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Date : 20020218

Dossier : IMM-500-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 FÉVRIER 2002

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                             HIKMAT AL HUSSEINI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                 -et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs annexés, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question n'a été proposée pour certification.

                                                                                                                                     « François Lemieux »         

                                                                                                                                                           J U G E                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020218

Dossier : IMM-500-01

Référence neutre : 2002 CFPI 177

ENTRE :

                                                             HIKMAT AL HUSSEINI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                 -et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX :

[1]                 La question essentielle soulevée dans cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a abdiqué son pouvoir d'examiner sous tous ses aspects la revendication du demandeur lorsqu'elle a rejeté ladite revendication le 11 janvier 2001. Le tribunal ne s'est pas demandé en effet si l'impossibilité pour le revendicateur de pratiquer sa religion en dehors de son domicile équivalait à persécution.

[2]                 Le demandeur est un ressortissant irakien âgé de 28 ans. Il est arrivé au Canada le 13 août 1999, un mois après avoir fui l'Iraq. Il vient d'une famille musulmane chiite fervente qui, depuis 1988, n'a pu pratiquer sa religion hors de son domicile en se rendant à la mosquée et qui en fait s'est abstenue de la pratiquer, craignant d'être persécutée par les autorités irakiennes, dominées par la minorité sunnite.

[3]                 Les parties s'entendent pour dire que le tribunal croyait que le demandeur était un musulman chiite, qu'il pratiquait cette religion et que, depuis 1988, il la pratiquait à l'abri des regards.

[4]                 Le tribunal s'est référé à un document du Département d'État des États-Unis intitulé Iraq Country Report on Human Rights Practices for 1998, 21 février 1999, et en a cité l'extrait suivant :

[Traduction]

Les opérations militaires irakiennes ont continué à prendre pour cibles les Arabes chiites qui vivent dans les marais du sud.

Des rapports indiquent que le gouvernement n'a pas cessé d'arrêter arbitrairement et de maltraiter des membres du clergé musulman chiite et leurs adeptes. Il aurait également continué à forcer la population chiite du sud à s'exiler au nord.

Deux érudits chiites de Bagdad... auraient été exécutés en juillet.


[5]                 Puis, dans le document du Département d'État des États-Unis intitulé Annual Report on International Religious Freedom for 1999 : Iraq, le tribunal a tiré le passage suivant :

[TRADUCTION]

Des agents de sécurité seraient apparemment postés à toutes les principales mosquées chiites et à tous les sanctuaires. Ils sont chargés de rechercher, de harceler et d'arrêter arbitrairement des fidèles.

Des groupes chiites ont signalé de nombreux cas où des érudits religieux - particulièrement du centre académique chiite de Jajaf, qui jouit d'une renommée internationale - ont été arrêtés, agressés et harcelés pendant la période couverte par ce rapport.

À Najaf, au début d'avril 1999, 15 personnes ont été blessées et des gens ont été arrêtés par centaine alors qu'ils célébraient le 40e jour après la mort de as-Sadr, suivant une observance religieuse islamique traditionnelle. Plus tard en avril, après un procès à huis clos, le gouvernement a exécuté quatre hommes chiites relativement au massacre de as-Sadr.

[6]                 Puis le tribunal a déclaré : « d'après d'autres rapports, des membres des forces de sécurité auraient tué des protestataires ou auraient tiré sur des protestataires - principalement, mais pas exclusivement, dans les villages du sud » .

[7]                 Les deux avocats se sont focalisés sur l'extrait suivant des motifs du tribunal, à la page 3, extrait qu'ils considèrent comme la conclusion critique du tribunal sur ce point :


Le tribunal se penchera maintenant sur le deuxième motif de persécution invoqué par M. Al Husseini : sa religion. À cet égard, il est intéressant de constater, d'entrée de jeu, que M. Al Husseini, pas plus qu'un membre de sa famille, n'a jamais eu jusqu'ici de problème sérieux à cause de sa religion. Tout au plus suivant le témoignage du revendicateur, on l'a empêché de pratiquer sa religion hors de chez lui. D'autre part, le tribunal n'a eu en main aucun élément de preuve crédible indiquant qu'il a pris part ou qu'il prendra part un jour à des activités telles des manifestations, des défilés ou des démonstrations publiques de sa religion. Suivant la preuve documentaire citée ici, c'est ce genre d'activités qui risque d'attirer sur lui l'attention des autorités ou de le mettre généralement dans une situation précaire. Qui plus est, lui et sa famille ne vivent pas dans une région de l'Iraq où les autorités sévissent habituellement lorsqu'elles exercent une forte répression. [non souligné dans l'original]

[8]                 Un examen de la transcription (dossier certifié du tribunal, aux pages 241 et 242) révèle que le demandeur a témoigné que, avant le régime actuel, sa famille pratiquait sa religion en se rendant quatre ou cinq fois par jour dans une mosquée, située à Karada. Le demandeur a aussi déclaré que sa famille avait cessé en 1988 d'aller à la mosquée parce que les forces de sécurité sortaient les croyants de la mosquée pour ensuite les emprisonner. Le demandeur a témoigné que sa famille a continué de pratiquer sa religion, non à la mosquée, mais chez elle.

