Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 20001027


Dossier : T-2006-95


ENTRE :

     LES INDUSTRIES S.L.M. INC.

     Demanderesse

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Défenderesse


     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DUBÉ :



[1]          Il s'agit d'un appel de novo d'une décision d'un juge de la Cour Canadienne de l'impôt ("le juge de la CCI") en date du 12 juin 1995 portant sur des cotisations émises en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ("la Loi") pour les années d'imposition 1981 et 1983 de la demanderesse ("SLM").



[2]          Au départ, les parties se sont entendues pour baser cet appel sur la preuve déposée devant la CCI et admettre que les faits relatés dans les motifs de jugement du juge de la CCI sont exacts. Une ordonnance en date du 15 décembre 1999 prévoit également que si les cotisations à l'encontre de SLM sont maintenues, l'appel de Gestion Prego Inc. au dossier T-2007-95 doit être rejeté.

1. Les faits


[3]          Les faits, très complexes, impliquent de multiples transactions entre plusieurs compagnies. Ils sont présentés en détail dans les 28 premiers paragraphes des motifs du jugement de l'honorable juge de la CCI. À ce stage préliminaire, je me limiterai à citer textuellement les deux premiers paragraphes comme entrée en matière et la conclusion au paragraphe 74:

1.      La discorde règne en 1979 entre les quatre actionnaires de Les Industries S.L.M. Inc. (S.L.M.). Quatre sociétés de placement se partagent en parts égales tout son capital-actions. L'une de ces sociétés de placement, Gestion Prego Inc. (Prego), est détenue par M. Guy Godbout qui souhaite que S.L.M. se départe de ses deux filiales : Manufacture St-Laurent Inc. (St-Laurent) et Les Industries Valcartier Inc. (Valcartier). Pour atteindre cet objectif, Prego entreprend des démarches en avril 1980 pour acheter la participation de ses trois coactionnaires et prendre ainsi le contrôle de S.L.M.; par la suite, elle trouvera un acheteur pour Valcartier. St-Laurent, qui éprouve des difficultés financières, sera vendue 1 $ par S.L.M. à M. Georges Couture qui contrôle un des coactionnaires de S.L.M.
2.      Des fiscalistes recommandent la démarche à suivre. St-Laurent déclare d'abord, en août 1980, un dividende en actions de 1 000 000 $, ce qui a pour conséquence d'augmenter de 1 000 000 $ le prix de base rajusté des actions de S.L.M. Cette dernière réalise une perte en capital de 1 000 000 $ lors de la vente à M. Couture. Quelques semaines plus tard, S.L.M. dispose des actions de Valcartier, pour un prix de 9 000 000 $, en faveur d'une filiale de la société d'ingénierie S.N.C. (Filiale S.N.C.). Ce prix de vente aurait permis à S.L.M. de dégager un gain de 4 910 000 $ si elle avait procédé par une simple vente d'actions de Valcartier à Filiale S.N.C. Toutefois, S.L.M. met en place un montage fiscal qui lui permet d'être réputée recevoir en 1981 et 1983 des dividendes de 3 910 000 $ [Voir Note 1 ci-dessous] ce qui ne lui laisse qu'un gain en capital de 1 000 000 $. Dans le calcul de son revenu, S.L.M. déduit de ce gain la perte en capital de 1 000 000 $ réalisée lors de la vente de ses actions de St-Laurent. Les dividendes de 3 910 000 $ sont déduits du revenu imposable de S.L.M. en vertu de l'article 112 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), article qui permet la déclaration de dividendes entre sociétés en franchise d'impôt. En fin de compte, grâce au montage fiscal, S.L.M. n'a déclaré aucun gain imposable résultant de la vente de ses deux filiales.
74.      Pour ces motifs, les appels de S.L.M. pour les années d'imposition 1981 et 1983 sont rejetés. Sont aussi rejetés les appels, par Prego, de la cotisation du 7 juillet 1987 et de ceux pour les années d'imposition de 1981 à 1985.



[4]          Dans le but de simplifier la présentation des faits, la défenderesse, dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire, a résumé les opérations précitées en deux transactions majeures. Les trois paragraphes suivants facilitent grandement la compréhension des points en litige:

