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Date : 20001103

Dossier : IMM-567-99

ENTRE :

                            THI NGOC HUYEN NGUYEN

                                                                                demanderesse

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]      Dans la présente procédure de contrôle judiciaire entamée avec l'autorisation de la Cour, la demanderesse, une citoyenne vietnamienne de 38 ans qui a obtenu avec son mari le statut de résident permanent au Canada le 23 octobre 1989, conteste une décision par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a, le 9 avril 1999, rejeté l'appel dans lequel elle avait invoqué la compétence en equity prévue à l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration (la Loi), c'est-à-dire « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils [les résidents permanents] ne devraient pas être renvoyés du Canada » .

[2]      Un arbitre a ordonné le 23 juin 1998 que la demanderesse soit expulsée du Canada parce qu'elle avait été déclarée coupable de trois infractions : (1) la première infraction est survenue le 10 mai 1990 pour le vol de deux vêtements et d'un porte-biberon, mais, à la suite d'un plaidoyer de culpabilité, elle a reçu une absolution inconditionnelle; (2) une condamnation le 8 mai 1996 sous deux chefs d'accusation de possession de biens volés d'une valeur de plus de 5 000 $, pour laquelle elle a reçu une peine de 90 jours à purger les fins de semaine; et (3) une condamnation le 3 juillet 1997 sous plusieurs chefs d'accusation de possession de biens volés d'une valeur de plus de 5 000 $ et pour complot en vue de commettre un acte criminel, pour laquelle elle s'est vu imposer une peine de 21 mois d'emprisonnement en plus d'une probation de trois mois.

[3]      Le tribunal, qui a entendu les dépositions de la demanderesse et de son mari, a appliqué les facteurs énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chieu c. Canada, [1999] 1 C.F. 605 et est arrivé à la conclusion que la demanderesse devrait être renvoyée du Canada.


[4]      Quant à la gravité des infractions, le tribunal a noté qu'elles n'impliquaient ni violence ni drogue, mais il a jugé que la demanderesse s'était adonnée de façon persistante à des activités illégales préméditées.

[5]      Quant à la réhabilitation et aux remords, le tribunal a jugé que son type de comportement ne militait pas en faveur de la demanderesse.

[6]      Quant à la présence de la famille au Canada (son mari et deux jeunes enfants nés au Canada) et aux conséquences que l'expulsion de la demanderesse aurait sur eux, le tribunal a fait remarquer qu'il y avait des facteurs négatifs découlant des nombreuses années de séparation qui ont commencé en 1990 : pendant sept ans, les époux ont maintenu des résidences séparées mais tout en aménageant durant les fins de semaine des visites aux enfants, dont la demanderesse avait la garde, et en procédant à une réconciliation chaque année pendant deux à trois mois. Durant cette période, le mari de la demanderesse ne subvenait pas aux besoins de celle-ci et de ses enfants; cette dernière recevait de l'aide sociale.

[7]      Le tribunal a fait observer que le comportement criminel de la demanderesse a eu pour effet de la séparer de ses enfants. Il a jugé que les enfants subiraient un préjudice, mais que celui-ci serait atténué par le support qu'ils recevraient de leur père.


[8]      L'avocat de la demanderesse a soulevé plusieurs motifs en vue du contrôle judiciaire :

(1)       une mauvaise interprétation de la preuve concernant le fait qu'elle a purgé sa peine d'emprisonnement les fins de semaine alors qu'en fait elle a passé seulement une fin de semaine en prison et le reste de la peine à l'extérieur de la prison à exécuter des travaux communautaires;

(2)       l'application erronée de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Hurd c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 594, car on a visé à punir la demanderesse pour des actes criminels pour lesquels elle avait déjà été punie et dont elle avait déjà purgé les peines y relatives;

(3)       le fait de ne pas avoir appliqué correctement l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canepa c. Canada (M.E.I.), [1992] 3 C.F. 270, en omettant de tenir compte de chaque facteur atténuant qui avait été invoqué en sa faveur, à savoir notamment qu'elle était la personne qui prodiguait les soins essentiels à ses enfants, que sa conduite criminelle était motivée en partie par des besoins financiers et qu'elle n'avait pas été condamnée pour d'autres infractions depuis 1996.


