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Date : 20020903

Dossier : T-1173-01

Référence neutre : 2002 CFPI 928

Ottawa (Ontario), le mardi 3 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                       MILTON JAMES WOODS

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question limitée suivante :

Le Tribunal de l'aviation civile a-t-il compétence pour réviser les questions portant sur les contraventions à l'article 7.3 de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la Loi), lorsque le ministre des Transports (le ministre) décide de suspendre ou d'annuler un document d'aviation canadien au motif qu'une personne a contrevenu au paragraphe 7.3(1) de la Loi?

[2]                Le procureur général du Canada présente cette demande pour contester la décision du Comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile (le Comité d'appel), datée du 30 mai 2001, qui confirmait la décision du Tribunal de l'aviation civile (à l'occasion le Tribunal), portant qu'il n'avait pas compétence en l'instance.

LES FAITS

[3]                Dans un avis de suspension daté du 1er octobre 1999, le ministre suspend la licence de pilote du défendeur, M. Woods, en vertu de l'article 6.9 de la Loi. Le ministre soutient que M. Woods a commis huit infractions au Règlement de l'aviation canadien et à la Loi. Les deux infractions pertinentes en l'instance sont les infractions 5 et 6 que l'on trouve dans l'avis de suspension. Elles sont rédigées comme suit :

Infraction 5

L'alinéa 7.3(1)c) de la Loi sur l'aéronautique, parce que le ou vers le 5 et le 6 décembre 1998, au Canada et aux États-Unis d'Amérique, vous avez fait une fausse inscription dans les registres dont la tenue est exigée, dans le dessein d'induire en erreur, à savoir, vous avez utilisé l'aéronef Cessna Citation 550, no de série 550-0100, portant la marque d'immatriculation canadienne C-GNWM avec un seul pilote et vous avez inscrit dans le carnet de route le nom d'un pilote alors que celui-ci n'agissait pas en qualité de membre de l'équipage.

                                                                                             Peine : suspension de 90 jours

Infraction 6

L'alinéa 7.3(1)c) de la Loi sur l'aéronautique, parce que le 25 février 1999 et le 4 mars 1999, aux environs de Richmond (Colombie-Britannique), vous avez fait des fausses inscriptions dans les registres dont la tenue est exigée sous le régime de la présente partie, dans le dessein d'induire en erreur, à savoir, vous avez effacé des inscriptions des plans de vol exploitation de la compagnie.

                                                                                             Peine : suspension de 90 jours

[4]                M. Woods s'est présenté devant le Tribunal de l'aviation civile pour obtenir la révision de sa suspension. L'audience en révision de la décision du ministre s'est tenue en septembre devant le vice-président du Tribunal de l'aviation civile.

[5]                Le Tribunal a rendu sa décision en janvier 2001. Il a notamment décidé qu'il n'avait pas compétence pour traiter des infractions 5 et 6, ces infractions étant fondées sur des allégations voulant que M. Woods avait contrevenu à l'alinéa 7.3(1)c) de la Loi. Subsidiairement, le Tribunal de l'aviation civile a conclu qu'à supposer qu'il soit dans l'erreur sur la question de compétence, il imposerait une suspension de 90 jours pour l'infraction 5 et rejetterait l'infraction 6.

[6]                Le ministre a interjeté appel de la décision du Tribunal de l'aviation civile devant un comité d'appel de trois membres. L'appel a été entendu en avril 2001. Le Comité d'appel a rejeté l'appel, confirmant la décision du Tribunal de l'aviation civile voulant que ce dernier n'avait pas compétence pour traiter des infractions prévues à l'article 7.3 de la Loi.


[7]                Avant l'audience de l'appel, le Comité d'appel a rejeté les requêtes et demandes écrites du procureur général pour obtenir un ajournement, ainsi que pour qu'on remette au ministre une transcription de l'audience en révision devant le Tribunal de l'aviation civile. Le Comité d'appel a aussi rejeté la demande du ministre qui désirait procéder par prétentions écrites plutôt qu'orales. Le Comité d'appel a par la suite accepté qu'on présente à l'audience un résumé écrit des prétentions orales.

