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Date: 20000529


Dossier : IMM-4838-98



Entre


     HOAI THANH PHAN

     demandeur

     - and -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge GIBSON


[1]          Les présents motifs se rapportent au recours en contrôle judiciaire exercé contre la décision par laquelle un agent des visas en poste à l'ambassade du Canada à Bonn (Allemagne) a rejeté la demande faite par le demandeur du droit de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention, tout en l'informant de ce qui suit :

Il appert également que vous ne remplissez pas pour le moment les conditions d'admission d'immigrants de quelque catégorie que ce soit.

[2]          La lettre notifiant au demandeur la décision de l'agent des visas est datée du 31 mars 1998.

[3]          Le demandeur, qui a 37 ans, est citoyen vietnamien et, à la date de la décision attaquée, résidait avec sa femme et leur enfant en Allemagne. Il avait quitté le Viet-Nam en 1980 sous les auspices du gouvernement vietnamien, pour suivre un cours de formation en Tchécoslovaquie, à l'issue duquel il a trouvé du travail dans ce dernier pays.

[4]          En 1991, il est revenu en vacances au Viet-Nam, rapportant dans ses bagages une certaine quantité de tracts de promotion des idéaux démocratiques. Pendant son séjour, il a discuté politique avec des gens qu'il prenait pour des amis et auxquels il a donné ces tracts. Apparemment l'une de ces personnes l'a dénoncé aux autorités. Le demandeur a été arrêté et détenu pendant deux semaines environ. Il a été interrogé et battu. Les autorités vietnamiennes n'ont apparemment pas saisi les tracts. Par la suite il a été remis en liberté provisoire. Au lieu d'affronter un procès pour soi-disant « activités de propagande ... contre la ligne du parti et du gouvernement » , il a profité d'une place d'avion réservée à l'avance pour retourner en Tchécoslovaquie.

[5]          La demandeur craignait que les autorités tchèques ne le remettent aux autorités vietnamiennes. C'est pourquoi en compagnie de sa femme, il a quitté la République tchèque pour entrer illégalement en Allemagne, traversant la frontière à pied.

[6]          Il s'est vu dénier le statut de réfugié au sens de la Convention en Allemagne. En attendant l'issue de l'appel formé contre cette décision, il a soumis sa demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention, en même temps qu'une demande d'admission à titre d'immigrant indépendant, le tout avec le soutien de l'Église mennonite de Calgary.

[7]          Voici ce qu'on peut lire dans le lettre de l'agent des visas qui notifiait au demandeur la décision contestée en l'espèce :

[TRADUCTION] Après avoir examiné avec soin et sympathie toutes les facettes de votre demande [de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention], j'ai conclu que vous ne satisfaites pas aux critères de la définition [légale de réfugié au sens de la Convention] parce que vous n'avez pu faire la preuve que vous craignez avec raison d'être persécuté ... si vous deviez revenir dans votre pays d'origine. Les renseignements que vous nous avez communiqués ne s'accordent pas avec les informations objectivement confirmées sur la situation des Vietnamiens qui reviennent dans leur pays. Un agent d'immigration principal a approuvé la présente décision.
...
... Il appert aussi que vous ne remplissez pas pour le moment les conditions d'admission d'immigrants de quelque catégorie que ce soit.


[8]          Le demandeur n'a pas déposé d'affidavit à l'appui de son recours en contrôle judiciaire. Le défendeur non plus. Par suite, la Cour a dû essentiellement se fonder sur le dossier du tribunal pour se prononcer sur ce recours en contrôle judiciaire1.