13.      La première transaction est celle où « ISLM » se départit de sa filiale « St-Laurent » . En août 1980 « St-Laurent » déclare un dividende en actions de 1,000,000 $ (motifs du jugement page 2, 4 premières lignes). « ISLM » vend alors ses actions de « St-Laurent » à un certain M. Couture le principal de Gestion S.L. Selon les prétentions de « ISLM » cette vente d'actions occasionne une perte de 1,000,000 $ qu'elle appliquera à l'encontre d'un gain en capital d'un même montant de 1,000,000 $ provenant de la seconde transaction ci-après mentionné. (voir motifs du jugement page 2, 1er paragraphe lignes 10 à 12). En quelque sorte par un savant jeu fiscal impliquant la notion de « dividende présumé » la défenderesse prétend que « ISLM » a artificiellement créé une perte qui n'aurait normalement pas résulté de la disposition de sa filiale.
14.      La seconde transaction est celle où « ISLM » vend sa filiale « Valcartier » à une filiale de S.N.C. « ISLM » ne vend pas directement à la filiale de S.N.C. les actions qu'elle détient dans « Valcartier » . Pour simplifier les choses à outrance, la filiale S.N.C. souscrira au capital-action de « Valcartier » qui procèdera au rachat des actions détenues par « ISLM » . En quelque sorte par un savant jeu fiscal impliquant la notion de « dividende présumé » la défenderesse prétend que « ISLM » a artificiellement réduit le gain en capital qui aurait normalement résulté de la disposition de sa filiale « Valcartier » .
15.      Tel qu'il appert des motifs du jugement, le Ministre du Revenu National a fondé ses cotisations résultant des deux transactions ( la vente des filiales « St-Laurent » et « Valcartier » sur le paragraphe 55(1) de la loi de l'impôt sur le revenu ( motifs du jugement page 2, 2ième paragraphe 5 dernières lignes et aussi page 12, 1er paragraphe et). De plus quant à la 2ième transaction ( la vente de « Valcartier » ) le Ministre du revenu National s'est appuyé subsidiairement sur les dispositions du paragraphe 55(2) de la loi de l'impôt sur le revenu. ( motifs du jugement page 3, 1er paragraphe et page 13, 1er paragraphe).




[5]          Les quatre organigrammes suivants illustrent la position de départ des compagnies impliquées au moment de la première transaction, les résultats de cette première transaction, la deuxième transaction et les résultats de cette deuxième transaction:

Schema A Schema B Schema C Schema D

2. La nature de l'instance



[6]          Tel que déjà mentionné, cet appel de novo porte sur les cotisations du Ministre du Revenu national pour les années d'imposition 1981 et 1983 de SLM. Plus précisément, le débat soulève des questions de droit relativement aux paragraphes 55(1) et 55(2) de la Loi en vigueur pour les deux années en question. Les deux paragraphes se lisent comme suit:

Art. 55 Fait d'éluder l'impôt.
(1) Aux fins de la présente sous-section, lorsque les circonstances dans lesquelles ont été effectuées une ou plusieurs opérations de vente ou d'échange, ou autres transactions de quelque nature que ce soit, permettent de croire raisonnablement que le contribuable a disposé d'un bien de façon à artificiellement ou indûment
     (a)      réduire le montant de son gain résultant de la disposition,
     (b)      occasionner une perte résultant de la disposition, ou
     (c)      augmenter le montant de sa perte résultant de la disposition,
le gain ou la perte du contribuable, selon le cas, résultant de la disposition du bien, est calculée comme si une telle réduction, perte ou augmentation, selon le cas, ne s'était pas produite.
(2) Présomption de gain en capital. Lorsqu'une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements (sauf comme partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l'un des objets (ou, dans le cas d'un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l'un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant la réception du dividende, nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l'exclusion de la partie de celui-ci, s'il y a lieu, qui est assujettie à l'impôt en vertu de la Partie IV)




     (a)      est réputé, sauf aux fins du calcul du compte des déductions cumulatives de la corporation (au sens qu'accorde à cette expression l'alinéa 125(6)(b)) ne pas être un dividende reçu par la corporation;
     (b)      lorsqu'une corporation a disposé de l'action, est réputé être le produit de la disposition de l'action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et
     (c)      lorsqu'une corporation n'a pas disposé de l'action, est réputé être un gain de la corporation pour l'année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d'un bien en immobilisations.



[7]          Il faut retenir que le paragraphe 55(2) a été plaidé pour la première fois devant la Cour canadienne de l'impôt "subsidiairement" dans la réponse amendée suite à l'appel de SLM.


3. Prétentions de la demanderesse

     (1) Le paragraphe 55(2) de la Loi


[8]          D'entrée de jeu, SLM allègue que la défenderesse ne peut pas, en cours d'instance, amender sa cotisation et ses avis de cotisation pour plaider l'application du paragraphe 55(2). L'avis original de cotisation se basait seulement sur le paragraphe 55(1). Ce n'est que dans sa réponse amendée à l'avis d'appel en date du 22 juillet 1994 que la défenderesse s'est référée au paragraphe 55(2), donc hors du délai de quatre ans prévu par la Loi. Au cours d'une conférence informelle dans le bureau du juge de la CCI, ce dernier a rejeté les objections du procureur de SLM et a admis l'amendement.