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[8]                Les dispositions suivantes de la Loi sur l'aéronautique sont pertinentes en l'instance :


6.8 En sus des motifs de suspension, d'annulation ou de refus de renouveler mentionnés aux articles 6.9 à 7.1, le ministre peut suspendre, annuler ou refuser de renouveler un document d'aviation canadien dans les circonstances et pour les motifs que le gouverneur en conseil peut fixer par règlement.

6.8 In addition to any ground of suspension, cancellation or refusal of renewal referred to in sections 6.9 to 7.1, the Minister may suspend, cancel or refuse to renew a Canadian aviation document in such circumstances and on such grounds as the Governor in Council may by regulation prescribe.

6.9 (1) Lorsqu'il décide de suspendre ou d'annuler un document d'aviation canadien parce que l'intéressé - titulaire du document ou propriétaire, exploitant ou utilisateur d'aéronefs, d'aéroports ou d'autres installations que vise le document - a contrevenu à la présente partie ou à ses textes d'application, le ministre expédie par courrier recommandé ou certifié à la dernière adresse connue de l'intéressé, ou par signification à personne, avis de la mesure et de la date de sa prise d'effet, laquelle ne peut survenir moins de trente jours après l'expédition ou la signification de l'avis.

6.9 (1) Where the Minister decides to suspend or cancel a Canadian aviation document on the grounds that the holder of the document or the owner or operator of any aircraft, airport or other facility in respect of which the document was issued has contravened any provision of this Part or any regulation or order made under this Part, the Minister shall by personal service or by registered or certified mail sent to the holder, owner or operator, as the case may be, at his latest known address notify the holder, owner or operator of that decision and of the effective date of the suspension or cancellation, but no suspension or cancellation shall take effect earlier than the date that is thirty days after the notice under this subsection is served or sent.

[...]

[...]

(3) L'intéressé qui désire faire réviser la décision du ministre dépose une requête à cet effet auprès du Tribunal à l'adresse et pour la date limite indiquées dans l'avis, ou dans le délai supérieur éventuellement octroyé à sa demande par le Tribunal.

(3) Where the holder of a Canadian aviation document or the owner or operator of any aircraft, airport or other facility in respect of which a Canadian aviation document is issued who is affected by a decision of the Minister referred to in subsection (1) wishes to have the decision reviewed, he shall, on or before the date that is thirty days after the notice is served on or sent to him under that subsection or within such further time as the Tribunal, on application by the holder, owner or operator, may allow, in writing file with the Tribunal at the address set out in the notice a request for a review of the decision.

(7) À l'audition, le conseiller accorde au ministre et à l'intéressé toute possibilité de présenter leurs éléments de preuve et leurs observations sur la mesure attaquée conformément aux principes de l'équité procédurale et de la justice naturelle.

(7) At the time and place appointed under subsection (6) for the review of the decision, the member of the Tribunal assigned to conduct the review shall provide the Minister and the holder of the Canadian aviation document or the owner or operator affected by the decision, as the case may be, with a full opportunity consistent with procedural fairness and natural justice to present evidence and make representations in relation to the suspension or cancellation under review.


                   Interdiction, infractions et peines

7.3 (1) Il est interdit :

a) de faire sciemment une fausse déclaration pour obtenir un document d'aviation canadien ou tout avantage qu'il octroie;

b) de détruire délibérément un document dont la tenue est exigée sous le régime de la présente partie;c) de faire, ou faire faire, de fausses inscriptions dans les registres dont la tenue est exigée sous le régime de la présente partie, dans le dessein d'induire en erreur, ou d'omettre délibérément d'y faire une inscription;

d) d'entraver délibérément l'action d'une personne exerçant ses fonctions sous le régime de la présente partie;

e) sauf autorisation donnée en application de la présente partie, d'utiliser délibérément un aéronef retenu sous le régime de celle-ci, ou d'effectuer quelque opération se rapportant à cet aéronef;

f) d'accomplir délibérément un acte ou chose pour lequel il faut un document d'aviation canadien sans en être titulaire ou en violation de ses termes;

g) d'accomplir délibérément un acte ou chose pour lequel il faut un document d'aviation canadien :

           Prohibitions, Offences and Punishment

7.3 (1) No person shall

(a) knowingly make any false representation for the purpose of obtaining a Canadian aviation document or any privilege accorded thereby;

(b) wilfully destroy any document required under this Part to be kept;

(c) make or cause to be made any false entry in a record required under this Part to be kept with intent to mislead or wilfully omit to make any entry in any such record;

(d) wilfully obstruct any person who is performing duties under this Part;

(e) except as authorized under this Part, wilfully operate or otherwise deal with an aircraft that has been detained under this Part;

(f) wilfully do any act or thing in respect of which a Canadian aviation document is required except under and in accordance with the required document; or

(g) wilfully do any act or thing in respect of which a Canadian aviation document is required where

   (i)                 alors que le document est frappé de suspension,

   (ii)                 alors qu'une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 7.5(1) l'interdit.