[9]          Les notes SITCI relatives aux demandes du demandeur figurent en pages 1 à 4 du dossier du tribunal, suivies, en pages 5 et 6, de la lettre de rejet susmentionnée. Selon ces notes, la demande faite par le demandeur du droit de résidence permanente au Canada à titre d'immigrant indépendant serait datée du 23 août 1996 alors que la même demande, versée au dossier du tribunal, est datée du 1eroctobre 1996. Il appert que cette demande de résidence permanente à titre d'immigrant indépendant n'a pas été instruite du tout. Par contre, la demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention a été évaluée à la suite d'une entrevue tenue, selon toute apparence, le 4 février 1998. On peut notamment lire ce qui suit dans cette appréciation :

[TRADUCTION] L'histoire du demandeur [le fondement de sa revendication] manque de crédibilité. D'être choisi par le gouvernement pour aller poursuivre les études à l'étranger est quelque chose que recherchent les étudiants de tous les pays du monde, en particulier des pays en voie de développement. Pour être choisi dans un pays comme le Viet-Nam pour aller poursuivre les études en Europe de l'Est, qui était communiste à l'époque, il fallait être vraiment privilégié et jouir d'une grande confiance de la part des autorités. La relation de son arrestation est également douteuse. Le fait qu'il avait été à l'étranger devait attirer l'attention des autorités policières, pourtant elles n'ont pas insisté pour voir son passeport, ni n'ont cherché à l'empêcher de partir pour l'étranger en saisissant ce passeport avant de le remettre en liberté. Si, comme il le prétend, les contrôles étaient relâchés à l'aéroport, il est difficile de concevoir que les autorités vietnamiennes se donnent subséquemment la peine de coordonner avec les Tchèques pour le ramener.
...
Sur un plan plus général, on a constaté ces dernières années une ouverture au Viet-Nam, et des gens qui fuyaient le régime communiste pour se réfugier dans des pays comme les États-Unis sont revenus au Viet-Nam pour visite ou pour affaires, ce qui trahit une confiance croissante dans le respect des droits de la personne dans ce pays. Il y a un vaste programme du HCNUR de rapatriement des réfugiés vietnamiens bloqués dans les camps, et bien que dans nombre de cas, ceux-ci ne reviennent que contre leur gré (affichant ainsi publiquement leur répugnance à retourner dans un Viet-Nam communiste), il ne semble pas qu'ils aient eu des ennuis une fois de retour. Cette situation a fait l'objet d'un suivi par la communauté internationale et à l'heure actuelle, même l'Allemagne a un accord avec le Viet-Nam pour le rapatriement des citoyens de ce pays et pour la protection de leurs droits une fois qu'ils auront été rapatriés. Dans ce cas d'espèce, la revendication du demandeur n'est pas crédible par les motifs supra. Il a pu légalement sortir du pays grâce à son passeport. Il n'y a eu aucune tentative de restreindre sa liberté de circulation après sa soi-disant détention. Le demandeur n'est pas admissible à titre de réfugié au sens de la Convention.

[10]          Les notes SITCI indiquent que l'analyse ci-dessus était partagée par un autre agent, apparemment l'agent d'immigration principal dont fait état le passage ci-dessus de la lettre de rejet.

[11]          Que le demandeur soit fondé ou non à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention pour chercher asile au Canada, je conclus que la lettre portant décision, considérée à la lumière des notes SITCI citées ci-dessus, est entachée d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[12]          J'accepte que le demandeur puisse être raisonnablement considéré comme « vraiment privilégié et [jouissant] d'une grande confiance de la part des autorités » à l'époque où il fut choisi pour aller poursuivre des études subventionnées en Europe de l'Est et pour y travailler. Mais cela se passait en 1980, à un moment où la situation dans cette partie du monde était fort différente. Par la suite et avant qu'il ne revînt au Viet-Nam en 1991, la situation politique a radicalement changé en Europe de l'Est. Le demandeur a été forcément exposé à ces changements et il n'est pas déraisonnable de penser que l'influence qu'il en a subie lui a inspiré un jugement moins favorable sur le régime en place au Viet-Nam.

[13]          L'assertion faite par le demandeur qu'il avait rapporté au Viet-Nam des documents de propagande démocratique n'a pas été contestée. De même son assertion qu'il y a été arrêté. Il n'y a dans les notes SITCI aucune indication qu'il ait été inculpé d'une infraction passible de 12 ans d'emprisonnement. L'agent des visas pouvait raisonnablement avoir des doutes devant la facilité avec laquelle le demandeur avait pu s'enfuir du Viet-Nam tout en étant encore sous le coup de cette inculpation et en état de liberté provisoire, mais il aurait dû saisir ces facteurs dans leur contexte.

