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Date : 20000512


Dossier : IMM-6517-98

OTTAWA (Ontario), le 12 mai 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY


ENTRE :


VINCENTE CARHUAPOMA HARTLEY


demandeur


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




     VU la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration et d"annulation d"une décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié rendue à l"audience le 23 novembre 1998 et par écrit le 7 janvier 1999, selon laquelle le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la convention; et le demandeur fondant sa demande sur le fait que la Commission de l"immigration et du statut de réfugié :


  1. .      N"a pas respecté un principe de justice naturelle, l"équité procédurale ou une autre procédure qu"elle était tenue de respecter d"après la loi;
  2. .      A commis une erreur de droit en rendant sa décision, que l"erreur apparaisse ou non au vu du dossier;
  3. .      A commis une erreur de droit en omettant de considérer dans sa décision d"importantes questions de droit soulevées par l"avocat du demandeur à l"audition de sa revendication du statut de réfugié. Notamment, les membres de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié ont commis une erreur en ne concluant pas que le demandeur appartenait à un groupe social au sens de la Loi sur l"immigration, en partant du fait que des agents de persécution le considéraient comme un membre d"un syndicat de travailleurs.

     ET APRÈS AVOIR ENTENDU l"avocat du demandeur et l"avocate du ministre défendeur à St-John"s le 14 avril 2000, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis;

     ET VU les observations présentées par les parties à l"audience et par écrit;



ORDONNANCE


     LA COUR ORDONNE :

     La demande est accueillie;

     La décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, rendue oralement le 23 novembre 1998 et par écrit le 7 janvier 1999, est annulée;

     La revendication du statut de réfugié du demandeur est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, pour un nouvel examen conforme aux présents motifs et à la loi.






(signature) W. Andrew MacKay


JUGE



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.




Date : 20000512


Dossier : IMM-6517-98



ENTRE :


VINCENTE CARHUAPOMA HARTLEY


demandeur


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]      Le demandeur en l"espèce sollicite, en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, le contrôle judiciaire d"une décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (le " tribunal ") selon laquelle il n"est pas un réfugié au sens de la Convention. La décision du tribunal a été portée à la connaissance du demandeur le 23 novembre 1998.

[2]      Le demandeur allègue que le tribunal a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision, et plus particulièrement et de manière plus importante que le tribunal :

         [traduction]
         A commis une erreur de droit en omettant de considérer dans sa décision d"importantes questions de droit soulevées par l"avocat du demandeur à l"audition de la revendication du statut de réfugié de ce dernier. Notamment, les membres de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié ont commis une erreur en ne concluant pas que le demandeur appartenait à un groupe social au sens de la Loi sur l"immigration, en partant du fait que des agents de persécution le considéraient comme un membre d"un syndicat de travailleurs.

[3]      Voici les faits. Le demandeur est un citoyen du Pérou qui est venu au Canada pour travailler sur un navire appartenant à une compagnie péruvienne. Lui et sept autres membres d"équipage ont eu un litige relatif à la paye avec les propriétaires du navire et le demandeur dit qu"il a joué un rôle de meneur dans ce litige, en grande partie en communiquant avec la Fédération internationale des transports, une organisation qui est intervenue dans le litige et qui s"est chargée des négociations avec les propriétaires du navire en agissant comme porte-parole des membres d"équipage. Au cours du litige, le navire a été saisi. Le demandeur a prétendu devant le tribunal qu"il ne pouvait pas retourner au Pérou en raison d"une crainte fondée d"y être persécuté. Il a allégué que le Pérou était un pays où il y avait un fort sentiment antisyndical et que le fait d"avoir joué un rôle de meneur dans le litige relatif à la paye aurait pour conséquence qu"il serait persécuté. Le demandeur dit que les propriétaires du navire sont des hommes d"affaires péruviens très puissants. On a allégué qu"il avait une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social parce qu"il serait perçu comme appartenant à un syndicat de travailleurs. Dans sa décision, le tribunal a conclu :

         [traduction]
         Le tribunal conclut qu"il n"y a pas de lien de connexité dans la présente revendication. Il n"y a aucune preuve selon laquelle le revendicateur est un membre d"un syndicat de travailleurs ou d"un autre groupe qu"une compagnie maritime, qui n"a pas été payé et qui a joué un rôle mineur de représentant dans un litige portant sur des salaires impayés. Les négociations avec la compagnie ont été menées par la F.I.T. De plus, le tribunal conclut qu"aucune preuve ne lui a été soumise, mis à part le témoignage du revendicateur, selon laquelle les propriétaires du navire sont des personnes riches, puissantes et influentes qui persécuteraient ou qui ont persécuté des représentants des travailleurs au Pérou. Enfin, il n"y a aucune preuve selon laquelle les autres membres d"équipage du navire à St-John"s ont été persécutés à leur retour au Pérou.