   (i)                 the document that has been issued in respect of that act or thing is suspended, or

   (ii)                 an order referred to in subsection 7.5(1) prohibits the person from doing that act or thing.

(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité :

   a) soit par mise en accusation;

   b) soit par procédure sommaire.

(2) Every person who contravenes subsection (1) is guilty of

   (a) an indictable offence; or

   (b) an offence punishable on summary conviction.

(3) Sauf disposition contraire de la présente partie, quiconque contrevient à celle-ci ou à ses textes d'application est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(3) Except as otherwise provided by this Part, every person who contravenes a provision of this Part or any regulation or order made under this Part is guilty of an offence punishable on summary conviction.

(4) La personne physique déclarée coupable d'une infraction à la présente partie ou à ses textes d'application punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire encourt une amende maximale de cinq mille dollars, et dans le cas d'une infraction visée au paragraphe (1), un emprisonnement maximal de un an et une amende maximale de cinq mille dollars, ou l'une de ces peines.

(4) An individual who is convicted of an offence under this Part punishable on summary conviction is liable to a fine not exceeding five thousand dollars and, in the case of an offence referred to in subsection (1), to imprisonment for a term not exceeding one year or to both fine and imprisonment.

7.4 (1) Le tribunal qui a prononcé un verdict de culpabilité sur mise en accusation pour une infraction aux alinéas 7.3(1)f) ou g) relative à l'exploitation d'un service aérien commercial peut, en sus de toute autre sanction, ordonner la confiscation immédiate, au profit de Sa Majesté du chef du Canada, de tout aéronef affecté à cette exploitation.

7.4 (1) Where a person is convicted on indictment of an offence referred to in paragraph 7.3(1) (f) or (g) in relation to the operation of a commercial air service, the court may, in addition to any other punishment it may impose, order that any aircraft used in the commercial air service be forfeited and, on the making of such an order, the aircraft is forfeited to Her Majesty in right of Canada.

7.5 (1) Quiconque est déclaré coupable d'une infraction à la présente partie ou à ses textes d'application peut, en sus de la sanction, se voir interdire, par ordonnance du tribunal saisi de la poursuite :

7.5 (1) Where a person is convicted of an offence under this Part, the court may, in addition to any other punishment it may impose, make an order


a) s'il s'agit d'un titulaire de document d'aviation canadien, ou du propriétaire, de l'exploitant, de l'utilisateur d'un aéronef, d'un aéroport ou d'autres installations visés par un tel document, d'accomplir tout acte ou chose autorisé par le document pendant la durée de validité de celui-ci ou sous réserve des conditions de temps ou de lieu précisées;

b) d'utiliser un aéronef ou de fournir des services essentiels à son utilisation sous réserve des conditions de temps ou de lieu précisées.

(a) where the person is the holder of a Canadian aviation document or is the owner or operator of any aircraft, airport or other facility in respect of which a Canadian aviation document was issued, prohibiting the person from doing any act or thing authorized by the document at all times while the document is in force or for such period or at such times and places as may be specified in the order; or

(b) prohibiting the person from operating an aircraft or providing services essential to the operation of an aircraft for such period or at such times and places as may be specified in the order.                 Procédure relative à certaines contraventions

7.6 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) désigner tout texte d'application de la présente partie, ci-après appelé au présent article et aux articles 7.7 à 8.2 "texte désigné", dont la transgression est traitée conformément à la procédure prévue à ces articles;

                     Procedure pertaining to certain Contraventions

7.6 (1) The Governor in Council may, by regulation,

(a) designate any regulation or order made under this Part, in this section and in sections 7.7 to 8.2 referred to as a "designated provision", as a regulation or order the contravention of which may be dealt with under and in accordance with the procedure set out in sections 7.7 to 8.2; and

b) fixer le montant maximal - plafonné, dans le cas des personnes physiques, à cinq mille dollars et, dans le cas des personnes morales, à vingt-cinq mille dollars - à payer au titre d'une contravention à un texte désigné.