[14]          En faisant le parallèle entre le retour du demandeur et celui d'autres venant « des pays comme les États-Unis » ou des camps de réfugiés, l'agent des visas a ignoré les circonstances spéciales dans lesquelles le premier était parti initialement du Viet-Nam en sa qualité d'individu privilégié et jouissant d'une « grande confiance de la part des autorités » , avait été témoin des changements politiques profonds en Europe de l'Est, puis s'était enfui du Viet-Nam pendant qu'il était sous le coup d'une inculpation et en état de liberté provisoire.

[15]          En outre, l'agent des visas a soit commis un déni de justice naturelle soit manqué à son devoir d'équité en indiquant sur la lettre de rejet que les renseignements communiqués par le demandeur ne s'accordaient pas « avec les informations objectivement confirmées sur la situation des Vietnamiens qui reviennent dans leur pays » , sans identifier la source de ces « informations objectivement confirmées » et sans avoir donné au demandeur la possibilité d'y répondre. Il n'y a dans le dossier du tribunal aucune indication qui eût permis à la Cour de vérifier si le demandeur s'est vu donner la possibilité de consulter les documents en questions et d'y répondre..

[16]          Le défaut d'instruire la demande de résidence permanente du demandeur à titre d'immigrant indépendant, au mépris de l'obligation prévue au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 19782, et ce sans aucune explication expresse dans le dossier du tribunal ni dans l'affidavit de l'agent des visas, constitue une erreur de droit ressortant du dossier soumis à la Cour. Le rejet du revers de la main de cette demande, tel qu'il ressort de la lettre portant décision, citée supra, ne décharge en aucune façon le défendeur de l'obligation imposée par le paragraphe 8(1) du Règlement. Il y avait peut-être, à la date de cette décision, une explication rationnelle du défaut d'instruire la demande, faite par le demandeur, du droit de résidence permanente au Canada à titre d'immigrant indépendant, mais on n'en trouve nulle trace dans le dossier soumis à la Cour.

[17]          Par ces motifs, la Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoie, pour nouvelle instruction et nouvelle décision par un autre ou d'autres agents des visas, les deux demandes, faites par le demandeur, du droit de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention et à titre d'immigrant indépendant respectivement.

[18]          Ni l'un ni l'autre des avocats en présence n'a recommandé la certification d'une question tenant à la présente décision. Aucune question ne sera certifiée


     Signé : Frederick E. Gibson

     __________________________________

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 29 mai 2000



Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No:              IMM-4838-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Hoai Thanh Phan

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration


LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :          24 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON


LE :                      29 mai 2000


ONT COMPARU:


M. Charles R. Darwent                  pour le demandeur
M. W. Brad Hardstaff                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Darwent Law Office                      pour le demandeur

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada






     Date: 20000529

     Dossier : IMM-4838-98

Ottawa (Ontario), le lundi 29 mai 2000


EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON



Entre


     HOAI THANH PHAN

     demandeur

     - and -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     ORDONNANCE



     La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoie, pour nouvelle instruction et nouvelle décision par un autre ou d'autres agents des visas, les demandes, faites par le demandeur, du droit de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention et à titre d'immigrant indépendant respectivement.


                                         Page : 2

     Aucune question n'est certifiée.

     Signé : Frederick E. Gibson

     __________________________________

     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme,


Martine Brunet, LL. L.

__________________

1      Cf. Moldenenau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 235 N.R. 192 (C.A.F.), où le juge Décary a fait l'observation suivante au paragraphe 15 : « La pratique proposée par la Cour dans l'arrêt Wang v. Canada (Minister of Employment and Immigration) et suivie par les juges de la Section de première instance, qui consiste à exiger que l'aspirant immigrant présente lui-même la preuve dans les affaires relatives aux décisions d'agents des visas "à moins que l'erreur qui entacherait la décision ressorte du dossier", est, selon nous, empreinte de beaucoup de sagesse. » [référence occultée]

2      DORS/78-172. Voici ce que prévoit le paragraphe 8(1) du Règlement :

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;(c) in the case of an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factors set out in items 4 and 5 thereof;... 8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;c) dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 de cette annexe;

...
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