[9]          Dans un premier temps, le procureur se replie sur une décision de la Cour suprême du Canada, Banque Continentale du Canada c. Canada1 en date du 3 septembre 1998 (donc postérieure à la décision du juge de la CCI) dans laquelle le juge Bastarache indique très clairement que la Couronne n'est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai de quatre ans prévu à cette fin. Voici ce que le juge écrivait à ce sujet:

10.      Le délai prévu par la Loi pour établir une cotisation à l'égard d'un contribuable est de quatre ans à compter de la délivrance par Revenu Canada d'un avis de nouvelle cotisation (par. 152(3.1) et 152(4) de la Loi). Par conséquent, le ministre avait jusqu'au 12 octobre 1993 pour envoyer à la Banque une nouvelle cotisation à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement. La Couronne n'est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin. La bonne façon d'aborder cette question a été énoncée dans la décision La Reine c. McLeod, 90 D.T.C. 6281 (C.F. 1re inst.), à la p. 6286. Dans cette affaire, la cour a rejeté la requête de la Couronne, qui sollicitait l'autorisation de modifier ses actes de procédure pour fonder sur une nouvelle base dans la Loi la cotisation établie par Revenu Canada. La cour a refusé l'autorisation pour le motif que le désir de la Couronne d'invoquer un nouvel article de la Loi était, en fait, une tentative en vue de changer le fondement de la cotisation faisant l'objet de l'appel, ce qui « reviendrait à permettre au ministre d'en appeler de sa propre cotisation, notion qui a été expressément rejetée par les tribunaux » . De même, la Cour d'appel fédérale a qualifié de telles tentatives de la part de la Couronne de « tentative[s] tardive[s] de doubler un nouveau fondement à la cause de l'appelante » (British Columbia Telephone Co. c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 112, à la p. 116).



[10]          Dans une décision, encore plus récente, Timothy R. Pedwell c. Sa Majesté la Reine, en date du 12 juin 2000, le juge Rothstein J.A. de la Cour d'appel fédérale se référant à la décision Banque Continentale précitée infirmait une décision de la CCI en ces termes:

     [TRADUCTION]
[15]      Quoique les parties aient fait référence à bon nombre de décisions sur la question, l'arrêt Banque Continentale établit maintenant clairement que le ministre est lié par les motifs de sa cotisation (sous réserve du paragraphe 152(9), qui s'applique aux appels pour lesquels une décision a été rendue après le 17 juin 1999 et qui n'est pas pertinent en l'espèce de toute manière). Même si, dans la présente affaire, le ministre n'a pas avancé de motifs différents au soutien de sa cotisation, j'estime que le principe énoncé dans l'arrêt Banque Continentale est applicable à une décision judiciaire rendue pour des motifs différents que ceux figurant dans l'avis de nouvelle cotisation.
[16]      Premièrement, si la Couronne ne peut pas modifier les motifs d'une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin, la Cour de l'impôt se trouve dans la même position. Le contribuable subit le même préjudice - la privation de l'avantage tiré de ce délai. Il n'est pas loisible à la Cour de l'impôt ni à la Cour fédérale d'élaborer elles-mêmes des motifs de cotisation alors que ces motifs ne constituent pas le fondement de la nouvelle cotisation établie par le ministre relativement au contribuable.
[17]      Deuxièmement, même s'il est loisible au ministre de modifier les motifs de la cotisation avant l'expiration du délai prévu à cette fin, j'estime avec égards que lorsqu'il ne le fait pas, le juge de la Cour de l'impôt doit s'en tenir à la cotisation en litige. L'équité exige que le contribuable ait une possibilité raisonnable de contester de nouveaux motifs de cotisation. Si le juge de la Cour de l'impôt se fonde sur des motifs de cotisation qui ne sont pas en cause dans l'instance, le contribuable est privé de cette possibilité.



[11]          La demanderesse souligne qu'en l'espèce le fondement de la cotisation en vertu du paragraphe 55(1) est à l'effet que le contribuable a réduit de façon "artificielle" ou "indue" le gain résultant de la disposition des actions en question, alors que le paragraphe 55(2) introduit une nouvelle base à l'effet que le dividende réputé excéderait le revenu protégé, donc un fondement totalement différent.



[12]          Même s'il ne s'agissait que d'un nouvel argument et non d'un nouveau fondement, le paragraphe 152(9) de la Loi ne peut être invoqué parce qu'il ne s'applique pas à un appel de novo d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt. Il se lit comme suit:

152. (9)      Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi:
         a)      d'une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;
         b)      d'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.



[13]          La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Hollinger Inc.2 traitant de ce sujet énonçait que suite à l'arrêt Banque Continentale précité "[l]a Couronne n'est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin".



[14]          Se rapportant au paragraphe 152(9) précité, le juge Létourneau remarquait que "la modification n'est pas applicable dans la présente instance puisqu'elle n'était pas en vigueur lorsque la question a été débattue devant la Cour canadienne de l'impôt".




[15]          D'ailleurs, le procureur de la défenderesse a indiqué au cours de son argumentation orale à l'audition qu'il ne s'appuyait plus sur le paragraphe 152(9).