[4]      Le demandeur allègue qu"il craignait d"être persécuté en raison de la perception, fondée ou non, qu"il est un syndicaliste ou un activiste syndical du même genre et que cet argument a été avancé devant le tribunal. Cette question n"a pas été examinée, c"est-à-dire savoir si une personne peut revendiquer le statut de réfugié en raison d"une perception des présumés persécuteurs qu"elle appartient à un " groupe social " alors que cette appartenance n"est pas démontrée. À mon avis, il s"agissait d"une des questions déterminantes présentées au tribunal par le demandeur et elle n"a pas été examinée.

[5]      Le tribunal, dans ses motifs, et le demandeur, ont fait référence à l"arrêt Ward c. Canada (Procureur général)1, dans lequel on traite de l"expression " groupe social ". Dans cet arrêt, Monsieur le juge La Forest écrit au nom de la Cour Suprême :

         Le sens donné à l"expression " groupe social " dans la Loi [sur l"immigration] devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l"initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers2, Cheung3 et Matter of Acosta4, précités, permettent d"établir une bonne règle pratique en vue d"atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées:
             (1)    les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
             (2)    les groupes dont les membres s"associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu"ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
             (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
         La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d"être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l"orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d"intentions historiques, quoiqu"elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d"une personne constitue une partie immuable de sa vie.

[6]      Dans l"arrêt Ward , le juge La Forest fait aussi référence à l"opinion politique comme fondement de persécution. Comme l"a allégué le demandeur quant à la question de l"appartenance à un " groupe social ", le juge La Forest a conclu que les opinions politiques pour lesquelles le revendicateur craint d"être persécuté n"avaient pas nécessairement à être conformes à ses convictions profondes ou à être carrément exprimées :


         Même si le motif des opinions politiques a été invoqué vers la toute fin des procédures, la Cour a décidé de l"examiner parce que cette affaire porte sur les droits de la personne et que la question est décisive en l"espèce.
             L"opinion politique comme motif de craindre avec raison d"être persécuté a été définie tout simplement comme étant liée à la persécution de personnes du fait qu"[traduction ] " on prétend ou on sait qu"elles ont des opinions contraires aux politiques du gouvernement ou du parti au pouvoir ou qu"elles critiquent ces politiques "; voir Grahl-Madsen5, op. cit., à la p. 220. La persécution découle de la volonté de mettre fin à toute dissidence que les persécuteurs considèrent comme une menace. La définition de Grahl-Madsen tient pour acquis que le persécuteur que fuit le demandeur est toujours le gouvernement ou le parti au pouvoir, ou du moins une partie dont les intérêts sont semblables à ceux du gouvernement. Toutefois, comme je l"ai fait remarquer ci-dessus, la protection internationale des réfugiés s"étend aux cas dans lesquels l"État n"est pas complice de la persécution, mais où il est incapable de protéger le demandeur. En pareil cas, il est possible que le demandeur soit considéré comme une menace par un groupe qui n"est pas allié au gouvernement, et qui y est peut-être même opposé, à cause de ce qui est ou semble être son point de vue politique. L"interprétation plus générale des opinions politiques proposée par Goodwin-Gill6, op. cit., à la p. 31, à savoir [traduction] " toute opinion sur une question dans laquelle l"appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ", traduit une diligence plus grande lorsqu"il s"agit d"englober les cas de ce genre.
             Il faut apporter deux précisions à la définition de cette catégorie. En premier lieu, il n"est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n"a même pas la possibilité d"exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d"être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu"étant donné qu"il ne s"exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d"être persécuté, mais cela ne l"empêche pas d"être protégé.
             En second lieu, les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui-ci craint d"être persécuté n"ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes. Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c"est ce qui est déterminant lorsqu"il s"agit d"inciter à la persécution. Les opinions politiques qui sont à l"origine de la persécution n"ont donc pas à être nécessairement attribuées avec raison au demandeur. Des considérations similaires sembleraient s"appliquer aux autres motifs de persécution7.
         [Non souligné dans l"original]

[7]      L"élément vraiment pertinent quant à la présente demande de contrôle judiciaire est que l"arrêt Ward n"exige pas que les opinions politiques d"une personne soient conformes aux opinions que lui impute le persécuteur. De plus, elles n"ont pas à être carrément exprimées, mais la perception peut découler des actes du revendicateur. Plus particulièrement, le juge La Forest indique aussi qu"un demandeur n"est pas tenu d"identifier précisément les motifs de persécution, mais qu"" il incombe à l"examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies ".