[9]                 L'avocat du demandeur m'a renvoyé à une décision rendue par le juge Denault dans l'affaire Fosu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1813. Il s'agissait d'un Ghanéen, membre des Témoins de Jéhovah, qui avait revendiqué le statut de réfugié en invoquant une crainte de persécution fondée sur sa religion. La crédibilité du revendicateur ne fut pas mise en doute. Dans cette affaire, la section du statut de réfugié avait conclu que la loi ghanéenne interdisait aux Témoins de Jéhovah de tenir des services religieux et que c'était là une forme de restriction. Cependant, elle avait ajouté : [TRADUCTION] « ce n'est pas du tout la même chose que d'interdire à quelqu'un de prier Dieu ou d'étudier la Bible » .

[10]            Le juge Denault a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Il s'est exprimé ainsi :


[5]            Il m'apparaît qu'en l'instance, une analyse minutieuse de la preuve et de la décision m'oblige à intervenir. J'estime en effet que la Section du statut a restreint indûment la notion de pratique religieuse, la limitant au fait « de prier Dieu ou d'étudier la Bible » . Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. [Voir note 1 ci-dessous]. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l'interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu'elles pratiquent leur religion. En l'occurrence, j'estime que l'interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à persécution. C'est précisément ce qu'avait à analyser la Section du statut. [non souligné dans l'original]

[11]            La note 1 accompagnant les motifs du juge Denault dans l'affaire Fosu, précitée, se réfère au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

[12]            L'avocat du demandeur a fait valoir que le tribunal avait l'obligation de se demander si la restriction imposée au droit du demandeur de pratiquer sa religion en dehors de chez lui, c'est-à-dire en public, constituait en la circonstance une persécution, et que c'est précisément ce que le tribunal n'a pas fait.

[13]            Il signale le FRP du demandeur, où l'on peut lire :

[TRADUCTION] J'ai été élevé dans une famille chiite fervente et me rendais régulièrement à la mosquée de mon quartier. En raison de problèmes grandissant pour notre collectivité, et parce que de nombreux chiites étaient dans la mire du gouvernement, je suis devenu très méfiant et fus contraint de cesser de me rendre à la mosquée et de pratiquer ma religion en raison de la crainte qui en résultait. [non souligné dans l'original]

[14]            L'avocat du demandeur a aussi mentionné la preuve documentaire qui a été évoquée dans les présents motifs.

[15]            L'avocat du défendeur souscrit à l'arrêt Fosu, précité, ainsi qu'au droit de pratiquer sa religion publiquement. Il partage la conclusion du juge Denault selon laquelle la section du statut de réfugié doit se demander si le fait d'être empêché de pratiquer publiquement sa religion équivaut à persécution.

[16]            Selon lui, l'arrêt Fosu ne permet pas d'affirmer que toute limite à la manifestation publique d'une religion équivaut à persécution, mais plutôt que certaines restrictions peuvent équivaloir à persécution. Lorsqu'il y a interdiction dans un aspect de la manifestation publique d'une religion, alors la section du statut de réfugié doit, de dire l'avocat du défendeur, se demander si cette interdiction équivaut à persécution.

[17]            Il a fait valoir que la section du statut de réfugié n'a pas commis d'erreur parce qu'elle s'est demandé si le revendicateur avait été empêché de pratiquer sa religion ou serait empêché de la pratiquer dans l'avenir. Selon lui, le demandeur n'a pas apporté la preuve d'une tentative de sa part de pratiquer publiquement sa foi chiite au cours d'une période de 11 ans, et il n'a pas non plus apporté la preuve d'une répression subie par sa famille en raison de sa foi chiite.


[18]            Il a signalé des écrits montrant que certaines mosquées chiites et certaines pratiques religieuses chiites avaient été l'objet de harcèlement, mais les écrits en question n'indiquaient pas que toute la population chiite avait été empêchée de prier publiquement. Les écrits, a-t-il affirmé, parlaient de l'attention particulière dont faisaient l'objet certains religieux chiites et leurs adeptes.

[19]            En conclusion, l'avocat du défendeur a avancé que, selon la section du statut de réfugié, le demandeur n'avait pas prouvé d'une manière crédible qu'il était empêché de pratiquer publiquement sa foi chiite, et cette conclusion du tribunal était justifiée puisque le demandeur n'avait pas apporté la preuve de ce fait.

[20]            Je reconnais avec l'avocat du demandeur que ce que le tribunal aurait dû faire ici, comme il y était tenu en vertu de l'arrêt Fosu, précité, c'était analyser les raisons pour lesquelles le demandeur avait cessé de se rendre à la mosquée depuis 1988 et se demander si cette interruption résultait d'une persécution.

[21]            L'avocat du défendeur s'est efforcé de me convaincre que le tribunal avait analysé la question et était arrivé à la conclusion que le demandeur n'avait produit sur ce point aucune preuve crébible.

[22]            À mon avis, il tentait de rédiger les motifs du tribunal et de faire dans son argument l'analyse que le tribunal lui-même était tenu de faire dans sa décision.

[23]            Il n'est pas impossible que le point de vue du défendeur soit finalement celui que le tribunal adoptera, mais c'est là le travail du tribunal, non celui de l'avocat.

[24]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question n'a été proposée pour certification.

                                                                                                                                     « François Lemieux »         

                                                                                                                                                           J U G E                     

OTTAWA (ONTARIO)

LE 18 FÉVRIER 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-500-01

INTITULÉ :                                           Hikmat Al Husseini c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 5 février 2002

ORDONNANCE ET MOTIFS

DE L'ORDONNANCE DE :             M. le juge Lemieux       

DATE DES MOTIFS :                        le 18 février 2002

ONT COMPARU :

Michael Korman                                                                POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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