité son analyse à la question de savoir si Mme Turcinovica répondait à la définition d'une travailleuse autonome.

[21]            L'agente des visas a conclu que Mme Turcinovica ne répondait pas à la définition en disant qu'elle serait [Traduction] « en réalité » une employée d'une société et qu'elle travaillerait à la commission. L'agente des visas savait que l'intention de Mme Turcinovica était de travailler à la commission pour plusieurs sociétés qui vendent des produits d'investissement, mais elle a refusé la demande pour le motif que [Traduction] « vous n'avez aucune intention d'établir ou d'acheter une entreprise, mais vous avez plutôt l'intention de travailler à la commission comme employée d'une compagnie d'assurances » .


[22]            À mon avis, l'agente des visas a commis une erreur en affirmant qu'un vendeur ou une vendeuse de produits d'assurance ou d'investissement qui est rémunéré à la commission ne peut jamais devenir un travailleur ou une travailleuse autonome.

[23]            Je regrette de dire que le point à décider ici est de savoir si un requérant a la capacité d'exercer son métier ou sa profession au Canada. Lus conjointement, le paragraphe 8(4) de la Loi et la définition de « travailleur autonome » signifient essentiellement que la capacité du requérant d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès créera un emploi pour lui-même et contribuera de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

[24]            De nombreux vendeurs autonomes sont rémunérés à la commission. L'agente des visas semble avoir attaché trop d'importance au fait que Mme Turcinovica allait être rémunérée à la commission et semble avoir conclu que les agents qui vendent des produits pour une ou plusieurs sociétés à la commission ne peuvent jamais devenir des travailleurs autonomes.

[25]            Le fait que Mme Turcinovica ait manifesté l'intention de travailler d'abord pour une société afin de connaître le système avant de devenir un agent travaillant pour plusieurs clients n'était pas fatal pour sa demande. Voir les précédents : Margarogyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 53, au par. 6, et Kim Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 59.


[26]            De même, un travail autonome antérieur n'est pas une condition préalable à l'admission en tant que travailleur autonome.

[27]            L'agente des visas a aussi conclu que l'entreprise projetée ne constituerait pas un avantage significatif pour l'économie canadienne. S'il s'agit là d'une conclusion fondée, alors elle dispose de la demande de contrôle judiciaire, nonobstant l'erreur susmentionnée. S'il en est ainsi, c'est parce que Mme Turcinovica, comme tous les requérants, doit répondre aux deux parties de la définition d'un travailleur ou d'une travailleuse autonome.

[28]            La raison donnée par l'agente des visas pour conclure que l'entreprise ne constituerait pas un avantage significatif était que, si les gains de Mme Turcinovica au Canada devaient être semblables à ses gains aux États-Unis, alors ils ne constitueraient pas un avantage significatif pour l'économie canadienne. L'agente a conclu qu'il n'était pas démontré que les gains seraient notablement supérieurs.

[29]            Mme Turcinovica a fait valoir que, en raison de sa connaissance des ventes, des produits et de la comptabilité, et parce qu'elle parlait couramment l'anglais, le russe et le letton, elle pourrait vendre des produits d'assurance et des titres aux membres de ces collectivités ethniques. Mme Turcinovica a déclaré que nombre de ces clients potentiels n'avaient pas une maîtrise suffisante de l'anglais pour s'aventurer dans les domaines où elle souhaitait se spécialiser. Selon elle, cela constituait un avantage significatif pour l'économie canadienne.


[30]            Mme Turcinovica avait la charge de produire des éléments de preuve qui puissent raisonnablement convaincre l'agente des visas de sa capacité d'établir au Canada une entreprise pouvant de manière significative bénéficier à l'économie canadienne. Mme Turcinovica n'a présenté aucun plan d'entreprise ni aucune prévision à l'agente des visas et n'a pu expliquer comment elle entendait tripler son revenu au Canada.

[31]            Dans l'affaire Chhibber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1082, le juge Teitelbaum a indiqué que le mot « significatif » veut dire important ou notable, et il s'est alors demandé si l'on pouvait dire que l'entreprise apporterait une contribution importante ou notable à l'économie du Canada.

[32]            Il ne m'appartient pas de me demander ici à mon tour si l'entreprise projetée contribuerait d'une manière significative à l'économie du Canada. À mon avis, selon la preuve dont disposait l'agente des visas, les raisons qu'elle avait de conclure que tel ne serait pas le cas résistent à un examen assez poussé. Partant, il est impossible de dire que la conclusion de l'agente selon laquelle l'entreprise projetée ne contribuerait pas d'une manière significative à l'économie canadienne est déraisonnable.


(iii) L'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un sens favorable

[33]            Le paragraphe 11(3) du Règlement permet à un agent des visas d'accorder un visa à un requérant qui n'a pas obtenu 70 points d'appréciation lorsqu'il est d'avis qu'il existe [Traduction] « de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier... de réussir son installation au Canada » .

[34]            On a fait valoir au nom de Mme Turcinovica qu'il n'était pas établi que l'agente des visas avait considéré le paragraphe 11(3) du Règlement comme moyen possible d'approuver la demande de Mme Turcinovica. On a donc affirmé que l'agente des visas n'avait pas exercé régulièrement sa compétence.

[35]            À mon avis, hormis la demande d'un requérant, ou hormis des faits laissant voir qu'il existe une bonne raison expliquant pourquoi les points d'appréciation accordés ne rendent pas véritablement compte des chances d'un requérant de réussir son installation au Canada, un agent des visas n'est pas tenu automatiquement d'exercer le pouvoir discrétionnaire favorable que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement. Voir les précédents : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1239; Behzad Razavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1388; Savvateev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 2 Imm. L.R. (3d) 207.


[36]            En l'espèce, Mme Turcinovica a obtenu 57 points d'appréciation, c'est-à-dire un nombre de points nettement inférieur aux 70 points généralement requis. Je ne vois dans les faits qu'elle a présentés à l'agente des visas aucun élément qui eût pu obliger l'agente à envisager l'exercice du pouvoir discrétionnaire favorable.

[37]            Pour ces motifs, et malgré les arguments sérieux de l'avocat de Mme Turcinovica, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner le bien-fondé de l'allégation selon laquelle le supérieur hiérarchique de l'agente des visas a commis une erreur sujette à révision parce qu'il n'est pas intervenu dans ce que l'on a décrit comme une décision manifestement irrégulière.

[38]            Les avocats n'ont posé aucune question qui puisse être certifiée, et aucune question n'est certifiée.

ORDONNANCE

[39]            IL EST ORDONNÉ CE QUI SUIT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  

                                                                              « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                            IMM-3591-00

  

INTITULÉ :                                           Svetlana Turcinovica et le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 4 décembre 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE : MADAME LE JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :                        le 13 février 2002

  

ONT COMPARU :

Timothy E. Leahy                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Marcel Larouche                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thimothy E. Leahy                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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