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Date : 20030904

Dossier : IMM-5884-01

Référence : 2003 CF 1024

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS                                   

ENTRE :

                                                                 CLAUDINE MOYO      

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 29 novembre 2001, que Claudine Moyo (la demanderesse) n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 La demanderesse est une enseignante du Zimbabwe âgée de 38 ans. Elle est entrée au Canada le 13 avril 2001 et elle a revendiqué le statut de réfugiée le même jour. La revendication de la demanderesse était fondée sur un incident qui est survenu au Zimbabwe le 19 mars 2001, incident au cours duquel elle et d'autres enseignants ont été la cible d' « anciens combattants » zimbabwéens qui les ont agressés et humiliés. D'anciens combattants ont dit à la demanderesse, qui détenait une carte de membre et un t-shirt du Mouvement pour la démocratie et le changement (MDC), d'appuyer le parti Zanu-PF et de dénoncer le MDC. Ils l'ont assurée qu'ils reviendraient afin de vérifier que c'est ce qu'elle avait fait. La demanderesse n'est pas retournée à son emploi d'enseignante et elle a quitté le pays. Elle est venue au Canada le mois suivant.

LES QUESTIONS EN LITIGE        

[3]                 1.          La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il ait été tenu compte de la preuve dont elle disposait lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi?

2.        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le simple fait d'être membre du MDC était insuffisant pour satisfaire au critère d'opinions politiques prévu dans la Convention?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à plus qu'une « simple possibilité » de préjudice grave?


ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il ait été tenu compte de la preuve dont elle disposait lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi?

[4]                 La norme de contrôle à l'égard des conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable : voir à cet égard l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1983) 160 N.R. 315. Par conséquent, la Cour ne peut pas intervenir à l'égard des conclusions quant à la crédibilité à moins qu'elles soient manifestement déraisonnables ou qu'elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il ait été tenu compte de la preuve dont elle disposait.

[5]                 La Commission a conclu que l'omission de la demanderesse d'avoir mentionné sa carte de membre du MDC et que le fait qu'elle ne se rappelait pas la date à laquelle elle avait reçu par télécopieur son certificat d'enseignante jettent un doute quant à sa crédibilité générale. La demanderesse prétend que ces omissions peuvent être expliquées comme étant le résultat d'une mauvaise compréhension des questions qui lui ont été posées et, en outre, qu'elles touchaient des détails peu importants. Il est possible que les divergences à l'égard de ces détails peu importants ne justifient pas que soit tirée une conclusion défavorable quant à la crédibilité générale.      


[6]                 La Commission a tiré d'autres conclusions défavorables quant à la crédibilité à l'égard du nombre d'enseignants qui ont participé à l'incident avec les anciens combattants. La demanderesse a témoigné que dix-sept enseignants avaient été harcelés, mais dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), elle a déclaré [TRADUCTION] « [...] à ce moment, deux autres enseignants qui avaient également été harcelés s'étaient joints à moi » . La demanderesse mentionne que lorsqu'on examine les mots « à ce moment » , qui indiquent une période postérieure, son FRP semble être compatible avec son témoignage.

[7]                 Une lecture d'ensemble du FRP de la demanderesse et un examen de la transcription de l'audience révèlent une incohérence peu importante. Selon le FRP, après que le t-shirt du MDC eut été trouvé, la demanderesse a reçu l'ordre de faire du « toyi-toyi » (sauter de force) et de tourner en rond en dénonçant le président du MDC. À ce moment, seulement la demanderesse et deux autres enseignants ont été forcés de participer à cet incident. Cependant, dans la transcription de l'audience, elle déclare que les dix-sept enseignants avaient reçu l'ordre de faire du « toyi-toyi » et de tourner en rond.

[8]                 Une lecture de la transcription révèle que la demanderesse a répondu aux questions et qu'elle y répondait directement. Je ne peux pas comprendre de quelle façon, selon ce témoignage, une telle conclusion quant à la crédibilité a pu être tirée.

[9]                 De la même façon, la demanderesse a déclaré dans son FRP que tous les enseignants ont déclaré ne pas être membres du MDC à l'arrivée des anciens combattants. Cependant, dans son témoignage, la demanderesse a déclaré que tous les enseignants avaient déclaré être membres du Zanu-PF.

[10]            Une fois de plus, un examen de la transcription ne montre pas une contradiction. Je ne pense pas qu'une conclusion défavorable quant à la crédibilité était appropriée dans la présente affaire.

[11]            La Commission a estimé qu'il était invraisemblable que la demanderesse ait quitté son emploi d'enseignante sans envoyer une lettre de démission ou sans avoir reçu une lettre de congédiement de l'école. La Commission a conclu que le manque de preuve à l'égard du départ de la demanderesse de l'école était important dans l'établissement de sa revendication et elle a conclu que sa crédibilité en était entachée davantage. Cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable étant donné la pertinence de l'incident de la cour d'école dans la revendication de la demanderesse.

[12]            Même si la Commission a tiré certaines conclusions défavorables quant à la crédibilité qui touchent des détails peu importants, comme je l'ai mentionné précédemment, on ne peut pas dire que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à l'égard de l'incident de persécution décrit par la demanderesse soient manifestement déraisonnables ni qu'elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il ait été tenu compte de la preuve dont elle disposait.


2.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le simple fait d'être membre du MDC était insuffisant pour satisfaire au critère d'opinions politiques prévu dans la Convention?