(b) prescribe, in respect of a designated provision, the maximum amount payable in respect of a contravention of that provision, which amount shall not exceed

   (i)                 five thousand dollars, in the case of an individual, and

   (ii)                 twenty-five thousand dollars, in the case of a corporation.

(2) Quiconque contrevient à un texte désigné commet une infraction et encourt la sanction prévue aux articles 7.7 à 8.2. Aucune poursuite ne peut être intentée contre lui par procédure sommaire.

(2) A person who contravenes a designated provision is guilty of an offence and liable to the punishment imposed in accordance with sections 7.7 to 8.2 and no proceedings against the person shall be taken by way of summary conviction.

8.5 Nul ne peut être reconnu coupable d'avoir contrevenu à la présente partie ou à ses textes d'application s'il a pris toutes les mesures nécessaires pour s'y conformer.

8.5 No person shall be found to have contravened a provision of this Part or of any regulation or order made under this Part if the person exercised all due diligence to prevent the contravention.


LA DÉCISION DU COMITÉ D'APPEL

[9]                Après avoir présenté les observations des parties et examiné l'effet des modifications apportées à la Loi en 1995 sur les questions en litige, le Comité d'appel déclare ceci :

Nous ne sommes pas d'accord avec l'aspect des arguments du ministre qui affirme que l'interprétation du conseiller entraînerait la nullité du paragraphe 6.9(1). Nous nous rallions au conseiller à savoir que les exceptions auxquelles il fait référence au paragraphe 7.3(3) sont conçues pour faire référence au paragraphe 7.3(2) (les infractions hybrides) et au paragraphe 7.6(2) (les textes désignés). De plus, le paragraphe 7.6(2) prévoit que les infractions aux textes désignés ne peuvent faire l'objet de poursuites judiciaires par procédure sommaire.

Par conséquent, notre revue de l'esprit de la loi nous amène àconclure qu'il existe des infractions liées à l'article 7.3 qui doivent être traitées à la cour et des infractions aux textes désignés liés à 7.6 qui ne doivent pas être traitées en cour et toutes les autres, selon le libellé du paragraphe 7.3(3), devront être classées comme des infractions punissables par procédure sommaire.

En pratique toutefois, étant donnéque de plus en plus d'infractions ont été énumérées au Règlement sur les textes désignés au cours des quinze années qui ont suivi, la majorité des infractions sont maintenant traitées de façon administrative, à savoir par voie d'amende imposée en vertu de l'article 7.6 ou par voie de suspension en vertu de l'article 6.9 parce que nulle part dans la loi, le ministre n'est dispensé d'utiliser la suspension de l'article 6.9 pour une violation d'un texte désigné. En réalité, dans la cause Canada (Procureur général) c. La Ronge Aviation Services Ltd. (C.F.A.), la Cour se prononçait sur cette question.


Une analyse de la loi par la Cour fédérale du Canada a clairement démontré que rien n'empêchait le ministre de suspendre un document d'aviation canadien en vertu de l'article 6.9 de la loi pour une violation du Règlement sur les textes désignés étant donnéqu'il s'agit de la peine la plus sévère prévue par le ministre pour les violations les plus graves aux textes désignés.

Nous ne considérons pas que le ministre peut suspendre un document d'aviation canadien en raison d'une infraction citée au paragraphe 7.3(1) étant donné que cet article prévoit que le ministre a le choix d'utiliser la procédure de mise en accusation lorsque le procureur au nom du ministre décide que la cause est une affaire trop grave pour traiter une infraction par procédure sommaire. C'est donc dire que les voies les moins et les plus graves sont contenues à l'article 7.3. Cette interprétation est renforcée par le libellé limitatif du paragraphe 7.3(2). Ce comité est d'avis que toute application générale des suspensions administratives de l'article 6.9 est restreinte par le caractère limitatif du paragraphe (2) étant donné qu'il s'applique aux infractions énumérées au paragraphe (1) de l'article 7.3.

[...]