[16]          De plus, le demandeur soutient que le paragraphe 55(2) n'est pas applicable en l'espèce du fait que "les opérations et événements" donnant lieu aux avis de cotisation ont commencé avant le 22 avril 1980, plus précisément le 7 avril 1980, alors que M. Couture confirmait par écrit les modalités générales de transaction (notamment le prix) au moment où M. Godbout avait déjà entamé des discussions avec Valcartier, Remington et Bombardier pour la revente des actions.



[17]          De fait, au premier paragraphe de sa décision, le juge de la CCI mentionne que M. Godbout souhaite que SLM se départe de ses deux filiales (St-Laurent et Valcartier) et que "pour atteindre cet objectif, Prego entreprend des démarches en avril 1980 ...". À partir de cette date, les événements en preuve font partie d'une série d'événements et de transactions menant à la disposition de Valcartier dont le rachat des actions est une composante de la finalité. C'était même la position du Ministre jusqu'en juillet 1994. Le point de départ est donc la lettre en date du 7 avril 1980, de M. Couture, président de Gestion St-Laurent, à M. Godbout, président de Prego, lui offrant une option sur des actions dans SLM pour décoller l'affaire.






[18]          Le paragraphe 248(10) de la Loi prévoit que "pour l'application de la présente loi une série d'opérations ou d'événements, lorsqu'il y est renvoyé, est réputée comprendre les opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série". La lettre et l'option circulées entre les deux acteurs principaux le 7 avril 1980 doivent sûrement être considérées comme au moins un "événement" déclenchant les opérations subséquentes.



[19]          Lorsqu'un texte se trouvant dans une disposition anti-évitement est clair et non équivoque, les tribunaux n'ont pas à rechercher une interprétation qui serait fondée sur une compréhension de l'objet et de l'esprit de la Loi. Le texte même du paragraphe 55(2) contenu entre parenthèses ("sauf comme partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980") indique clairement que ledit paragraphe ne touche pas les transactions déjà en cours au 22 avril 1980.



[20]          De plus, tel que rédigé alors, le paragraphe 55(2) de la Loi n'implique d'aucune façon que le "revenu protégé" soit attribué au pro rata des actions émises et en cours. Au contraire, l'objet et l'esprit du paragraphe 55(2) de la Loi font en sorte que le "revenu protégé" soit attribué aux actionnaires compte tenu des actions qu'ils détiennent et des attributs propres à chaque catégorie d'actions détenues.



[21]          Le rachat des actions privilégiées classe D de Valcartier au montant de 1 915 000 $ effectué le 29 juin 1981 est intervenu avant que le paragraphe 55(2) de la Loi soit modifié. À la date du rachat desdites actions, la date d'établissement du revenu protégé était la date de "la réception du dividende". À cette date, le revenu protégé de Valcartier et applicable à la prime payée au rachat des actions privilégiées classe D était largement supérieur à ladite prime.



[22]          En vertu du paragraphe 84(3) de la Loi, la prime payée lors du rachat d'une action est considérée comme un dividende et en comptabilité cette prime est traitée comme un dividende et provient des bénéfices de l'entreprise. Une action privilégiée rachetable à prime est donc une action participante (dans les profits de l'entreprise) quant au montant de la prime. Au 30 juin 1981, le "revenu protégé" de Valcartier était largement suffisant pour éviter l'application du paragraphe 55(2) aux dividendes présumés de 1 910 000 $.

     (2) Le paragraphe 55(1) de la Loi


[23]          En ce qui concerne la perte en capital de 1 000 000 $ découlant de la disposition des 1,000 actions privilégiées classe B et des 470 actions ordinaires de SLM, la demanderesse plaide qu'elle n'a pas disposé de ses actions de façon à artificiellement ou indûment occasionner une perte. Elle plaide que cette perte fut occasionnée fortuitement sans son concours directement ou indirectement. Ce n'est pas la demanderesse elle-même qui a mis en branle toutes ces transactions. Au contraire, les acteurs principaux étaient M. Godbout de Prego et de Valcartier ainsi que M. Couture de Gestion St-Laurent et de St-Laurent. Ce sont les conseillers fiscaux de ces derniers qui ont établi les différentes étapes de la procédure précitée. Il n'y a pas eu de trompe-l'oeil. Le tout s'est déroulé ouvertement et légalement.



[24]          Le paragraphe 55(1) de la Loi, et plus particulièrement dans sa version anglaise, confirme que le contribuable doit être la personne qui a contribué par ses agissements à créer la perte ("a taxpayer has disposed of property under circumstances such that he may reasonably be considered to have artificially or unduly ... created a loss from the disposition, or ..."). Si le législateur avait voulu que le paragraphe 55(1) s'applique sans intention du contribuable, il n'aurait pas utilisé le pronom "he".