[13]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a statué que la question de savoir si un revendicateur craint d'être persécuté du fait de ses « opinions politiques » doit être analysée du point de vue du persécuteur. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 83 :

En second lieu, les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui-ci craint d'être persécuté n'ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes. Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution. Les opinions politiques qui sont à l'origine de la persécution n'ont donc pas à être nécessairement attribuées avec raison au demandeur. Des considérations similaires sembleraient s'appliquer aux autres motifs de persécution.

[Non souligné dans l'original.]

[14]            En l'espèce, les anciens combattants qui ont affronté le groupe d'enseignants semblaient être d'avis que les enseignants appuyaient le MDC. Cette opinion était probablement renforcée par le fait que les anciens combattants avaient trouvé le t-shirt du MDC de la demanderesse. Clairement, les anciens combattants percevaient la demanderesse et les autres enseignants comme des partisans du MDC même si la demanderesse participait très peu aux activités politiques. Par conséquent, du point de vue du persécuteur, la demanderesse appuyait le MDC ou en était membre et à cet égard elle satisfait au critère des opinions politiques prévu dans la Convention.

[15]            À la page 10 du dossier de demande, la Commission déclare : « En l'espèce [...], la revendicatrice n'a jamais participé à des activités du MDC. On ne peut lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention simplement parce qu'elle est membre du MDC » .

[16]            La norme de contrôle à l'égard des questions mixtes de fait et de droit est la décision raisonnable simpliciter : voir à cet égard la décision Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001) 17 Imm. L.R. (3d) 266, [2001] A.C.F. no 1393. La conclusion de la Commission selon laquelle le fondement de la crainte de la demanderesse ne satisfaisait pas au critère de la définition légale d' « opinons politiques » dans les circonstances de la présente affaire était manifestement déraisonnable étant donné qu'il est clairement établi en droit que le motif de la Convention doit être examiné du point de vue du persécuteur. Cependant, il ne s'agit pas d'une erreur déterminante compte tenu des décisions défavorables rendues à l'égard de la première question et de la troisième question (ci-après).

3.        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à plus qu'une « simple possibilité » de préjudice grave?

[17]            Dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, M. le juge MacGuigan a, au paragraphe 8, fait les commentaires suivants à l'égard du niveau exigé quant au risque de persécution future :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[Non souligné dans l'original.]


[18]            Il s'agit d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit : la demanderesse est-elle exposée à une « possibilité raisonnable » de préjudice si elle retourne au Zimbabwe? (question de fait) ou la demanderesse satisfait-elle au critère des motifs juridiques pour une crainte objective de persécution? (question mixte de fait et de droit). La norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable ou la décision raisonnable simpliciter.

[19]            Le défendeur prétend que la nature de la persécution est celle des actes posés sans relâche ou constamment. Dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129, 1984 A.C.F. no 601 (Rajudeen), la Cour d'appel fédérale définit comme suit le mot « persécution » en utilisant des définitions de dictionnaires :

La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d'être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration ne comprend pas une définition du mot « persécution » . Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le « Living Webster Encyclopedic Dictionary » définit [TRADUCTION] « persécuter » ainsi :

[TRADUCTION] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier. »

Le « Shorter Oxford English Dictionary » contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :

                 [TRADUCTION] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine. »

[Non souligné dans l'original.]

[20]            En outre, le défendeur prétend que la Commission est la mieux placée pour apprécier la question de savoir si le traitement subi par la demanderesse correspond à la définition légale de persécution. Il cite la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 :

[...] L'expertise de la Commission consiste à apprécier de façon exacte si les critères nécessaires pour obtenir le statut de réfugié ont été respectés et, plus particulièrement, à apprécier la nature du risque de persécution auquel sera confronté le requérant s'il est renvoyé dans son pays d'origine. [...]


[Non souligné dans l'original.]                 

[21]            Un demandeur du statut de réfugié n'a pas à démontrer qu'il a été persécuté dans le passé pour établir qu'il est une personne qui « craint avec raison d'être persécutée » (voir l'arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250). Cependant, la preuve de persécution passée est une façon efficace de démontrer une persécution future (voir l'arrêt Rajudeen, précité].

[22]            La preuve fournie par la demanderesse a révélé un seul incident de harcèlement, d'agression et d'humiliation de la part des anciens combattants au Zimbabwe. La preuve documentaire, comme la Commission a mentionné, établit qu'il y a un « climat de violence qui s'est instauré depuis les élections ainsi que des manoeuvres d'intimidation politique [...] contre les activistes du MDC » .

[23]            La Commission a conclu que le traitement subi par la demanderesse n'établissait pas l'existence de persécution dans le passé et elle a conclu qu'il n'y avait qu'une « simple possibilité » que la demanderesse soit persécutée à son retour au Zimbabwe. Compte tenu de la preuve soumise, cette conclusion n'est pas déraisonnable et il n'y a pas de fondement pour que la Cour intervienne.


[24]            Même si la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas au critère du motif d' « opinions politiques » était déraisonnable, l'erreur n'est pas déterminante étant donné que la Commission a finalement conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et qu'elle ne serait pas exposée à de la persécution si elle retournait au Zimbabwe.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]                 Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-5884-01

INTITULÉ :                                        CLAUDINE MOYO c. MCI

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 7 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Andrea Shahin                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claudette Menghile                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

10, rue Saint-Jacques Ouest

Montréal (Québec)

H2Y 1L3

Ministère de la Justice                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200, boulevard René-Lévesque Ouest

Tour Est, 5e étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4


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