CONCLUSION

Notre comité souscrit àl'analyse exposée dans la décision à la suite d'une révision et ne voit aucune raison de la modifier. Ànotre avis, le libellé du paragraphe 7.3(2) de la loi est clair, sans ambiguïté et ne prête quune seule interprétation, soit la limitation des voies procédurales offertes au ministre pour poursuivre en raison des infractions au paragraphe (1), à savoir par voie de mise en accusation ou par voie de procédure sommaire. Voilà qui est clair. Selon le comitéd'appel, les infractions au paragraphe (1) ne peuvent être traitées administrativement en vertu de l'article 6.9 de la loi parce que le caractère administratif de la loi est restreint ou limité par la limitation explicite du paragraphe 7.3(2) en regard des infractions contenues au paragraphe 7.3(1). [notes en bas de page non reproduites]

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]            S'appuyant sur la décision du juge Tremblay-Lamer dans Air Nunavut Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2001] 1 C.F. 138 (1re inst.), ainsi que sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le ministre soutient que la norme de contrôle applicable de la décision du Comité d'appel en ce qui concerne la compétence du Tribunal de l'aviation civile pour entendre ces infractions est celle de la décision correcte. L'avocat de M. Woods est du même avis.

[11]            Je suis convaincue que si l'on applique les facteurs énoncés dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. J'ai notamment examiné la portée de la question et son applicabilité à un grand nombre de cas dans le futur, ainsi que le manque d'expertise relative du Comité d'appel en matière d'interprétation des lois.

[12]            Le Tribunal doit interpréter correctement la Loi sur cette question et, en ce sens, la question porte sur la compétence du Tribunal de l'aviation civile. Par conséquent, le Tribunal doit la trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Voir : Pushpanathan, précité, au paragraphe 28.

ANALYSE

a)          La question de la compétence

[13]            La Loi charge le ministre de la réglementation de l'aéronautique et du contrôle de tous les secteurs liés à ce domaine. S'agissant de la suspension, de l'annulation ou du refus de renouveler des documents d'aviation, l'article 6.8 de la Loi porte que :

En sus des motifs de suspension, d'annulation ou de refus de renouveler mentionnés aux articles 6.9 à 7.1, le ministre peut suspendre [...]

[14]            Le paragraphe 6.9(1) de la Loi pour sa part traite de la décision du ministre de suspendre un document d'aviation au motif que son titulaire « a contrevenu à la présente partie » . La mention de la « présente partie » renvoie à la partie I de la Loi.


[15]            Le paragraphe 7.3(1) de la Loi est une disposition qui s'inscrit dans la partie I de la Loi. Par conséquent, l'effet combiné de l'article 6.8 et des paragraphes 6.9(1) et 7.3(1) de la Loi est, prima facie, que le ministre peut suspendre un document pour toute contravention à une question énumérée au paragraphe 7.3(1) de la Loi. Il s'ensuit donc que le Tribunal de l'aviation civile a compétence pour réviser une telle décision.

[16]            Pour conclure à l'absence de cette compétence, « il faut se demander si une autre disposition de la Loi a pour effet de retirer ce pouvoir » , pour reprendre les mots du juge Hugessen dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. La Ronge Aviation Services Ltd. (1988), 93 N.R. 234 (C.A.F.).

[17]            Le Tribunal de l'aviation civile et le Comité d'appel ont conclu que cette compétence était exclue par le paragraphe 7.3(2) de la Loi. Pour faciliter la lecture, je reprends ce paragraphe :

(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité :

a) soit par mise en accusation;

b) soit par procédure sommaire.

                                                                 [non souligné dans l'original]

[18]            Le Comité d'appel et le Tribunal de l'aviation civile étaient tous deux d'avis que cette disposition avait pour effet d'établir que les infractions en vertu de l'article 7.3 doivent être poursuivies par voie de mise en accusation ou de procédure sommaire. Encore une fois pour faciliter la lecture, je reprends les termes du Comité d'appel :

Par conséquent, notre revue de l'esprit de la loi nous amène àconclure qu'il existe des infractions liées à l'article 7.3 qui doivent être traitées à la cour et des infractions aux textes désignés liés à 7.6 qui ne doivent pas être traitées en cour et toutes les autres, selon le libellé du paragraphe 7.3(3), devront être classées comme des infractions punissables par procédure sommaire.

[19]            Avec égards, je ne peux me ranger à cette interprétation.