[25]          Dans l'affaire Nova Corp. of Alberta c. Canada3, la Cour d'appel fédérale a décidé que le contribuable n'avait rien fait pour occasionner ou augmenter une perte selon le paragraphe 55(1) de la Loi. Le juge Marceau a conclu qu'il "est aujourd'hui bien établi qu'un contribuable a le droit de structurer ses affaires de façon à tirer le meilleur parti possible de l'abri fiscal que la loi lui offre". Pour sa part, le juge McDonald énonçait ce qui suit à son paragraphe 47:

Suivant le sens ordinaire de cette disposition, l'application de cette dernière est soumise à une condition préalable : la contribuable doit avoir fait quelque chose pour augmenter artificiellement ou indûment le montant de ses pertes découlant de la disposition. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas qu'il y ait une perte, ou que le montant de cette dernière ait augmenté artificiellement ou indûment. Pour que la disposition s'applique, il faut qu'il " -- le contribuable -- ait augmenté le montant de la perte subie par lui au moment de la disposition.
...
... Selon le sens ordinaire du paragraphe 55(1), le contribuable doit donc avoir fait quelque chose pour influencer soit le prix de base rajusté soit le produit de la disposition de manière à faire augmenter artificiellement ou indûment ses pertes.



[26]          Au cours de la décision Hollinger4 précitée, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale concluait ainsi à son paragraphe 42:

[42] À l'instar de mes collègues dans l'arrêt Nova Corp., je suis préoccupé par le fait qu'une société, comme l'intimée, ait été en mesure de rapatrier des pertes de 92 millions de dollars subies aux États-Unis et d'ainsi réduire sa responsabilité fiscale au Canada. Cependant, comme le juge d'appel Desjardins l'a signalé dans l'affaire Nova Corp., il s'agit en l'espèce d'examiner la légalité et non la moralité de l'opération. Je suis lié par les règles de droit qui existaient à l'époque et qui autorisaient ce genre d'opération.



[27]          Alors, même si on en arrivait à la conclusion que le contribuable a pu directement ou indirectement contribuer à la création ou à l'augmentation de la perte, il n'y a pas lieu de considérer la moralité mais plutôt la légalité des opérations. Dans l'affaire Shell Canada Ltée c. Canada5, la Cour suprême du Canada s'est exprimée récemment sur le concept de la "réalité économique" de la situation d'un contribuable dans les termes suivants:

... Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables: Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.






Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie: l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée: Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.



[28]          Et au paragraphe 43:

... La jurisprudence de notre Cour est constante: les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite: Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41, le juge Iacobucci; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112, le juge Iacobucci; Antosko, précité, à la p. 328, le juge Iacobucci. En concluant à l'existence d'une intention non exprimée par le législateur sous couvert d'une interprétation fondée sur l'objet, l'on risque de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir dans la Loi.




[29]          Et la juge McLachlin, maintenant juge-en-chef, a conclu comme il suit:

45.      Cependant, il ressort des arrêts plus récents de notre Cour qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire, il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi, pour le motif que ce serait inéquitable à l'égard des contribuables qui n'ont pas opté pour cette solution. Notre Cour s'est précisément penchée sur cette question dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada [1998] 1 R.C.S. 795, au par. 88, le juge Iacobucci. Voir également Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S.770, au par. 63, le juge Iacobucci. Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. Les remarques incidentes formulées dans des arrêts antérieurs dont on peut dire qu'elles appuient un principe d'interprétation plus large et moins certain ont donc été supplantées par les arrêts que notre Cour a rendus depuis en matière fiscale. Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

4. Prétentions de la défenderesse



[30]          Pour sa part, la défenderesse adopte in toto l'analyse et les conclusions du juge de la CCI. Le paragraphe 55(1) de la Loi s'applique aux deux transactions et il n'est pas rendu inapplicable si une autre disposition, en l'occurrence le paragraphe 55(2) de la Loi, peut trouver application. Quant au paragraphe 55(2) de la Loi, il s'applique seulement à la deuxième transaction. La défenderesse se replie particulièrement sur les passages suivants de l'analyse du juge de la CCI.



[31]          Au paragraphe 68 de ses motifs il pose la question suivante:

Pour ignorer l'existence de cette perte, il faut que les circonstances dans lesquelles ces opérations ont été effectuées permettent de croire raisonnablement que S.L.M. a disposé des actions de St-Laurent de façon à artificiellement ou indûment occasionner une perte.



[32]          Il ajoute au paragraphe 71 de ses motifs cette autre question:

Est-ce que cette perte de 1 000 000 $ reflète la réalité économique de la transaction? Selon les faits de cette cause, je me dois de répondre par la négative.



[33]          Finalement, il conclut au paragraphe 73 de ses motifs comme ceci:

En déclarant un dividende en actions et en disposant des actions privilégiées classe B n'ayant aucune valeur, S.L.M. a occasionné de façon excessive ou anormale une perte fiscale ne correspondant pas à la réalité économique. Le paragraphe 55(1) s'applique à la vente des actions de S.L.M. à M. Couture.