[9]      Je n'ai pas besoin, aux fins de ma décision, de traiter tous ces points parce que la demanderesse peut avoir gain de cause pour un autre motif soulevé par son avocat et fondé sur le fait que le tribunal n'a pas expliqué pourquoi la recommandation conjointe de l'avocat du ministre et du représentant de la demanderesse proposant un sursis de cinq ans n'a pas été acceptée. Le sursis à l'expulsion pour une période de cinq ans visait à donner à la demanderesse l'occasion de montrer qu'elle pouvait être une résidente respectueuse des lois canadiennes. La recommandation conjointe en vue d'un sursis de cinq ans et les modalités qui peuvent accompagner un tel sursis figurent aux pages 74, 75 et 76 de la transcription.

[10]     Je souscris à ce que la Cour d'appel du Québec avait à dire au sujet des recommandations conjointes dans l'affaire La Reine c. Dubuc (1998), 131 C.C.C. (3d) 250, et, de ce fait, je réalise qu'il y a une distinction claire entre une expulsion qui ne concerne pas un acte criminel et celle que le droit relatif aux recommandations conjointes impliquait dans un contexte criminel.


[11]     Néanmoins, je suis attiré vers le raisonnement sous-jacent aux recommandations conjointes dans une affaire visée à l'alinéa 70(1)b) dans laquelle la compétence du tribunal est très étendue, les motifs de l'expulsion en l'espèce se fondent sur des infractions criminelles et les facteurs énoncés dans l'arrêt Chieu, supra, (la gravité de l'infraction, la possibilité d'une réhabilitation, les conséquences pour la victime, les remords de la demanderesse) sont analogues aux affaires prises en considération dans la détermination de la peine lors de la déclaration de culpabilité.

[12]     Dans Dubuc, supra, le juge de première instance n'a pas tenu compte d'une entente conjointe et, dans ses motifs, n'a pas fait mention de la peine recommandée par les avocats.

[13]     La Cour d'appel du Québec a annulé la peine et l'a remplacée par celle qui avait été proposée conjointement. Voici ce que le juge d'appel Fish a déclaré :

[traduction]. . . Je le répète, le juge de première instance n'était pas tenu par la recommandation commune des avocats. Pour des motifs appropriés, expliqués même sommairement, il était fondé à s'écarter de la peine proposée conjointement. Le juge pouvait de bon droit accepter ou rejeter la recommandation. Mais il ne pouvait pas ne pas en tenir compte. Encore moins, simplement la négliger.

[14]     Dans Regina c. Chartrand (1998), 131 C.C.C. (3d) 122, la Cour d'appel du Manitoba est allée plus loin. Encore une fois, il s'agissait d'une affaire où il y avait eu une recommandation conjointe pour la peine. Voici ce que dit le juge d'appel Kroft au paragraphe 8 :

[traduction] [8] Le juge de la détermination de la peine n'est pas tenu d'accepter la recommandation, mais celle-ce ne devrait pas être rejetée à moins d'une raison valable. La présente affaire n'entre pas dans cette catégorie.


[15]     L'affaire en litige ressemble aux affaires Dubuc, supra, et Chartrand, supra, mais, comme je l'ai mentionné, dans un contexte d'immigration. Il y a eu une recommandation conjointe; mais elle n'a pas été prise en compte. Le tribunal n'était pas fondé à agir ainsi. De plus, si le tribunal avait tenu compte de la recommandation conjointe, il aurait pu la rejeter mais seulement pour des raisons valables.

DISPOSITIF

[16]     Pour tous ces motifs, le présent contrôle judiciaire est accueilli, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée pour être jugée de nouveau par un tribunal autrement constitué.

                                                                       « François Lemieux »         

                                                                                               J U G E           

OTTAWA (ONTARIO)

LE 3 NOVEMBRE 2000

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                           IMM-567-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :            THI NGOC HUYEN NGUYEN & MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 JUIN 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. LAM                                                            POUR LA DEMANDERESSE

M. ZORIC                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CECIL l. ROTENBERG, C.R.                       POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO

MORRIS ROSENBERG                                POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA


Date : 20001103

Dossier : IMM-567-99

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 3 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                            THI NGOC HUYEN NGUYEN

                                                                                demanderesse

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                         défendeur

                                       ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, le présent contrôle judiciaire est accueilli, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée pour être jugée de nouveau par un tribunal autrement constitué.

                                                                       « François Lemieux »         

                                                                                               J U G E           

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL..L.

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