[20]            Bien que les deux parties ont présenté une interprétation objective de la Loi, j'adopte comme prémisse que l'approche à privilégier en matière d'interprétation des lois est celle qu'énonce E.A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd., 1983), à la page 87 :

[Traduction] Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

À titre d'exemple, voir l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 27, ainsi que la jurisprudence citée dans cet arrêt.

[21]            En examinant de façon globale les dispositions de la partie I, je constate que les suivantes sont utiles.

[22]            Premièrement, l'effet combiné des paragraphes 7.3(2), 7.3(3) et 7.6(2) fait que chaque contravention à une disposition de la partie I est une infraction. Le fait de contrevenir à un texte désigné ne peut mener à une poursuite criminelle par voie de mise en accusation ou de procédure sommaire. Toutefois, le fait de contrevenir à une disposition autre qu'un texte désigné est sanctionné par voie de procédure sommaire, sauf dans le cas d'une contravention au paragraphe 7.3(1) lorsque l'on décide de procéder par voie de mise en accusation.

[23]            Je conclus de ceci que le simple fait qu'une contravention à l'une des dispositions peut mener à des procédures judiciaires, par voie de mise en accusation ou de procédure sommaire, ne suffit pas à restreindre le sens des articles 6.8 et 6.9. Or, le sens clair de cette disposition est que toute contravention aux dispositions de la partie I peut mener le ministre à la décision de suspendre un document, ce qui peut ensuite mener à une révision de cette décision par le Tribunal de l'aviation civile. Toute autre conclusion viendrait réduire le pouvoir de suspension à la portion congrue, puisqu'il ne s'appliquerait qu'aux contraventions à un texte désigné.

[24]            L'utilisation du mot « soit » au paragraphe 7.3(2), ainsi que l'ensemble de la formulation de la disposition, font ressortir que lorsqu'une conduite mène à des procédures judiciaires il y a une option à exercer entre la mise en accusation et la procédure sommaire.

[25]            Deuxièmement, je considère que le paragraphe 7.6(2) est utile. Pour faciliter la lecture, je le cite à nouveau :


(2) Quiconque contrevient à un texte désigné commet une infraction et encourt la sanction prévue aux articles 7.7 à 8.2. Aucune poursuite ne peut être intentée contre lui par procédure sommaire.

[26]            Je conclus de ceci que lorsque le législateur a eu l'intention de restreindre l'action du ministre à une seule procédure, en l'instance une procédure administrative et non une procédure judiciaire, pour une infraction à traiter par voie de procédure sommaire, il utilise une formulation expresse. Je déduis du fait qu'une telle restriction ne se trouve nulle part ailleurs dans la partie I que le législateur n'avait pas l'intention de restreindre les options du ministre.

[27]            Par conséquent, au vu du sens clair et ordinaire des termes utilisés au paragraphe 6.9(1), qui traite des suspensions pour contravention à l'une des dispositions de la partie I, de la structure de la partie I, et de la responsabilité et de l'autorité étendues que le législateur a conféré au ministre par l'article 4 de la Loi, je conclus que le ministre peut suspendre un document d'aviation pour une conduite qui est en contravention avec le paragraphe 7.3(1) de la Loi. Il s'ensuit que le Tribunal peut réviser cette décision.


[28]            Devant notre Cour, ainsi que devant les instances inférieures, on a longuement plaidé que si [Traduction] « le ministre décide de poursuivre un titulaire de permis par voie criminelle » , il doit s'appuyer sur l'article 7.3 de la Loi et utiliser la procédure de mise en accusation ou la procédure sommaire en cas d'infractions énumérées au paragraphe 7.3(1). On a prétendu que la procédure en vertu de l'article 7.3 n'est pas une procédure administrative et que la formulation de l'alinéa 7.3(1)c) en cause ici place cette infraction [Traduction] « carrément dans une catégorie exigeant la mens rea » .

[29]            Avec égards, je suis d'avis que ce point de vue ne tient pas compte du fait que la procédure mise en oeuvre par le ministre n'est pas de nature criminelle. Comme cette procédure était administrative, rien n'exigeait qu'on l'intente devant les tribunaux. Le ministre a décidé d'une suspension administrative en vertu des articles 6.8 et 6.9 de la Loi, se fondant sur une contravention à l'une des dispositions de la partie I de la Loi, savoir l'alinéa 7.3(1)c) qui interdit à toute personne de faire, ou de faire faire, dans le dessein d'induire en erreur, de fausses inscriptions dans les registres dont la tenue est exigée.