[34]          Le juge de la CCI analyse la 2e transaction (celle de la vente de « Valcartier » ) notamment à partir des paragraphes 32 et 33 des motifs de son jugement:

Le Ministre a le fardeau de la preuve quant aux faits pertinents nécessaires pour l'application du paragraphe 55(2) de la Loi. De plus, ce paragraphe soulève l'application de la règle transitoire. En effet, cet article ne s'applique pas à une opération ou à un événement qui fait partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980...
... Le paragraphe 55(1) de la Loi énonce une règle anti-évitement d'application générale alors que le paragraphe 55(2) énonce une règle anti-évitement d'application plus restreinte. Ce dernier s'applique lorsqu'un gain capital est transformé en un dividende non imposable. Autant que possible, la Cour doit privilégier la règle d'application restreinte par rapport à celle d'application générale. Dans les circonstances de cet appel, le paragraphe 55(2) pourrait s'appliquer, à condition que la série d'opérations n'ait pas commencé avant le 22 avril 1980...



[35]          Au paragraphe 45 de ses motifs le juge s'exprime au sujet des objectifs du paragraphe 55(2) de la Loi en écrivant ce qui suit:

...Tout d'abord traitons des objectifs poursuivis par le paragraphe 55(2) de la Loi. Ce paragraphe est une disposition anti-évitement visant à empêcher une réduction artificielle ou indue du gain en capital qu'un contribuable aurait réalisé s'il avait fait une simple vente de ses actions à leur juste valeur marchande.




[36]          Après une analyse exhaustive de la preuve, le juge conclut ainsi au paragraphe 54 de ses motifs:

De l'analyse de cette série d'opérations, on peut constater qu'il n'est pas nécessaire de remonter à une date antérieure au 27 août 1980 pour conclure que S.L.M. a réalisé une série d'opérations dont l'effet a été de diminuer le gain en capital...



[37]          Par la suite, le juge de la CCI tirera la conclusion que des dividendes réputés versés à SLM pour 1981 et en 1983 ont sensiblement réduit le gain en capital qui aurait résulté de la 2e transaction.



[38]          Relativement au paragraphe 55(2) de la Loi, la défenderesse se replie sur les conclusions du juge de la CCI. Ce dernier reconnaît que c'est le Ministre qui a le fardeau de la preuve quant aux faits pertinents nécessaires à l'application de cet article. Il rapporte que le Ministre, au début, croyait que la série d'opérations avait commencé avant le 22 avril 1980. Ce n'est que devant la CCI qu'il a changé son interprétation et a soutenu que la série d'opérations aurait débuté le 21 juillet 1980, soit la date du montage fiscal préparé par Létourneau Stein.



[39]          Le paragraphe 55(1) de la Loi énonce une règle anti-évitement d'application générale, alors que le paragraphe 55(2) traite d'une application plus restreinte. Il se pose la question à savoir ce qu'est une série d'opérations. Après vérification dans les dictionnaires et la jurisprudence, il conclut que le paragraphe 55(2) est une disposition anti-évitement visant à empêcher une réduction artificielle ou indue du gain en capital. Compte tenu des objectifs du paragraphe 55(2), il trouve que l'expression "série d'opérations" doit avoir un sens suffisamment large pour permettre aux autorités fiscales d'empêcher la réduction artificielle ou indue, mais aussi limitée que possible de manière à ne pas pénaliser inutilement un contribuable. Si pour les fins du rachat des actions en 1983 on plaçait le début de la série au 7 avril 1980, SLM ne pourrait pas bénéficier du revenu protégé. Par contre, si on situe le début de la série au 27 août 1980 et la fin au 30 juin 1983, on retrouve dans cette période un ensemble d'opérations dont chacune est essentielle à la réalisation des objectifs poursuivis par SLM. La première étape a donc été de mettre en place le 27 août 1980 les actions pour les rachats du 29 juin 1981 et du 30 juin 1983. Après une analyse de la série d'opérations, le juge constate qu'il n'est pas nécessaire de remonter à une date antérieure au 27 août 1980.



[40]          Selon lui, le fait pour Prego d'obtenir de Gestion SLM le 7 avril 1980 le droit de préemption ne fait pas partie de la série d'opérations dans laquelle s'inscrit la vente des actions du contrat et les rachats des actions privilégiées classe C et classe D. Il y voit un objet entièrement différent. Quant à la date du 21 juillet 1980 mise de l'avant par le Ministre, elle doit être écartée puisque l'objet du mémoire préparé par Létourneau Stein est de décrire les étapes de la prise de contrôle de SLM par Prego et ne vise pas la vente des actions de Valcartier par SLM.




5. Analyse



[41]          La jurisprudence en matière d'évitement d'impôt a profondément évolué depuis le jugement de la Cour canadienne de l'impôt dans cette affaire. Cette cause a été entendue en septembre 1994 et le jugement rendu en juin 1995. En septembre 1998, la Cour suprême du Canada a clairement établi dans l'arrêt Banque Continentale que la Couronne n'est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai de quatre ans prévu à cette fin. En mai 2000, la Cour d'appel fédérale a clarifié que le Ministre est lié à la base fondamentale de sa cotisation après le délai de quatre ans et la Cour canadienne de l'impôt est également soumise à cette prescription.