[8]      À l"audition de la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur a soutenu que malgré le fait que la persécution en raison de l"appartenance réelle à un syndicat ouvrier pouvait être un fondement pour reconnaître le statut de réfugié à une personne en raison de son appartenance à un groupe social8, on n"avait pas conclu que l"appartenance présumée à un groupe social constituait un tel fondement. L"absence de précédent n"est pas un motif pour refuser d"examiner si la revendication du statut de réfugiée présentée par le demandeur est visée par la définition de réfugié au sens de la Convention prévue dans la Loi sur l"immigration.

[9]      La justice naturelle et l"équité procédurale exigent du tribunal qu"il examine les arguments avancés par le revendicateur. Le revendicateur a allégué qu"il faisait l"objet de persécution parce qu"il était perçu comme un membre d"un groupe social. Le dossier indique que le tribunal n"a pas considéré la question de savoir si l"appartenance présumée pouvait donner lieu à la protection de la Convention, une question déterminante pour la revendication du demandeur. De plus, sans conclure expressément au manque de crédibilité du témoignage du revendicateur, le tribunal en l"espèce a refusé d"en apprécier la valeur en l"absence d"une preuve corroborante. Le tribunal ne peut pas, sans raison, refuser de tenir compte du témoignage du demandeur.

[10]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur est renvoyée à la CISR pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Une ordonnance en ce senc est maintenant déposée.

[11]      Le demandeur m"a demandé de certifier une question en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration. La question soumise à l"audience était, en substance :

        

         [traduction]

         Une revendication du statut de réfugié fondée sur la perception du persécuteur qui présume que le demandeur appartient à un groupe social est-elle visée par la définition de " réfugié " de la Loi sur l"immigration et de la Convention?

[12]      Je suis d"avis qu"il n"est pas opportun, dans la présente affaire, de certifier la question soumise. La question en litige devant la Cour n"était pas celle de savoir si une appartenance présumée à un groupe social pouvait être un motif pour présenter une revendication du statut de réfugié. La Cour avait plutôt à déterminer si le fait par le tribunal de ne pas examiner cette question justifiait que la Cour ordonne le renvoi de la revendication du demandeur pour un nouvel examen. Étant donné que le tribunal n"a pas examiné la question de savoir si une crainte de persécution fondée sur l"appartenance présumée par le persécuteur du demandeur à un groupe social était visée par la définition, cette question n"a pas été tranchée et ne m"a pas été soumise lors du présent contrôle judiciaire. En vertu du paragraphe 83(1) de la Loi , la Cour d"appel tranche un appel; elle n"examine pas des questions qui n"ont pas été examinées par le tribunal ou par le juge des requêtes à l"occasion d"une demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances de la présente affaire, il n"est pas opportun cette étape-ci de certifier la question soumise.



(signature) W. Andrew MacKay


JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 12 mai 2000.



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  IMM-6517-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          VINCENTE CARHUAPOMA HARTLEY

                         c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

    

LIEU DE L"AUDIENCE :              ST-JOHN"S (TERRE-NEUVE)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 14 AVRIL 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :                  12 MAI 2000



ONT COMPARU

M. NICHOLAS P. SUMMERS                  POUR LE DEMANDEUR
MME LORI RASMUSSEN                       POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. NICHOLAS P. SUMMERS                  POUR LE DEMANDEUR

ST-JOHN"S (TERRE-NEUVE)


M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      (1993) 2 R.C.S. 689, à la page 739.

2      Faisant référence à Mayers c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1992), 97 D.L.R. (4th) 729 (C.A.F.)

3      Faisant référence à Cheung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1993] 2 C.F. 314; [1993] A.C.F. no 309 (C.A.F.)

4      Faisant référence à Matter of Acosta , décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.)

5      Faisant référence à A. Grahl-Madsen, The status of refugees in International Law (Pays-Bas : A.W. Sijthoff-Leyden, 1966).

6      Faisant référence à G.S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law (Oxford : Clarendon Press, 1983).

7      Ward, précité, aux pages 745 à 747.

8      Zubita c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (31 octobre 1979) Action no 79-1034 (Commission d"appel de l"immigration); Barraza c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"immigration) (23 mars 1979) Action no 77-9449 (Commission d"appel de l"immigration).

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