[30]            Le fait que l'un des éléments de la conduite prohibée exige que l'intention soit d'induire en erreur ne suffit pas à faire que cette conduite ne puisse être examinée que dans le cadre d'une procédure judiciaire introduite par voie de procédure sommaire ou de mise en accusation. L'exigence de la mens rea présente dans les infractions qui sont de nature criminelle ne suffit pas à faire qu'une conduite serait criminelle au sens qu'on ne peut la réviser que dans le cadre d'une procédure judiciaire.


[31]            On a aussi soutenu que les agissements sérieux du genre de ceux qui sont énumérés au paragraphe 7.3(1) ne devraient être jugés que devant une cour criminelle, ou l'on trouve des protections procédurales précises. Toutefois, ces protections procédurales sont contextuelles et elles sont à la mesure du fait qu'une poursuite entreprise par mise en accusation ou procédure sommaire peut se solder par une déclaration de culpabilité, par l'imposition d'une amende ou par l'emprisonnement (dans le cas d'une infraction au paragraphe 7.3(1)). Pour leur part, les protections procédurales prévues devant le Tribunal de l'aviation civile sont à la mesure du fait qu'il s'agit là de procédures administratives visant à annuler, suspendre ou refuser de renouveler un document d'aviation.

[32]            M. Woods s'appuie aussi sur le paragraphe 7.5(1) de la Loi afin de soutenir que, lorsque le ministre procède suite à une infraction au paragraphe 7.3(1) de la Loi, c'est le paragraphe 7.5(1) et non l'article 6.9 qui devrait être utilisé pour interdire l'utilisation ultérieure d'une licence de pilote. Toutefois, l'application du paragraphe 7.5(1) ne se limite pas à une infraction au paragraphe 7.3(1). Contrairement au paragraphe 7.4(1), qui confère à la cour le pouvoir d'ordonner la confiscation de l'aéronef d'une personne contre qui on a prononcé « un verdict de culpabilité sur mise en accusation » , le paragraphe 7.5(1) s'applique simplement lorsqu'une personne est « déclaré[e] coupable d'une infraction à la présente partie » . Le paragraphe 7.3(3) de la Loi porte que, sauf les dispositions des paragraphes 7.3(2) et 7.6(2), toute contravention à la partie I est une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Une cour peut donc imposer une interdiction suite à une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[33]            Finalement, le Tribunal de l'aviation civile s'est appuyé sur l'article 8.5 de la Loi. Pour faciliter la lecture, je répète ici cette disposition :

8.5 Nul ne peut être reconnu coupable d'avoir contrevenu à la présente partie ou à ses textes d'application s'il a pris toutes les mesures nécessaires pour s'y conformer.

[34]            Le Tribunal de l'aviation civile a noté ceci, dans le cadre d'une analyse approfondie :

Bien que le libellé de 6.9 semble assez étendu pour comprendre 7.3, une comparaison avec un autre article dont le libellé est semblable montre qu'il peut ne pas s'appliquer. L'article 8.5, concernant la diligence raisonnable, est aussi censé s'appliquer à une contravention « à la présente partie ou à ses textes d'application » .

Une analyse de l'application de 8.5 montre que bien que le libellé soit large, il ne peut s'appliquer à chaque disposition de la partie. Dans la deuxième catégorie d'infractions où la mens rea est nécessaire, l'accusé peut se dégager de sa responsabilité en prouvant qu'il a utilisé toute la diligence raisonnable. La défense de diligence raisonnable peut s'appliquer à toutes les infractions de cette deuxième catégorie, mais elle ne peut s'appliquer aux infractions de première catégorie où la mens rea est nécessaire.

[35]            Selon moi, toutefois, l'article 8.5 n'est pas incompatible avec une interprétation qui veut que le paragraphe 7.3(1) présente une liste de dispositions dont la contravention peut se solder par une suspension en vertu de l'article 6.8 et du paragraphe 6.9(1). Si une conduite délibérée comme celle qui est prévue par le paragraphe 7.3(1) est démontrée, la question de savoir si on a fait diligence raisonnable ne se posera pas. Par exemple, le fait de faire de fausses inscriptions dans le dessein d'induire en erreur est totalement incompatible avec la diligence raisonnable pour éviter une contravention. À l'inverse, si on pouvait démontrer qu'une diligence raisonnable a été exercée pour éviter une contravention, on voit mal comment on pourrait conclure à l'existence de la mens rea.