[42]          Dans l'affaire Hollinger, la Cour d'appel fédérale a précisé que le paragraphe 52(9) de la Loi permettant au Ministre d'avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période de délai n'était pas applicable puisqu'elle n'était pas en vigueur lorsque la question a été débattue devant la Cour canadienne de l'impôt. Les décisions Nova et Hollinger précitées de la Cour d'appel fédérale ont établi que dans ce genre de transactions il faut examiner la légalité et non la moralité de l'opération.



[43]          Dans l'affaire Shell Canada, une décision de la Cour suprême du Canada, relâchée le 15 octobre 1999, la Cour a indiqué qu'elle n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Si l'opération en cause n'est pas un trompe-l'oeil, en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. L'examen de la réalité économique d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable.



[44]          En concluant à l'existence d'une intention non exprimée par le législateur sous couvert d'une interprétation fondée sur l'objet, l'on risque de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir dans la Loi. Plus spécifiquement, les tribunaux ne doivent pas empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi au seul motif que ce serait inéquitable à l'endroit des autres contribuables. Le contribuable est parfaitement libre de diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale dans les cadres de la Loi.



[45]          C'est donc à la lumière de ces principes qu'il faut examiner l'application des paragraphes 55(1) et 55(2) de la Loi aux faits de l'espèce.


     5.1 - Portée du paragraphe 55(2)



[46]          Clairement, le paragraphe 55(2) ne s'applique pas aux faits de l'espèce pour les motifs suivants. Premièrement, la Couronne n'était pas autorisée à invoquer une autre diposition impliquant un fondement différent pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai de quatre ans. Il s'agit ici vraiment d'une tentative tardive de doubler un nouveau fondement à la cotisation.



[47]          Deuxièmement, même s'il ne s'agissait que d'un nouvel argument et non d'un nouveau fondement, le paragraphe 152(9) de la Loi ne peut être invoqué parce qu'il n'était pas en vigueur à l'époque pertinente. De plus, la défenderesse a écarté ce paragraphe au cours de ses arguments.



[48]          Troisièmement, à mon avis, la série d'opérations et d'événements donnant lieu aux avis de cotisations a commencé avant le 22 avril 1980 et est donc exclue de la présomption de gain en capital prévue à l'article 55(2). La série d'opérations et d'événements a commencé le 7 avril 1980 alors que M. Couture de Gestion St-Laurent accordait à M. Godbout de Prego un droit de premier refus sur ses actions de SLM.


     5.2 - Portée du pargraphe 55(1)



[49]          Il n'en va pas de même pour le paragraphe 55(1) qui, à mon sens, s'applique à la première transaction mais non à la deuxième.


     5.2a) - 1ère transaction



[50]          Dans l'affaire Nova6 précitée, la Cour d'appel fédérale a souligné la condition essentielle à l'application du paragraphe 55(1) de la Loi, à savoir si le contribuable lui-même a, par ses agissements, influencé soit le prix de base rajusté ("le PBR") ou le produit de disposition ("le PD") des actions de manière à augmenter une perte de façon "artificielle ou indue".



[51]          En premier lieu, la déclaration du dividende en actions de 1 000 000 $ par St. Laurent doit être imputée à SLM en raison du degré de contrôle exercé par cette dernière sur cette filiale.



[52]          Ensuite, la déclaration du dividende par St. Laurent a eu comme effet direct d'augmenter le PBR des actions de SLM de 1 000 000 $, ce qui a mené à la perte en question. Autrement dit, la perte de 1 000 000 $ en l'espèce n'aurait pas eu lieu n'eut été de la déclaration de dividendes. Pour ce motif, le juge de la CCI avait tout à fait raison lorsqu'il a tiré cette conclusion:

Si SLM n'avait disposé que des 470 actions ordinaires qu'elle possédait, elle n'aurait pas réalisé de gain ni de perte. Le fait d'avoir déclaré un dividende en actions pour 1 000 000$ a eu pour effet d'augmenter le PBR de 1 000 000$. La vente de ces actions privilégiées a donc créé une perte de 1 000 000$.



[53]          Tel que souligné plus haut, il est vrai qu'une perte n'est pas "artificielle ou indue" lorsqu'elle découle de l'application de la Loi. Cependant, je suis d'accord avec la partie défenderesse que les faits dans les affaires Nova et Hollinger se distinguent de la présente transaction. En l'espèce, la perte n'existait pas avant la déclaration du dividende et on ne peut prétendre que SLM a tout simplement hérité de cette perte. Selon moi, la perte de 1 000 000 $ n'a pas été réalisée en raison d'une disposition particulière de la Loi, mais plutôt en raison d'agissements attribuables à SLM.