[36]            Pour ces motifs, la décision du Comité d'appel, qui porte que le Tribunal de l'aviation civile n'a pas compétence pour trancher les infractions 5 et 6 énoncées dans l'avis de suspension, est annulée.

b)          L'équité procédurale et la justice naturelle

[37]            Au nom du ministre des Transports, le procureur général soutient que son droit de participer à l'audience devant le Tribunal de l'aviation civile a été enfreint lorsque le registraire de ce Tribunal a fixé une date d'audition devant le Comité d'appel à un moment qui ne convenait pas au représentant du ministre, ainsi que du fait qu'on a refusé de produire la transcription de l'audience devant le Tribunal de l'aviation civile.

[38]            Toutefois, il a été admis que le ministre n'a pas subi de préjudice réel et donc aucune réparation particulière n'est demandée suite à la conduite alléguée.

[39]            Comme aucun préjudice réel n'a été subi, qu'on ne réclame aucune réparation pour ce motif et que la décision est annulée, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si la conduite dont on se plaint constitue un manquement à l'équité procédurale ou à la justice naturelle.


[40]            Il suffit de faire remarquer qu'il est surprenant, en l'absence de facteurs aggravants, comme un retard déjà consigné (facteurs aggravants qui n'existent pas ici), qu'on puisse fixer une date en sachant qu'une des parties n'est pas disponible à ce moment-là. Ceci est particulièrement surprenant du fait que le représentant du ministre a déclaré qu'il était disponible les 26 et 27 avril 2001, alors que l'audition était prévue le 19 avril 2001, le Comité n'étant pas disponible durant la semaine du 26 avril. Rien dans la preuve ne vient expliquer ce qu'il y avait de si urgent dans l'affaire pour que l'on ne puisse remettre son audition à mai 2001, surtout du fait que M. Woods était tout à fait disposé à accommoder le représentant du ministre.

CONCLUSION ET DÉPENS

[41]            La décision du Comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile, datée du 30 mai 2001, est annulée. Étant donné ce fait, M. Woods a demandé une ordonnance enjoignant au Tribunal de ne pas imposer la suspension prévue par suite de l'infraction 5. Il soutient que ce serait une conduite appropriée, au vu de la longue période qui s'est écoulée depuis la révision de la suspension.

[42]            Même si la Cour avait compétence pour prononcer une telle ordonnance, ce qui ne me semble pas clair, je ne suis pas convaincue qu'elle serait appropriée. La question est donc renvoyée au Tribunal pour jugement conforme à mes motifs.

[43]            Le ministre demande les dépens en l'instance.

[44]            La preuve qui porte que M. Woods a essayé de plaider coupable aux infractions 5 et 6 n'est pas contestée, mais le ministre a rejeté cette offre. C'est le vice-président du Tribunal de l'aviation civile qui a soulevé la question de la compétence du Tribunal.

[45]            Bien qu'il ne fasse pas de doute que le ministre défende un intérêt plus général qui dictait le dépôt de cette demande, compte tenu de toutes les circonstances et dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire je ne considère pas qu'il soit approprié de condamner M. Woods aux dépens en l'instance. Pour arriver à cette décision, j'ai examiné le résultat de cette demande, la correspondance portant sur le règlement et l'intérêt public à faire trancher cette affaire. Par conséquent, chaque partie assumera ses propres dépens.

                                        ORDONNANCE

[46]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du Comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile, datée du 30 mai 2001, est annulée. La question est renvoyée au Tribunal de l'aviation civile pour jugement conforme aux présents motifs.


2.          Aucune des parties n'a droit aux dépens.

                                                                         « Eleanor R. Dawson »         

Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                          T-1173-01

INTITULÉ :                                                    PGC c. Milton James Woods

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 14 août 2002

MOTIFS DE JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   le 3 septembre 2002

ONT COMPARU :

M. Dwight Stewart                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

M. Glenn Rosenfeld                                                                               POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Dwight Stewart                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Miller, Thomson LLP

Vancouver (C.-B.)

M. Glenn Rosenfeld                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Vancouver (C.-B.)

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