[54]          Donc, lorsque SLM a déclaré le dividende, elle a, par ses agissements, influencé le PBR de ses actions de façon à artificiellement créer une perte au sens du paragraphe 55(1).


     5.2b) - 2ème transaction



[55]          Il faut souligner au départ qu'au moment de la 2ème transaction, Prego était l'unique actionnaire de SLM et SLM détenait à son tour 100% des actions de Valcartier. De fait, le 11 juin, 1980, Gestion, Fercal et Armaco avaient vendu toutes leurs actions dans SLM à Prego. Ces trois sociétés n'étaient donc pas impliquées dans la 2ème transaction.



[56]          Dès le 11 juin 1980, SLM détenait 100% des actions de Valcartier. SNC, qui voulait acheter Valcartier, a transmis à SLM une offre d'achat le 11 août 1980. Le 15 septembre 1980, les parties ont rédigé un contrat d'achat prévoyant certaines conditions de vente, dont les transactions complexes qui suivent:

·      Le 4 septembre 1980, SLM émet un nombre de ses propres actions à SNC pour 1 760 000$. Le contrat entre Valcartier et SNC prévoit que SLM pourra racheter ces actions plus tard à un prix fixe.
·      Le 15 septembre 1980, SLM vend des actions de Valcartier à SNC pour 5 240 000$.
·      Le 16 septembre 1980, Valcartier émet 2 000 de ses propres actions à SLM. Le contrat entre Valcartier et SNC prévoit que Valcartier pourra racheter ces actions plus tard à un prix déterminé.
·      Le 29 juin 1980, Valcartier rachète 1 000 des actions détenues par SLM pour 1 915 000$ et rachète l'autre 1 000 actions le 30 juin 1980 pour 2 406 666$, tel que prévu à la convention de rachat.
.      Le 30 juin 1980, SLM rachète toutes ses actions détenues par SNC pour 1 915 000 $, tel que prévu à la convention de rachat.



[57]          Le rachat des 2,000 actions par Valcartier a créé pour SLM un dividende réputé de 4 311 666 $ en raison de l'article 112 de la Loi. Ceci a permis à SLM de réclamer une déduction du même montant en raison du sous alinéa 54h)(x) de la Loi. De fait, le dividende réputé a pu être exclu du PD des actions vendues à Valcartier, ce qui a réduit le gain en capital réalisé par SLM lors de cette vente.



[58]          Cet échange d'actions entre Valcartier et SLM découle d'une condition essentielle à l'achat par SNC de Valcartier prévue au contrat de vente entre ces deux corporations sans lien de dépendance. Pour cette raison, je suis d'avis que la perte résultant du rachat des actions a été réalisée en vertu d'une opération sans lien de dépendance.



[59]          Tel que déjà souligné, une perte ne sera pas "artificielle ou indue" lorsqu'elle découle de l'application de la Loi. La défenderesse n'a pas réussi à me convaincre que la perte en question a effectivement été occasionnée de façon "artificielle ou indue". De surcroît, une analyse des transactions précédentes m'amène à conclure que SLM ne peut être considérée comme ayant "fait quelque chose" affectant soit le PBR ou le PD des actions en l'espèce: la transaction a été effectuée avec une corporation sans lien de dépendance. La perte a été réalisée en vertu de l'article 112 et de l'alinéa 54h)(x) de la Loi. En conséquence, j'en conclus que le paragraphe 55(1) ne s'applique pas à cette transaction.



[60]          Un contribuable a le droit de structurer ses affaires de façon à tirer le meilleur parti possible de l'abri fiscal que la Loi lui offre. Il n'y a pas lieu ici de considérer le moralité des opérations mais bien leur légalité. Il ne faut pas non plus que les tribunaux statuent sur la base de la réalité économique d'une transaction. Si une disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée, sauf dispositions contraires de la Loi. Le contribuable a le droit d'organiser ses propres affaires et on ne peut lui attribuer une intention non explicite d'éluder l'impôt artificiellement ou indûment simplement au motif qu'il a su monter un échafaudage fiscal complexe et inusité.







6. Dispositif



[61]          Pour ces motifs, l'appel de la demanderesse est rejeté quant à la 1ère transaction et accueilli quant à la 2ème transaction. Les avis de cotisation doivent être ajustés en conséquence. La demanderesse aura droit à ses frais et dépens.



[62]          Tel que prévu à l'ordonnance du 15 décembre 1999, l'appel de Gestion Prego Inc. subira le même sort.





OTTAWA, Ontario

le 27 octobre 2000

    

     Juge

__________________

1      [1998] 2 R.C.S. 358.

2      A-564-98, 1999 DTC 5500.

3      A-454-95, 1997 DTC 5229.

4      supra, note no. 2.

5      [1999] 3 R.C.S. 622.

6      supra, note no. 3.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.